Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XXXV

Que les prophéties dont on a fait usage dans le chapitre précédent ne peuvent s’entendre dans un sens allégorique des biens purement célestes ; il faudra donc qu’elles aient leur accomplissement dans la Jérusalem terrestre, après la venue de l’Antéchrist et la résurrection générale ; ce que nous démontrons par de nouveaux passages des prophéties d’Isaïe, de Jérémie et de l’Apocalypse de saint Jean.

Je crois que l’on tenterait sans succès de démontrer que les prophéties que nous venons de citer doivent s’appliquer dans un sens allégorique aux biens purement célestes, destinés aux élus ; on ne peut adopter ce parti sans tomber dans les contradictions les plus étranges ; le texte même d’ailleurs repousse une pareille interprétation ; tels sont entre autres ces passages : « Jusqu’à ce que les villes soient désolées, les maisons désertes et la terre abandonnée ; » et ensuite lorsqu’Isaïe dit : « Et voilà que le jour du Seigneur viendra ; jour cruel, plein d’indignation, de colère et de fureur, qui fera de la terre un désert ; jour qui exterminera les impies. » Et puis : « Et aurez-vous pitié de l’impie, il ne verra pas la gloire du Seigneur ; » et après cela : « Le Seigneur éloignera les hommes, et il multipliera les élus qui habiteront cette terre. Mon peuple bâtira des maisons et les habitera ; il plantera des vignes et en recueillera les fruits, et en boira le vin. » Il est évident, et l’on ne peut le contester, que toutes ces prophéties s’appliquent à la résurrection des justes, qui s’effectuera après la venue de l’antéchrist, lequel ravagera et désolera les nations ; après quoi viendra le règne des justes sur la terre, qui seront doués de toutes les perfections, en jouissant du don de voir notre Seigneur Jésus-Christ ; et ils s’accoutumeront ainsi à supporter l’éclat de la gloire du Père ; ils converseront et seront dès lors en rapport avec les anges, et participeront déjà à leur nature céleste. Seront aussi admis à jouir des mêmes biens et des mêmes avantages les justes qui se trouveront alors sur la terre, attendant la venue du Christ, et qui, éprouvés par les persécutions, auront échappé aux coups de l’antéchrist. C’est de ces derniers dont parle le prophète, quand il dit : « Et ceux qui seront restés sur cette terre s’y multiplieront. » Un autre prophète a annoncé encore toutes ces choses, racontant tout ce que Dieu préparera à ceux qui croiront en lui ; comment ceux qui seront restés sur la terre s’y multiplieront ; comment tout cela arrivera sous le règne des saints ; comment Dieu relèvera Jérusalem et y établira le centre du gouvernement des saints. Voici donc comment il parle : « Jérusalem, regarde vers l’orient, et considère la joie qui vient de Dieu sur toi ! Dépouille-toi, Jérusalem, de la robe de deuil et d’affliction, et revêts-toi d’éclat et d’honneurs, et de la gloire éternelle qui te vient de Dieu. Le Seigneur te revêtira du manteau de la justice, et il mettra sur ta tête un diadème d’éternelle gloire. Dieu montrera sa splendeur en toi à tout ce qui est sous le ciel ; car voici le nom dont Dieu te nommera pour jamais : La paix de justice, et l’honneur de la piété. Lève-toi, Jérusalem, lève-toi, et regarde vers l’orient, et vois tes fils rassemblés, du soleil levant jusqu’au couchant, à la parole du saint de Dieu, et se réjouissant dans le souvenir du Seigneur. Ils sont allés loin de toi, traînés par leurs ennemis ; mais le Seigneur les ramènera, portés avec honneur comme les fils des rois ; car le Seigneur a résolu d’humilier toutes les montagnes élevées et les rochers éternels, et de combler les vallées en les égalant au reste de la terre, afin qu’Israël marche rapidement pour la gloire de Dieu. Et les forêts et tous les bois de parfums couvriront Israël de leur ombre par l’ordre de Dieu ; car Dieu ramènera Israël avec joie à la splendeur de la gloire, de la miséricorde et de la justice qui sont en lui. »

Or, il est impossible d’admettre que tous les termes de cette prophétie puissent s’appliquer aux choses qui appartiennent purement à l’ordre céleste ; et, en effet, comme dit le prophète : « Dieu montrera sa splendeur en toi à tout ce qui est sous le ciel ; » ils trouveront leur application naturelle aux temps futurs du règne temporel des justes, lorsque la terre aura été renouvelée par le Christ, que Jérusalem aura été réédifiée sur le modèle de la Jérusalem céleste, ce que signifie ce passage du prophète Isaïe : « Je te porte gravée dans mes mains ; mes yeux veillent toujours sur tes murailles. » Et l’apôtre, écrivant aux Galates, a dit dans le même sens : « Au lieu que la Jérusalem d’en haut est libre, et c’est elle qui est votre mère. » Assurément, en parlant ainsi, il ne songeait pas au chimérique Æon des gnostiques, ni à ces je ne sais quelles puissances célestes, sorties du sein du Plerum et du Prumique ; mais il avait uniquement en vue cette Jérusalem qui est gravée sur les mains de Dieu, cette Jérusalem nouvelle que saint Jean a vue dans l’Apocalypse descendre sur la terre, lorsque les temps du règne des justes seront venus. « Je vis, dit-il, un grand trône blanc, et quelqu’un assis, devant la face duquel le ciel et la terre s’enfuirent, et leur place même ne se trouva plus. » Il vit aussi dans sa vision la résurrection générale et le jugement dernier : « Et je vis, dit-il, les morts grands et petits, debout devant le trône ; la mer rendit ceux qui étaient morts dans ses eaux ; la mort et l’enfer rendirent aussi leurs morts ; les livres furent ouverts ; et un autre livre, qui est le livre de vie, fut encore ouvert ; et les morts furent jugés sur ce qui était écrit dans ces livres, selon leurs œuvres. L’enfer et la mort furent précipités dans l’étang de feu ; c’est là la seconde mort. » C’est là cette gehenne que notre Seigneur a nommée le feu infernal. « Et quiconque, continue saint Jean, ne se trouva pas écrit sur le livre de vie, fut jeté dans l’étang de feu. » Il ajoute encore : « Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus. Et moi, Jean, je vis descendre du ciel la cité sainte, la nouvelle Jérusalem qui venait de Dieu, parée comme une épouse pour son époux ; et j’entendis une grande voix sortie du trône, disant : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il demeurera avec eux ; et ils seront son peuple, et Dieu, au milieu d’eux, sera leur Dieu. Et Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux ; et la mort ne sera plus, ni le deuil, ni les cris, ni la douleur, parce que ce qui était autrefois sera passé. » Isaïe a annoncé les mêmes choses, quand il a dit : « Je vois créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre ; et le passé ne sera plus dans une mémoire, et ne s’élèvera plus sur mon cœur. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse pour l’éternité. » C’est dans le sens de ces mêmes choses que saint Paul parle, quand il dit : « Car la figure de ce monde passe ; » et notre Seigneur également, quand il a dit : « Le ciel et la terre passeront. » C’est donc lorsque toutes ces choses s’accomplissent que Jean, le disciple du Seigneur, voit descendre sur la terre la Jérusalem nouvelle, semblable à une épouse parée pour son époux ; c’est là ce tabernacle divin, où Dieu habitera avec les hommes. C’est dans cette Jérusalem nouvelle, image de la Jérusalem céleste, que les justes s’essaieront à l’immortalité et au salut éternel. Et ce tabernacle dont il est parlé dans ces visions est celui dont le modèle fut donné à Moïse sur la montagne. Ainsi toutes ces choses, qui sont préparées pour le bonheur des justes, sont vraies en réalité, substantiellement, et non pas allégoriquement ; c’est Dieu véritablement qui ressuscite l’homme, et c’est l’homme qui est ressuscité véritablement et réellement ; et il n’y a point ici d’allégorie, comme nous l’avons démontré d’une manière si évidente. Or, comme l’homme sera ressuscité en réalité, il sera aussi, en réalité, préparé à l’immortalité, et grandira en perfection pendant le règne des justes, afin de pouvoir ensuite supporter la gloire du Père. Enfin, quand toutes choses auront été renouvelées, il sera placé dans la cité de Dieu. « Alors celui qui était assis sur le trône, dit : Voilà que je fais toutes choses nouvelles. Et il me dit : Écris, car ces paroles sont très-certaines. Et il me dit encore : C’en est fait. » Voilà la vérité.

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