Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre XI

Qu’on ne se défend pas mieux contre l’évidence de ces preuves en suivant le système des ariens.

Ceux qui n’ont qu’une idée superficielle des choses, trouveront plus de vraisemblance dans le système des ariens que dans l’hypothèse socinienne, parce que les premiers sauvent du moins la préexistence du Seigneur Jésus, qui est un dogme si expressément marqué dans l’Écriture du Nouveau Testament ; et j’avoue qu’à s’arrêter là, la chose serait incontestable. Mais quand on considère cette matière de plus près, on est obligé de changer de sentiment, et on trouve que Socin a été beaucoup plus judicieux qu’Arius dans son système, qui est dégagé de trois difficultés capitales qui se trouvent dans celui des anciens ennemis de la divinité de notre Seigneur.

Pour comprendre la première, il faut d’abord supposer que le nom de Dieu étant nécessairement ou un nom d’office, ou un nom de nature, c’est-à-dire, ou un nom qui marque les charges et les qualités extérieures, ou un nom qui marque l’excellence et les perfections essentielles, les ariens ne peuvent point se sauver quand on les presse par la considération du nom de Dieu qui est donné à Jésus-Christ, en disant que c’est là un nom d’office, et que Jésus-Christ ne l’a porté que comme un ambassadeur du Dieu très haut ; ce qui est la défaite des sociniens. Car, comme ils reconnaissent que Jésus-Christ était avant son incarnation, ils sont forcés d’avouer qu’il était Dieu dès lors, qu’il l’était avant la création de toutes choses ; car les passages de l’Écriture qu’ils expliquent de sa préexistence, y sont exprès : Au commencement la parole était ; elle était avec Dieu ; elle était Dieu. Que s’ils demeurent d’accord que, lorsque la Parole était avec Dieu, que dans ce commencement où toutes choses n’avaient pas encore été faites par elle, cette Parole était Dieu, ils doivent reconnaître aussi qu’elle était le vrai Dieu, en forme de Dieu, le Dieu fort, le grand Dieu, Dieu béni éternellement, qui sont les noms que l’Écriture lui donne ailleurs ; car on ne voit pas plus de raison à dire l’un qu’à reconnaître l’autre ; et si cela est, je demande comment les noms et les éloges les plus propres du Dieu très haut conviennent à Jésus-Christ dans ce premier état, où l’on ne peut point dire qu’il représentât Dieu, ni qu’il agit en son nom, ni qu’il fût son ambassadeur envers les hommes ? Jésus-Christ était un esprit créé, noble et excellent, tant qu’il vous plaira : exprime-t-on l’essence et les perfections d’une créature par le nom de Dieu ? dit-on d’une créature qu’elle est en forme de Dieu, et égale avec Dieu ? Quand cet esprit aurait une gloire divine à notre égard, peut-on lui attribuer une gloire divine, lorsqu’on le conçoit étant avec Dieu ? et surtout, peut-on lui donner le nom de ce grand Dieu, qui est infiniment plus élevé au-dessus de cet esprit, que cet esprit n’est élevé au-dessus du plus petit atome de poussière ? Certes, au lieu de dire qu’il était en forme de Dieu avant qu’il s’abaissât, il faudrait reconnaître qu’il a toujours été en forme de serviteur, en forme de créature, et bien plus dans le ciel que sur la terre, bien plus avant dans la création du monde, que lorsqu’il a conversé parmi nous dans l’accomplissement du temps ; car, de quelques perfections qu’un être soit enrichi, il est bien plus en forme de serviteur quand il est par-devers Dieu que quand il converse parmi les hommes. De sorte qu’au lieu de nous faire entendre que dans ce premier état où Jésus-Christ était avec son Père, il était Dieu, on devait nous dire que c’est dans ce premier état que Jésus-Christ n’est rien ; comme l’on voit qu’un grand seigneur, dont la grandeur et la magnificence paraissent avec éclat lorsqu’il est dans son gouvernement, n’est rien lorsqu’il est à la cour du roi, dont la majesté fait éclipser celle de ses serviteurs. En un mot, Jésus-Christ, considéré dans ce premier état où il est par-devers Dieu, porte le nom de Dieu, ou à cause de ce qu’il est, ou à cause de ce qu’il fait, ou à cause de ce qu’il représente. Ce n’est point à cause de ce qu’il est, car il est une créature ; et quelque excellente que soit cette créature, elle n’a pu, sans mensonge, être marquée par un nom consacré au Créateur. Ce n’est point à cause de ce qu’il fait, car nous supposons Jésus-Christ dans un état où il n’agit pas encore ; ou s’il agit, c’est comme un ministre de Dieu ; et par conséquent il n’a point dû être marqué par un nom consacré à la cause première. Enfin, ce n’est point à cause de ce qu’il représente ; car s’il représentait quelque personne qui lui donnât le droit de porter ce nom, ce serait Dieu. Or Jésus-Christ, dans ce premier état, ne représente point Dieu ; il ne le représente point aux anges, qui n’ont que faire de représentation à cet égard, puisqu’ils voient Dieu face à face, c’est-à-dire autant qu’il est nécessaire pour la plénitude de leur bonheur, de leur gloire et de leur sainteté ; il ne le représente point aux hommes, qui ne sont pas encore. D’ailleurs, pour représenter Dieu, doit-il porter le nom de Dieu ? Les ariens sont à cet égard dans un embarras inexplicable, et d’autant plus grand que ces magnifiques titres de vrai Dieu, grand Dieu, Dieu fort, etc., relèvent ici le nom de Dieu, qui est donné à Jésus-Christ en divers endroits de l’Écriture avec ces grandes épithètes.

La seconde difficulté qui est dans le système des ariens, consiste en ce qu’ils ne peuvent expliquer ces passages de l’Écriture qui attribuent à Jésus-Christ d’avoir fait les siècles, d’avoir créé les choses visibles et, les choses invisibles, etc., de faire subsister toutes choses par sa parole puissante, d’avoir fondé la terre et produit les cieux, d’avoir fait le monde ; qu’ils ne peuvent, dis-je, les expliquer sans se contredire, en reconnaissant la divinité proprement dite de Jésus-Christ, après l’avoir niée, ou sans se trouver dans la nécessité d’avancer des propositions extravagantes : car, comme ils entendent littéralement tous ces passages qui marquent que Dieu a fait toutes choses par Jésus-Christ, et que sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait, ils sont obligés d’attribuer à Jésus-Christ la création du ciel et de la terre, et même la création des anges et des âmes ; et alors il faut qu’ils disent de deux choses l’une, ou que la Parole a fait toutes ces choses par sa vertu et par sa puissance, comme nous voyons que le soleil nous éclaire par sa force qui est la lumière, ou que la Parole n’ayant aucune vertu pour produire ces choses, ou du moins n’en déployant aucune, n’a été que la simple occasion à laquelle la puissance infinie du Dieu souverain s’est déployée, comme nous voyons que les apôtres, n’ayant point la vertu de faire des miracles par eux-mêmes, étaient l’occasion à laquelle la puissance infinie de Dieu les opérait. Si l’on dit ce dernier, et que Jésus-Christ ne soit qu’un esprit excellent, qui, par ses prières et par son intercession, ou autrement, ait été une occasion à la puissance infinie de Dieu de créer cet univers, nous avons sujet de nous plaindre d’avoir été séduits par les paroles de l’Écriture, qui dit expressément que le monde a été fait par lui. Nous trouvons incompréhensible qu’il soit nommé la vertu et la sagesse de Dieu, puisqu’il n’est qu’une simple occasion à cette vertu et à cette sagesse de se déployer ; et nous trouvons tout à fait choquant, vu le soin que les apôtres prennent de déclarer que ce n’est point par leur puissance qu’ils font les miracles que les Juifs admirent, qu’ils n’aient le même soin de nous apprendre que ce n’est point par sa vertu et par sa puissance que la Parole fait ses œuvres si grandes et si magnifiques, et qu’au contraire ils déclarent que c’est le nom de Jésus qui fait toutes ces merveilles, que c’est Jésus-Christ par qui et pour qui sont toutes choses, et qu’il les soutient par sa parole puissante, qu’il a fondé la terre, etc. Expressions tout à fait extravagantes, s’il est vrai que Jésus-Christ n’ait pas plus contribué à la production de l’univers que les apôtres contribuaient aux miracles qui paraissaient se faire par leur ministère. Que si l’on dit le premier, savoir, que Jésus-Christ, la Parole éternelle, a fait les créatures par sa vertu et sa puissance, mais par une puissance et une vertu qui étaient émanées premièrement de l’Être souverain, comme c’était le sentiment des anciens Ariens qui même attribuaient au Père de ne se mêler de rien, mais d’avoir laissé tout faire au Fils, la plus noble et la plus parfaite de ses créatures, qui seule aurait été créée de lui immédiatement, il faut en ce cas-là qu’on demeure d’accord que le Père a communiqué au Fils la puissance de créer. Or, la puissance de créer est une puissance infinie, puisqu’elle franchit l’éloignement infini qui est entre l’Être et le néant ; et il est incontestable qu’une puissance infinie est une perfection infinie, et qu’une perfection infinie ne peut jamais être communiquée à une créature, parce qu’elle serait finie, et ne le serait pas. D’ailleurs, si Jésus-Christ, étant une simple créature, a créé toutes choses, ou c’a été comme cause instrumentale, ou comme cause principale : ce n’a pas été comme cause instrumentale, car il n’y a jamais de cause instrumentale que quand il y a un sujet sur lequel cet instrument peut agir, et auquel il doit être en quelque sorte proportionné. Or, ici il n’y a point de sujet sur lequel on agisse, puisqu’on tire toutes choses du sein du néant. Si c’est comme cause principale, il s’ensuit qu’il est un créateur, qu’il a une puissance infinie, et qu’il ne doit pas être distingué de l’Être souverain à l’égard de ses perfections : car pourquoi, étant revêtu d’une puissance infinie, ne le serait-il point d’une sagesse infinie, etc., et ainsi des autres vertus de la Divinité ? Enfin, ou Jésus-Christ a agi seul dans la création et dans la conservation de toutes choses, ou il a agi avec son Père. S’il a agi seul, comment l’Écriture lui fait-elle dire que le Père travaille avec lui, et qu’un cheveu de notre tête ne tombe point sans la permission de notre Père qui est aux cieux ? S’il a agi avec le Père, ou il déploie la même vertu que le Père, ou une vertu différente. S’il déploie la même vertu, il déploie une vertu infinie ; car le Père déploie une puissance infinie. S’il déploie une vertu différente, en quoi cette dernière vertu était-elle nécessaire, puisque la première suffisait déjà, et que Dieu agit sur le néant par sa seule volonté ?

La troisième difficulté qu’on trouve dans le système des ariens, consiste en ce qu’il n’est pas possible de sauver Moïse, les patriarches et les prophètes d’une manifeste idolâtrie, lorsqu’ils ont adoré comme le Dieu souverain cet ange qui leur apparaissait si souvent, et qu’on sera obligé de reconnaître comme une simple créature qui se mettait à la place de Dieu. On ne pourra plus dire avec les Sociniens, que cet ange n’était point adoré pour lui-même, mais parce qu’il représentait Dieu, et que hors son emploi et son ministère, il n’était point digne d’un plus grand honneur que les autres : car saint Jean nous apprend ici que cet Esprit qu’il nomme la Parole, le commerce des hommes à part, dès le commencement, avant la création des choses, étant avec Dieu, était Dieu. Ainsi il faudra regarder tous les hommages que cet Esprit prétend ensuite, comme des hommages qu’il demande, comme étant dus à ses propres perfections ; et de là il s’ensuivra, par des conséquences assez justes, que nous nous trouverons obligés d’appliquer à un ange les oracles qui avaient eu pour objet le Dieu souverain. Mais nous aurons lieu d’étendre cette considération dans la suite.

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