Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre V

Où l’on fait voir que les apôtres n’ont point appliqué à Jésus-Christ les anciens oracles par simple allusion ou accommodation.

Pour voir de quelle importance est la preuve que nous tirons de l’application que les apôtres ont faite des anciens oracles de l’Écriture à Jésus-Christ, il ne faut qu’examiner si dans tous ces passages que nous avons marqués ci-dessus, le dessein du Saint-Esprit, parlant par les prophètes, a été de nous caractériser Jésus-Christ.

Car si c’a été là son dessein, on doit demeurer d’accord que le dessein du Saint-Esprit a été de caractériser par avance Jésus-Christ par ces titres qui composent ces peintures, et qu’ainsi il a voulu nous le faire regarder comme étant le Seigneur notre Dieu, Jéhova, notre effroi et notre épouvantement, celui devant lequel tout genou doit fléchir, le Roi de gloire, le Dieu des armées, le Créateur du ciel et de la terre, etc.

Que si le Saint-Esprit, qui a inspiré tous ces oracles aux prophètes, n’a point voulu nous représenter Jésus-Christ, mais seulement le Dieu souverain, par ces grands caractères, il s’ensuit que nous devons regarder cette application que les apôtres font de ces passages à Jésus-Christ, comme une application arbitraire et comme un jeu de leur esprit, ou, si vous voulez, comme une accommodation de l’Écriture ancienne à des événements présents, fondée sur quelque rapport qui se trouve entre l’une et l’autre. Or bien que cette espèce d’accommodation ne soit pas sans exemple dans le langage divin et humain, il est certain qu’elles n’ont point de lieu en cette occasion, et qu’elles ne servent de rien pour affaiblir notre preuve, pour trois raisons.

La première est qu’il y a quelques-uns de ces passages qui conviennent incontestablement à Jésus-Christ, par l’intention de l’Esprit qui les a inspirés aux prophètes, comme nous l’avons déjà montré de quelques-uns dans le détail. Or ces passages suffiront pour démontrer invinciblement que Jésus-Christ a été revêtu des caractères propres de la gloire de Dieu par l’intention du Saint-Esprit.

La seconde est que le dessein, que les apôtres ont eu en citant ces oracles, détruit la pensée qu’on pourrait avoir, que les applications qu’ils en font à Jésus-Christ ne soient que des illusions ou des accommodations ; car si nous y prenons bien garde, nous trouverons que leur dessein à cet égard se réduit presque toujours à quelqu’une de ces quatre fins : ils ont dessein de prouver par les prophètes la divine vocation de Jésus-Christ ; ou ils veulent montrer son excellence par-dessus toutes les créatures, par la manière dont Dieu l’a distingué des autres dans les anciens oracles ; ou ils veulent condamner l’endurcissement des Juifs, et diminuer le scandale que cet endurcissement donne, en faisant voir qu’il a été prédit ; ou ils tendent à porter à nous rendre à Jésus-Christ les hommages qui lui sont dus, en nous faisant voir que Dieu nous a ordonné de les lui rendre.

Les apôtres citent ces oracles dans le dessein de prouver sa vocation : c’est dans cette vue que saint Pierre, dans le sermon qu’il fait aux habitants de Jérusalem le jour de la Pentecôte, cite cette prophétie de Joël : Et il arrivera aux derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute chair, etc., et qu’il en fait un peu après l’application à Jésus-Christ en ces termes : Lui donc ayant été élevé, etc., a répandu ce que maintenant vous voyez et oyez. Je tire de cet exemple une preuve générale, et je dis que les apôtres ayant le dessein de faire voir la vérité de la vocation de leur Maître par les anciens oracles de l’Écriture, il faut qu’ils aient perdu le sens, s’ils n’ont pas vu qu’ils agissaient contre leur propre intention, en appliquant à Jésus-Christ des oracles qui expriment la gloire la plus propre de la divinité, puisqu’ils n’ignoraient pas que le grand scandale des Juifs consistait en ce qu’ils pensaient que Jésus-Christ s’était fait égal et semblable à Dieu, et qu’ainsi tout ce qu’ils citaient de l’Écriture était propre à faire voir que Jésus-Christ était un usurpateur de la gloire de la divinité, plutôt que le vrai Messie.

La seconde fin que les apôtres se sont proposée, a été d’ôter le scandale que donnait l’endurcissement des Juifs, et cela en montrant que cet endurcissement avait été prédit par les prophètes. C’est à peu près dans cette vue que l’évangéliste dit : C’est pourquoi ils ne pouvaient croire, à cause que derechef Esaïe dit : Il a aveuglé leurs yeux et endurci leur cœur, afin qu’ils ne voient des yeux et qu’ils n’entendent du cœur, et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse. Esaïe dit ces choses quand il vit sa gloire et qu’il parla de lui. Et remarquez que le prophète voyait la gloire du Dieu souverain, comme cela a été remarqué. Or ce dessein de montrer que l’endurcissement de ceux qui rejetaient le Messie avait été prédit, a dû obliger les apôtres à citer les oracles de l’Écriture, qui, dans la vérité et selon la tradition commune de leurs docteurs, regardaient le temps de leur Messie, et devaient s’appliquer à lui : tant s’en faut qu’ils aient dû faire au Messie des applications impies des caractères qui ne conviennent incontestablement qu’à l’Être souverain ; ce qui aurait justifié le procédé des Juifs à leur égard, et rendu leur incrédulité très légitime.

Une troisième fin des apôtres, lorsqu’ils citent l’Écriture de l’Ancien Testament en faveur de Jésus-Christ, c’est de nous montrer son excellence, et l’avantage qu’il a sur les anges et sur toutes les créatures sans exception, comme cela paraît par le chapitre premier de l’épître aux Hébreux, que nous avons déjà examiné. Or les illusions, les accommodations et les applications arbitraires ne sont nullement propres à cet usage ; car avec quelle bonne foi l’auteur de l’épître aux Hébreux nous prouvera-t-il que l’Écriture de l’Ancien Testament dit des choses plus grandes et plus magnifiques de Jésus-Christ que des anges, par des passages où le Saint-Esprit a eu tout aussi peu en vue Jésus-Christ que les anges ? Certainement si ce sont là de simples accommodations, il ne faudra qu’avoir un tour d’imagination un peu différent du sien, et appliquer à quelque ange ce qu’il applique à Jésus-Christ, pour tirer avec autant de raison que lui des conclusions opposées aux siennes.

Enfin, les apôtres ont un quatrième dessein dans cette espèce de citation, qui est celui de porter les hommes à l’adoration et aux autres hommages qui sont dus à Jésus-Christ : c’est dans cette vue qu’ils citent les oracles de l’Écriture qui tantôt ordonnent que tous les anges l’adorent, et tantôt déclarent que tout genou doit fléchir devant lui. Or il y aurait de l’extravagance à penser que les apôtres fondent sur des accommodations et des applications arbitraires qui ne sont, à parler exactement, que les rapports que notre imagination trouve entre les anciens oracles et des objets présents, que dis-je ? les apôtres fondent là-dessus le culte de la religion, ou l’adoration de Jésus-Christ qui doit être établie sur des préceptes exprès, ou sur des oracles qui prescrivent ce devoir. Les apôtres seraient aussi insensés qu’un homme qui prouverait qu’un simple soldat mérite d’être traité de majesté, et honoré en monarque et en conquérant, parce qu’il trouverait dans l’histoire d’Alexandre le Grand quelque action ou quelques paroles qui pourraient lui être appliquées par allusion ou par jeu d’esprit.

La troisième raison qui nous persuade que ces accommodations ne peuvent point être d’usage en cette occasion, c’est qu’elles seraient impies et pleines de blasphème, si Jésus-Christ n’était pas d’une même essence avec son Père : car si, par respect pour Jésus-Christ, vous n’oseriez appliquer à un autre homme cet oracle : Voici l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde, le respect que nous avons pour l’être souverain doit encore nous empêcher plus fortement de revêtir Jésus-Christ de caractères essentiels de sa gloire. Car deux choses sont certaines : la première est, que la disproportion qui est entre Jésus-Christ et le Dieu souverain, si le sentiment de nos adversaires est véritable, est infiniment plus grande que celle qui est entre Jésus-Christ et un autre homme ; la seconde, que le caractère qui est marqué par ces paroles : Voici l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde, n’est pas si propre à Jésus-Christ que les caractères qui sont marqués dans les passages des prophètes sont propres au Dieu souverain. Jésus-Christ est tellement l’Agneau de Dieu, selon nos adversaires, qu’un autre que lui pouvait l’être, si c’avait été la volonté du Seigneur ; mais Dieu est tellement Jéhova, le Dieu fort, le Dieu des armées, le roi de gloire, le créateur du ciel et de la terre, etc., qu’aucun ne peut partager cette gloire avec lui. Si donc on regarde comme un blasphème l’application qu’on fait à un autre qu’à Jésus-Christ de ces paroles : Voici l’Agneau de Dieu, etc., combien l’impiété serait-elle plus grande à appliquer à Jésus-Christ tous ces grands titres du Dieu très haut ? Car là ce ne serait qu’un passage mal appliqué ; et ici nous en voyons plusieurs : là il s’agirait d’un caractère de Jésus-Christ appliqué à un autre, lequel caractère est propre sans être essentiel à sa nature ; ici il s’agit de caractères propres et essentiels à la nature de Dieu : là on préjudicie à la gloire d’une créature aimée de Dieu ; et ici on fait tort à la gloire de Dieu lui-même : là tout le danger qu’il y a, c’est seulement qu’on ne soit scandalisé d’une allusion qui a quelque chose d’impie ; ici il y aurait non seulement scandale, mais séduction, puisque les apôtres engageraient les hommes dans cette triste superstition qui confondrait la créature avec le créateur.

Qu’on s’agite donc tant que l’on voudra, qu’on fasse agir son esprit et son imagination, qu’on tâche de faire douter de quelques livres de l’Écriture, qu’on fasse tant de spéculation que l’on voudra sur la manière dont les apôtres ont été inspirés, tout cela est inutile, parce que ces deux vérités demeurent constantes. La première est, que les apôtres ont appliqué à Jésus-Christ soit par accommodation, allusion, ou autrement, certains passages des prophètes qui caractérisent le Dieu souverain. La seconde, que si Jésus-Christ ne participe point à la gloire de l’essence divine, et qu’il ne soit qu’une créature à laquelle par conséquent tous ces caractères ne conviennent point, il faut regarder les apôtres comme des hommes qui engagent les autres dans l’idolâtrie par des jeux d’esprit tout à fait impies, et par des applications de l’Écriture pleines de blasphème.

Ainsi il nous paraît que si le sentiment de nos adversaires était véritable, ni les prophètes n’auraient prédit juste les événements, ni les apôtres n’auraient entendu les prophètes, et que par conséquent il n’y aurait aucune harmonie entre le Vieux et le Nouveau Testament. Cette considération est forte ; mais nous allons dire quelque chose de plus pressant.

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