Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre III

Où l’on répond à l’objection prise du dix-septième chapitre de l’Évangile selon saint Jean : C’est ici la vie éternelle, etc…

Un des principaux fondements de la doctrine socinienne, est ce célèbre passage qui se lit Jean.17.3, en ces mots : C’est ici la vie éternelle, de le connaître seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. « Personne ne doute, disent nos adversaires, que dans cet endroit, par le vrai Dieu il ne faille entendre le Dieu souverain. C’est pourquoi Jésus-Christ nous représentant son Père comme étant seul vrai Dieu, il s’ensuit qu’il n’y a que le Père qui soit le Dieu souverain. » Ce sont les paroles de Crellius.

Avant que de répondre directement à cette difficulté, il sera bon de faire quelques remarques générales, qui serviront à faire mieux comprendre ce que nous avons à dire sur ce sujet. La première est que Jésus-Christ pouvant être considéré dans deux états fort différents, l’état de son humiliation, et l’état de sa gloire, il nous est diversement représenté, selon qu’il se trouve dans ces deux différentes conditions. Dans l’état de son humiliation, il prend des noms qui expriment son abaissement ; mais dans l’état de sa gloire, il en prend d’autres qui marquent son exaltation. Dans le premier de ces deux états, il s’appelle le Fils de l’homme plus souvent que le Fils de Dieu ; mais après qu’il a été glorifié, les disciples le nomment constamment le Fils de Dieu, et jamais le Fils de l’Homme. Avant sa résurrection, les disciples croient dire beaucoup en faisant cette confession de lui : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ; mais leur révélation croissant avec sa gloire, ils lui disent, quand ils le voient ressuscité : Mon Seigneur et mon Dieu. Ainsi, lorsque Jésus-Christ enseigne ses disciples à prier, il leur donne un modèle admirable de leurs prières dans cette oraison la plus parfaite qui sera jamais, que nous appelons l’oraison dominicale. Cependant il n’est pas seulement fait mention de Jésus-Christ dans cette excellente prière ; mais lorsque Jésus-Christ est sur le point de quitter le monde, et qu’il s’en va être glorifié, alors il commence à tenir ce langage à ses disciples : En vérité je vous dis que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, vous le recevrez. Et enfin, après son exaltation, l’Église n’espère plus qu’en son intercession, et ne présente à Dieu ses vœux ou ses actions de grâce que par ce divin Sauveur : Béni soit Dieu qui est le Père de Jésus-Christ. Gloire soit à Dieu par Jésus-Christ. Si quelqu’un a péché, nous avons un avocat envers le Père, à savoir Jésus-Christ le juste. Cela étant, l’on ne doit pas être surpris que Jésus-Christ parlant de soi-même, en parle d’une manière modeste et convenable à l’état auquel il se trouvait alors ; ni aussi que dans l’Évangile le Père soit plus souvent nommé Dieu que Jésus-Christ, ni enfin qu’en diverses occasions Jésus-Christ parle comme s’il n’était pas le créateur du ciel et de la terre, et le souverain directeur des événements.

Les preuves qu’on tire du silence de l’Écriture sont quelquefois excellentes ; mais quelquefois aussi elles sont très fausses. Dira-t-on, par exemple, que Jésus-Christ n’est point notre médiateur, parce qu’étant sur la sainte montagne avec les troupes, il enseigne aux troupes et aux disciples les devoirs de la morale, et leur fait remarquer la corruption de la morale des scribes et des pharisiens, sans leur parler absolument de sa médiation ? Dira-t-on que Jésus-Christ n’est pas notre intercesseur envers Dieu, de ce que Jésus-Christ, enseignant ses disciples à prier, ne leur apprend point à demander à Dieu les grâces qui leur sont nécessaires au nom de Jésus-Christ ? Dira-t-on que le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit n’est point un baptême légitime, de ce que pendant la conversation de Jésus-Christ, et avant sa mort, il n’a ni baptisé, ni fait baptiser de cette manière par ses disciples ? Crellius n’a donc pas raison de remarquer qu’en plusieurs différentes occasions, Jésus-Christ parlant de lui-même, ou les apôtres parlant de Jésus-Christ, ne disent rien de plus grand ni de plus sublime, sinon qu’il est le Fils de Dieu. Car, comme il y a eu plusieurs occasions où Jésus-Christ a parlé de lui-même comme d’un simple homme, et d’autres où il a parlé de lui-même comme d’un simple prophète, sans faire aucune mention de sa médiation, de son intercession, de sa sacrificature, et de ses autres offices, sans qu’on puisse conclure de là sans extravagance, que Jésus-Christ n’a pas été notre intercesseur, notre grand sacrificateur, et le médiateur entre Dieu et les hommes ; aussi Jésus-Christ et les apôtres ont-ils pu nous parler de Jésus-Christ comme d’un sacrificateur, comme d’un médiateur, comme d’un roi, comme du Fils de Dieu en certaines occasions, sans nous parler de sa divinité.

Après cette remarque générale, je viens à l’objection, et je remarque que si nos adversaires veulent montrer que Jésus-Christ n’est point Dieu, ils agissent contre eux-mêmes ; car ils reconnaissent que Jésus-Christ porte ce nom dans l’Écriture : s’ils veulent faire voir que Jésus-Christ n’est pas le vrai Dieu, ils se contredisent. « Il est très faux, dit Socin, que nous affirmions ouvertement que Jésus-Christ n’est point vrai Dieu. Nous faisons profession de dire le contraire, et nous déclarons que Jésus-Christ est vrai Dieu dans plusieurs de nos écrits qui sont écrits tant en la langue latine qu’en la langue polonaisea. » « Jésus-Christ, dit Smalcius, peut être appelé avec un souverain droit notre Dieu et le vrai Dieu, et il l’est en effet. » Le même auteur assure en un autre endroit, que Jésus-Christ est Dieu d’une manière très excellente ou très parfaite, perfectissimo modo.

a – Socin, ad Wik, p. 49.

Si Jésus-Christ est Dieu, s’il est le vrai Dieu, s’il est Dieu par excellence, ou d’une manière très parfaite (car ces deux expressions sont équivalentes), et si c’est là le sentiment de nos adversaires, que veulent-ils dire lorsqu’ils citent ce passage ? Certainement tout ce qu’ils peuvent conclure des paroles de Jésus-Christ en saint Jean, dans la plus grande rigueur, est que Jésus-Christ n’est point le vrai Dieu, mais que ce titre appartient au Père seul. Or, cette conclusion, la plus avantageuse qu’ils puissent tirer de là, est contradictoire à leurs sentiments, ou du moins à leurs paroles. Qu’ils s’accordent donc premièrement avec eux-mêmes, et nous verrons ensuite si nous pourrons nous accorder avec eux : mais il faut leur dire quelque chose de plus particulier.

Saint Paul déclare en quelque endroit de ses épîtres, qu’il ne se propose de savoir que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Il est certain qu’à ne considérer que la force des termes, l’apôtre exclut tous autres objets de science salutaire, que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Dira-t-on qu’il s’ensuit de là que le Père aussi bien que les autres soient exclus de cet objet que saint Paul se propose uniquement de connaître ? Non, sans doute. Nous exceptons d’abord le Père, parce que dans d’autres endroits de la même Écriture, nous apprenons que la connaissance du Père est nécessaire pour avoir la vie éternelle. Si nous prenions ce passage. Je ne me suis proposé de savoir que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié, dans la rigueur et dans la dernière exactitude du sens propre, ce passage serait diamétralement opposé à celui-ci : C’est ici la vie éternelle, de te connaître seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Car l’un dit qu’il ne faut se proposer que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié pour l’objet de la science salutaire ; et l’autre nous apprend que pour avoir la vie éternelle, il faut aussi connaître le Père. Ces deux passages ne pouvant être tous deux véritables à la rigueur, on les concilie en disant que quand saint Paul se propose de savoir Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié, il ne prétend pas exclure le Père, qui, étant un avec le Fils, est connu en même temps que lui. Que si nos adversaires eux-mêmes suivent cette méthode lorsqu’il s’agit de concilier ces deux passages de l’Écriture, pourquoi ne la suivront-ils pas lorsqu’il s’agit de concilier ce passage qui marque, selon leur sens, que le Père seul, est le vrai Dieu ; et ces autres passages de l’Écriture, qui leur ont appris que Jésus-Christ aussi est le vrai Dieu ? Il me semble que notre prétention à cet égard ne saurait être plus raisonnable ni mieux fondée. Lorsque saint Paul nous dit qu’il ne se propose de savoir que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié, nous exceptons le Père, parce qu’un autre passage de l’Écriture nous apprend que la vie éternelle consiste, non seulement à connaître Jésus-Christ, mais aussi à connaître le Père. N’est-il pas juste aussi que, lorsque l’Écriture appelle le Père le seul vrai Dieu, nous exceptions Jésus-Christ, puisqu’il y a d’autres passages de l’Écriture qui certainement, et de l’aveu même de nos adversaires, nous apprennent que Jésus-Christ aussi est le vrai Dieu ?

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