Christiana et ses enfants

Chapitre VII

Suite aux instructions précédentes. – L’arbre vermoulu. – Le souper. – La musique. – Les pèlerins subissent un interrogatoire.

Quand ils furent de retour à la maison, le souper n’étant pas encore prêt, Christiana témoigna le désir de voir ou d’entendre quelque autre chose d’intéressant. Là-dessus, l’Interprète débuta de la manière suivante :

Il y a chez les femmes un désir d’avoir une belle parure ; mais l’ornement qui leur est bienséant consiste dans l’incorruptibilité d’un esprit doux et paisible, qui est de grand prix devant Dieu. (1Pier. 3.4 : Mais l’être caché du cœur, dans la parure incorruptible d’un esprit doux et paisible, qui est d’un grand prix devant Dieu.)

Il est plus aisé de veiller pendant une nuit ou deux, que de le faire pendant toute une année ; il est de même plus aisé de bien commencer dans la marche chrétienne, que d’y persévérer jusqu’à la fin.

Un capitaine de navire, au moment de la tempête, débarrasse volontiers son vaisseau de ce qui a le moins de valeur ; et qui voudrait se défaire premièrement de ce qu’il a de plus précieux, si ce n’est l’homme insensé ? (Mat. 16.26 : Car que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? Ou que donnera l’homme en échange de son âme ?)

Une seule fracture faite dans un vaisseau, occasionne la perte de tout l’équipage, et un seul péché attire sur l’homme une ruine totale.

L’homme qui oublie son ami se montre ingrat envers lui ; mais celui qui oublie son Sauveur est impitoyable pour lui-même.

Celui qui espère avoir part au bonheur à venir, tout en continuant à vivre dans le péché, ressemble à l’homme qui sèmerait de l’ivraie dans l’espérance de remplir ses greniers de froment.

Plus la truie est grasse, et plus elle cherche à se vautrer dans le bourbier ; plus le bœuf est gras, et plus il folâtre en allant à la tuerie ; plus l’homme voluptueux est en embonpoint, et plus il se trouve porté au mal.

Si quelqu’un veut bien vivre, qu’il fasse comme s’il en était à son dernier jour, et qu’il y pense sans cesse.

Si le monde auquel Dieu attache si peu de prix, est regardé par les hommes comme quelque chose de grande valeur, que doit être le ciel dont Dieu nous parle si avantageusement ? Pour lui ; ils ont un beau feuillage tandis que leur cœur est comme un monde d’iniquité que Satan enflamme de ses dards.

S’il nous en coûte tant de quitter cette vie qui est accompagnée de tant de tourments, quelle ne doit pas être la vie d’en haut !

Chacun est porté à vanter la bonté des hommes, mais qui est-ce qui est touché, comme il devrait l’être, de la bonté de Dieu ?

Il est rare que nous prenions un repas sans laisser quelque reste sur la table. Il y a de même en Jésus-Christ de quoi répondre par ses mérites et sa justice aux besoins de tout le monde, et même au delà de ce qu’il lui en faut.

Quand l’Interprète eut achevé de prononcer tous ces discours sentencieux, il les mena de nouveau dans son jardin, et attira leur attention sur un arbre qui était tout pourri à l’intérieur, bien qu’à le juger par l’écorce et par le feuillage, il fût l’un des plus beaux. – Que veut dire ceci ? s’écria alors Miséricorde.

Interprète : – Cet arbre qui vous charme par son aspect extérieur, porte en lui-même le principe de la mort, et ne saurait, dans cet état, produire de bons fruits. On peut lui comparer bien des gens qui sont plantés dans le jardin de Dieu. Ceux-ci ont une bouche qui parle éloquemment des choses de Dieu, mais ils ne veulent rien faire pour lui ; ils ont un beau feuillage tandis que leur cœur est comme un monde d’iniquité que Satan enflamme de ses dards.

L’heure du souper étant alors venue, l’on s’occupa de dresser la table, et d’y mettre tout ce qui était nécessaire. Puis, lorsque l’un d’eux eut rendu grâce, ils s’assirent pour manger.

L’Interprète avait l’habitude d’égayer son monde pendant le repas en faisant exécuter des airs sur des instruments de musique. En conséquence, les musiciens se mirent à jouer chacun sa partie. Or, il se trouvait là une personne dont la voix était vraiment ravissante ; elle chanta un cantique dont voici les paroles :

L’Éternel est mon seul soutien ;
À lui s’adresse ma prière.
Je ne pourrai manquer de rien
Puisque j’ai le Dieu fort pour père.

Dès que le chant et la musique furent achevés, l’Interprète demanda à Christiana ce qui avait d’abord fait naître en elle le désir de se faire pèlerin. – C’est, répondit-elle, la perte de mon mari qui produisit mes premières impressions. Cette perte fut pour mon cœur une épreuve très douloureuse ; mais jusque-là mon angoisse provenait d’une affection naturelle plutôt que d’une conviction de péché. Je me représentai ensuite les afflictions et le voyage de mon mari ; et tandis que j’y réfléchissais, les torts que j’avais eus à son égard me revinrent à l’esprit. Le sentiment de ma culpabilité s’empara alors de ma conscience, et n’eût-ce été un songe qui fut le moyen de me procurer du soulagement, j’aurais probablement succombé sous le poids de la douleur, et me serais enfoncée dans le gouffre du désespoir. Ainsi, je vis dans mon songe quelqu’un qui, étant venu pour m’informer du bien-être actuel de mon mari, me remit une lettre de la part du roi de la contrée qu’il habite. Par cette lettre j’étais invitée à me rendre auprès de lui. Le songe, de même que la lettre, exerça sur mon âme une salutaire influence, et me détermina à prendre ce chemin.

Interprète : – Mais ne rencontrâtes-vous aucune opposition avant de partir ?

Christiana : – Oui ; une de mes voisines, madame Timide (elle était proche parente de celui qui aurait voulu persuader à mon mari de rebrousser chemin par crainte des lions), s’efforça de me décourager en se moquant de mon prétendu voyage désespéré, ainsi qu’elle se plaisait à l’appeler, et en me représentant les adversités et les tourments que mon mari eut à endurer sur la route. Je surmontai assez bien tout ceci ; mais je fus troublée par un songe dans lequel m’apparurent deux individus dont le seul aspect m’aurait déjà saisie d’effroi. Je jugeai qu’ils étaient animés d’intentions malveillantes, et qu’ils avaient conspiré contre moi pour me faire échouer dans mon projet de voyage. Ceci m’avait singulièrement troublée, et même aujourd’hui encore, j’ai de la peine à en revenir. J’éprouve toujours une certaine inquiétude à l’approche de quelqu’un, craignant qu’il n’ait formé un complot contre moi, et qu’il ne cherche à me détourner du vrai chemin. Je puis dire à mon Seigneur (quoique je ne voulusse pas que tout le monde le sût) qu’entre ce lieu-ci et la porte par où nous sommes entrés dans la voie, nous avons eu à soutenir les assauts les plus terribles, au point qu’il nous a fallu crier au secours à plusieurs reprises.

Interprète : – Ton commencement a été bon, mais ta dernière condition sera beaucoup accrue. (Job. 8.7 : Ton commencement aura été petit, Ta fin sera fort grande.) S’adressant ensuite à Miséricorde : Et toi, ma bien-aimée, qu’est-ce qui t’a déterminée à venir de ces côtés ?

À ces mots, le rouge monta au visage de Miséricorde, elle devint toute tremblante et resta muette pendant quelques instants.

— Ne crains point, reprit l’Interprète ; crois seulement, et dis ce que tu as à dire.

Elle commença donc à parler ainsi : En vérité, Monsieur, mon manque d’expérience me fait plutôt désirer de garder le silence, et je me sens toute troublée, car j’appréhende d’être, en définitive, prise au dépourvu. Je ne puis parler de visions ni de songes comme mon amie Christiana ; je ne sais pas non plus ce que c’est que le regret d’avoir refusé le conseil de bons parents qui cherchent à vous mettre dans la bonne voie.

Interprète : – Qu’est-ce donc, ma bien-aimée, qui t’a incitée à faire comme tu as fait ?

Miséricorde : – Eh bien, quand notre amie faisait son paquet pour s’éloigner de la ville, le sort voulut que je vinsse lui faire visite avec une autre personne du voisinage. Nous entrâmes chez elle après avoir frappé à la porte de sa maison. Voyant, par l’empressement qu’elle mettait à régler ses affaires, qu’elle se disposait à partir, nous lui demandâmes, saisies d’étonnement, ce qu’il y avait de nouveau. Elle nous avoua que son intention était de se rendre auprès de son mari ; or, pendant qu’elle nous racontait ces choses, il me semblait que mon cœur brillait au dedans de moi, et je disais en moi-même que si ce qu’elle nous disait était vrai, je quitterais mon père et ma mère, et mon pays natal, pour suivre Christiana.

Je l’interrogeai touchant la vérité de ces choses, et lui demandai de me laisser partir avec elle ; car j’ai toujours vu depuis lors qu’il n’est aucune habitation de notre ville qui ne soit menacée d’une ruine certaine. Enfin, je me mis en route pour la Cité céleste, le cœur angoissé, – non que je manquasse de bonne volonté pour entreprendre le voyage, mais parce que je laissais derrière moi un grand nombre de mes amies. J’ai donc suivi Christiana de tout mon cœur, et veux persévérer avec elle afin que je voie son mari et son roi, si cela m’est possible.

Interprète : – Le commencement de ton voyage est bon, car tu as ajouté foi à la vérité. Tu as fait comme Ruth qui, à cause de l’affection qu’elle portait à Nahomi et à l’Éternel son Dieu, quitta son père et sa mère, et le pays de sa naissance pour aller vers un peuple qu’elle ne connaissait point. « L’Éternel récompense ton œuvre, et que ton salaire soit entier de la part de l’Éternel, le Dieu d’Israël, sous les ailes duquel tu t’es venue retirer ! » (Ruth. 2.11-12 : Et Boaz répondit et lui dit : On m’a rapporté tout ce que tu as fait à ta belle-mère après la mort de ton mari ; comment tu as abandonné ton père et ta mère et le pays de ta naissance, et tu es venue vers un peuple que tu ne connaissais point auparavant.)

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