Christiana et ses enfants

Chapitre XIII

Ils acceptent de passer un mois chez le Portier. – Prudence catéchise les enfants. – Miséricorde reçoit la visite du Réveillé. – Opposition entre leurs principes.

Dès que chacun fut levé et habillé, ils descendirent au salon où ayant rejoint les personnes de la veille, ils se saluèrent réciproquement et se demandèrent comment ils avaient reposé.

— Parfaitement, répondit Miséricorde, ça été pour moi une des meilleures nuits que j’aie jamais eues de ma vie.

— Eh bien, dirent Prudence et Piété, si nous pouvons vous persuader de rester ici quelques jours, vous aurez tout ce que la maison peut vous offrir de mieux.

— Oui, et avec cela un bon cœur, ajouta Charité.

Ainsi, ils consentirent à demeurer là environ un mois, se promettant bien de mettre tout ce temps à profit. Or, comme Prudence était désireuse de savoir sur quel pied Christiana avait élevé ses enfants, elle lui demanda la permission de les interroger successivement, ce qu’elle lui accorda très volontiers.

Elle commença donc par le plus jeune qui s’appelait Jacques : Cher enfant, lui dit-elle, peux-tu me dire qui t’a créé ?

Jacques : – Dieu le Père, Dieu le Fils, et Dieu le Saint-Esprit.

Prudence : – C’est bien, mon garçon ; et peux-tu me dire qui t’a sauvé ?

Jacques : – Dieu le Père, Dieu le Fils, et Dieu le Saint-Esprit.

Prudence : – C’est encore bon. Mais comment comprends-tu que Dieu le Père t’a sauvé ?

Jacques : – Par sa grâce.

Prudence : – Comment Dieu le Fils te sauve-t-il ?

Jacques : – Par sa justice, son sang, sa mort et sa vie.

Prudence : – Et comment Dieu le Saint-Esprit te sauve-t-il ?

Jacques : – En m’illuminant, en me renouvelant, et en me gardant.

Là-dessus Prudence se tourna vers Christiana, et lui dit : Tu te rends recommandable par la manière dont, tu élèves tes enfants. Je pense n’avoir pas besoin de poser les mêmes questions aux autres, parce que le plus jeune y répond si bien. Je vais maintenant m’adresser à l’autre qui est avant celui-ci.

Elle appela Joseph (car c’est ainsi qu’il se nommait) et lui dit : veux-tu que je t’interroge ?

Joseph : – De tout mon cœur.

Prudence : – Qu’est-ce que l’homme ?

Joseph : – Une créature raisonnable formée par Dieu, comme mon frère l’a dit.

Prudence : – A quoi devrait nous faire penser ce mot de « sauvé » ?

Joseph : – Que l’homme, par le péché, s’est assujettit à un état d’esclavage et de misère.

Prudence : – Comment comprends-tu qu’il est sauvé par la Trinité ?

Joseph : – C’est que le péché est un tyran si grand, si fort, que nul autre que Dieu ne peut nous arracher de ses griffes, et que Dieu qui est si bon, et à cause de l’amour même qu’il nous porte, délivre le pécheur de cette misérable condition.

Prudence : – Quel but Dieu a-t-il en sauvant la pauvre créature pécheresse ?

Joseph : – La gloire de son nom, de sa grâce, de sa justice, et le bonheur éternel de nos âmes.

Prudence : – Qui sont les personnes qui doivent être sauvées ?

Joseph : – Celles qui acceptent son salut.

Prudence : – Joseph, tes réponses sont justes ; je vois que ta mère t’a bien instruit, et que tu as su profiter de ses enseignements.

Vint ensuite le tour de Samuel qui était le second par son âge : que je t’interroge, toi aussi ? lui dit Prudence.

Samuel : – Oui bien, s’il vous plaît.

Prudence : – Qu’est-ce que le ciel ?

Samuel : – Un lieu et une condition de félicité, parce que Dieu y demeure.

Prudence : – Qu’est-ce que l’enfer ?

Samuel : – Le lieu et l’état le plus affreux ; car c’est là qu’habitent le péché, le diable et la mort.

Prudence : – Pourquoi désires-tu aller au ciel ?

Joseph : – C’est afin que je puisse y voir Dieu, le servir sans relâche ; que je puisse contempler Jésus-Christ et l’aimer éternellement ; que je puisse jouir de cette plénitude du Saint-Esprit à la possession de laquelle je ne puis nullement parvenir ici-bas.

Prudence : – Voilà un garçon qui a très bien profité.

Puis s’adressant à Matthieu qui était le plus âgé :

— Matthieu, lui dit-elle, veux-tu que je te catéchise aussi ?

Matthieu : – Avec beaucoup de plaisir.

Prudence : – Je te demanderai d’abord si rien n’existait avant Dieu ?

Matthieu : – Non, car Dieu est éternel ; aucun objet n’a eu d’existence jusqu’au commencement du premier jour, a car l’Éternel a fait en six jours le ciel, la terre, la mer et toutes les choses qui y sont. »

Prudence : – Que penses-tu de la Bible ?

Matthieu : – C’est la sainte parole de Dieu.

Prudence : – N’y a-t-il rien dans ce livre que tu ne puisses comprendre ?

Matthieu : – Oui, beaucoup de choses.

Prudence : – Que fais-tu quand tu rencontres des passages que tu ne comprends pas ?

Matthieu : – Je pense que Dieu est plus sage que moi. Je prie aussi pour qu’il lui plaise de me faire connaître tout ce qui s’y trouve renfermé, et qu’il sait être pour mon bien.

Prudence : – Que crois-tu touchant la résurrection des morts ?

Matthieu : – Je crois qu’ils ressusciteront aussi certainement qu’ils ont été ensevelis, mais non plus avec une nature corrompue. Je le crois pour deux raisons : d’abord, parce que Dieu l’a promis ; ensuite, parce qu’il est puissant pour l’accomplir.

Sur cela, Prudence les fit placer tous ensemble devant elle, et leur adressa cette exhortation générale : Il vous faut toujours bien écouter votre mère, car elle peut vous en montrer encore davantage. Écoutez de même avec beaucoup d’attention les bonnes paroles que d’autres auront à vous dire pour votre salut. Ils vous annonceront des choses excellentes pour l’amour de vos âmes. Vous remarquerez en outre, et recueillerez avec soin tant d’autres instructions que le ciel et la terre vous offrent d’une manière permanente ; mais surtout faites votre constante méditation du livre qui fut cause que votre père se fit pèlerin. Pour ma part, chers enfants, je vous donnerai autant de leçons qu’il me sera possible pendant votre séjour ici, et serai heureuse de répondre à toutes les questions que vous trouverez à propos de me faire sur des sujets qui tendent à l’édification.


Prudence interrogeant les enfants

Les pèlerins avaient passé une semaine entière dans ce lieu lorsque Miséricorde reçut la visite de quelqu’un qui avait des prétentions sur elle. Il se nommait M. le Réveillé, homme de quelque talent, et se donnant un air religieux, mais qui était fortement attaché au monde. Il se présenta donc à Miséricorde une ou deux fois, ou peut-être davantage pour lui offrir sa main. Or, Miséricorde était une jeune personne ayant beaucoup de grâce ; en sorte que son regard était d’autant plus attrayant. Elle avait aussi une vie très active ; lorsqu’elle se trouvait n’avoir rien à faire pour elle-même, elle s’occupait à tricoter des bas ou à faire des vêtements pour les autres, afin de les distribuer ensuite à ceux qui en avaient besoin. M. le Réveillé ne savait trop de quelle manière elle disposait du fruit de son travail, et il était émerveillé de ses dispositions ; car il ne la trouvait jamais oisive. – Je gagerais qu’elle doit faire une bonne femme de ménage, se disait-il en lui-même.

Miséricorde fit part de cette affaire aux filles de la maison, et voulut prendre auprès d’elles des renseignements sur le compte de cet individu, jugeant qu’elles devaient le connaître beaucoup mieux que qui que ce fût. En conséquence, ses amies lui apprirent que le jeune homme avait un esprit actif, mais que bien qu’ayant la prétention d’être religieux, il était cependant, comme on le craignait, étranger à l’influence et à la pratique de ce qui est réellement bon.

Dans ce cas-là, repartit Miséricorde, je ne veux rien de lui ; je suis résolue à poursuivre ma course sans varier en évitant tout ce qui pourrait faire obstacle à mes progrès.

Prudence lui dit alors observer qu’il n’était pas nécessaire de briser tout d’un coup ses espérances, par la raison qu’en continuant à travailler pour les pauvres, comme elle avait l’habitude de faire, elle aurait bientôt abattu son courage.

Aussi, ce moyen ne lui fit pas défaut. Dans une prochaine occasion, il la trouva de nouveau occupée au même travail, c’est-à-dire à coudre pour les pauvres. – Eh quoi ! lui dit-il, toujours à l’ouvrage ? – Oui, répliqua-t-elle ; pour moi ou pour les autres. – Et combien peux-tu gagner par jour ? – En m’employant ainsi, ajouta-t-elle, je tâche « d’être riche en bonnes œuvres, me faisant un trésor pour l’avenir, appuyé sur un fondement solide, afin que j’obtienne la vie éternelle. » (1Tim. 6.17,19 : Recommande aux riches de ce siècle de n’être point orgueilleux ; de ne point mettre leur espérance dans l’instabilité des richesses, mais dans le Dieu qui nous donne toutes choses richement pour en jouir ;)

— Dis-moi : À quelle fin fais-tu servir ces choses ? – Elles servent à couvrir ceux qui sont nus. Ces paroles firent sur lui une impression si vive que son visage se décomposa. Dès ce moment, il forma la résolution de ne plus revenir chez sa prétendue. Lorsque plus tard on vint lui demander pourquoi il s’était éloigné d’elle, il répondit que Miséricorde était une charmante fille, mais qu’elle avait une imagination trop capricieuse.

Lorsqu’il eut rompu avec elle, Prudence ne manqua pas de faire cette observation : Ne t’avais-je pas bien dit que M. le Réveillé ne tarderait pas à te laisser tranquille ? Oui, et il ira même jusqu’à répandre des faussetés sur ton compte ; car, malgré ses allures en fait de religion, et son affection apparente pour Miséricorde, je vois une trop grande différence entre son caractère et le tien pour croire qu’ils puissent jamais s’accorder.

Miséricorde : – J’aurais pu ne pas attendre jusqu’à présent pour me marier ; il n’a tenu qu’à moi d’avoir un mari, quoique je n’en aie jamais rien dit à personne ; mais tous ceux qui se sont présentés étaient tels, qu’il n’y avait chez eux aucune sympathie pour mes principes, bien qu’ils fissent tous profession d’être attachés à ma personne. En sorte que nous ne pûmes jamais tomber d’accord.

Prudence : – De nos jours, on ne fait pas grand cas de la miséricorde ; on n’en retient plus guère que le nom. Il y a bien peu de gens qui, en fait de pratique, veuillent se soumettre aux conditions qu’elle impose.

Miséricorde : – Eh bien ! Si personne ne veut de moi, je demeurerai vierge, ou bien mes principes me tiendront lieu de mari ; car je ne puis changer ma nature, et plutôt que de me trouver continuellement en butte à la contradiction, je préfère rester comme je suis tout le temps de ma vie. J’avais une sœur nommé Généreuse qui épousa un de ces avares ; mais ils ne pouvaient jamais s’entendre parce que ma sœur voulait absolument taire ce qu’elle avait toujours fait, c’est-à-dire, soulager les pauvres par des actes de sa bonté. Il en résulta que son mari lui fit d’abord subir de mauvais traitements, et la chassa ensuite de sa maison.

Prudence : – Avec tout cela, j’assurerais que cet homme prétendait avoir de la religion.

Miséricorde : – Hélas ! Oui ; malgré tout ce qu’il était dans le fond, il revêtait une certaine apparence comme font tant d’autres. Le monde, de nos jours, est rempli de ces gens-là ; mais je ne suis faite pour aucun d’eux.

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