Christiana et ses enfants

Chapitre XXI

Les pèlerins chez Gaïus. – Leurs ancêtres. – Leur progéniture. – Égards que Dieu a pour la femme.

Christiana se trouvait actuellement fatiguée du chemin et aurait voulu faire la rencontre d’une auberge pour y prendre quelque repos, elle et ses enfants. En conséquence, elle en exprima son désir à M. Franc qui lui dit : Un peu plus loin nous en trouverons une petite qui est tenue par le sieur Gaïus, un disciple fort respectable. (Rom. 16.23 : Gaïus, mon hôte et celui de l’Eglise entière, vous salue. Eraste, le trésorier de la ville, et notre frère Quartus vous saluent.) Ils furent tous d’avis qu’on irait loger dans cette auberge, et cela leur était d’autant plus agréable que leur vieil ami venait d’en parler avec éloge. Ainsi, ils se hâtèrent d’arriver à la porte où ils ne jugèrent pas même nécessaire de s’arrêter pour demander l’entrée ; car les gens n’ont pas l’habitude de heurter à la porte d’une auberge. Ils entrèrent donc librement et envoyèrent appeler le maître de la maison qui s’empressa de venir. Ensuite, ils demandèrent s’il leur était possible d’y passer la nuit.

Gaïus : – Oui, Messieurs, si vous êtes des hommes au cœur sincère. Je pose cette condition attendu que ma maison n’est destinée qu’aux véritables pèlerins. – Ici, Christiana, Miséricorde et les enfants, bien loin d’être scandalisés de ce langage, n’en furent que plus satisfaits, parce qu’ils comprirent par là, que l’aubergiste était un ami des pèlerins. Nos voyageurs demandèrent ensuite à voir des chambres, sur quoi on les conduisit chacun dans son appartement.

Grand-Cœur : – Dis-moi, bon Gaïus, qu’as-tu à nous donner pour souper ? Car ces pèlerins ont fait un long trajet aujourd’hui, et sont fatigués.

Gaïus : – C’est bien tard et je ne puis sans inconvénient aller dehors pour chercher des vivres ; mais tout ce que j’ai, est à votre disposition.

Grand-Cœur : – Nous voulons bien nous contenter de ce que tu as dans la maison ; je suis assuré d’ailleurs par l’épreuve que j’ai faite de toi que tu ne manques pas de ces choses qui sont toujours de saison .

Là-dessus, Gaïus se rendit auprès de la cuisinière, nommée Goûtez-ce-qui-est-bon, et lui ordonna de faire tous les apprêts nécessaires pour donner satisfaction à l’appétit des voyageurs. Une fois ses ordres donnés, il revient vers les pèlerins et leur dit : Venez, mes bons amis ; vous êtes les bienvenus chez nous, et je me réjouis d’avoir une maison à votre service. Pendant que le souper se prépare, édifions-nous par quelque bonne conversation. – A quoi chacun répondit par un signe d’approbation. – Et cette bonne mère, ajouta-t-il, est-elle la compagne de quelqu’un que je connaisse ? Et pourriez-vous me dire quels sont les parents de cette jeune fille ?

Grand-Cœur : – Cette personne est la femme d’un nommé Chrétien, qui s’en alla autrefois en pèlerinage, et dont les quatre enfants sont ici présents. Quant à la jeune fille, c’est une de ses connaissances qu’elle a engagée à faire le voyage avec eux. Les enfants ressemblent tous à leur père, et sont jaloux de marcher sur ses traces. S’il leur arrive de se rencontrer dans un endroit où le vieux pèlerin ait laissé quelque souvenir, ou même l’empreinte de ses pieds, ils en ont de la joie et témoignent le désir de faire comme lui.

Gaïus : – C’est donc là la femme de Chrétien, et ceux-ci sont ses enfants ! – J’ai bien connu le père de votre mari, et même son grand-père. Je pourrais en citer plusieurs de cette famille qui se sont distingués. C’est à Antioche que leurs ancêtres ont premièrement habité. (Act. 11.26 : Et l’ayant trouvé, il l’amena à Antioche. Et il arriva qu’ils furent même une année entière réunis dans l’Eglise et enseignèrent une foule considérable, et qu’à Antioche les disciples reçurent, pour la première fois, le nom de chrétiens.) Les aïeux de Chrétien (je pense que votre mari vous en a parlé quelquefois) étaient des hommes bien remarquables en leur temps. Ils se sont montrés vertueux et pleins de zèle pour leur Souverain, dont ils aimaient à suivre les voies ; ils se sont dévoués de même pour ses bien-aimés, plus qu’aucun autre que je connaisse. J’ai ouï dire au sujet de quelques-uns qui furent les plus proches parents de votre mari, qu’ils ont enduré toutes sortes d’épreuves pour l’amour de la vérité. Etienne, par exemple, qui est un des plus anciens de la famille et dont votre mari se trouve être le descendant en ligne directe ; eh bien ! Etienne fut assommé à coups de pierres. (Act. 7.59-60 : Et ils lapidaient Etienne, qui priait et disait : Seigneur Jésus, reçois mon esprit !) Jacques, qui appartenait encore à cette génération, périt aussi sous le tranchant de l’épée. (Act. 12.2 : Et il fit mourir par l’épée Jacques, frère de Jean.) Pour ne rien dire de Paul et de Pierre, de ces hommes les plus notables de la maison d’où votre mari est sorti, je pourrais citer Ignace qui fut livré à la férocité des lions ; Romanus dont les chairs furent déchirées et enlevées de ses os par petits morceaux ; Polycarpe qui se distingua par son courage, même au moment où son corps fut livré à la fureur des flammes qui le consumèrent entièrement. (2Sam. 10.12 : Courage soyons fermes pour notre peuple et pour les villes de notre Dieu ! Et que l’Eternel fasse ce qui lui semblera bon !) ; (1Cor. 16.13 : Veillez ; demeurez fermes dans la foi ; agissez courageusement ; fortifiez-vous.) Il y en eut un aussi qui, après avoir été lié de cordes, fut suspendu dans un panier et exposé au soleil pour être dévoré par les guêpes, et un autre que l’on mit dans un sac pour être ensuite jeté vivant dans la mer. Il me serait impossible d’énumérer tous les membres de la famille qui ont souffert les injures et la mort parce qu’ils aimaient la vie de pèlerins. Maintenant je ne puis que me réjouir de voir que ton mari a laissé derrière lui quatre enfants tels que ceux-ci. J’espère qu’ils ne porteront pas en vain le nom de leur père, et qu’ils s’estimeront heureux de marcher sur ses traces, afin d’atteindre le même but que lui.

Grand-Cœur : – En vérité, Monsieur, ils en ont toute l’apparence ; ils y vont de tout cœur, et semblent choisir de préférence la route qu’a suivie leur père.

Gaïus : – C’est ce que je veux dire ; il y a tout lieu de croire qu’on verra la postérité étendre encore ses racines et devenir nombreuse sur la surface de la terre : c’est pourquoi, il faut que Christiana songe à ses fils, et s’occupe de leur trouver quelques jeunes personnes avec lesquelles ils puissent contracter alliance, de telle façon que la mémoire de leur père et le nom de la famille se perpétuent dans le monde.

Franc : – Ce serait une chose fort regrettable si la progéniture venait à déchoir et à s’éteindre.

Gaïus : – S’éteindre ? Impossible ; mais elle peut diminuer quant au nombre. Que Christiana suive donc mon conseil, car c’est là le vrai moyen de se maintenir et de se propager.

Christiana, continua l’Aubergiste, je suis heureux de te voir ici avec ton amie Miséricorde ; tu es parfaitement bien accompagnée. Ne penses-tu pas avec moi qu’il conviendrait de marier Miséricorde avec l’un de tes proches parents ? Si elle y consent, il faut la donner à Matthieu, ton fils aîné ; par ce moyen, nous conserverons peut-être une postérité sur la terre. – C’est ainsi que l’affaire fut conclue, et, peu de temps après, les deux époux furent unis, mais nous en dirons davantage sur ce sujet un peu plus loin.

Gaïus, reprenant son discours : Je veux parler maintenant en faveur de la femme, afin d’ôter l’opprobre qui pèse sur elle. Car, comme la mort et la malédiction sont venues dans le monde par le moyen de la femme, la délivrance et la vie sont venues par son intermédiaire : « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme. » (Gen. 3.15 : Et je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité ; cette postérité te meurtrira à la tête, et toi tu la meurtriras au talon.) ; (Gal. 4.4 : Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la loi,) Il paraît même certain que celles qui lui ont succédé, eurent en horreur l’acte de leur mère, puisque sous l’ancienne alliance il y en avait beaucoup de leur sexe qui désiraient vivement d’avoir des enfants, comme si chacune de ces femmes eût convoité l’honneur d’être la mère du Sauveur du monde. Je dirai en outre que, lors de l’avènement du Sauveur, il y eut des femmes qui, anticipant sur le bonheur des hommes et des anges, se réjouirent les premières de voir son jour. (Luc. 1.46-47 : Et Marie dit : Mon âme magnifie le Seigneur,) Nous ne voyons pas qu’aucun homme ait jamais donné à Christ seulement un denier, tandis que « les femmes qui le suivaient, l’assistaient de leurs biens. » (Luc. 8.3 : Et Jeanne, femme de Chuza, intendant d’Hérode, et Suzanne, et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens.) Ce fut une femme qui lava ses pieds avec des larmes, et une autre qui oignit son corps d’un parfum qu’elle avait gardé pour le jour de sa sépulture. (Luc. 7.44 : Et s’étant tourné vers la femme, il dit à Simon : Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison ; tu ne m’as pas donné d’eau pour les pieds ; mais elle a arrosé mes pieds de larmes et les a essuyés avec ses cheveux.) ; (Jean. 12.3,7 : Marie donc ayant pris une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et essuya ses pieds avec ses cheveux ; et la maison fut remplie de l’odeur du parfum.) C’étaient des femmes qui le pleuraient, alors qu’on allait le clouer sur une croix, et qui le suivirent de même depuis le lieu de son supplice jusqu’au tombeau où elles s’attendaient à le voir. Ce furent encore des femmes qu’il rencontra d’abord au matin de sa résurrection, et qu’il envoya porter les premières nouvelles de ce grand événement à ses disciples. (Matt. 27.55-56,61 : Or il y avait là plusieurs femmes, regardant de loin, qui avaient suivi Jésus de la Galilée, en le servant ;) Dieu a donc accordé aux femmes des faveurs particulières, et les faits que je viens de signaler, montrent qu’elles ont part comme nous à la grâce de la vie.

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