Olympia Morata, un épisode de la Renaissance et de la Réforme en Italie

Appendice
Lettres d’Olympia

Les lettres d’Olympia Morata, recueillies, après sa mort, par les soins de ses amis, et publiées avec ses œuvres, sont au nombre de quarante-huit, à savoir : Une en grec, deux en italien, quarante-cinq en latin. Nous n’en publions ici qu’une partie, traduite pour la première fois en français.

a chilian sinapi.

    Mon cher précepteur,

Quoique habituée, dès l’enfance, à n’invoquer que des témoignages domestiques, je ne veux pas aujourd’hui vous refuser mon humble tribut, de peur d’en être trop sévèrement punie par la privation de vos lettres. Celle que vous m’avez écrite a été pour moi un sujet de bonheur, tant à cause de l’affection dont elle est remplie, qu’à cause des vives exhortations par lesquelles vous m’encouragez à l’étude. C’est là surtout ce qui me comble de joie, car il n’est pas de trésor plus précieux accordé à l’homme que la science. Cet esprit, formé par une main divine et composé, peut-être, au dire des philosophes, d’un rayon mystérieux emprunté à ces flambeaux éternels que l’on nomme astres ou étoiles, ne peut se perfectionner sur la terre que dans le commerce des lettres, qui l’élèvent au-dessus du reste de la création. Et si telle est, en effet, l’excellence de l’étude, comment l’aiguille et le fuseau, triste apanage de mon sexe, pourraient-ils me rendre insensible au doux langage des Muses ? Trop longtemps j’ai essayé de résister à leur voix, comme Ulysse aux enchantements des sirènes ! Mes efforts ont été impuissants. La quenouille et la navette ne me parlent aucun langage, et n’ont pour moi aucun attrait. Je leur dis donc adieu pour jamais, afin de ne pas imiter le navigateur qui, la main sur le gouvernail, oublierait de déployer la voile où souffle le vent. Telle est ma réponse à votre lettre, en même temps que la conclusion de la mienne. A la question que vous m’adressez touchant vos élèves, je répondrai avec le proverbe : « Le troupeau ne saurait profiter en l’absence du berger. » Hâtez-vous donc de revenir ici, c’est le vœu de toutes vos jeunes amies, et particulièrement de celle qui vous écrit. Adieu. Ferrare, [1540].

a peregrino morato

Je vous aurais envoyé par ce messager le livre de médecine que vous me demandez avec tant d’instances, s’il était en ma possession. Mais ma modeste bibliothèque ne renferme aucun ouvrage de ce genre, et je ne fais pas profession de cet art, à moins que vous ne me rangiez dans le nombre de ceux qui s’imaginent acquérir la science en achetant beaucoup de livres, et dont Lucien se moque avec tant de raison. Je souhaite, mon cher père, que tous vos projets se réalisent au gré de vos vœux, et vous procurent une satisfaction sans mélange, comme celle que j’ai moi-même ressentie en apprenant que j’avais obtenu la faveur de notre glorieux et excellent prince, le duc Hercule d’Este. Il n’est pas, de nos jours, un seul monarque auquel je souhaite davantage de plaire. Son éloge est dans toutes les bouches : il est plus juste que la Justice même ; il n’a pas son pareil en prudence et en sagesse. Mais je craindrais de déprécier, par mes faibles louanges, la gloire immortelle qu’il s’est acquise, et j’aime mieux dire avec le poète : « Oh ! que n’ai-je assez de vie et de souffle poétique pour célébrer tes belles actions ! Non, je ne craindrais ni Orphée, le chantre de Thrace, ni Linus lui-même, fussent-ils inspirés, le premier par Calliope, sa mère, le second par son père Apollon ! »

Notre Chirona sera ici au premier jour ; il est retenu près du seigneur dont la maladie a exigé son départ. Quand j’aurai d’autres nouvelles, je les transmettrai à la noble Lavinia, dont le souvenir est toujours présent à ma mémoire. Veuillez la saluer en mon nom, ainsi que le docte Vincenzo Maiob. Adieu. Embrassez ma mère, mes sœurs et mon petit frère. Ferrare, [1543].

a – Le médecin Jean Sinapi.

b – Littérateur distingué de Ferrare.

Votre fille, Olympia

a jean sinapi.

    Mon cher maître,

Votre silence plus que pythagoricien est pour moi un motif de surprise, d’inquiétude et de crainte. N’ai-je pas lieu, en effet, d’en être étonnée, après la promesse que vous m’aviez faite de ne laisser partir personne pour l’Italie, sans le charger pour moi de quelque message ? Et cependant, quatre lettres successivement adressées à vous, ou à Francisca, sont encore aujourd’hui sans réponse. En vérité, vous ne vous souvenez pas plus de nous que si vous aviez traversé les champs de l’oubli. Je redoute parfois qu’il ne vous soit arrivé quelque accident fâcheux dans votre voyage. Négligeriez-vous, autrement, de m’apprendre ce que je désire tant savoir, et ce qui est l’objet de mes continuelles sollicitudes, si vous avez parlé pour nous au roi des Romains ? Nous ne pouvons en effet rien décider pour l’avenir, avant de connaître la réponse que vous aurez obtenue. Si donc vous avez à cœur de nous rassurer à cet égard, et de nous affranchir de toute inquiétude, hâtez-vous, je vous en supplie, de parler en notre faveur. Plaidez notre cause auprès du roi et du noble Fugger, de telle sorte que nous puissions bientôt ressentir les effets de votre amicale intervention. Rien ne saurait en effet nous être plus agréable. Je vous recommande tout particulièrement le recueil de mes poésies. Souvenez-vous de votre élève. Adieu. Saluez de ma part votre épouse chérie, votre neveu, votre frère et votre petite fille. La signora Lavinia vous salue. Ferrare, [1550].

au même.

Je vous ai écrit tout au long, il y a quelques jours. Il serait donc superflu de vous entretenir encore de ce qui nous concerne, et de vous redire toujours le même air. Vous savez ce que nous attendons de votre bonne amitié dans votre patrie. Je n’insiste ni sur la recommandation de mon mari, ni sur la présentation de mes vers au roi et à Raymond Fugger. Nos intérêts vous sont sacrés. Adieu. Saluez affectueusement en mon nom Francisca, Théodora et Oswald. Lavinia vous salue. Ferrare, [1550].

a andré grunthler.

Tu m’as dit adieu, ô mon époux bien-aimé, et ton départ, joint à la perspective d’une longue séparation, est pour moi la plus grande des épreuves. Je ne te vois plus, et ton absence me laisse en proie à toute sorte de tourments. Je redoute pour toi la rigueur de la saison, une chute, une blessure mortelle. Aux dangers réels viennent encore s’ajouter les dangers imaginaires. Ne connais-tu pas le vers du poète ? « C’est une chose inquiète et craintive que l’amour. » Si tu veux donc me délivrer des inquiétudes qui me consument sans cesse, hâte-toi de m’écrire ; donne-moi des nouvelles de ton voyage et de ta santé. Le ciel m’en est témoin, et tu le sais, aucun objet au monde ne m’est plus cher et plus précieux que toi ! S’il en était autrement, je te le dirais encore, car je ne sais te cacher aucun de mes sentiments. Oh ! que ne suis-je à tes côtés, pour te faire comprendre l’immensité de mon amour ! Il n’est aucun sacrifice que je ne sois capable d’accepter avec joie, pour te le prouver ! Mais, hélas ! l’épreuve qui m’est imposée excède mes forces. Je dépéris de jour en jour. Je te supplie donc, au nom de la foi que tu m’as donnée, d’abréger cette séparation, et de tout faire pour que nous soyons bientôt réunis dans ta patrie. Si tu m’aimes comme je t’aime, tu m’accorderas cette grâce. Je craindrais de te paraître importune, en ajoutant un mot à cette prière. J’ai voulu, non t’accuser, mais te rappeler un devoir. Je sais trop combien tu as à cœur toutes ces choses.

Il serait peu convenable de réclamer publiquement les objets que j’ai laissés à la cour. La duchesse m’a fait dire, par une de ses femmes, qu’il n’était pas vrai que l’épouse du noble comte Camillo Orsini l’eût chargée de salutations pour sa fille. Elle a cependant ajouté qu’à la sollicitation de cette dernière, elle consentait à ce que l’on me cédât une de mes robes, ce qui ne pourrait avoir lieu toutefois qu’après son propre retour à Ferrare. Cette réponse a été sans doute calculée pour me montrer qu’on agit ainsi, par considération pour une autre, et non pour moi ; ou plutôt elle a été inspirée par la haine de celle qui ne nous veut que du mal, et qui est en ce moment au palais. Mais il vaut mieux se taire sur un sujet qui n’est un secret pour personne, Je n’espère rien obtenir, quoi qu’il arrive. Adieu, Ferrare, [1550].

au même.

Oh ! qu’il me tarde de savoir comment tu vas, ce qui t’occupe, et où en sont nos affaires ! L’incertitude de l’époque fixée pour ton retour et pour notre départ de Ferrare, me cause de continuels tourments. Ecris-moi donc, je t’en supplie ; ne me laisse rien ignorer ; ne me cache rien, dans la vaine pensée de m’épargner une inquiétude. Si tu es appelé, — ce qu’à Dieu ne plaise, à courir quelque danger, je veux le partager avec toi ; tu ne saurais m’en refuser une part, sans me faire une mortelle injure. Mais si tout va bien, comme je le demande sans cesse à Dieu dans mes prières, hâte-toi de tout terminer et de m’en avertir, car je ne voudrais pas aventurer nos bagages sur des routes peu sûres. Avant toues choses, ô mon bien-aimé, dans ces circonstances si difficiles, pense que nous ne pouvons avoir de plus puissant protecteur que Dieu. Invoque le chaque jour avec les hommes pieux qui sont auprès de toi ; il ne sait rien refuser aux prières de ses enfants. Souviens-toi de l’exemple d’Elie. Il était homme et sujet à beaucoup d’infirmités. Sa requête fut cependant exaucée, et il ne tomba pas de pluie sur la terre, durant trois ans et six mois. Confiez-vous donc au Seigneur ; remettez-vous entièrement entre ses mains, et il vous soutiendra ! Mais, hélas ! moi qui console les autres, j’ai encore plus besoin d’être consolée ! Mes jours s’écoulent dans les larmes, et je ne trouve de remède à mes maux qu’en invoquant l’auteur de toute délivrance. Qu’il soit aussi votre refuge et votre retraite ! — Ecris-moi bientôt pour me dire quand je te reverrai, et ne te mets en route qu’avec des guides sûrs. Adieu, 23 novembre, [1550].

a lavinia de rovère.

    Ma chère Lavinia,

La lecture de ta lettre m’a fait éprouver une joie infinie, en m’apprenant ce que je désirais tant savoir, touchant ton séjour actuel et ta vie. Je craignais, en effet, de ne plus recevoir de les nouvelles avant ton départ pour Rome, et de ne plus savoir ainsi où t’adresser mes lettres. Je te remercie mille fois de m’avoir épargné cette incertitude. Je te remercie plus encore de ce que tu me promets d’agir en faveur de Fannio. Cette dernière assurance est d’un si grand prix à mes yeux, que rien au monde ne pouvait me donner un pareil contentement. Ton départ de Ferrare me permet de tout espérer, car je n’ignore pas le crédit dont tu jouis à Rome. Comment douter d’ailleurs que le duc, te voyant près de partir, ne t’offre avec empressement ses services ? Prie-le donc, s’il veut t’accorder une marque de sa faveur, de relâcher un innocent, dont la longue captivité aurait déjà suffisamment expié toutes les fautes, s’il était criminel. Dans une telle conjoncture, prends d’abord conseil de la prudence ; parle et agis ensuite, selon que le cœur t’inspirera.

Malheureuse, tu sais compatir au malheur !

Que sera-ce donc, si ce malheur n’est pas mérité ? S’il est librement accepté pour la cause de Jésus-Christ, qui déclare dans sa parole, qu’il estimera comme fait à lui-même ce que tu auras fait « pour un de ses plus petits. » J’aurais trop de choses à te dire sur ce sujet… je m’arrête ! Le salut de Fannio ne t’est pas moins cher qu’à moi-même. Je te conjure seulement de ne pas te laisser détourner du témoignage que tu dois à la vérité par les calomnies des méchants.

Que te dirai-je de moi, chère Lavinia ? Il n’y a rien de nouveau dans notre position. Nous sommes toujours auprès du conseiller Hermann, mais dans une petite ville située à une journée de distance d’Augsbourg. C’est là que j’essaye d’adoucir, en t’écrivant, la douleur que j’ai ressentie de la perte d’un de mes cousins, et les regrets de notre séparation. Je jouis, en effet, de loisirs que rien ne vient troubler, et je me consacre sans relâche à l’étude des choses divines, qui doit t’occuper également, et qui me procure un bonheur sans mélange. Je te félicite de ton prochain établissement à Rome. Le séjour de cette cité te sera plus agréable que celui de Ferrare, et la présence de tes parents dissipera sans doute les chagrins que tu éprouves sans cesse, lorsque tu en es séparée. L’excellente Cherubina doit-elle t’accompagner dans ce voyage ? Je te la recommande de tout mon cœur, ainsi que ma mère, mes sœurs et tous les miens. Je ne laisserai pas échapper une seule occasion de t’écrire à Rome. Agis de même avec ton amie. Mon mari, auquel je parle souvent de toi, et qui t’aime autant qu’il t’honore, te remercie des salutations que tu lui as adressées. Il te salue à son tour respectueusement. Adieu. Kaufbeuren, près d’Augsbourg. 1551.

a tommaso de lucques.

Je regrette de vous occasionner tant d’embarras par mes lettres, et cependant le souvenir de votre piété ne me permet d’adresser qu’à vous seul une demande que la foi et la piété doivent également m’inspirer. Vous savez tout ce que je dois à ma mère, tant parce qu’elle m’a donné le jour et qu’elle m’a aimée de toutes les tendresses maternelles, que parce qu’elle est pieuse et éprouvée par les douleurs du veuvage. Je ne sais donc que remplir un devoir filial, en vous envoyant pour elle quelques écus d’or, fruit de mes modestes épargnes, et en vous priant de les lui remettre vous-même avec ma lettre, pour que cette somme ne soit pas perdue. Vous rendrez ainsi un service à ma mère, ou plutôt à Jésus-Christ, dans la personne d’une de ses servantes fidèles.

Vous demandez à mon mari quelques détails sur l’état des affaires en Allemagne ; le temps lui manque pour vous les donner, et j’essayerai de le faire à sa place. Rien n’est encore certain dans ce pays. L’empereur est à Augsbourg, avec la plupart des princes allemands ; mais quels sont leurs projets ? on l’ignore. Il veut, dit-on, convoquer une nouvelle assemblée à Trente, pour faire adopter l’interim, auquel personne n’a été, jusqu’à présent, contraint d’obéir. Chacun vit à cet égard en toute liberté, comme auparavant.

Vous vous plaignez d’être depuis longtemps sans nouvelles de Jean Sinapi. Nous ne l’avons pas encore revu depuis notre établissement dans cette ville, parce qu’il a dû suivre son évêque à Augsbourg. Mais ses lettres nous apprennent que sa résidence est toujours fixée à Wurtzbourg, et qu’il jouit d’une bonne santé. Voilà tout ce que je puis vous apprendre. Adieu. Schweinfurt, 1552.

a lorenzo, de padoue.

Nous avons enfin reçu les livres de notre bibliothèque, et nous vous remercions de tout notre cœur du zèle que vous avez déployé pour nous les faire parvenir. L’ouvrage d’Avicenne ne s’est pas trouvé dans le coffre où vous l’aviez mis. Veuillez nous dire maintenant ce qui vous est dû, afin que nous puissions acquitter cette dette. Nous sommes toujours dans la ville natale de mon mari ; les guerres qui désolent l’Allemagne ne nous permettent pas encore de la quitter. La renommée vous a sans doute apporté la nouvelle de la délivrance de l’électeur de Saxe, et de son rétablissement dans ses anciens honneurs. C’est le grand événement du jour. Pour moi, je ne désire vous entretenir que d’un seul sujet, et vous adresser qu’une seule prière : Donnez-nous quelques nouvelles de l’Italie et de l’ingrate cité qui m’a vue naître. Voilà quatorze mois écoulés, et je n’ai rien encore appris de ma mère, et toutes mes lettres à mes parents ou à mes amis sont demeurées sans réponse. Soyez assez bon pour remettre celle-ci, en main propre, à ma mère ou à mes sœurs, et ayez soin de m’informer exactement de tout ce qui les concerne. Vous me rendrez un service auquel j’attache un prix infini. Je vous le demande encore une fois au nom du Seigneur. Adieu. Schweinfurt, 1552.

a valentino carchesio.

Je n’ai rien de nouveau à vous annoncer. Que vous dirais-je en effet des guerres qui troublent l’Allemagne ? D’autres vous en informeront à loisir, et la Renommée vous en instruira d’ailleurs suffisamment. Pour moi, je ne veux vous entretenir que de choses certaines. Ce n’est pas témérairement ni à la légère que, dans ma dernière lettre, je vous ai fait l’éloge de notre prédicateur. J’ai fait l’épreuve de sa piété à cette pierre de touche divine qui ne peut tromper, à savoir la parole des prophètes et des apôtres. Il a déjà souffert pour la cause de la vérité, et il souffrira encore si les circonstances l’exigent. Il ne flatte personne, dans ces temps pleins de périls, et il parle avec une sainte liberté, sans égard pour son intérêt personnel. Ses discours s’accordent pleinement avec sa vie. Cette ville possède encore quelques autres personnages pieux, qui ont passé des ténèbres à la lumière, et dont la société nous est très agréable. C’est donc sans regret que nous vous abandonnons les délices de la terre d’Egypte.

Je vous remercie de ce que vous avez bien voulu m’envoyer cette lettre de ma mère. Je serais heureuse de pouvoir aussi obtenir par vous quelques nouvelles de notre savant ami Lilio Gregorio Giraldi ; vit-il encore et jouit-il de la lumière du soleil ?c Je vous prie de le saluer en mon nom, ainsi que Joseph de Brescia, ce docte jeune homme. Ecrivez-nous souvent ; instruisez-nous de ce que vous faites, et de ce qui se passe à Ferrare. Avant toutes choses, lisez attentivement les saintes Écritures, et gardez-vous de poursuivre le superflu au détriment du nécessaire. Saluez de ma part la noble dame que vous servez, ainsi que son intendant ; mais saluez-les tout bas, et d’un mot glissé furtivement à l’oreille, de peur que le nom d’Olympia ne compromette quelqu’un. Il est encore d’autres personnes que j’aime, mais je n’ose vous charger pour elles du même message. Mon nom leur causerait trop d’effroi ! Adieu, Schweinfurt, 1552.

c – Giraldi mourut cette année.

a lavinia de rovère.

Il m’en a coûté, ma chère Lavinia, de recevoir ta lettre en un temps où je ne pouvais te répondre. Tu n’ignores pas en effet combien il est difficile de trouver un porteur au milieu de l’hiver. A ce motif de silence s’en est joint un autre. La distance qui nous séparait, l’été dernier, s’est encore accrue. Pendant que tu te rendais à Rome, nous étions appelés à Schweinfurt, patrie de mon mari, à cause des Espagnols qui doivent tenir garnison dans cette ville, et auxquels mon mari doit donner ses soins. Ces causes réunies m’ont empêchée de répondre sur-le-champ, comme je l’aurais voulu, à ta douce lettre qui m’a remplie en même temps de tristesse et de joie. Je ne pouvais apprendre sans une vive émotion, le martyre de Fannio, cet homme si excellent et si pieux, dont l’admirable constance a cependant adouci ma douleur. J’ai été heureuse d’apprendre que tu as emmené ma sœur avec toi, et cette nouvelle m’a causé une satisfaction d’autant plus vive qu’elle était plus inespérée. Certainement, je ne saurais dire si j’ai été plus affligée des mauvais traitements dont mes sœurs ont été l’objet, que réjouie des secours miséricordieux du Seigneur qui, lorsque nous étions privées de tout conseil, et réduites à la dernière extrémité, est venu à notre aide, et nous a retirées de la détresse, ainsi que je l’ai éprouvé, non seulement en Italie, mais encore en Allemagne. Tu n’ignores pas en effet que Satan nous tend partout des pièges, et que nous ne pourrions vivre un seul jour, si le Seigneur ne nous préservait de ses atteintes. Aussi ne cesserai-je de le bénir de ce qu’il nous a regardées favorablement ; je t’aimerai encore plus, puisqu’il s’est servi de ta main pour accomplir notre délivrance. Je suis d’autant plus reconnaissante envers toi, que tu m’as rendu ce service volontairement, avant même que je te l’eusse demandé. Le bienfait qui se donne avec un joyeux empressement, en reçoit une grâce nouvelle. Adieu. Schweinfurt, 1552.

a michel weber.

L’affection qui nous unit à ta pieuse mère, nous permet de prendre notre part de toutes les joies qui lui sont accordées : aussi, c’est avec un profond sentiment de bonheur que nous avons reçu la lettre que tu as adressée à mon mari, tant à cause des témoignages de piété qu’elle renferme, qu’à cause des preuves non équivoques de tes progrès dans les lettres. Bienheureuse est ta mère, d’avoir un fils qui s’applique avec tant d’ardeur à l’étude, et qui, contrairement à l’exemple des jeunes gens de son âge, déserte la palestre pour la philosophie ! C’est un grand privilège, en effet, de rester irrépréhensible et pur au milieu de la corruption du siècle ; de suivre sans dévier le chemin de la justice, en rapportant fidèlement à Dieu le don que tu en as reçu. Je t’en félicite sincèrement, et je désire avoir à t’en féliciter chaque jour davantage, afin que le cœur de ta mère en soit pénétré de joie, et que nous ayons de nouveaux motifs de t’estimer et de t’aimer. Mais je le désire surtout, afin que tu témoignes dignement ta gratitude à celui qui t’a doué de si belles inclinations ; car, ainsi que l’a dit un poète : « Les dons divins ne doivent pas être l’objet de nos mépris. » Quant aux inquiétudes que tu éprouves, et à ta crainte d’être arrêté dans la carrière de l’étude par la rigueur des temps, je ne puis que te répondre : Rassure-toi ! La vertu ne consiste pas moins à conserver les trésors de l’esprit qu’à les acquérir. — Il est d’ailleurs des ouvrages que tu peux lire seul, en l’absence d’un précepteur. Les maîtres ne sauraient tout enseigner eux-mêmes à leurs disciples ; mais ils leur montrent, pour ainsi dire, du doigt, les sources sacrées. Si tu m’en crois donc, mon jeune ami, tu feras choix de l’auteur qui te semblera le mieux convenir à tes goûts, et que je ne puis te désigner, car j’ignore le plan de tes études. Tu le liras et le reliras sans cesse ; tu t’appliqueras uniquement à le bien comprendre ; car il vaut mieux, selon le précepte de Pline le Jeune, exceller dans un seul sujet, qu’être médiocre dans plusieurs. Ainsi tu soulageras le cœur de ta mère, inquiète de te voir privé de guide dans ton éducation. Mais ai-je besoin d’aiguillonner le coureur déjà lancé dans la carrière ! Je veux te prier seulement, et avant toutes choses, de consacrer toutes les forces de ton âme à l’étude des saintes lettres qui peuvent seules t’apprendre ce qui est beau, ce qui est noble et ce qui est bon ; te rendre meilleur et te consoler au milieu des épreuves de cette vie. Prends courage ; Dieu ne t’abandonnera pas, lui qui garde et protège les siens dans les plus terribles extrémités, selon cette parole du Psalmiste : « Tu t’es élevé, ô Dieu, au-dessus de tes ennemis ! » Tu puiseras, à la même source, d’autres paroles non moins propres à te fortifier. Mon mari te salue très affectueusement : il aurait été heureux de répondre lui-même à ta lettre ; mais il n’en a pas eu le loisir, et je l’ai remplacé. Adieu. Que le Christ te tienne sous sa sainte garde. Schweinfurt, le 21 novembre 1552.

a lavinia de rovère.

Je t’avais adressé, l’été dernier, une lettre assez longue, à laquelle j’avais joint un dialogue composé par un homme aussi savant que pieuxd ; j’ignore si tu l’as reçue. Les lettres parviennent rarement à leur adresse, dans ces temps d’agitations et de troubles, où le feu de la guerre promène partout ses ravages. Nous sommes d’ailleurs séparées par de grandes distances, qui rendent les communications plus difficiles. Si donc, ma chère Lavinia, mes lettres t’arrivent plus rarement, à l’exemple des tiennes, — je n’en ai reçu qu’une seule, depuis mon établissement dans cette ville, — ne pense pas que ce soit l’effet d’un oubli, ni d’une négligence de ma part. Si j’avais des messagers sûrs à ma disposition, je ne négligerais personne. J’écrirais tous les jours, si je le pouvais, à ma mère, au sujet de laquelle je suis continuellement plongée dans l’inquiétude. Il s’en faut tellement que je vous oublie, que sans cesse je suis en peine à cause de vous. Si l’Allemagne ne m’offrait, comme consolation, la lecture des livres pieux dont j’étais privée en Italie, je ne pourrais me résigner à vivre séparée de ceux que j’aime, surtout de toi, Lavinia, que je porte sans cesse dans mon cœur, et dont je fais continuellement mention dans mes prières. Ton salut est le sujet de mes plus vives sollicitudes, et je crains toujours que, selon ta coutume, tu ne te laisses distraire et consumer par les soucis de cette vie. Malgré tant d’occupations qui me retiennent captive, j’ai essayé de composer ce dialogue pour toi, afin que cette lecture fit diversion à tes peines. Je soupçonne, en effet, que la guerre de France t’a séparée de ton mari, et que son absence te livre aux mille tourments de l’incertitude. C’est pourquoi j’ai mêlé à ce dialogue plusieurs pensées, qui me semblent, à défaut du reste, convenir à ta situation. Je t’envoie aussi quelques écrits du docteur Martin Luther, dont la lecture m’a fait du bien, dans l’espérance qu’elle pourra aussi te fortifier et te consoler. Applique-toi, je t’en conjure, à ces saintes études : demande au Seigneur de t’éclairer de sa lumière ; il te l’accordera. Crois-tu que ce Dieu soit un Dieu menteur, et qu’il ait fait tant de promesses à ceux qui implorent son secours, pour les abandonner à l’heure de la détresse ? Il appelle à lui tous ceux qui souffrent ; il ne repousse personne. Dépose donc cette vieille erreur qui nous a si longtemps séduites, alors que nous pensions qu’avant de l’invoquer, il nous fallait savoir si nous étions élues par lui de toute éternité. Ah ! plutôt, selon qu’il le commande lui-même, jetons-nous dans les bras de sa miséricorde, et quand nous l’aurons fait, nous serons assurées d’être au nombre de ses enfants ! Tu as été plongée jusqu’à ce jour dans un funeste sommeil ; réveille-toi ! oublie quelle est celle qui te parle, pour ne te souvenir que de ses paroles et de celui qui les a dictées. Adieu. Schweinfurt, 1553.

d – Le dialogue De amplitudine regni Dei, composé par C. S. Curione. Le but de ce morceau est de prouver que le royaume de Dieu, ou des élus, est plus considérable que celui des démons ou des réprouvés.

a flacius illyricus

    Très excellent Illyricuse,

e – Francowitz (Mathias Flach), connu sous le nom de Flacius Illyricus. Il était né à Albona, dans l’Istrie, le 3 mars 1521, et il mourut à Francfort, le 11 mars 1575. On a de lui plusieurs ouvrages remarquables. Le plus précieux est le Catalogue des Témoins de la vérité. Catalogus testium veritatis, in-4°. Bâle, 1556. Illyricus fut un des principaux auteurs du recueil d’histoire ecclésiastique intitulé : Centuries de Magdebourg.

Je cherchais depuis longtemps les moyens d’offrir à mes compatriotes italiens quelques-uns des trésors dont l’Allemagne est si abondamment pourvue, et je gémissais de ne pouvoir leur rendre ce service, quand l’idée de recourir à quelques personnages savants, s’est présentée tout à coup à mon esprit. Votre nom m’était connu par vos ouvrages ; aussi ai-je pensé tout d’abord à vous, comme pouvant subvenir à cette disette spirituelle d’un peuple qui m’est si cher, et dissiper quelques-unes des erreurs dans lesquelles il est enseveli. Il ne faudrait, pour cela, que traduire, de l’allemand en italien, un des écrits où Luther réfute les erreurs de Rome ; et moi-même je n’aurais pas reculé devant ce travail, s’il ne m’était interdit par mon ignorance de la langue allemande que je ne comprends pas encore, après deux ans de séjour dans ce pays. Peut-être aussi pourriez-vous composer quelque ouvrage italien sur ce sujet, ce qui vous serait plus facile, à cause de votre connaissance profonde des Écritures, dont j’ai à peine effleuré les eaux vives du bout de mes lèvres. Ce serait le moyen d’éclairer beaucoup d’hommes pieux qui vivent encore dans les ténèbres. Si le zèle de la vérité pour laquelle nous devons sacrifier même notre vie, vous met au cœur d’entreprendre ce travail, il sera, n’en doutez pas, accueilli avec une profonde reconnaissance, de l’autre côté des Alpes. Mais il est essentiel, pour le succès de ce livre, qu’il soit écrit en italien ; car un petit nombre de nos compatriotes sont instruits dans les lettres antiques. Je vous supplie donc, au nom de Jésus-Christ, de mettre la main à l’œuvre. Travailler pour lui dans le temps, c’est lui prêter à usure pour l’éternité. Je ne me lasserais pas de vous prier pour obtenir de vous cette grâce, si notre ami commun, Jean Crémer, ne vous avait adressé, par lettres, les mêmes sollicitations, et si l’intérêt de l’Église ne parlait assez haut. Il ne me reste plus qu’à vous demander une dernière faveur : c’est que, si ma demande vous paraît importune, vous en accusiez, non pas l’indiscrétion de celle qui vous écrit, mais la confiance que lui inspire votre piété. Si je pouvais, de mon côté, vous être utile à quelque chose, mettez mon zèle à l’épreuve ; je serais trop heureuse de répondre à votre appel. Adieu. Schweinfurt, 26 mai 1553.

a anne d’este, duchesse de guise.

    Illustre princesse,

Quelle que soit la grandeur des distances qui nous séparent, depuis tant d’années, votre souvenir ne s’est jamais effacé de ma mémoire. La pensée de vous écrire s’est présentée bien souvent à mon esprit, et cependant je n’ai pas osé le faire pour divers motifs, avant l’occasion qui m’en est offerte aujourd’hui. Un personnage docte et pieux, de la Lorraine, étant venu nous visiter à Heidelberg, je n’ai eu rien de plus empressé que de lui demander de vos nouvelles. Il m’a promis, de son côté, d’employer tous ses soins à faire parvenir cette lettre entre vos mains, et je n’hésite pas à la lui confier, dans l’espérance que vous la lirez avec bonté, comme venant de celle qui fut, dès ses plus tendres années, la compagne de vos études. Vous savez, en effet, dans quelle douce familiarité (quoique vous fussiez ma souveraine et ma maîtresse) nous avons vécu ensemble durant tant d’années, unies par une communauté de travaux et de goûts littéraires, dont le souvenir doit resserrer notre mutuelle amitié. Pour moi, j’en atteste le Seigneur, je voudrais, malgré mon éloignement, pouvoir vous donner des marques de mon affection, vous servir en quelque chose, soit par des paroles propres à consoler, soit autrement, et telle est la faveur que je demande sans cesse à Dieu. Ce n’est pas que je regrette l’existence des cours, à laquelle j’ai volontairement renoncé dans cette ville ; mais je ne désire rien tant que de vous savoir appliquée à l’étude des saintes lettres, qui peuvent seules vous mettre en communion avec Dieu, et vous soutenir au milieu des épreuves de cette vie. Pour moi, je ne connais plus d’autres consolations ni d’autres délassements. Depuis le jour où, retirée par une paternelle disposition de la Providence, du milieu de la grande idolâtrie de l’Italie, j’ai accompagné le médecin André Grunthler, mon mari, en Allemagne, vous ne sauriez croire quel changement s’est accompli dans mon cœur. La lecture de la parole divine, qui ne m’inspirait que de la répugnance, est devenue ma joie, mon étude, mon application continuelle. Richesses, honneurs, plaisirs, ce que j’estimais tant autrefois, me semble à peine valoir aujourd’hui une seule pensée. Oh ! combien je voudrais, chère princesse, vous rendre attentive sur ce grand sujet ! Rien n’est stable sur la terre ; tout tombe, tout passe, et nous sommes tous appelés, selon l’expression du poète, « à fouler les sentiers de la mort ! » Ce moment suprême n’est pas éloigné ; le temps s’envole ; fortune, puissance, royales faveurs, rien ne peut nous sauver, si ce n’est la foi en Jésus-Christ, qui seule doit nous garantir de la condamnation et de la mort éternelle. Cette foi est un don de Dieu, et il faut la lui demander avec les plus ardentes prières. Que servirait, en effet, de savoir l’histoire de Jésus-Christ, que les démons eux-mêmes connaissent, si nous étions étrangers à cette foi opérante par la charité, qui nous donnera la force de confesser le Christ au milieu de ses ennemis, en nous souvenant de cette divine parole : « Celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon père qui est aux cieux. » Les martyrs furent des témoins, et l’Église n’en compterait pas un seul, s’ils avaient caché leur foi aux regards du monde. Et vous, chère princesse, que le Seigneur a honorée d’un si grand privilège, en vous révélant sa vérité, pouvez-vous ignorer l’innocence de ces hommes qui, tous les jours, sont condamnés à périr dans les flammes, et qui endurent de si cruels tourments pour l’Évangile de Jésus-Christ ? C’est un devoir pour vous d’intercéder pour eux, de les justifier auprès du roi, et d’invoquer leur grâce. Si vous restez muette, si vous les laissez souffrir et mourir sans défense, vous devenez complice de leurs persécuteurs. Je sais qu’en plaidant leur cause, vous pouvez provoquer la colère du roi, le ressentiment de votre époux et la fureur de vos ennemis. Mais je sais aussi qu’il vaut mieux être en butte à l’inimitié des hommes qu’à celle de Dieu, qui peut, non seulement tuer le corps, mais abandonner l’âme au feu éternel. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Cette belle déclaration doit toujours être présente à votre esprit. Oh ! que je serais heureuse, si la recherche de la vraie piété et la crainte de Dieu remplissait uniquement votre cœur ! Le Christ n’a-t-il pas dit : « Tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon nom, vous sera accordé. » Souvenez-vous encore que vous êtes née dans une condition mortelle, et fermez l’oreille à ceux qui vous disent : « La vie est courte ; suivons donc les désirs de notre cœur, et jouissons des plaisirs du monde ! » Ah ! plutôt écoutez cette parole de saint Paul : « Celui qui vit selon la chair, et qui se livre aux convoitises de la chair, périra éternellement. » Si mes lettres vous étaient agréables, je pourrais vous écrire plus au long sur ce sujet. Je pourrais aussi vous faire parvenir des livres chrétiens, si vous désiriez être instruite à l’école du Christ. C’est un profond sentiment d’amour qui me presse de vous parler ce langage. Je voudrais vous rendre participante aux biens éternels de ce règne à la gloire duquel le Seigneur a daigné m’appeler. Je le prie de vous accorder la même faveur. Oh ! quelle sera ma joie, si j’apprends que mes prières ont été exaucées, et comme je bénirai l’auteur de toute grâce excellente ! Adieu. Heidelberg, 1er juin 1554.

a jean sinapi.

J’ai reçu votre lettre, qui m’a été fidèlement remise par maître Vitus, et je n’ai pu répondre plus tôt à la précédente qui me parvint à Furstenau, lorsque j’étais encore retenue au lit par la maladie. J’acquitterai en peu de mots aujourd’hui cette double dette. Je vous remercie d’abord de tous les témoignages d’affection que vous nous prodiguez. Sachez, qu’après nos malheurs, nous avons été accueillis avec la plus rare bienveillance, et comblés de bontés et de présents, d’abord par le noble comte de Reineck, et ensuite par ses illustres voisins les comtes d’Erbach. Nous sommes arrivés depuis peu de jours à Heidelberg, où mon mari se prépare en ce moment à ses lectures publiques. J’ai été occupée, tout aujourd’hui, à l’achat des meubles qui nous sont nécessaires dans notre nouvelle demeure ; nous avons logé jusqu’à présent chez un ami. J’ai écrit à Crémer, en le priant instamment de m’envoyer une de ces pauvres femmes âgées, condamnées par la ruine de Schweinfurt à mendier leur pain de porte en porte ; j’attends sa réponse. Quant au désir que vous exprimez, mon cher Sinapi, de me confier comme auparavant votre fille Théodora, sachez que sa présence me sera très agréable, soit comme une consolation aux peines de l’isolement, dans une ville étrangère, soit comme un souvenir de l’épouse que vous avez perdue et que j’ai tant aimée. J’aimerai Théodora comme par le passé ; plus encore, puisqu’elle n’a plus de mère. Ainsi donc, si vous préférez le séjour de notre maison à celui d’une cour (auquel j’ai renoncé moi-même pour jamais), hâtez-vous de préparer son départ. Je voudrais qu’elle pût arriver ici avec Crémer, auquel j’ai confié le soin de nous procurer une servante. Qu’elle apporte avec elle un petit lit ; ces meubles sont fort chers dans le pays, et nous ne pouvons, pour le moment, en acquérir un plus grand nombre. N’oubliez pas non plus ma valise, qui renferme divers objets qu’on a retrouvés à Schweinfurt, et qui m’appartiennent. Je conduirai quelquefois votre fille chérie auprès des comtes d’Erbach, dont la noblesse et la piété sont au-dessus de tout éloge. Le comte Eberard a trois filles, belles et pieuses, avec lesquelles Théodora pourra contracter une douce amitié. Préparez à la hâte tout ce qui est nécessaire pour son voyage, afin qu’elle puisse profiter de l’occasion que je vous ai indiquée, sans occasionner un retard qui me serait préjudiciable. Je réserve plus de détails pour une autre lettre. Mille remerciements pour l’envoi du Plutarque. Saluez tous vos amis, sans oublier le licencié Faye, s’il n’est plus moine. Mon mari joint ses félicitations pour vous à celles de mon frère, qui écrirait à Théodora, s’il n’était absorbé par les soins de la maison. Adieu. Heidelberg, août [1554).

a vittoria morata

    Ma chère sœurf

f – La première partie de cette lettre est consacrée au récit du siège de Schweinfurt : nous l’omettons à dessein.

. . . . . . . . . . . . . . .

Il vaut mieux souffrir avec Jésus-Christ que posséder le monde entier sans lui. Posséder le Christ, tel est l’unique objet de nos désirs. Nous savons pourtant que les maux dont nous avons souffert ne seront pas les derniers, et que nous en aurons beaucoup d’autres à essuyer, tant que nous serons sur la terre. A cette heure même, nous ne sommes pas exempts de souffrir ; mais je ne demande à Dieu qu’une seule grâce, de demeurer fidèle jusqu’à la fin. Il me l’accordera, car il a promis d’exaucer toutes les prières qui lui seraient adressées. Je répands chaque jour mon âme en supplications devant lui, et il m’écoute favorablement. Il me fortifie dans mes faiblesses, et me rend également capable de résister aux adversaires de la vérité, dont le nombre se multiplie sans cesse, et à ces épicuriens du siècle qui se font de la sainteté de l’Évangile un bouclier, pour protéger leurs grossières passions. Tu le vois, ô ma sœur ! l’ennemi est partout ; Satan, le monde, le péché, telles sont les formes sous lesquelles il nous attaque continuellement. Mais il vaut mieux encore une fois souffrir avec les saints, dans ce court passage qu’on nomme la vie, que partager les tourments des réprouvés, dans ces lieux où les regards sont plongés dans une éternelle nuit.

In æternam clauduntur lumina nocten !

Aussi, ma bien-aimée sœur, je te conjure de penser sérieusement à ton salut. Crains par-dessus toutes choses d’offenser celui qui a créé l’univers d’un seul mot, celui qui t’a donné l’être, qui t’a conservée et qui te comble de tous ses biens ; et ne redoute pas ces vaines puissances qui passent avec la figure du monde, et qui emploient tour à tour les menaces ou les caresses pour attirer les âmes dans leurs pièges. Que sont ces êtres d’un jour ? un souffle, une vapeur, une paille légère que le feu va bientôt consumer !

Tu es trop faible, diras-tu, pour marcher dans la voie étroite qui conduit au ciel. Ah ! ne te fais pas une excuse de ta faiblesse ! Excuser le mal dont on souffre, c’est l’aggraver et encourir le juste châtiment de Dieu. C’est pourquoi David prie le Seigneur, dans un de ses psaumes, de ne pas lui permettre de chercher une excuse à ses péchés. Confesse donc, ô ma sœur, ta maladie à Dieu, le médecin par excellence ; demande-lui les remèdes qui peuvent te guérir, et qui se trouvent dans l’amour de sa loi, dans la crainte de son saint nom. Il te fortifiera ; n’est-il pas appelé le Dieu de la force ? n’est-il pas toujours prêt à nous bénir, pourvu que nous implorions ses bénédictions par beaucoup de prières ? Il t’écoute, quand tu le pries ; il t’exauce au delà de tes vœux ; il a les mains pleines de dons pour tous ceux qui le cherchent.

Garde-toi surtout, ma chère sœur, de corrompre le sens de l’Évangile et de dire : « A quoi bon prier ? Si je suis au nombre des élus, je ne puis périr, » Ce serait tenter Dieu, qui a placé le salut dans la voie de l’obéissance et de la prière. Le mystère de l’élection est certain ; le salut éternellement acquis aux élus, et dont ils trouvent le témoignage dans leur propre cœur, ne l’est pas moins ; mais il n’y a pas de salut sans Christ, et sans les vertus, qui sont la couronne brillante de la foi.

…… Qu’aucun jour ne s’écoule pour toi sans une lecture de la Parole sainte, et sans une élévation de ton âme à Dieu, pour lui demander les lumières qui éclairent les sentiers d’une sainte vie ! Si les devoirs que tu as à remplir auprès de ta maîtresse ne te laissent que peu de temps pour ces pieux exercices, dérobe, matin et soir, quelques instants de plus au repos de la nuit ; ferme la porte de ta chambre, lis et prie. Le Seigneur nous ordonne de chercher avant toutes choses son royaume et sa justice. Ces devoirs accomplis, consacre tous tes soins à ta maîtresse avec cette exactitude, cet empressement, cet esprit respectueux et paisible qui conviennent à une vierge chrétienne. Dis à cette noble amie qu’elle cherche dans la philosophie chrétienne le soulagement de ses inquiétudes et le remède de tous ses maux. Encore quelques jours, et nous serons recueillis dans le port désiré. Le temps ne s’envole pas d’une aile moins rapide dans le malheur que dans la prospérité. Dis-lui encore que si ses souffrances lui paraissent plus longues et plus cruelles que celles d’autrui, elle souffre avec les saints ; que dis-je ? avec le Christ lui-même ! Rappelle-lui que cette sainte femme dont j’ai fait mention au commencement de cette lettre, la comtesse d’Erbach, porte aussi sa croix, et une croix bien lourde de douleurs. Elle est issue d’une race royale ; elle compte des césars parmi ses aïeux, et cependant elle est satisfaite de la condition modeste qui lui est échue en partage. Elle n’a pas connu un seul jour, depuis dix-neuf ans, qui fût pour elle exempt de maux. A cette heure même, elle est couchée sur un lit de maladie, et on tremble pour ses jours, mais son âme est soutenue par les consolations de la religion. Dieu, la mort, la vie future, voilà le sujet habituel de ses entretiens et le but de ses désirs. Souvent elle a été appelée avec son mari à exposer sa fortune et sa vie pour sa foi ; cette épreuve elle-même ne l’a pas abattue.

Oh ! ma sœur, invoque l’Éternel, en lui disant comme Moïse : « Enseigne-moi à tellement compter mes jours, que j’en aie un cœur rempli de sagesse. » Cherche le Seigneur tant qu’il se trouve ; prie-le sans cesse ; confie-toi à son amour. Fuis la voie des méchants, et conserve-toi pure et irrépréhensible, afin d’obtenir la couronne de justice réservée à ceux qui ont vaincu dans le combat de la foi. Salue en mon nom les dames et les jeunes filles qui sont avec toi. J’écrirai à Cherubina. Ecris-moi, toi-même, une lettre pleine de détails sur ta vie. Je ne soupire pas moins après une lettre de la noble Lavinia ; je l’aime de toute mon âme. Sa bonté, sa grâce et sa douceur sont toujours présentes à mon esprit. Je lui ai envoyé dernièrement quelques écrits de Celio Secondo Curione ; les a-t-elle reçus et lus avec plaisir ? je voudrais le savoir. Adieu, Vittoria, ma sœur chérie ! Grunthler et Emilio te saluent et t’embrassent tendrement. Que Dieu te donne paix et victoire ! Heidelberg, 6 août 1554.

a madonna cherubina.

Réjouissez-vous avec nous, chère Cherubina, et rendez grâces à Dieu de ce que, dans sa grande miséricorde, il nous a délivrés des périls auxquels nous avons été exposés durant quatorze mois. Il nous a nourris au sein d’une horrible famine, et il nous a fourni abondamment de quoi donner aux autres. La peste ravageait la ville ; mon mari était atteint du fléau, et les signes de sa mort prochaine paraissaient avec une telle évidence que j’aurais perdu tout espoir sans le secours de la foi, dont le regard pénètre dans les secrets du monde invisible. Le Seigneur a protégé mon époux, et, par un miracle de sa toute-puissance, il l’a guéri sans remèdes ; on n’aurait pu en trouver nulle part dans toute la ville. C’est ainsi qu’il m’a épargné une immense douleur, et qu’il m’a fait éprouver la vérité de ces paroles du Psalmiste : « L’Éternel fait la volonté de ceux qui le craignent, et il exauce toutes leurs prières. »

Vous n’ignorez pas, ma chère Cherubina, que le feu est présenté dans l’Écriture comme l’image des grandes afflictions, témoin ce passage d’Esaïe : « Ne crains rien, Ô Israël, le Seigneur sera avec toi quand tu passeras au travers du feu. » C’est ainsi qu’il a été avec nous, au milieu des flammes dévorantes ; et ce n’est point une similitude, mais une réalité. Les princes de l’empire et les évêques vinrent tout à coup assiéger Schweinfurt. Jour et nuit l’artillerie exerça ses fureurs sur notre malheureuse cité, et les soldats, retranchés dans nos murs, avouèrent eux-mêmes, que jamais, en aucun autre siège, un nombre si prodigieux de coups de canon n’avait été tiré en un seul jour. Dieu, dans sa bonté, semblait vouloir inviter la ville à la repentance, et il veilla fidèlement sur son peuple, car il ne laissa périr aucun de ses enfants. Il montra sa puissance en maîtrisant, pendant une année, la fureur de nos ennemis. Ils n’entrèrent dans la ville que par trahison ; et, malgré les ordres de l’empereur, ils la pillèrent, et y mirent le feu. Nous échappâmes miraculeusement à l’incendie, par le conseil d’un soldat et par un effet de la miséricorde de Dieu. Mon mari tomba deux fois entre les mains des ennemis. Quelle ne fut pas alors ma douleur ! Si j’ai prié ardemment en ma vie, ce fut bien cette fois ! Dans l’angoisse de mon cœur, je poussai d’inexprimables gémissements. Je criai au Seigneur, dans ma détresse : « Aide-moi ! aide-moi ! pour l’amour de ton nom ; » et je ne cessai de le prier, jusqu’à ce qu’il m’eût rendu mon mari ! J’aurais voulu que vous vissiez l’état pitoyable auquel j’étais réduite ; les cheveux épars, les vêtements en lambeaux, les pieds déchirés, à peine revêtue d’une chemise. On nous avait complètement dépouillés. En fuyant j’avais perdu mes souliers, et il nous fallait courir, en suivant les rives du fleuve, sur les pierres et le gravier. A chaque pas, je m’écriais : « Je n’en puis plus ! je suis morte ! Seigneur, si tu veux me sauver, commande à tes anges de me porter sur leurs ailes, car autrement je ne puis plus me soutenir ! » Je m’étonne encore, quand je pense que je pus faire dix milles, cette nuit-là. J’avais été malade tout le jour précédent ; j’étais frêle et souffrante, et l’excès de la fatigue me causa une fièvre que je ne cessai d’éprouver durant tout le voyage. Le Seigneur eut pitié de notre détresse : il nous envoya quinze écus d’or par la main d’un personnage inconnu, et il nous conduisit ensuite auprès d’une noble famille, qui nous vêtit et nous reçut honorablement. Nous arrivâmes enfin dans cette cité d’Heidelberg, où mon mari a été nommé professeur de médecine ; nous sommes maintenant établis, et nous avons un ménage presque aussi complet qu’à Schweinfurt.

Je vous donne tous ces détails, ma chère Cherubina, afin de vous porter à bénir Dieu qui n’abandonne jamais les siens dans l’angoisse ; afin aussi de vous préparer, si cela était nécessaire, à souffrir quelque chose pour la vérité. Nous devons être conformes à l’image du Christ, et il faut souffrir avec lui pour régner avec lui. La couronne est le prix d’un combat. Sans doute vous êtes faible pour le soutenir, comme, hélas ! je le suis moi-même ; mais le Seigneur me fortifie, quand je l’invoque. Allez au Christ ! Il ne brise point le roseau agité, c’est-à-dire la conscience inquiète et tremblante ; il la rassure par de douces promesses ; il la console, et il appelle à lui tous ceux qui marchent courbés sous le fardeau de leurs péchés. Il n’éteint pas non plus le lumignon qui fume, c’est-à-dire l’âme faible et naissante à peine à la foi ; il lui communique sa force divine. N’est-il pas nommé le Fort, le Géant, non seulement parce qu’il a vaincu le démon, le péché, l’enfer et la mort, mais parce qu’il remporte tous les jours de nouvelles victoires, dans ses membres, c’est-à-dire dans ses disciples ?

Voilà pourquoi l’Écriture nous invite sans cesse à prier, en nous promettant que nous serons exaucés : c’est afin que, dans tous nos maux, nous allions au céleste médecin. Celui qui fortifiait David, nous fortifiera aussi nous-mêmes ; mais il veut qu’on le prie, qu’on médite sa loi, qu’on se nourrisse de sa sainte parole. Le corps s’affaiblit quand il est privé de nourriture ; il en est de même de l’âme, privée de son céleste aliment. Ainsi donc, ma chère Cherubina, soyez continuellement en oraison ; lisez l’Écriture, en votre particulier ; lisez-la encore avec la signora Lavinia et avec Vittoria. Exhortez ma sœur à la piété, priez avec elle, et il vous sera donné de vaincre le monde par votre foi, de ne commettre aucune action contraire à la conscience. Pensez-vous que Dieu soit trompeur comme l’homme ! qu’il se démente lui-même, quand il a fait cette déclaration : En vérité, en vérité je vous le dis, tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon nom, vous sera accordé. S’il nous abandonne, c’est que nous sommes pauvres, misérables et nus, et que nous ne croyons rien avoir à lui demander.

Priez pour nous, ô ma chère Cherubina, et priez aussi comme je le fais, pour tous nos frères d’Italie ! Que le Seigneur nous rende capables de le confesser courageusement, au milieu de cette génération corrompue et perverse ! La parole de Dieu est ici méprisée, et il est à peine un petit nombre d’âmes qui lui rendent l’hommage qui lui est dû. L’erreur et la vérité se mêlent dans cette cité, comme autrefois dans Samarie. Je voudrais cependant attirer ma mère auprès de moi ; mais, hélas ! la guerre est partout, et il faut se consoler de toutes les séparations d’ici-bas, par l’espoir de l’éternelle réunion dans l’autre vie.

Je veux vous raconter, ma chère Cherubina, un miracle dont j’ai été témoin au milieu de nos tribulations. Nous avons trouvé un asile à la cour de plusieurs seigneurs, qui exposent courageusement leur vie et leurs biens pour la cause de l’Évangile. Ils vivent si saintement que j’en suis ravie de surprise et d’admiration. Le comte d’Erbach entretient des prédicateurs dans sa ville, et il se rend toujours le premier à leurs prédications. Chaque jour, avant le repas du matin, il réunit autour de lui les membres de sa famille et les domestiques de sa maison. Il lit un fragment d’une épître de saint Paul, puis il s’agenouille avec toute sa cour, et il prie. Il visite ensuite chacun de ses sujets, dans leur demeure, s’entretient familièrement avec eux, et les exhorte à la piété, car il est, dit-il, responsable de leur salut devant Dieu. Oh ! combien je voudrais que tous les princes et les seigneurs fussent semblables à celui-ci ! Que Dieu nous augmente la foi, ma chère Cherubina, et qu’il nous fasse croître dans sa connaissance ! La vie chrétienne est un chemin où nous devons marcher sans cesse, sans nous arrêter jamais, comme si nous avions atteint le but, c’est-à-dire la perfection. Emilio est bien portant, et son cœur s’ouvrira, je l’espère, à la crainte de Dieu. Il assiste volontiers aux prédications, et il étudie avec ardeur la parole sainte. Je prie sans cesse pour lui et pour toute notre maison. Mon mari, mon frère et moi, nous vous saluons de tout notre cœur. Adieu.

   Heidelberg, ce 8 août 1554.

P. S. — Si la signora Lavinia veut m’écrire, elle en trouvera facilement les moyens. La ville que nous habitons est célèbre dans toute l’Allemagne, à cause de la cour et de l’académie.

Votre Olympia

a lavinia de rovère

Je ne saurais assez m’étonner, noble Lavinia, de n’avoir reçu de toi qu’une seule lettre depuis ton départ de Ferrare, si cette guerre funeste qui s’est déchaînée si longtemps sur nos têtes, ne semblait t’excuser. Comment douter d’ailleurs de ton amitié, que je sais égale à la mienne ? Pour moi, je n’ai pas cessé de t’écrire malgré tous nos maux. Je t’ai envoyé un dialogue, ainsi que divers ouvrages composés par des hommes pieux ; mais je n’ai pu obtenir en retour une seule lettre de toi. J’ai appris seulement ton retour à Ferrare par une lettre des miens, auxquels j’avais demandé de tes nouvelles. Je te conjure donc, au nom de l’amitié qui nous unit depuis tant d’années, de dissiper par quelques mots les inquiétudes que me cause un si long silence, et tu le pourras d’autant plus aisément que nous sommes aujourd’hui fixés dans une cité moins obscure, où nous ne serions probablement jamais venus, si nous n’avions été poussés de ce côté par la fureur de la tempête. Tu pourras juger de sa violence et de l’étendue de nos malheurs, par la lecture de mes lettres à Celio Secundo Curione. Je n’ai pas jugé nécessaire de t’écrire sur le même sujet, dans la pensée que tu étais déjà instruite de mes dernières épreuves, et que désormais tu ne te croirais plus seule à souffrir. Crois-moi, chère Lavinia, il n’est personne au monde qui ne soit exposé à toutes sortes de douleurs, s’il veut vivre selon la piété. Nous sommes étrangers et voyageurs sur la terre ; mais nous ne pouvons éviter les pièges de l’esprit du mal tendus partout sur nos pas. L’adversaire de nos âmes, comme le souci rongeur du poète, suit le marin sur son vaisseau, et monte en croupe derrière le cavalier. Il faut prier sans relâche, afin de ne pas succomber dans la lutte, et d’obtenir la couronne de vie. Prie donc sans cesse ; lis avec ardeur les saintes Écritures, et détourne tes pas de la voie des méchants dont le nombre se multiplie de jour en jour. Que la parole de Dieu soit la règle de tes actions, et la lampe qui éclaire tes sentiers ; tu ne trébucheras point dans ta route. Applique-toi à la crainte de l’Éternel, qui peut tuer à la fois le corps et l’âme, et ne crains pas ces êtres d’un jour, dont l’existence est semblable à une ombre, à une herbe qui se fane, à une fumée. Sois grande et forte, ô mon amie ; les maux les plus cruels doivent être faciles à supporter, s’ils sont de courte durée. Ici la guerre promène partout ses fureurs, et les saints sont exposés à toutes sortes de tribulations. L’Angleterre elle-même repousse sans pitié nos frères, et la puissance du démon ne connaît plus de bornes. Mais toutes ces épreuves doivent nous combler de joie, parce qu’elles présagent le jour glorieux et prochain où nous jouirons tous ensemble des félicités du ciel. C’est assez ici-bas de nous saluer par des lettres, et de nous contempler en esprit ! … Je te recommande ma sœur avec de telles instances, que je ne saurais y rien ajouter. Je te la recommande, non pour que tu la combles de richesses et d’honneurs, mais pour que tu partages avec elle un trésor sans prix, la science du Christ. La figure de ce monde passe ! Adieu, ma chère Lavinia. Mon mari et mon petit frère te saluent. Heidelberg, 1er septembre 1554.

a vergerio

    Très excellent Vergeriog,

g – Paolo Vergerio, un des missionnaires de la Réforme dans la Suisse italienne. Issu d’une famille distinguée de l’Istrie, il étudia successivement le droit et l’éloquence, fut envoyée comme légat, en Allemagne, par le pape Clément VII, devint évêque d’Istria en 1536, et adopta, en 1540, les doctrines luthériennes qu’il propagea dans son diocèse. Obligé de quitter l’Italie, il se retira dans le pays des Grisons. Il mourut à Tubingue en 1565.

Je n’aurais pas si longtemps attendu pour répondre à votre lettre, si je n’en avais été détournée par une maladie grave dont je ne suis pas encore entièrement remise aujourd’hui. Cependant je ne veux plus différer d’accomplir ce devoir ; il me tarde trop de vous écrire, depuis que j’ai lu les ouvrages dans lesquels vous prenez en main la défense de la vérité avec tant d’ardeur. Je ne doutais pas de votre zèle à soutenir la cause de l’Église, mais je n’osais vous demander ce témoignage, retenue par je ne sais quel sentiment de timidité. Il me semblait que je ne pouvais vous écrire la première, sans m’exposer au reproche de présomption et d’orgueil ; je suis heureuse, maintenant, de pouvoir, grâce à votre lettre, vous parler en toute liberté. Je vous remercierai d’abord du don si gracieux de vos livres, et puis je vous adresserai une prière que je n’osais vous présenter auparavant. Puisque telle est votre ardeur pour la propagation de la vérité, ne pourriez-vous pas traduire en italien le catéchisme du docteur Martin Luther, déjà traduit de l’allemand en latin ? Il vous suffira de lire ce livre, pour juger de l’immense profit qu’en retireraient nos compatriotes, mais particulièrement la jeunesse de nos écoles. C’est pourquoi j’ose vous prier, au nom de Jésus-Christ, et par amour pour nos frères d’Italie, qui ont droit à tous les sacrifices de notre part, d’entreprendre ce travail. Je n’ignore pas qu’il s’est élevé une grande division entre les Églises chrétiennes sur les sacrements. Mais ces tristes discordes s’évanouiraient bientôt, si les hommes avaient plus en vue la gloire du Christ et le salut de son Église, dont le secret est dans l’union de tous ses membres. Je reviens donc au sujet de ma lettre, et je vous rappelle encore une fois que vous rendriez un éminent service à l’Italie, en la dotant du catéchisme de Luther. Je désire tant obtenir de vous cette faveur, que je vous la demande encore de toutes les forces de mon âme.

La nouvelle que vous m’annoncez au sujet de la duchesse de Ferrare, m’était parvenue au mois de décembre dernier, par une lettre d’un personnage pieux de cette ville. Je m’afflige, sans m’en étonner, de. la chute de cette princesse que j’ai appris à connaître en d’autres tempsh. Je m’étonne davantage de la triste défection de plusieurs autres. Ma mère est restée ferme au milieu de l’orage. Gloire soit à Dieu, à qui en revient tout l’honneur ! Je la conjure de sortir, avec mes sœurs, de cette Babylone, pour venir me rejoindre dans ce pays. Mon mari vous rend grâces de l’offre que vous lui faites de vos services ; son cœur est pour vous tout ce qu’il doit être. Je me joins à lui pour vous prier de ne point laisser échapper l’occasion favorable de venir nous voir. Cette visite ne fera ici que des heureux. Adieu. Heidelberg, 1555.

h – Ce jugement, prononcé dans l’exil, est trop sévère. Les longues persécutions domestiques qu’eut à souffrir la duchesse, lui arrachèrent un acte de faiblesse. Mais ses courageuses résistances avaient prouvé la sincérité de sa foi, dont elle donna d’ailleurs des preuves éclatantes pendant les dernières années de sa vie.

a madonna cherubina.

    Ma chère Cherubinai,

i – Cette lettre est insérée dans l’Histoire de la Réforme en Italie, par Mac Cree, dont nous reproduisons la traduction.

Je veux ajouter quelques lignes à la lettre que je vous ai déjà écrite, pour vous exhorter à demander des forces au Seigneur, afin que la crainte de ceux qui ne peuvent tuer que le corps ne vous entraîne pas à offenser notre gracieux Rédempteur ; afin aussi qu’il vous rende capable de confesser son nom, selon sa volonté, au milieu de cette génération perverse, et de vous souvenir toujours de ces paroles de David : « Je hais l’assemblée des pécheurs, et je ne m’assiérai pas dans la compagnie des méchants. » Je suis trop faible, direz-vous, pour me séparer d’eux. Oh ! pensez-vous que tant de saints et de prophètes, tant de martyrs, même de nos jours, sont restés inébranlables par leur propre vertu, et que ce n’était pas Dieu qui leur donnait des forces ? Considérez donc que ceux-mêmes dont l’Écriture a rapporté la faiblesse, ne sont pas toujours restés faibles. Le reniement de saint Pierre ne nous est point donné comme un exemple à imiter ; mais il sert à nous faire comprendre la miséricorde infinie du Christ, et à nous montrer notre fragilité, sans pour cela l’excuser. Il se releva bientôt de sa faiblesse, et sa force devint si grande, qu’il se réjouit de souffrir pour la cause de Jésus-Christ. Ces considérations doivent nous porter à recourir au médecin céleste par la prière, quand nous sentons notre infirmité, et à le conjurer de nous donner de la force. Pourvu que nous le priions, il sera fidèle à tenir sa promesse ; ce qu’il demande de nous, c’est que nous ne restions pas oisifs et inutiles, mais que nous nous exercions sans relâche avec cette armure dont parle saint Paul, dans son sixième chapitre aux Ephésiens. Nous avons un ennemi puissant qui ne connaît point le repos, et Christ nous a enseigné par son exemple que c’est par la prière et par la parole de Dieu que nous devons en triompher. Ainsi donc, par l’amour du Christ qui vous a rachetée de son précieux sang, je vous conjure d’étudier assidûment les saintes Écritures, en suppliant le Seigneur de vous mettre en état de les comprendre. Voyez combien de fois et avec quelle ardeur le grand prophète David adresse à Dieu cette prière : « Seigneur, éclaire-moi ; fais-moi connaître tes voies ; renouvelle en moi un cœur pur. » Nous, au contraire, nous nous dispensons d’étudier et de lire. Paul, cet illustre apôtre, disait aux Philippiens qu’il ne comprenait pas encore, mais qu’il étudiait toujours. Nous devons avancer de jour en jour en la connaissance du Seigneur ; prier continuellement avec les apôtres, afin que notre foi s’accroisse, et dire avec David : « Soutiens mes pas dans tes voies. » Nous devons confesser notre faiblesse, au lieu de l’excuser toujours et de négliger ainsi les remèdes que Jésus-Christ nous a prescrits, savoir : la prière et sa parole. Pensez-vous qu’après avoir tout fait, tout enduré pour l’amour de vous, il ne remplisse pas ses gracieuses promesses en vous accordant la force que vous lui demanderez ? S’il n’avait pas eu intention de vous l’accorder, il ne vous aurait point engagée, par des assurances si multipliées, à la demander. Pour vous ôter toute espèce de doutes à cet égard, il a juré que vous obtiendriez tout ce que vous demanderiez au Père en son nom. Et il ne dit pas qu’il vous donnera telle ou telle chose, mais bien tout ce que vous solliciterez ; et saint Jean déclare qu’il nous enverra tout ce que nous demanderons en conformité avec la volonté de Dieu. N’est-il donc point conforme à cette volonté, que nous implorions la foi et le courage dont nous avons besoin pour pouvoir le confesser ? Ah ! combien nous sommes tièdes et prêts à nous excuser nous-mêmes !

Découvrons notre mal au médecin, afin qu’il nous guérisse. N’est-ce donc pas la fonction spéciale du Christ que de nous laver de nos iniquités, et de détruire le péché ? Frappez, frappez et l’on vous ouvrira. N’oubliez jamais qu’il est tout-puissant, et qu’avant que votre heure arrive, nul ne pourra faire tomber un cheveu de votre tête, car Celui qui est en nous est plus grand et plus fort que le monde. Ne vous laissez pas influencer par ce que fait le plus grand nombre ; mais par ce qu’ont fait et ce que font encore aujourd’hui les saints. Que la parole du Seigneur soit une lampe qui guide vos pas, car si vous ne la lisez point, si vous ne l’écoutez point, vous trouverez bien des pierres d’achoppement dans le monde. Je vous prie de lire cette lettre à Vittoria, de l’exhorter par vos préceptes et par vos exemples à honorer et à confesser Dieu ; lisez aussi avec elle les saintes Écritures. Le Seigneur sait que je vous adresse ces exhortations par un véritable intérêt pour votre salut ; j’espère donc que vous les recevrez dans les mêmes dispositions. Je prie Dieu de vous éclairer et de vous fortifier en Jésus-Christ, de vous faire triompher de Satan, du monde et de la chair, et obtenir la couronne qui n’appartient qu’à ceux qui ont vaincu. Je ne doute nullement qu’en suivant mes conseils, vous ne sentiez la force du Seigneur venir en vous. Ne considérez pas que ce n’est qu’une femme qui vous parle, et soyez assurée que Dieu, parlant par ma bouche, vous invite doucement à vous rapprocher de lui. Toutes les fausses opinions, toutes les erreurs, toutes les disputes viennent uniquement de ce que nous ne mettons pas assez de soin à étudier les Écritures. David dit : « Ta loi m’a rendu plus sensé que tous mes ennemis. » N’écoutez pas ceux qui, au mépris des commandements de Dieu, et des moyens qu’il a employés pour leur salut, disent : Si nous sommes prédestinés, nous serons sauvés, sans qu’il soit nécessaire de prier ou d’étudier la Bible. Celui qui est de Dieu ne proférera jamais un tel blasphème ; il cherchera à plaire au Seigneur et évitera de le tenter. Le Seigneur nous a fait l’honneur et la grâce de nous parler, de nous instruire et de nous consoler par sa parole ; mépriserions-nous un trésor d’un si haut prix ? Il nous invite à nous approcher de lui par la prière, et nous, sans profiter de l’occasion qui nous est offerte, sans sortir de notre inaction, nous nous occupons à discuter sur les conseils secrets de Dieu. Profitons des remèdes qu’il nous a prescrits, et montrons par là que nous sommes des enfants d’obéissance et de prédestination. Lisez et voyez comment Dieu veut qu’on honore sa parole : « La foi, dit Paul, vient de l’ouïe, et l’ouïe de la parole de Dieu. » La charité et la foi s’attiédiront bientôt, je vous assure, si vous demeurez inactifs. Ce n’est pas assez d’avoir commencé, nous dit Jésus-Christ, il faut persévérer jusqu’à la fin. « Que celui qui est debout, dit Paul, prenne garde de tomber ! » Je vous conjure par l’amour de Jésus-Christ de ne point vous borner aux maximes des hommes, mais de vous conduire par la parole de Dieu : qu’elle soit la lampe de vos pieds, autrement Satan pourra vous égarer dans une multitude de voies. Faites part en même temps de ces conseils à ma sœur. Ne considérez jamais qui vous parle, mais examinez si ce qu’on vous dit vient de Dieu ou de l’homme. Si ce sont les Écritures et non l’autorité de l’homme qui vous servent de règle, vous ne manquerez pas de rencontrer le sentier du devoir. Demandez, cherchez, frappez et l’on vous ouvrira. Approchez-vous de l’époux céleste, contemplez-le dans le miroir fidèle et resplendissant de la Bible, où brille toute la science dont vous avez besoin. Fasse le ciel, pour la gloire du Christ, que je ne vous aie pas inutilement écrit ! La rédaction de cette lettre a redoublé mes douleurs de poitrine, mais je donnerais volontiers ma vie pour vous être utile, à vous et aux autres, dans les choses du salut. Un mot seulement pour me faire connaître l’état de votre santé.

Votre Olympia

a giovanni infanzio.

Philothée m’a transmis vos salutations, et je ne puis m’abstenir, en retour de vos bontés pour moi, de vous écrire ces quelques mots, malgré la maladie qui ne cesse pas de m’affliger depuis votre départ. Vos livres et vos lettres m’ont été très agréables. Je vous en remercie de tout mon cœur, et je n’aurais pas tant tardé à le faire, si, comme je l’ai dit déjà, la maladie ne m’en avait ôté la liberté. C’est en effet sur un lit de douleur que votre lettre m’est parvenue, et je n’ai pu encore éprouver de soulagement. J’ignore quel sera mon sort. Je me remets avec une entière confiance aux mains de Dieu, et je désire mourir pour être avec le Christ. Je ne puis en dire davantage, à cause de la fièvre qui me consume sans relâche. Adieu. Priez Dieu pour moi. Mon mari vous salue. Saluez en mon nom ces Italiens qui m’ont adressé leurs salutations dans votre lettre. [Juillet 1555.]

a celio secondo curione.

Ne vous étonnez pas, cher Celio, du long silence que j’ai gardé à votre égard. La cause en est dans le mal qui me consume, et dont vous pourrez juger la violence, quand je vous dirai que j’ai été privée de tout sentiment durant ces derniers jours. Je puis ajouter avec une entière vérité que Dieu m’a retirée comme du fond des enfers, et que j’ai cru, selon l’expression du poète, descendre au séjour des morts et contempler les sombres demeures. » Je commence à peine à revivre aujourd’hui et à éprouver un peu de soulagement. Je veux néanmoins essayer, malgré mon extrême faiblesse, de vous écrire une petite lettre, en témoignage du regret que nous ressentons de ne pouvoir reconnaître dignement les dons que vous nous avez faits. Dites-le à Hérold, en le remerciant de notre part, ainsi que les hommes excellents qui nous ont offert de si beaux ouvrages. La mémoire de leur bonté ne s’effacera jamais de nos cœurs. La peste répand ici l’épouvante. Presque tous les habitants ont déserté la ville. Le fléau n’a fait pourtant, jusqu’à ce jour, que peu de victimes. Nous resterons ici pour vivre ou pour mourir. Notre sort est entre les mains de Celui auquel nous remettons toutes choses avec une entière confiance. Mon mari vous salue. Saluez aussi de ma part votre épouse chérie et vos enfants. Ayez soin de votre santé. Adieu. Heidelberg, 1555.

autres lettres et morceaux divers

andré grunthler a celio secondo curione.

    Cher et savant Celio,

Voyez par combien d’épreuves le Seigneur me fait passer, lui qui, après m’avoir rendu témoin de la ruine de ma patrie, de la perte de mes biens, de la mort de mes amis et de presque tous mes proches, vient de m’ôter encore une épouse chérie, dont la présence pouvait seule me consoler de tout ce que j’ai perdu. Ce dernier malheur, le plus grand de tous, pareil à la vague qui couvre le naufragé, me plonge dans un abîme où rien ne peut adoucir l’amertume de mes maux. Elle a quitté ce monde avec joie, ravie de je ne sais quelle allégresse de la mort qui allait la transporter des angoisses de cette vie au sein de l’éternelle félicité. Le souvenir du temps si heureux et si doux que nous avons passé l’un avec l’autre, n’admet aucune consolation. Elle a vécu avec moi un peu moins de cinq années, et jamais âme plus noble, plus candide, plus sainte n’a brillé sur la terre. Que dirai-je de son savoir, de son admirable piété ? Je ne crois pas avoir besoin de la louer devant vous ; elle vous était assez connue. Je ne veux pas ressembler d’ailleurs à ceux qui louent outre mesure leur propre bien. Je laisse le soin de faire son éloge aux hommes doctes et lettrés, parmi lesquels il s’en trouvera plusieurs, je n’en doute pas, qui voudront payer un juste tribut à sa mémoire, par leurs vers ou par leurs discours. J’y joindrai l’offrande de mes larmes, quand la douleur les laissera enfin couler. Celle que j’éprouve est d’une telle nature, ou plutôt d’un tel excès, que je ne puis pas même pleurer. Mon âme, comme anéantie sous le choc de tant de calamités, ne peut plus même être sensible à de nouveaux coups. Elle demeure plongée dans une muette stupeur. J’essayerai cependant, si je puis en trouver la force, de vous raconter en peu de mots ses derniers instants, et de satisfaire ainsi un pieux désir de votre cœur. Peu d’heures avant sa mort elle se réveilla d’un court sommeil, et sourit comme à je ne sais quelle ineffable vision. Je m’approchai d’elle, et je lui demandai la cause de ce sourire si plein de douceur : « Je voyais, dit-elle, en rêve, un lieu éclairé de la plus brillante et de la plus pure lumière. » Son extrême faiblesse ne lui permit pas d’en dire davantage. « Courage, ô ma bien-aimée, lui répondis-je, tu vivras bientôt dans le sein de cette lumière si pure. » Elle sourit de nouveau, et de la tête fit un léger signe d’assentiment. Un peu après elle dit : « Je suis heureuse, entièrement heureuse ; » et elle cessa de parler, jusqu’au moment où sa vue commença de s’obscurcir. « Je ne vous vois presque plus, dit-elle alors, ô mes bien-aimés, mais les lieux qui m’environnent me semblent parés des plus belles fleurs ! » Ce furent ses dernières paroles. Un instant après elle parut comme ensevelie dans un paisible sommeil, et elle exhala le dernier soupir. Elle avait souvent répété, durant ses derniers jours, qu’elle ne désirait rien tant que de mourir pour être avec le Christ. Elle ne cessait pas de repasser, dans les intervalles de repos que lui laissait la violence de la maladie, les bienfaits de son Sauveur. Elle le bénissait tout particulièrement d’avoir détourné son âme des voluptés du monde, et d’y avoir allumé le saint désir de la vie éternelle. Elle n’hésitait pas dans tous ses discours à se donner le nom d’enfant de Dieu. Rien ne l’affectait plus péniblement que les consolations terrestres, et les vœux que l’on exprimait quelquefois auprès d’elle, pour son heureuse guérison. « Dieu, disait-elle alors, m’a tracé une carrière courte, mais remplie d’épreuves et de tribulations. Maintenant que je touche au terme de ma course, pourrais-je désirer de retourner sur mes pas ? » Un homme pieux lui demanda en ce même temps si sa conscience ne lui adressait aucun reproche ; elle répondit : « Le démon n’a pas cessé un seul jour, depuis sept ans, de travailler à me détourner de la vraie foi ; mais il me semble aujourd’hui qu’il a perdu tous ses traits. Je ne trouve dans mon cœur que la paix de Jésus-Christ. » Il serait trop long d’énumérer les paroles pieuses, saintes et touchantes qu’elle prononça avec une constance invincible, et qui nous pénétrèrent d’admiration. Elle mourut le 26 octobre, à quatre heures de l’après-midi, âgée de moins de vingt-neuf ans.

Elle avait reçu votre lettre à l’époque du dernier marché de Francfort, et malgré son extrême abattement, elle voulut y répondre de sa propre main. Elle fit un peu plus tard quelques changements à sa lettre, et ne pouvant la recopier, à cause de sa faiblesse, elle me chargea de ce soin. Je vous envoie cette page, présage de sa mort prochaine, avec plusieurs psaumes traduits en grec, et un petit nombre de poésies qu’elle avait composées. Elle vous avait écrit déjà, quand je lui rappelai le nom de votre illustre ami Boniface Amerbach : « Tu sais, me répondit-elle, que je lui ai écrit par Hérold, et que je n’ai pas encore reçu sa réponse. Je n’ai rien à ajouter à cette lettre… et d’ailleurs il serait trop tard ! Quand tu écriras à Celio, charge-le de saluer très affectueusement Amerbach en mon nom. »

Je garde toujours son frère Emilio avec moi. Mais je crains qu’il ne fasse peu de progrès, parce que j’ai peu de temps à lui donner, et parce qu’il n’a plus de condisciples pour exciter son émulation. Nos écoles sont désertes. Si vous pensiez, cher Celio, qu’il lui fût plus avantageux d’être auprès de vous, je l’aiderais selon mes ressources, et je serais trop heureux de le voir marcher sur les traces de sa sœur qui a été jusqu’à présent son unique institutrice. J’attendrai votre avis sur ce sujet. Une autre pensée me préoccupe vivement à cette heure : comment annoncer à ma belle-mère une si triste nouvelle ? Cette femme vénérable, déjà éprouvée par tant d’autres afflictions, sera écrasée de ce dernier coup. C’est là ce qui me fait désirer que vous, ô Celio, dont je connais l’éloquence et la piété, vous la prépariez par une lettre à recevoir un message aussi douloureux. Je vous le demande à regret, mais que faire ? et quel autre que vous charger de cette mission ? Je voudrais pouvoir vous rendre quelque bon service en retour, et je m’y emploierais en toute simplicité, mais de tout mon cœur. Je n’ai pas encore lu vos livres : je n’avais, vous le comprenez, qu’une seule pensée, lorsque mon épouse chérie était couchée sur son lit de douleur. Je commencerai cette lecture aussitôt que j’en aurai la force. Je m’appliquerai surtout à méditer votre traité sur le Règne de Dieu, dont j’espère retirer quelque remède à mes maux. Je vous salue, cher Celio, ainsi que ceux que vous aimez. Soyez tous plus heureux que moi ! Adieu. Heidelberg, 20 novembre 1555.

celio secondo curione a lucrezia morata.

Si je vous ai écrit trop rarement, Lucrezia, vous que j’aime comme une sœur, c’est par un triste effet de la rigueur des temps, et non par oubli de vos bontés passées. Je me souviens toujours des bons offices que vous m’avez rendus, du vivant de Fulvio votre mari, lorsque votre toit me servait d’asile. Aussi n’ai-je jamais cessé, en raison de notre ancienne amitié, et malgré notre séparation, de prendre part à tous les événements de votre vie, heureux de vos prospérités et triste de vos épreuves. J’étais encore dans le deuil de la mort de Fulvio que j’avais si tendrement aimé, quand la nouvelle du mariage d’Olympia avec un jeune médecin très instruit, André Grunthler, m’apporta le plus vif contentement. Je me réjouissais de voir une jeune fille, aussi savante que distinguée, unie, par la faveur du ciel, à un jeune homme digne d’elle. Plus tard, lorsqu’ils se rendirent tous deux en Allemagne, elle m’écrivit en invoquant pieusement auprès de moi la mémoire de son père, et je ne cessai pas depuis lors de cultiver son amitié, n’honorant de ce nom que les affections qui se transmettent des pères aux enfants, et qui sont éternelles. Nos relations se resserrèrent de plus en plus ; elle m’écrivait comme à un père ; je lui écrivais comme à la plus tendre des filles, ainsi que nos lettres peuvent le témoigner. La nouvelle de la catastrophe de la ville libre de Schweinfurt me plongea dans une mortelle angoisse, en me faisant craindre qu’Olympia n’eût succombé avec son mari et votre fils Emilio, sous les ruines de cette cité. La mort est toujours la mort, de quelque façon qu’elle arrive ; mais celle qui tranche le cours de la vie par un coup violent et soudain inspire plus d’horreur. Il faut en excepter toutefois la mort des martyrs, qui se dévouent en sacrifice à la cause de la vérité, et dont le sort est si digne d’envie. La mort du juste qui exhale paisiblement son dernier soupir dans les bras de ceux qui lui sont chers, égale presque celle des martyrs ; car elle est moins une mort qu’un doux adieu, et un départ assuré pour le ciel. Mais, qu’ai-je dit ? ô Lucrezia, et n’est-il pas vrai, que le jour où vous vîtes s’éloigner Olympia, son mari et son frère encore enfant ; le jour où ces bien-aimés arrachés de votre sein durent entreprendre un long voyage sur une terre étrangère, cette séparation fut pour vous comme une messagère de la mort ? Ah ! votre cœur dut se briser à la pensée que vous ne reverriez peut-être plus ici-bas cette fille, objet de tant d’affections, et vous pleurâtes d’avance comme perdue celle que la destinée condamnait à vivre si loin de vous ! Plus tard, en apprenant la ruine lamentable de la patrie de votre gendre, vous versâtes des larmes sur le sort de ceux que vous aimiez, comme s’ils n’étaient déjà plus ; et, à cette heure même, si l’un d’eux venait à quitter cette vallée de misères, vous n’éprouveriez pas, en recevant cette nouvelle, une douleur plus poignante que celles que vous avez tant de fois ressenties à cause d’eux. Est-il rien, en effet, chère Lucrezia, de solide sur l’arène mouvante de ce monde, rien qui soit digne d’occuper les désirs du chrétien ? Pour moi, je n’estime plus aucune des choses qui excitent l’admiration des hommes : fortune, dignités, grâce, jeunesse. Mon unique vœu est de quitter ce monde pour être avec Jésus-Christ, ce qui m’est beaucoup meilleur. Tels étaient aussi, je vous assure, les sentiments de votre fille, comme ses lettres m’en ont souvent fourni le témoignage. Le Seigneur a répondu enfin à ses soupirs, et il l’a reçue, non des bras maternels (elle s’en était depuis longtemps détachée, comme un fruit mûr de l’arbre qui l’a nourri), mais des bras du plus tendre des époux, pour la transporter dans la gloire du ciel, parmi les biens seuls dignes de ce nom, qu’elle avait toujours souhaités. Si nous ne regardons qu’à nous, nous ne saurions trop nous affliger de l’avoir perdue ; mais si nous comparons les félicités dont elle jouit avec les misères de cette vie, nous trouverons dans cette comparaison un sujet de consolation pour nous, un sujet d’action de grâces pour elle. Pleurer outre mesure un être chéri n’est pas le propre d’une âme désintéressée, mais d’une âme qui se recherche elle-même dans ses affections. Cette Olympia que nous avons aimée n’est par morte ; elle vit avec Jésus-Christ, immortelle et bienheureuse, recueillie, après les orages de sa destinée, dans le port d’un éternel repos. Elle vit, elle vit dans le ciel, chère Lucrezia, et elle vivra sur la terre tant que les générations humaines s’y succéderont. Elle vivra dans l’impérissable image des écrits qu’elle a laissés, dans la mémoire des hommes savants de tous les âges. La vie n’est pas seulement ce frêle souffle qui anime un corps d’argile : c’est cette existence glorieuse qui s’associe à la durée des siècles, qui se renouvelle avec les générations, qui se perpétue au delà du temps dans l’éternité. Ainsi donc, chère Lucrezia, daignez écouter la voix de la sagesse et de la piété qui parle à votre cœur, en soumettant librement votre volonté à celle de Dieu, en acceptant l’arrêt de la nature qui nous a créés mortels ; en payant, dans une mesure juste et sainte, un tribut de regrets à la mémoire de votre fille, de celle que nous honorerons toujours dans ses parents, et dont le souvenir nous rendra l’Italie encore plus chère. Les talents d’Olympia, son savoir, sa piété, sa grâce et sa foi, seront célébrés à jamais par la bouche des hommes. Que ces pensées modèrent votre légitime douleur, et vous empêchent de verser plus de larmes qu’une mère chrétienne ne doit en répandre ! Adieu. Bâle, 1er janvier 1556.

celio secondo curione a andré grunthler.

Les paroles me manquent pour exprimer la douleur que m’a fait éprouver la lecture de la lettre, par laquelle vous m’annoncez la mort de celle que j’aimais d’un sentiment unique et presque religieux, tant à cause de la mémoire de son noble père, qu’à cause des beaux talents et de l’admirable piété dont elle était ornée. Je sais tout ce qu’était votre affection pour elle, ce qu’elle est aujourd’hui encore envers cette mémoire chérie, et l’inexprimable déchirement que vous a causé ce départ. Mon affection pour Olympia différente de la vôtre, n’est pas moindre cependant : vous pleurez en elle l’épouse la plus tendre, et moi la plus chère des filles ; les larmes que la nature vous fait verser, coulent aussi de mes yeux ; mais elles viennent d’une source non moins pure, la charité. Pleurons sur nous, puisqu’ainsi l’ordonne la douleur, mais ne pleurons pas sur elle, puisqu’elle a quitté cette vie avec tant d’allégresse, avec une foi si assurée dans les promesses de son Dieu ; ou plutôt soyons heureux des félicités dont elle jouit, témoignant ainsi, dans le culte que nous rendons à ses vertus, qu’elle nous est plus chère que nous-mêmes. Tout en nous affligeant de l’avoir perdue, souvenons-nous que cette perte n’est un mal que pour nous, et qu’ainsi, nous affliger outre mesure serait le propre d’une affection qui se recherche trop elle-même dans l’objet qu’elle pleure. Ne serait-ce pas d’ailleurs méconnaître les devoirs de notre profession chrétienne, et douter des biens éternels qui lui sont maintenant échus en partage ? Je ne connais pas de pensée plus consolante dans la douleur, et je ne doute pas que vous n’ayez éprouvé, comme moi, ces consolations saintes dont la foi seule possède le secret.

J’ai écrit à votre belle mère, selon votre désir, et j’ai essayé de la consoler, ainsi que vous le verrez par la lettre que je vous envoie, après l’avoir traduite de l’italien en latin, pour qu’elle pût être imprimée. J’ai résolu, en effet, de publier les écrits que j’ai conservés d’Olympia, en y joignant les portraits et les éloges consacrés à sa mémoire par un grand nombre de savants ; et cette publication serait déjà terminée, si les imprimeurs de Bâle n’étaient en ce moment surchargés de travail. J’ai écrit moi-même, non une épitaphe, mais une sorte d’hymne funèbre en l’honneur d’Olympia, que j’ajouterai à ses lettres, à quelques-unes des miennes et à la vôtre touchant sa mort, afin que ces monuments divers réunis s’élèvent en témoignage de sa vie. Si vous possédez encore quelques-uns de ses écrits qui me soient inconnus, ou si vous pouvez en retrouver des fragments auprès de quelques amis, je vous prie instamment de me les transmettre au plus tôt, afin que je puisse les insérer dans le recueil de ses œuvres.

J’ai réfléchi à votre demande touchant votre beau-frère Emilio, et voici ma réponse : Je pense que vos écoles sont rouvertes en ce moment, ou qu’elles seront prochainement réorganisées par les soins de votre nouveau prince, dont je connais le zèle pour les lettres et la religion. S’il en était autrement, et si la restauration de vos écoles devait encore être ajournée, je vous demanderais, comme une faveur, de me confier cet enfant auquel je donnerais tous mes soins avec joie. Ecrivez-moi donc au plus tôt pour me dire ce que l’on doit espérer pour votre académie, et ne craignez pas de me donner dans votre lettre tous les détails que vous avez omis dans la précédente, touchant Olympia. Nos messagers sont fidèles et sûrs. Un jour peut-être nous serons réunis ici-bas ; je le désire de toute mon âme. En vous voyant, je croirais revoir celle que nous avons perdue. Adieu. Bâle, 15 mars 1556.

Ma femme vous salue ainsi que votre petit frère Emilioj.

j – Cette lettre arriva trop tard à Heidelberg. Grunthler et Emilio n’étaient déjà plus quand elle fut écrite.

Confession de foi d’Olympia

Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a livré pour lui son fils unique à la mort : Le Fils a tellement aimé le monde, qu’il a rendu volontairement pour lui le dernier soupir sur une croix. Celui qui met sa confiance en Jésus-Christ, le prince de la paix, vivra éternellement.

Vœu d’Olympia.

Je désire mourir, parce que je sais le secret de la mort. Je désire mourir, pour être avec Jésus-Christ, et retrouver en lui l’éternelle vie.

Pensées d’Olympia.

Le prix de la vie n’est pas dans la science, mais dans la lutte et l’épreuve : ainsi, dans les jeux Olympiques, ce n’est pas le plus beau et le plus brillant athlète que l’on couronne, mais celui qui combat et sort vainqueur de l’arène.

Comme de suaves émanations purifient un lieu souillé, ainsi l’odeur de nos péchés est effacée par le parfum qui s’exhale de la mort de Jésus-Christ, et qui monte comme un agréable encens jusqu’au trône de Dieu.

Telle est l’infirmité de l’homme et la faiblesse de son esprit, que de lui-même il ne peut s’élever à la contemplation des choses éternelles. Pendant qu’elle est enfermée dans la prison du corps, notre âme condamnée à ramper sur la surface de la terre, ne perçoit que les objets terrestres. Ta sagesse, ô Dieu, peut seule abaisser les hauteurs des cieux, et rendre perceptibles à nos regards les objets célestes. Par elle nous apprenons à te plaire et à t’obéir.

Éloge d’Olympia Morata, par Théodore De Bèze.

A Dieu ne plaise que je t’oublie, Olympia, toi qui t’es acquis un nom immortel par tes vertus, ton rare savoir, si fort au-dessus de ton sexe, dans les lettres grecques et latines, et ta merveilleuse facilité à écrire en prose ou en vers. Tu vécus pure et sans tache, avec une telle ardeur au service de Dieu que tu préféras aux jeunes gens de ta nation qui te demandaient en mariage, un étranger, natif de la Germanie, mais pieux et digne de toi. Tu n’hésitas pas à le suivre, loin de Ferrare, à la recherche d’une terre où vous pussiez professer librement ensemble la doctrine de la vérité. Ainsi tu te rendis à Schweinfurt, ville natale de ton mari, et là, les horreurs de la guerre, les souffrances d’un long siège, le sac d’une malheureuse cité prise d’assaut, la perte de tous tes biens, à la réserve d’une chemise en lambeaux avec laquelle tu t’enfuis à travers champs, ne purent te détourner du service de Jésus-Christ que tu avais embrassé de toutes les forces de ton âme. Ce charitable Sauveur te rendit deux fois, contre toute espérance, le mari que tu avais perdu, et te conduisit avec lui à Heidelberg. Atteinte dès lors d’un trait fatal, et consumée par une lente maladie, tu quittas cette terre, pour monter au vrai mont Olympe après lequel tu n’avais cessé de soupirer, à peine âgée de vingt-neuf ans, laissant derrière toi ton mari André Grunthler qui devait te suivre et te rejoindre bientôt après.

Hymne funèbre en l’honneur d’Olympia Morata,
par C. S. Curione.

Sais-tu pourquoi ces lieux sont jonchés de fleurs, et exhalent le parfum des violettes et des lis ? Ecoute, et je te le dirai. Tu connais les trois Grâces et les neuf Muses, si célèbres dans les poèmes de l’antiquité. Tout ce que la nature et l’art réunis à l’éclat de la science peuvent produire de beau, sous l’inspiration d’un souffle descendu du ciel, tel est l’apanage de ces vierges immortelles. Celle que, dans une pieuse illusion, tu crois peut-être endormie dans ce tombeau, est la dixième des Muses et la quatrième des Grâces. Fille du ciel par la poésie, elle reçut le nom d’Olympia. Fulvia fut le second de ses noms, parce qu’éprouvée, dans le cours d’une orageuse destinée, au creuset du malheur, elle fut trouvée plus pure que l’or, ou parce qu’à l’exemple de l’aigle vivant dans les régions de la lumière, elle s’envola bientôt d’ici-bas. Enfin la noblesse de ses talents, unie à l’intégrité de sa vie et à la sainteté de ses mœurs, lui valut le surnom de Morata. Le Christ, son divin maître, ne fit que la montrer un instant à la terre, et il la vit à peine languir des tristesses de l’exil, qu’il la rappela au ciel en l’unissant à lui par les liens d’un indissoluble amour. Elle est entrée maintenant dans le repos, et elle goûte les joies de l’éternelle félicité. Passant, qui que tu sois, puisses-tu vivre des jours plus longs sur cette terre, dans le culte des vertus qui te rendront heureux à jamais !

Épitaphes.

Unis durant leur vie par les liens d’un tendre amour, la mort même ne put longtemps les séparer l’un de l’autre. Le corps de Grunthler repose à côté de celui d’Olympia. Leur âme est au ciel !

Chilian Sinapi.

Court est l’espace assigné à la vie des justes : leurs jours s’évanouissent comme une ombre, tandis que ceux des méchants se prolongent au delà du terme ordinaire. Ainsi le veut le Seigneur. Il rappelle bientôt à lui ceux qu’il aime, pour leur donner une place dans le séjour de la divine lumière ; il use de patience envers les méchants, pour leur laisser le temps de se repentir, avant l’heure de sa justice. Olympia était au nombre de ses bien-aimés ; elle n’a fait que passer dans ce monde, qui n’était pas digne de la posséder plus longtemps. Pourquoi la pleurer, ô vous qui l’avez connue ? Elle est retournée dans sa véritable patrie. Ange exilé sur la terre, elle a repris sa place parmi les anges.

Jean Sinapi.

note chronologique.

Il nous reste à justifier, en peu de mots, la chronologie particulière que nous avons adoptée, dans le récit de la vie d’Olympia Morata.

Les lettres d’Olympia, publiées après sa mort, sans ordre, sans date, quelquefois même avec des dates fautives intercalées sans doute par l’éditeur, devaient donner lieu à un grand nombre de confusions et d’erreurs. Celles que nous avons à signaler portent principalement sur l’époque du mariage d’Olympia, et de son départ d’Italie. De Thou place le premier de ces événements en Allemagne ; et si, comme l’a fait Niceron, on rapproche cette opinion d’une lettre adressée à Jean Sinapi par son élève (Augsbourg, 1548 ?) on sera conduit, ainsi que l’a été Tiraboschi, à regarder cette année comme l’époque probable du départ d’Olympia pour l’Allemagne.

Mais l’opinion de l’historien de Thou, si peu vraisemblable en elle-même, est formellement contredite par un passage de Lilio Giraldi qui parle, dans un de ses dialogues, du mariage d’Olympia et de Grunthler, comme d’un fait récemment accompli à Ferrare. Elle l’est bien plus encore par la correspondance des deux époux, que nous avons citée. La lettre sur laquelle s’appuie Niceron, porte d’ailleurs une date inexacte, comme le prouvent plusieurs autres lettres écrites ultérieurement par Olympia (Ferrare, 1549). Elle n’avait donc pas encore quitté l’Italie. A quelle époque placer son départ, et les principaux événements qui l’ont précédé ?

Un passage d’une lettre de Grunthler fournit une réponse à cette question, et par conséquent un point fixe à la chronologie qui nous occupe. Olympia mourut, ainsi que l’atteste son inscription funèbre, le 26 octobre 1555 ; et Grunthler annonçant à Curione la nouvelle de la mort de sa femme, ajoute qu’ils n’avaient pas vécu ensemble cinq années, indication précise qui reporte l’époque de leur mariage à la fin de l’an 1550, et celle de leur commun départ, après une séparation de quelques mois, à l’an 1551.

La date de la mort de Peregrino Morato est fixée avec non moins de certitude, par un passage d’une lettre de sa fille à Curione, où elle raconte les épreuves de sa jeunesse, qui ne se prolongèrent pas, dit-elle, au delà de deux ans. Son heureuse union avec Grunthler en marqua le terme. Elle avait donc perdu son père en 1548. La date des événements antérieurs étant bien connue, il n’y a pas lieu à la justifier ici.

Tels sont les points principaux qui nous ont paru, après une étude attentive, dégagés de toute controverse. Tels sont aussi les motifs de l’ordre chronologique que nous avons suivi, dans la vie d’Olympia Morata, et dans l’appendice qui en est le complément.

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