La Pèlerine

LA PÈLERINE

CHAPITRE VI

Christiana et Miséricorde sont, à leur grande joie, instruites par leur guide Grand Cœur sur la justification par la foi.

Je les vis alors, dans mon rêve, poursuivre leur route, précédées par Grand Cœur, jusqu'à l'endroit où le fardeau de Chrétien tomba de ses épaules et roula dans le sépulcre. Ils y firent une halte et bénirent Dieu.

— Il me revient maintenant à l'esprit ; dit Christiana, ce qu'on nous a dit à la porte, à savoir que nous obtiendrions le pardon en parole et en action ; en parole, c'est-à-dire par la promesse ; en action, par la manière dont il a été obtenu. — Ce qu'est la promesse, j'en sais quelque chose; mais ce qu'est le pardon en action, oui la manière dont il a été obtenu, vous devez le savoir, Monsieur Grand Cœur, et je vous prie de nous en entretenir.

— Le pardon en action, répondit Grand Cœur, est le pardon obtenu par une personne pour une autre qui en a besoin. Ainsi — pour traiter la question plus à fond — le pardon que vous et Miséricorde et ces garçons avez reçu, a été obtenu par un autre, par Celui qui vous a reçus à la porte. Et il l'a obtenu de cette double manière : il a accompli la justice pour vous en revêtir, et il a versé son sang pour vous laver.

— Mais, s'il nous donne sa justice, que lui restera-t-il pour lui-même ? demanda Christiana.

— Il possède plus de justice qu'il n'est nécessaire pour vous et pour lui-même.

— Rendez-moi cela plus clair, je vous en prie.

— De tout mon cœur. Mais auparavant, je dois d'abord affirmer que Celui dont nous allons parler n'a pas son semblable. Il a deux natures en une seule personne ; on les distingue aisément, mais on ne peut les séparer. Chacune de ces natures possède une justice qui lui est essentielle, de telle sorte qu'on pourrait plus facilement exterminer une de ces natures que la séparer de sa justice. Nous ne possédons pas ces justices, par conséquent nous ne pouvons pas être justes, ni vivre saintement. En outre, cette personne possède encore une autre justice propre à ses deux natures réunies en une seule. Et ce n'est pas la justice de sa divinité en tant que distincte de celle de son humanité, ni la justice humaine distincte de la justice divine, mais une justice qui appartient à l'union des deux natures et qui peut-être appelée la justice essentielle à l'Etre préparé par Dieu à exercer l'office de Médiateur. S'il se sépare de sa première justice, il se sépare de sa divinité; s'il se sépare de la seconde, il se sépare de son humanité ; s'il se sépare de la troisième, il se sépare de cette perfection qui le rend capable de l'office de Médiateur. Aussi a-t-il une autre justice, qui consiste en une obéissance à une volonté révélée ! c'est cette justice dont il revêt les pécheurs et qui couvre leurs péchés. C'est pourquoi il est dit : « Comme par la désobéissance d'un seul homme, beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul, beaucoup sont rendus justes » (Romains 5.19).

— Mais les autres justices ne sont elles d'aucune utilité pour nous ? demanda Christiana.

— Oui, en ce sens que si elles sont essentielles à ses natures et à son office, et ne peuvent être communiquées à d'autres, c'est cependant par leur vertu que la justice qui justifie est rendue efficace. La justice de sa divinité donne la puissance à son obéissance ; la justice de son humanité donne à son obéissance le pouvoir de justifier, et la justice qui réside dans l'union de ses deux natures pour qu'il puisse remplir son office, donne autorité à cette justice pour faire l'œuvre à laquelle elle est appelée. Il y a donc une justice dont Christ, en tant que Dieu, n'a pas besoin, car il est Dieu sans elle ; il y a une justice dont Christ, en tant qu'homme, n'a pas besoin, puisque sans elle, il est un homme parfait ; enfin, il y a une justice dont Christ, en tant que Dieu Homme n'a pas besoin ; car, sans elle, il est parfaitement dieu et homme tout à la fois.

Il y a encore une justice dont Christ, comme Dieu, et comme Dieu Homme n'a pas besoin pour lui-même et qu'il peut donner. C'est pourquoi on l'appelle « le don de la justice » (Romains 5. 17). Cette justice, depuis que le Seigneur Jésus-Christ s'est placé lui-même sous la loi, doit être donnée à d'autres, car la loi n'oblige pas seulement celui qui est sous sa domination à agir justement, mais à user de charité. Elle lui ordonne, s'il a deux habits, d'en donner un à celui qui n'en a point. Et, en réalité, on peut dire que notre Seigneur a deux vêtements, un pour lui-même, et un qu'il peut donner. Et c'est ainsi que vous, Christiana, et vos garçons, et Miséricorde, devez votre pardon à une action, à une œuvre faite par un autre homme. Votre Seigneur Jésus-Christ est celui qui a fait cette action, et il donne ce qu'il a acquis aux premiers pauvres mendiants qu'il rencontre.

Mais, encore une fois, pour pardonner par un acte, il faut que quelque chose soit offert à Dieu comme une rançon et que quelque chose soit aussi préparé pour vous couvrir. Le péché nous a livrés à la juste malédiction d'une loi juste. Nous devons maintenant être délivrés de cette malédiction par une rédemption : un prix doit être payé pour le mal que nous avons commis, et ceci a eu lieu quand le sang de notre Seigneur a coulé. Il est venu, il s'est tenu en notre lieu et place, et il est mort pour nos transgressions. I1 nous a ainsi rachetés de nos péchés par son sang, et il a couvert de sa justice nos âmes souillées et déformées. C'est par égard pour cet acte que Dieu nous sera propice quand il viendra pour juger le monde (Romains 8.34; Galates 3.13).

Que c'est beau ! s'écria Christiana. Maintenant je vois qu'on peut apprendre quelque chose du pardon par la parole et par l'action. Chère Miséricorde, travaillons à graver cela dans nos esprits, et vous, mes enfants, souvenez-vous en aussi. Mais, Monsieur, ne serait-ce pas ce qui a fait tomber le fardeau des épaules de mon cher mari, et qui lui fit faire trois sauts de joie ?

— Oui, c'est la foi en ce pardon qui a rompu ses liens, qui ne pouvaient être rompus autrement, et c'était pour qu'il eût la preuve de la vertu du sang de Christ, qu'il dut porter son fardeau jusqu'à la croix, répondit Grand Cœur.

— C'est bien ce que je pensais, car, quoique mon cœur fut léger et joyeux auparavant, il l'est dix fois plus encore, maintenant. Et je suis persuadée par ce que j'ai éprouvé — quoique j'aie éprouvé peu de chose encore jusqu'à présent — que si l'homme le plus chargé du monde était ici, voyait ce que je vois et croyait ce que je crois, son cœur serait heureux et satisfait.

— La vue et la considération de ces choses ne nous apportent pas seulement la consolation et la délivrance de notre fardeau, dit Grand Cœur, mais elles produisent en nous un tendre amour; car, qui pourrait, croyant que le pardon ne vient pas seulement par une promesse, mais par un fait, ne pas être touché des moyens par lesquels il a été racheté, et reconnaissant envers celui qui a payé sa rançon.

— Cela est vrai ; cela fait saigner mon cœur de penser qu'il a versé son sang pour moi. O toi ! qui aimes ainsi, sois béni ! Tu as le droit de me posséder, car tu m'as payée dix mille fois plus que je ne vaux ! Il n'y a rien d'étonnant à ce que cela ait amassé des larmes dans les yeux de mon mari et qu'il ait fait allègrement son voyage. Je sais qu'il aurait voulu m'avoir avec lui, mais, misérable que j'étais ! je l'ai laissé aller seul. O Miséricorde ! combien j'aimerais que ton père et ta mère fussent ici, et Madame Timorée aussi. De tout mon cœur, je souhaiterais que Madame Volupté y fût également. Sûrement, sûrement leurs cœurs seraient touchés ; ni les craintes de l'une, ni les fortes passions de l'autre, ne pourraient les persuader de retourner en arrière, ni les empêcher de devenir de fidèles Pèlerines.

— Vous parlez maintenant dans tout le feu de votre amour, dit Grand Cœur. Croyez-vous qu'il en sera toujours ainsi ? Cet amour n’est pas communiqué à tous, pas même à ceux qui ont vu couler le sang de Jésus. Il y en a qui se tenaient tout près de lui, qui ont vu son sang se répandre sur le sol, et qui, loin de se lamenter et d'être émus, se sont moqués de lui. Au lieu de devenir ses disciples, ils ont endurci leurs cœurs contre lui. Ainsi tout ce que vous ressentez, mes filles, provient d'une impression particulière produite sur vous par la divine méditation de ce que je vous ai dit. Souvenez-vous aussi de ce qui vous a été dit : la poule, par son gloussement habituel, ne donne aucune nourriture à ses poussins. Ce que vous possédez, vous, a été donné par une grâce spéciale.

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