La Pèlerine

LA PÈLERINE

CHAPITRE VIII

Les Pèlerins trouvent un asile temporaire agréable dans la maison du Portier. Les enfants sont instruits d'après la Parole de Dieu.

Les Pèlerins arrivèrent en vue de la loge du Portier du palais Plein-de-Beauté, et l'atteignirent bientôt. Ils se hâtèrent d'y parvenir parce qu'il est dangereux de voyager de nuit dans cet endroit.

Quand ils furent tous devant la porte, le guide heurta, et le Portier cria :

— Qui est là ?

Mais aussitôt que le guide eut répondu : « C'est moi ! » il reconnut sa voix et descendit, car Grand-Cœur était déjà souvent venu accompagner des pèlerins.

Quand il fut descendu, le Portier ouvrit la porte, et voyant le guide sur le seuil — car il n'apercevait pas les femmes qui étaient derrière lui — il lui dit :

— Eh bien, Monsieur Grand-Cœur, qu'est-ce qui vous amène ici, si tard ?

— J'accompagne, répondit-il, quelques pèlerins qui, sur l'ordre de mon Seigneur, doivent loger ici. Je serais arrivé plus tôt si je n'avais été arrêté par le géant qui secondait les lions. Mais, après un long et périlleux combat, je l'ai vaincu, et j'ai amené les pèlerins sains et saufs jusqu'ici.

— Ne voulez-vous pas entrer et rester jusqu'au matin ?

— Non, je dois retourner ce soir vers mon Seigneur, répondit Grand-Cœur.

— Oh ! Monsieur, dit Christiana, je ne sais si c'est sans regrets que vous nous quittez avant la fin de notre pèlerinage, mais vous avez été si fidèle et si affectueux envers nous, vous avez combattu si vaillamment pour nous, et vous nous avez donné de si utiles conseils, que je n'oublierai jamais la bonté que vous nous avez témoignée.

— Oh ! si nous avions pu avoir votre compagnie jusqu'à la fin de notre voyage ! s'écria Miséricorde. Que feront deux pauvres femmes comme nous dans un chemin si plein de périls et de difficultés, sans ami et sans défenseur ?

Jacques, le cadet des garçons, ajouta :

— Je vous en prie, Monsieur, laissez-vous persuader de venir avec nous et d'être notre guide. Nous sommes si faibles, et le chemin est si dangereux !

— Je suis aux ordres de mon Seigneur. S'il me commandait d'être votre guide jusqu'à la fin, je prendrais volontiers soin de vous. Mais vous avez commis, une faute, dès le commencement. Quand il m'a ordonné de vous accompagner jusqu'ici, vous auriez dû lui demander de me laisser aller avec vous jusqu'au bout, et il vous aurait accordé votre demande. Maintenant, je dois me retirer; ainsi, chère Christiana, Miséricorde, et vous, mes braves enfants adieu !

Alors le Portier, Monsieur Vigilant, demanda à Christiana des détails sur son pays et sur sa parenté. Elle lui répondit :

— Je viens de la cité de Destruction. Je suis veuve ; mon mari est mort, il se nommait Chrétien le Pèlerin.

— Comment ! s'écria le Portier, Chrétien était votre mari ?

— Oui, et voici ses enfants. Celle-ci, dit-elle en montrant Miséricorde, est une de mes compatriotes.

Alors le Portier sonna la cloche, comme il doit le faire en pareil cas, et une des jeunes filles, nommée Humilité, accourut à son appel. Le Portier lui dit :

— Va avertir les habitants de la maison que Christiana, la femme de Chrétien, et ses enfants, sont ici en pèlerinage.

Elle rentra pour porter ce message. Et l'on entendit des cris de joie, dès qu'elle eut annoncé la nouvelle.

Les habitants de la maison vinrent en hâte à la, loge, car Christiana se tenait encore à la porte. Quelques-uns des plus sérieux, lui dirent :

— Entre, Christiana, entre, toi la femme de ce brave homme; entre femme bénie, ainsi que ceux qui sont avec toi !

Elle entra donc, suivie de ses enfants et de sa compagne. On les conduisit dans une grande chambre, et on les pria de s'asseoir. Le Maître de la maison fut appelé, afin qu'il les vit et leur souhaitât la bienvenue. Les autres habitants entrèrent aussi, et les saluèrent d'un baiser, en disant :

— « Soyez les bienvenus, vaisseaux de la grâce de Dieu ! soyez les bienvenus parmi nous qui sommes vos amis fidèles ! »

Comme il était tard, et que les Pèlerins étaient fatigués de leur voyage et épuisés par la vue du combat et des lions, ils manifestèrent le désir de se livrer au repos le plus vite possible.

Non, dirent les membres de la famille, restaurez-vous d'abord avec un morceau de viande.

Car on avait préparé pour eux, un agneau avec une sauce appropriée (Exode 12.8 ; Jean 1.29). Le Portier, prévenu de leur arrivée, l'avait annoncée aux habitants de la maison.

Quand les Pèlerines eurent soupé, et terminé leur prière par un psaume, elles demandèrent à aller se reposer.

— Si je ne suis pas indiscrète en présentant cette requête, dit Christiana, j'aimerais bien dormir dans la chambre que mon mari a occupée lorsqu'il est venu ici.

On les fit donc monter, et tous dormirent dans la même chambre. Quand elles furent au lit, Christiana et Miséricorde s'entretinrent ensemble.

— Je pensais peu, dit la première, lorsque mon mari partit en pèlerinage, que je le suivrais une fois !

— Et vous ne pensiez guère que vous coucheriez dans son lit et reposeriez dans sa chambre comme vous le faites maintenant, dit Miséricorde.

— Et je m'attendais encore moins à revoir son heureux visage et à adorer le Seigneur, le Roi, avec lui comme je crois cependant que je le ferai.

— Ecoutez ! n'entendez-vous pas du bruit ?

— Oui, il me semble que c'est le son d'une musique qui fête notre arrivée dans ce lieu.

— Que c'est merveilleux ! dit Miséricorde : Musique dans la maison, musique dans notre cœur, et musique aussi dans le ciel pour fêter notre séjour ici !

Elles causèrent ainsi pendant un moment, puis se disposèrent à dormir. En se réveillant, le lendemain matin, Christiana dit à Miséricorde :

— Pourquoi avez-vous ri en dormant, cette nuit ? Je suppose que vous avez fait un rêve ?

— Effectivement, et c'était un doux rêve ; mais êtes-vous bien sûre que j'aie ri ?

— Oui, vous riiez de bon cœur. Mais je t'en prie, Miséricorde, raconte-moi ton songe.

— Je rêvais que j'étais assise, seule, dans un lieu solitaire, et que je me lamentais sur la dureté de mon cœur. Je n'étais pas assise depuis longtemps, lorsque je crus voir beaucoup de gens m'entourer, me regarder, et écouter ce que je disais. Tandis qu'ils écoutaient, je continuais à me lamenter sur la dureté de mon cœur. Quelques-uns se moquèrent de moi, d'autres me traitèrent de folle, d'autres, enfin, se jetèrent sur moi. Il me sembla alors que je regardai en haut, et je vis quelqu'un, qui avait des ailes, se diriger de mon côté. Il vint droit à moi, et me dit : « Miséricorde, qu'est-ce qui te tourmente ? » Quand il eut entendu mes plaintes, il me dit : « La paix soit avec toi ! » Il essuya mes yeux avec son mouchoir et me revêtit d'argent et d'or. Il mit un collier autour de mon cou, des boucles à mes oreilles, et une superbe couronne sur ma tête. Puis il me prit par la main, et dit : « Miséricorde, viens avec moi ! » Il partit ; et je le suivis jusqu'à ce que nous fussions arrivés à une porte d'or. Il frappa, et quand on nous eut ouvert, il entra, et je le suivis jusqu'au trône sur lequel était assis quelqu'un qui me dit : « Sois la bienvenue, ma fille ! »

L'endroit était brillant et étincelant comme les étoiles, ou plutôt comme le soleil, et je crois que j'ai vu là votre mari. Alors, je me suis réveillée. Mais ai-je vraiment ri ?

— Certainement, et c'est naturel puisque vous vous trouviez si bien. Car vous me permettrez de vous dire que c'était un bon rêve.

Comme vous avez vu la première partie se réaliser, vous verrez aussi l'accomplissement de la seconde. « Dieu parle, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, et l'on n'y prend point garde. Il parle par des songes, par des visions nocturnes, quand les hommes sont livrés à un profond sommeil » (Job 33.14-15). Il n'est pas nécessaire, quand nous sommes au lit, de rester éveillés pour parler avec Dieu, il peut nous visiter pendant notre sommeil et nous faire entendre sa voix. Notre cœur veille souvent, tandis que nous dormons, et Dieu peut lui parler par des mots, par des proverbes, par des signes et des paraboles aussi bien que si l'on était éveillé.

— Eh bien, je suis contente de mon rêve, dit Miséricorde, car j'espère le voir réalisé avant peu, et je rirai encore de bon cœur !

— Je crois qu'il est grand temps de nous lever, ajouta Christiana, et de savoir ce que nous devons faire.

— Si l'on nous invite à demeurer quelque temps ici, acceptons volontiers cette offre, je vous en prie. J'aimerais ne pas partir tout de suite, afin d'avoir le temps de faire la connaissance de ces jeunes filles: Je trouve que Prudence, Crainte-de-Dieu et Charité ont l'air d'être aimables et sensées.

— Nous verrons ce qu'elles nous diront, répondit Christiania.

Quand les deux amies furent levées et habillées; elles descendirent, et on leur demanda comment elles avaient passé la nuit, et si elles s'étaient confortablement reposées.

— J'ai passé une excellente nuit, dit Miséricorde ; c'est un des meilleurs logements pour la nuit que j'aie eus de ma vie.

Alors Prudence et Crainte-de-Dieu dirent :

—Si vous voulez vous laisser persuader de rester ici pendant quelque temps, vous aurez ce que la maison, peut vous offrir de meilleur.

— Certainement, et nous vous l'offrons de bon cœur, ajouta Charité.

Les Pèlerins consentirent et demeurèrent là un mois, et même davantage ; ils profitèrent beaucoup de leurs rapports avec les habitants de la maison.

Prudence, désirant se rendre compte de la manière dont Christiana élevait ses enfants, lui demanda la permission de les interroger. Elle y consentit volontiers.

Commençant par le plus jeune, Prudence lui dit :

— Viens ici, Jacques ; peux-tu me dire qui t'a créé ?

— Dieu le Père, Dieu le Fils, et Dieu le St-Esprit, répondit l'enfant.

— Bien, mon garçon. Et peux-tu me dire qui t'a sauvé ?

— Dieu le Père, Dieu le Fils, et Dieu le St-Esprit.

— Très bien. Mais comment Dieu le Père te sauve-t-il ?

— Par sa grâce.

— Comment Dieu le Fils te sauve-t-il ?

— Par sa justice, sa mort, son sang et sa vie.

— Et comment Dieu le St-Esprit te sauve-t-il ?

— Par sa lumière, sa régénération et sa protection.

Alors Prudence dit à Christiana :

— Vous méritez des éloges pour la manière dont vous élevez vos enfants. Je suppose, que je n'ai pas besoin de poser les mêmes questions aux autres, puisque le plus jeune peut y répondre si bien. Je vais m'adresser maintenant à l'avant-dernier.

— Viens, Joseph ; veux-tu que je t'interroge aussi ?

— De tout mon cœur.

— Qu'est-ce que l'homme ?

— Une créature raisonnable, créée par Dieu, comme mon frère l'a dit.

— Que signifie le mot sauvé ?

— Que l'homme, par le péché, s'est placé lui-même dans un état de captivité et de misère.

— Que veut dire : être sauvé par la Trinité ?

— Que le péché est si grand et un tyran si puissant, que personne ne peut nous arracher à son étreinte, sauf Dieu, et que Dieu est si bon et nous aime tant, qu'il nous sort de ce misérable état.

— Quel est le but de Dieu en sauvant les pauvres hommes ?

— La glorification de son nom, de sa grâce, de sa justice, etc., et le bonheur éternel de sa créature.

— Quels sont ceux qui doivent être sauvés ?

— Ceux qui acceptent son salut.

— Tes réponses sont bonnes, Joseph. Ta mère t'a bien instruit, et tu as écouté ce qu'elle t'a enseigné.

Alors Prudence dit à Samuel, le second des garçons :

— Viens, Samuel, veux-tu que je t'interroge aussi ?

— Oui, certainement, si cela vous plaît.

— Qu'est-ce que le ciel ?

— Un lieu et un état bienheureux, parce que l'on s'y trouve avec Dieu.

— Qu'est-ce que l'enfer ?

— Un. lieu et un état très malheureux, parce que c'est la demeure du péché, du diable et de la mort.

— Pourquoi désires-tu aller au ciel ?

— Pour voir Dieu, et le servir sans lassitude ; pour voir Christ et l'aimer éternellement ; pour avoir en moi la plénitude de l'Esprit dont je ne puis jouir ici-bas.

— Tu as aussi très bien répondu ; et tu as retenu les enseignements qui t'ont été donnés, dit Prudence.

Ensuite, elle s'adressa à l'aîné, qui se nommait Matthieu, et lui dit :

— Viens, Matthieu ; puis-je aussi t'interroger ?

— Très volontiers.

— Je te demande, alors, s'il a existé quelqu'un ou quelque chose avant Dieu ?

— Non, car Dieu est éternel. Rien n'a existé, sauf lui, jusqu'au commencement du premier jour. Car « en six jours, Dieu créa le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment ».

— Que penses-tu de la Bible ?

— C'est la sainte Parole de Dieu.

— Peux-tu comprendre tout ce qu'elle renferme ?

— Non, bien des passages sont incompréhensibles pour moi.

— Que fais-tu quand tu arrives à un de ces passages ?

— Je pense que Dieu est plus sage que moi. Je lui demande aussi de me faire connaître tout ce qui est pour mon bien.

— Que penses-tu de la résurrection des morts ?

— Je crois que les morts ressusciteront, qu'ils conserveront leur personnalité, mais délivrée de la corruption. Je crois cela pour deux raisons : premièrement, parce que Dieu l'a promis ; secondement, parce qu'il a la puissance de le faire.

Alors Prudence dit aux garçons :

— Vous devez toujours écouter votre mère, car elle vous enseignera encore d'autres choses. Vous devez aussi prêter une oreille attentive à toutes les bonnes choses que d'autres personnes vous diront. Observez aussi, soigneusement, ce que les cieux et la terre ont à vous enseigner ; mais surtout, méditez ce livre qui a été la cause du départ de votre père en pèlerinage. Pour ma part, je vous enseignerai, mes enfants, tout ce que je pourrai, pendant votre séjour ici, et je serai heureuse si vous me posez des questions tendant à votre édification.

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