Visions du Ciel et de l'Enfer

10. Un Athée en enfer

Nous n'étions pas allés beaucoup loin que déjà, nous en entendions un autre qui se tourmentait et accroissait sa propre misère en pensant au bonheur des âmes rachetées.

Notre attention fut détournée de prêter l'oreille plus longtemps aux douloureuses réflexions personnelles de cette pauvre créature perdue en voyant un grand nombre de démons frappant sans arrêt une troupe nombreuse d'âmes misérables avec des fouets à noeuds d'acier brûlant ; tandis qu'ils rugissaient avec des cris si perçants et si lamentables, je pensais qu'un peu de pitié pourrait être mêlée à la cruauté elle-même, ce qui me fit dire à un des bourreaux : « Oh ! arrête ta main, et n'agis pas aussi cruellement envers ceux qui sont vos camarades, et que, peut-être, vous avez vous-mêmes entraînés dans toute cette misère ! »

« Non, répondit le tourmenteur, très poliment ; bien que nous soyons suffisamment mauvais, aucun démon, cependant, ne l'est autant qu'eux, ni ne s'est rendu coupable d'autant de crimes que ceux-ci. Car nous savons tous qu'il y a un Dieu, bien que nous le haïssions. Mais ceux-ci n'ont jamais voulu reconnaître (tant qu'ils ne sont pas venus ici) qu'il y avait un tel Être ».

« Alors, dis-je, ce sont des athées. Une misérable sorte d'hommes, vraiment et qui aurait aimé me perdre, si la Grâce éternelle ne l'avait évité ».

J'avais à peine fini de parler que l'un des malheureux torturés cria d'un accent plein de tristesse : « Assurément, je connais cette voix ce doit être Epenetus ».

Je fus étonné d'entendre prononcer mon nom par quelqu'un de la troupe infernale ; c'est pourquoi, désireux de savoir qui c'était, je répondis : « Oui, je suis Epenetus ; mais qui es-tu, dans ce triste état de perdition, pour que tu me connaisses ? »

L'inconnu damné répondit : « Je t'ai bien connu sur la terre, et je t'avais presque persuadé de partager mon opinion. Je suis l'auteur du livre célèbre dont le titre est si bien connu : Léviathan ».

« Quoi ! le grand Hobbs dis-je. Es-tu ici ? Ta voix est si changée que je ne l'ai pas reconnue ».

« Hélas ! répondit-il, je suis cet homme malheureux, en vérité. Mais je suis si loin d'être grand que je suis l'un des plus misérables en ces territoires couverts de suie. Rien d'étonnant que ma voix soit changée, car maintenant, je suis changé dans mes principes, mais trop tard pour que ce changement m'apporte un bien. Car maintenant, je sais qu'il y a un Dieu. Mais, oh ! je souhaiterais qu'il n'existât pas, car je suis sûr qu'il n'aura pas pitié de moi, et il n'y a pas de raison pour qu'il en éprouve. Je confesse que je fus son ennemi sur la terre, et maintenant, Il est le mien en enfer. C'est cette malheureuse confiance que j'ai eue dans ma sagesse propre qui m'a conduit Ici ».

« Ta situation est misérable et, cependant, il est nécessaire et juste que tu souffres. Car, combien tu as été habile à persuader les autres et ainsi à les inclure dans la même damnation ! Personne ne peut le savoir plus que moi, qui ai presque été pris au piège, risquant d'être perdu à jamais ».

« C'est cela, dit-il, qui me perce le coeur, quand je pense à tous ceux qui se sont perdus à cause de moi. J'ai eu peur, d'abord, quand j'ai entendu ta voix, que tu sois frappé du même châtiment. Non pas que je puisse désirer le bonheur de quelqu'un, car c'est ma plaie de penser que certains sont heureux tandis que je suis, moi, misérable ; mais parce que chaque âme conduite ici, séduite qu'elle a été par mes écrits pendant qu'elle était sur terre, redouble mes souffrances en enfer ».

« Mais, dis-moi, car je suis bien aise d'être renseigné, et tu peux le faire : croyais-tu vraiment, quand tu étais sur la terre, qu'il n'y avait pas de Dieu ? As-tu pu imaginer que le monde s'était fait lui-même ? et que les créatures s'étaient produites elles-mêmes ? N'as-tu pas entendu quelques chuchotements dans ton âme te dire qu'un autre t'avait fait, et non pas toi-même ? Et n'as-tu jamais eu aucun doute sur cette question ? J'ai souvent entendu dire que, bien que beaucoup professent qu'il n'y a pas de Dieu, pas un ne le pense ; et il serait étrange que, parce qu'il n'y en a pas un, qu'ils puissent porter en eux un témoin pour ce Dieu qu'ils nient. Tu peux dire si c'est oui ou non, et tu n'as plus de raison, maintenant, pour celer tes sentiments ».

« Je ne le désire pas non plus, Epenetus, répondit-il, bien que mes remords soient renouvelés quand je pense à ces choses. Au début, j'ai cru qu'il y avait un Dieu, mais plus tard, tombant dans le péché et dans la mauvaise conduite qui m'exposaient à sa colère, j'eus quelque espoir secret que Dieu n'existait pas. Car Il est impossible de concevoir qu'il y ait un Dieu sans penser en même temps qu'il est juste et droit, et, en conséquence, qu'Il est obligé de punir ceux qui transgressent Sa loi.

Ceci étant, j'avais conscience d'être moi-même exposé à Sa justice, ce qui me le fit haïr, et me fit désirer qu'il n'existât pas. Mais continuant de me conduire mal, et trouvant que la justice ne m'atteignait point, je commençai d'espérer qu'il n'y ait vraiment pas de Dieu ; cet espoir me conduisit à forger dans ma conscience des idées conformes à ce que je souhaitais. Et ainsi, ayant organisé dans ma propre pensée un nouveau système de l'origine du monde excluant dès lors l'existence d'une Divinité, je me trouvai si fier de ces notions nouvelles qu'elles s'accréditèrent dans mon esprit qui s'efforça alors de les imposer à l'esprit des autres. Mais avant d'atteindre à un tel degré, je dois avouer que je trouvai plusieurs objections dans ma propre conscience à ce que je faisais et, de temps en temps, j'étais troublé par des pensées étranges et inquiétantes, comme si je trouvais en fin de compte, que tout n'était pas bien, pensée dont je m'efforçais de me débarrasser dans la mesure de mes moyens. Et maintenant, je trouve que ces pensées d'objection qui peuvent m'avoir été utiles alors, sont ici ce qui me tourmente le plus. Et je dois avouer que l'amour du péché endurcit mon cœur contre mon Créateur et me le fit nier tout d'abord, et ensuite, nier son existence.

Le péché auquel j'étais si intimement attaché dans mon cœur a été la cause maudite de tout ce malheur, le serpent qui a piqué mon âme à mort. Car, maintenant, et en dépit de ma vaine philosophie, je découvre qu'il y a un Dieu. Je trouve aussi à présent qu'on ne doit pas se moquer de Dieu, bien que, dans le monde, j'aie eu l'habitude de me moquer journellement du ciel et de ridiculiser les choses sacrées, moyen que j'employais pour répandre autour de moi mes idées maudites, moyen toujours couronné de succès. Car ceux à qui j'ai réussi à inspirer le mépris des choses sacrées ont toujours considéré que j'étais dans le droit chemin de sorte qu'ils sont devenus mes disciples. Mais maintenant, en pensant à cela, j'éprouve de plus grands tourments que ceux que m'infligent les fouets d'acier brûlant.

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