Le voyage du Pèlerin

4. Le Pèlerin reçoit dans la maison de l'Interprète des instructions pour son voyage

Chrétien poursuivit sa route, et arriva à la maison de l'Interprète. Il dut frapper plusieurs fois à la porte avant qu'on vînt lui ouvrir. Enfin quelqu'un demanda :

— Qui est là ?

— Monsieur, répondit Chrétien, je suis un voyageur envoyé ici par une connaissance du maître de la maison. Je désire recevoir des instructions qui sont nécessaires à mon voyage ; puis-je parler à votre maître ?

Celui qui était venu ouvrir appela le maître de la maison qui, un moment après, vint recevoir Chrétien, et s'informer de ce qu'il désirait :

— Monsieur, dit le Pèlerin, je suis un homme qui vient de la ville de Destruction et se dirige vers la montagne de Sion : celui qui se tient à la porte d'entrée de ce chemin m'a dit que si je venais ici, vous me montreriez des choses merveilleuses qui me seraient très utiles pour mon voyage.

— Entrez, dit l'Interprète, je vais vous montrer ce qui vous sera profitable.

Il commanda alors à son serviteur d'allumer une chandelle, puis il ordonna à Chrétien de le suivre dans un appartement particulier. Lorsque la porte s'ouvrit, Chrétien vit, suspendu au mur, le portrait d'un homme remarquable.

Ses yeux étaient levés vers le ciel ; dans ses mains, il tenait le meilleur des livres; la loi de vérité était écrite sur ses lèvres, et le monde se trouvait derrière lui. Il avait l'attitude de quelqu'un qui plaide avec les hommes, et une couronne d'or était suspendue au-dessus de sa tête.

Que représente ce portrait ? demanda Chrétien.

— Cet homme est un entre mille. Il peut engendrer des enfants, (1 Corinthiens 4:15) être en travail pour les enfanter, (Galates 4:19) et les nourrir lui-même, après les avoir mis au monde. Le fait qu'il a les yeux levés au ciel, le meilleur des livres dans sa main et la loi de vérité sur les lèvres, signifie qu'il doit faire connaître les choses cachées aux pécheurs : c'est pourquoi il plaide avec eux. Et le fait qu'il a le monde derrière son dos et une couronne d'or suspendue au-dessus de sa tête, signifie qu'il méprise les choses présentes pour servir uniquement son maître, assuré qu'il est d'avoir la gloire du siècle à venir pour récompense.

Je t'ai fait voir ce tableau en premier lieu, parce que l'homme qu'il représente est le seul que le Seigneur du pays où tu te rends ait autorisé à te servir de guide dans toutes les difficultés que tu pourras rencontrer sur ton chemin. C'est pourquoi prends bien garde à ce que je viens de te montrer, et conserve fidèlement dans ta mémoire ce que tu as vu, de crainte que tu ne tombes entre les mains de certaines gens qui prétendraient te conduire, mais dont les sentiers mènent à la mort.

Il le prit ensuite par la main, et le conduisit dans une grande salle pleine de poussière, parce qu'elle n'était jamais balayée. Lorsque Chrétien l'eut considérée un instant, l'Interprète appela un homme pour qu'il la balayât. Mais la poussière s'éleva avec une telle abondance, que Chrétien en fut presque suffoqué. L'Interprète ordonna alors à une jeune fille qui se tenait près de là d'apporter de l'eau et d'en arroser le plancher, qu'on put ensuite nettoyer promptement et sans peine.

— Que signifie ceci ? demanda Chrétien.

— Cette salle, dit l'Interprète, représente le cœur d'un homme qui n'a encore jamais été purifié par la grâce de l'Evangile. La poussière, c'est le péché qui souille l'homme tout entier. Celui qui a balayé le premier, c'est la Loi ; celle qui a apporté l'eau et l'a répandue sur le plancher, c'est l'Evangile. Le fait que la poussière s'est élevée de tous côtés et t'a presque étouffé, sans que la chambre ait été nettoyée, signifie que la Loi, loin de pouvoir purifier le coeur de l'homme, par ses œuvres, ne fait que rendre le péché plus vivace et plus puissant ; elle l'augmente à mesure qu'elle l'interdit, et ne donne aucune force pour le surmonter. (Romains 7.9 ; 1 Corinthiens 15.56 ; Romains 5.20).

La jeune fille que tu as vue répandre. l'eau dans la salle, et qui, par ce moyen, a réussi à la nettoyer complètement, t'offre une image de ce qui se passe quand l'Evangile entre dans un cœur avec ses douces et bienfaisantes influences. Le péché est alors vaincu et surmonté comme la poussière l'a été par l'eau ; le cœur est purifié par la foi et le Roi peut y faire sa demeure.

Je vis ensuite, dans mon rêve, que l'Interprète prit Chrétien par la main et le conduisit. dans une petite chambre où deux enfants étaient assis. L'aîné se nommait Passion, et l'autre Patience.

Passion paraissait mécontent, mais Patience était très paisible. Chrétien demanda quelle était la cause du mécontentement de Passion. L'Interprète lui répondit :

— Son maître veut qu'il attende ses meilleurs dons jusqu'à l'année prochaine, et lui voudrait les avoir tout de suite, tandis que Patience attend volontiers.

Alors je vis quelqu'un s'approcher de Passion et lui offrir un sac plein de choses précieuses, qu'il vida à ses pieds. L'enfant se hâta de les ramasser et d'en jouir, tout en se moquant de Patience. Mais je remarquai qu'au bout de très peu de temps, il eut tout dissipé, et qu'il ne lui resta plus que des chiffons et des guenilles.

— Expliquez-moi, je vous prie, ces choses plus en détail, demanda Chrétien à l'Interprète.

— Passion est l'emblème des hommes de ce monde, et Patience celui des hommes du monde futur. Tu as vu que Passion veut tout posséder immédiatement, dans ce monde ; il en est de même des mondains ; ils veulent jouir de tous les biens dans cette vie ; ils ne peuvent pas attendre à l'année prochaine, c'est-à-dire jusqu'au siècle à venir, pour recevoir leur part de bonheur. Ce proverbe : « Un oiseau dans la main vaut mieux que deux dans le bocage » a plus de valeur pour eux que tous les témoignages divins sur les biens du monde futur. Mais, comme tu as remarqué que Passion a tout dissipé en très peu de temps, et sans qu'il lui soit resté quelque chose de valeur, il en sera de même à la fin du temps présent pour tous ceux qui ne vivent que pour ce monde.

— Je vois maintenant que Patience est beaucoup plus sage, à tous égards ; il attend des biens meilleurs, aussi sera-t-il heureux et glorieux, alors que son compagnon sera honteux et confus.

— Tu peux encore ajouter ceci : c'est que la gloire du siècle à venir ne se flétrira jamais, tandis que celle de ce monde passera. C'est pourquoi Passion n'a pas autant sujet de se moquer de Patience, parce qu'il n'aura ses biens que plus tard, que celui-ci en aurait de se moquer de lui. Celui qui obtient tout de suite ce qu'il y a de meilleur, n'a plus rien à attendre pour l'avenir, tandis que celui qui sait attendre patiemment a ses biens encore en perspective, et en jouira alors que l'autre ne pourra plus prétendre à rien. C'est pourquoi il a été dit au mauvais riche : « Tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare a eu des maux pendant la sienne ; maintenant, il est ici consolé, et toi, tu souffres. » (Luc 16.25)

— Je comprends donc, dit Chrétien, que ce qui vaut le mieux, ce n'est pas de désirer posséder les choses actuelles, mais d'attendre celles qui sont à venir.

— Tu as raison, car « les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles. » (2 Corinthiens 4.18) Mais quoiqu'il en soit ainsi, notre nature charnelle aime les choses visibles, tandis que les choses invisibles lui sont étrangères. C'est pourquoi nous recherchons de préférence les premières, en nous éloignant des secondes.

Ensuite, je vis dans mon songe l'Interprète prendre Chrétien par la main, et le conduire dans un lieu où un feu brûlait contre un mur.


Où un feu brûlait contre un mur.

Un homme se tenait près de ce feu et essayait de l'éteindre en jetant beaucoup d'eau dessus. Cependant, loin de diminuer, le feu augmentait plutôt.

— Que signifie ceci ? demanda Chrétien.

— Ce feu, répondit l'Interprète, est l'œuvre de la grâce dans le cœur. Celui qui essaye de l'éteindre en jetant de l'eau dessus, c'est le diable ; mais tu as remarqué qu'il n'y parvient pas, et que le feu brûle plus fort ; tu vas en connaître la raison. Alors il le conduisit derrière le mur, où il vit un homme qui tenait dans sa main un vase plein d'huile qu'il versait continuellement, mais secrètement, sur le feu.

— Que signifie encore ceci ? demanda Chrétien. L'Interprète lui répondit :

— C'est Christ qui répand sans cesse l'huile de sa grâce dans le cœur pour entretenir l'œuvre qu'il y a commencée. Malgré tous les efforts du diable, les âmes de ceux qui lui appartiennent restent sous son influence. S'il se tient caché derrière le mur pour entretenir le feu, c'est pour t'enseigner que dans les grandes tentations il est parfois difficile de comprendre comment l'œuvre de la grâce est entretenue dans une âme.

Je vis alors l'Interprète prendre encore Chrétien par la main et le conduire dans un endroit agréable où se trouvait un magnifique palais, très beau à voir. Chrétien fut dans l'extase ; il remarqua, au faîte du palais, quelques personnes qui marchaient, vêtues d'habillements d'or.

— Pouvons-nous entrer ? demanda Chrétien.

Sans lui répondre, l'Interprète le conduisit vers la porte du palais, où se trouvait une multitude de personnes qui avaient envie d'entrer, mais ne l'osaient pas. A peu de distance de la porte, un homme était assis; il avait devant lui une table, sur laquelle était un livre et un encrier, et devait inscrire le nom de tous ceux qui entraient.

Sur la porte se tenaient plusieurs hommes armés, résolus à tuer tous ceux qui tenteraient de forcer le passage. Chrétien fut un peu effrayé. Cependant, tandis que tous reculaient devant ces gardiens, il vit s'approcher un homme de belle prestance qui alla vers celui qui était assis devant la table et lui dit : « Ecris mon nom. » Puis il tira un sabre, mit un casque sur sa tête et fondit sur les guerriers qui essayaient de le repousser avec fureur. Mais cet homme, loin d'être découragé, se jeta sur eux et les frappa de toutes ses forces, de telle façon, qu'après avoir reçu lui-même plusieurs blessures, et blessé ceux qui voulaient l'empêcher d'entrer, il réussit à forcer le passage et à s'introduire dans le palais. A l'instant, on entendit à l'intérieur une voix douce, à laquelle se joignirent les voix de ceux qui se promenaient au faîte du palais, entonner ce cantique :

Courage ! entrez dans ce palais de gloire !
C'est ici le séjour de l'immortalité,
Où vous allez jouir du fruit de la victoire
Pendant toute l'Eternité.

Dès que cet homme fut entré, on le vêtit d'habits magnifiques comme ceux que portaient les habitants du palais. Chrétien sourit et dit :

— Je crois que je comprends ce que cela signifie. Laissez-moi entrer.

— Non, dit l'Interprète, attends encore un peu : j'ai d'autres choses à te montrer, puis tu continueras ton voyage.

Il le prit de nouveau par la main, et le conduisit dans une chambre très obscure, où se trouvait un homme enfermé dans une cage de fer. Cet homme paraissait très triste ; ses yeux étaient fixés sur le sol, ses mains étaient jointes, et il soupirait comme si son cœur allait se briser.

— Qui est cet homme ? dit Chrétien.

— Demande-le lui, répondit l'Interprète.

— Qui donc es-tu ?

— Je suis ce que je n'ai pas toujours été, dit l'homme.

— Qu'étais-tu donc, auparavant ?

— J'étais autrefois un habile et savant professant, à mes yeux comme à ceux d'autrui. Je me croyais bien préparé pour le royaume céleste, et je me réjouissais beaucoup d'y entrer.

— Et qui es-tu maintenant ?

— Je suis un homme désespéré, et je n'ai aucun espoir de sortir de mon désespoir, pas plus que je n'en ai de m'échapper de cette cage. Oh ! si je pouvais !

— Mais comment es-tu tombé dans ce misérable état ?

— J'ai oublié d'être sobre et de veiller ; j'ai lâché la bride à mes passions ; j'ai méprisé les enseignements de la Parole et la bonté de Dieu ; j'ai contristé le Saint-Esprit, et il m'a abandonné ; j'ai ouvert la porte au diable, il s'est emparé de moi; j'ai provoqué la colère de Dieu, et il m'a délaissé. Mon cœur est tellement endurci que je ne puis plus me repentir.

— N'y a-t-il plus aucun espoir pour cet homme ? demanda Chrétien à l'Interprète.

— Aucun, lui fut-il répondu.

— Pourquoi ? le Fils du Miséricordieux n'est-il pas plein de pitié ?

— Je l'ai crucifié de nouveau, (Hébreux 6.4-6) je l'ai méprisé ainsi que sa justice, je l'ai foulé aux pieds, j'ai regardé comme vil le sang de l'alliance et outragé l'Esprit de la grâce, (Hébreux 10.29) c'est pourquoi je me suis exclu moi-même de toutes les promesses ; il ne me reste plus qu'à attendre que les terreurs du jugement et l'ardeur d'un feu qui dévorera les rebelles comme moi.

— Quelles choses as-tu donc convoitées pour que tu te sois laissé devenir ce que tu es afin de les posséder ?

— L'amour des richesses, des plaisirs et des joies de ce monde, dont je me promettais tant de jouissance et de satisfaction. Maintenant, chacune de ces choses me dévore comme un ver rongeur.

— Ne peux-tu donc te repentir et te convertir de nouveau ?

— Dieu me refuse le repentir; sa parole n'a plus d'effet sur moi ; lui-même m'a enfermé dans cette cage de fer et aucun homme ne peut me délivrer. O éternité ! éternité ! quels tourments me réserves-tu ?

L'Interprète dit alors à Chrétien :

— Souviens-toi toujours du malheur de cet homme et qu'il soit pour toi un éternel avertissement !

— Oh ! que c'est effrayant ! Que Dieu m'aide à veiller, à être sobre, à prier, afin que je ne tombe jamais dans une semblable misère ! Mais, n'est-il pas temps que je continue mon voyage ?

— J'ai encore une chose à te montrer, puis tu pourras partir. L'Interprète prit la main de Chrétien et le conduisit dans une grande chambre où un homme sortait de son lit. Tout en s'habillant, il tremblait, en proie à la frayeur.

— Pourquoi cet homme tremble-t-il ainsi ? demanda Chrétien.

— Il te le dira lui-même, répondit l'Interprète.

— J'ai eu un songe cette nuit, et j'ai vu un ciel très obscur, sillonné d'éclairs ; le tonnerre grondait si fort que je fus épouvanté. Les nuages fuyaient avec une vitesse extraordinaire, et j'entendis un grand bruit de trompettes. Je vis aussi un homme, assis sur une nuée et environné des armées des cieux. Tout était en feu ; les cieux mêmes étaient embrasés ! Puis j'entendis une voix qui criait : « Morts, levez-vous et venez pour être jugés ! » Les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent et les morts en sortirent : quelques-uns d'entre eux étaient remplis de joie et levaient la tête, d'autres tâchaient de se cacher sous les montagnes. Alors, je vis celui qui était assis sur les nuées ouvrir un livre et commander à tous de comparaître devant lui.. Toutefois, une flamme qui sortait devant lui, maintenait une distance entre lui et eux, comme entre le juge et les personnes qui sont à la barre. J'entendis aussi crier à ceux qui servaient celui qui est assis sur les nuées : « Assemblez l'ivraie, la paille et le chaume et jetez-les dans l'étang ardent ! » (Matthieu 13.50)

A ces mots, l'abîme s'ouvrit, tout près de l'endroit où je me trouvais, et il en sortit beaucoup de fumée et des charbons ardents, avec un bruit épouvantable. Il fut encore commandé aux mêmes serviteurs : « Amassez le froment dans le grenier. » (Luc 3.17)

Aussitôt, plusieurs furent enlevés et emportés dans les nues, mais je fus laissé en arrière. Je cherchai à me cacher, toutefois je ne le pus, car l'homme qui était assis sur les nuées tenait son regard fixé sur moi ; mes péchés me revinrent à la mémoire, et ma conscience se mit â m'accuser sans relâche. A ce moment, je me suis réveillé.

— Qu'est-ce qui vous a tellement effrayé ? demanda Chrétien.

— Je croyais que le jour du jugement était arrivé, et je n'étais pas prêt à l'affronter. Mais ce qui m'épouvanta le plus, ce fut de voir les anges emporter un grand nombre de personnes, et me laisser en arrière ; puis l'abîme de l'enfer s'ouvrir à côté de moi. Ma conscience aussi me condamnait ; le juge avait les yeux braqués sur moi, et sa contenance témoignait son indignation.

L'Interprète dit alors à Chrétien :

— As-tu bien considéré toutes ces choses ?

— Oui, elles me remplissent, à la fois, d'espoir et de crainte.

— Eh bien, ajouta l'Interprète, qu'elles soient toujours présentes à ta mémoire, afin qu'elles te servent d'aiguillon pendant tout le temps que durera ton voyage.

Alors Chrétien ceignit ses reins et se disposa à poursuivre sa route.

— « Que le Consolateur soit toujours avec toi ! » cher Chrétien, et « qu'Il te guide dans le chemin qui conduit à la Cité, » lui dit l'Interprète en le quittant.

Chrétien continua son voyage en chantant :

Que de choses surprenantes
Se présentent à mes yeux !
Et qu'on trouve dans ces lieux
De merveilles ravissantes !

Que de tristesse et d'horreur,
Que de bonheur et de joie,
Pour empêcher le pécheur
De s'endormir dans sa voie !

Grâce à ce digne Interprète,
Qui m'instruit si sagement !
Que ne puis-je dignement
D'une faveur si parfaite

Reconnaître le bienfait,
Et plutôt que par science
En acquérir par effet
La sublime connaissance !

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