Commentaire sur les Actes des Apôtres

PRÉFACE

Au très illustre Prince Monseigneur Nicolas Badziwil, Duc en Olira, Palatin de Vilne, grand Maréchal du grand duché de Lithuanie, et Chancelier, etc., Jean Calvin, salut

Pour ce que j’ai ôté d’ici les noms des deux Rois auxquels j’avais premièrement dédié ces Commentaires, de peur qu’aucuns à faute d’être bien informés ne viennent à m’en blâmer et reprocher quelque légèreté, il m’est besoin de rendre brièvement la raison pourquoi je l’ai fait. Car comme ainsi sait que la mémoire du père qui est maintenant décédé me sait en grande recommandation, comme il mérite, et que je porte aussi à son fils telle révérence qu’il faut : j’ai toutefois été contraint d’ôter leurs noms en cette seconde édition, à cause de l’importunité d’aucuns, lesquels ayant une haine forcenée contre moi, ont grand-peur que la majesté de ces deux Rois ne rende aucunement mes écrits plus agréables, et pourtant colportent qu’ils n’ont pas pris plaisir que leur nom fut mêlé parmi ce livre où je traite parfois de la doctrine des Sacrements, laquelle ils n’approuvent pas. S’ils disent vrai ou non, je m’en rapporte, à ce qui en est : et aussi il ne m’en chaut pas beaucoup : vu qu’en cela je n’avais cherché ni mon profit, ni quelque faveur particulière pour ma personne. Mais pour ce que ce me serait une chose malséante et honteuse, qu’en lieu que mes écrits trouvent assez de gens qui d’eux-mêmes sont enclins à les lire et y prennent plaisir, je m’amusasse à les présenter obstinément a ceux qui n’en veulent point : j’ai estimé qu’il serait bon maintenant de déclarer que jamais mon intention ne fut telle : mais seulement que j’ai espéré plus d’humanité de ce côté-là qu’on ne m’a montré. Tant y a que personne ne peut avoir occasion de se scandaliser, si quand les gens dédaignent le service et honneur que je leur fais, je reprend mes pièces afin de ne leur être plus en mépris, et les laisse jouir de leurs mignardises qu’ils goûtent tant, et en lesquelles ils se baignent.

Cependant ce n’est pas sans cause que pour remplir la place de ces deux-là je vous ai choisi et me suis adressé à vous, Prince très excellent. Car premièrement je vous estime très digne duquel le nom apparaisse et sait renommé au bâtiment spirituel du temple de Christ : et puis aussi je ne fais point de doute que vous ne montriez autant de gracieuseté envers mon livre, qu’il vous a plu me déclarer par les lettres que vous m’avez écrites pleines de douceur et humanité. Mais laissant pour maintenant le regard particulier de ma personne, et l’amour que vous me portés, j’insisterai sur l’autre point : je puis à bien bon droit appliquer à votre personne le propos qui s’adressait à celui auquel j’avais premièrement dédié ce livre. Or ce n’est pas mon but de magnifier ici vos vertus excellentes, pour lesquelles vous êtes venu en grand crédit et autorité envers le Roi de Pologne, plutôt je prétend de coucher le propos par manière d’exhortation, de laquelle la somme reviendra là, que comme du commencement vous avez en grande joie de cœur embrassé la pure doctrine de l’Evangile, comme aussi vous avez jusques à présent montré une merveilleuse magnanimité à maintenir le vrai service de Dieu, vous montrez la même constance à poursuivre en cette sainte course jusques à la fin. Il est vrai est que c’a été une grande vertu à vous, quand sachant bien qu’il n’y avait rien de plus mal venu, ni même de plus odieux envers beaucoup de gens, que de faire franchement profession de la pure religion, et s’en montrer zélateur, néanmoins sitôt que la claire lumière de la vérité de l’Evangile de Christ vous a été présentée, vous n’avez point fait de difficulté d’encourir la mauvaise grâce et haine de tous ceux-là, en vous rangeant du parti de celle-ci. Aussi ce n’est pas une chose qui mérite petite louange, de ce que vous n’avez cessé de vous employer et faire tout devoir, pour entretenir et même accroître et avancer ces premiers commencements de l’Eglise de Pologne. Combien que telle diligence n’étant guère agréable communément, vous valut beaucoup de haine de la part de plusieurs grands du royaume. Mais pour ce qu’il vous reste encore des difficultés qui ne sont pas moindres, il est besoin que de plus en plus vous preniez bon courage pour les surmonter, jusqu’à ce que vous soyez parvenu au but de votre course. Et ce tant plus attentivement vous convient-il faire, d’autant qu’il se trouve plusieurs Princes, lesquels combien qu’ils voient l’état de l’Eglise être vilainement corrompu et renversé, n’osent toutefois essayer aucun remède pour y pourvoir : pour ce que quand il est question de mettre les corruptions hors de leur possession ancienne de laquelle elles ont joui paisiblement, ils craignent que la nouveauté et le changement ne mette en danger et eux et leur pays : et cette appréhension les retarde et empêche de faire leur devoir. Les autres estiment que c’est folie de mettre la main aux maladies, lesquelles (comme ils disent) sont incurables. D’autres aussi par une malignité je ne sais quelle, refusent et ont en horreur toute réformation. Mais ce serait une chose superflue de m’amuser à vous faire un long récit des empêchements que vous avez tout à l’entour de vous, vu que vous-mêmes les connaissez fort bien. Toutefois, quelques assauts que Satan vous présente, et quelques combats qu’il vous livre, si ne faut-il que jamais vous vous lassiez de cette sainte condition de guerroyer, laquelle vous avez promis de suivre sous l’enseigne de Christ. Et combien que de vous-mêmes vous vous y employez fort volontairement, j’espère toutefois que vous ne prendrez point mal à gré, et ce ne vous sera chose inutile, que l’heureuse course de votre prompte affection soit aidée et avancée par cette exhortation que Dieu vous présente comme par ma main. Autant de fois qu’il semble en ce monde que les choses aillent en confusion et pêle-mêle, il est impossible de trouver meilleur appui ni plus certain, pour établir et affermir les consciences, que quand en nous proposant devant les yeux le règne de Christ, tel qu’on le peut voir maintenant en ce monde, nous considérons de quelle sorte et nature il a été dès le commencement, et quel a été l’état et la condition de celui-ci.

Or quand on parle du règne de Christ, nous avons deux choses principalement à regarder, à savoir la doctrine de l’Evangile, par laquelle Christ assemble son Eglise, et par laquelle aussi il la gouverne l’ayant assemblée. En après, la compagnie des fidèles, lesquels étant conjoints ensemble par la directe foi de l’Evangile, sont vraiment estimés le peuple de Christ. De tous les deux S. Luc dans les actes des apôtres nous dépeint expressément un portrait naïf : ce qu’il vaut mieux que chacun connaisse en lisant tout le livre, que de s’en arrêter à mon dire, ou d’autre quelconque. Car bien qu’il sait certain que dès le premier commencement du monde le Fils de Dieu a toujours régné, toutefois depuis qu’étant manifesté en chair il a fait publier son Evangile, lors il a commencé à dresser son siège royal beaucoup plus magnifique que jamais, dont encore aujourd’hui il se montre haut élevé à qui le considère. Si là nous dressons nos yeux, ils seront repus non point d’une peinture vaine (ce que Virgile dit de son Eneas) mais d’une bonne et ferme connaissance des choses lesquelles il nous faut chercher la vie. Et pour retourner à mon premier propos, on trouvera ici une très bonne retraite pour assurer les consciences, et où elles pourront consister paisibles entre ces orages et tempêtes bruyantes, desquelles le monde est aujourd’hui agité. Bref, cette seule méditation fera que ce qui a été anciennement dit par Ennius, et bien à la vérité, de la plus grande part des hommes (comme on le connaît par trop d’expériences) ne nous adviendra jamais : à savoir que prudence et sagesse sont affichées extérieurement, mais disparaissent, chaque fois que l’on procède par violence. Car si l’accord des flûtes a eu si grande efficace envers les Lacédémoniens, lors même que la bataille était embrasée, qu’il adoucissait la fureur et hardiesse excessive qui était naturelle à ce peuple belliqueux, et modérait l’impétuosité laquelle en tels affaires se montre excessive, même dans les esprits qui autrement sont d’un naturel doux et débonnaire : combien mieux et avec plus grande efficace fera cela par l’harmonie et mélodie céleste du saint Esprit, le règne de Christ, lequel non seulement apprivoise les bêtes farouches et cruelles, mais aussi de loups, lions, et ours en fait des agneaux, lequel convertit les lances en des faux et change les épées et harnais en instruments de labourage ? Comme ainsi sait donc, ô Prince très excellent, que je vous présente une modération telle que requiert la nécessité des temps, j’ai bonne espérance que de votre grâce et débonnaireté vous ne prendrez point mal à gré mon service en cet endroit, comme de fait vous sentirez que c’est un moyen pour nous conformer bien utile et propre, que d’avoir les yeux dressés à ce commencement de l’Eglise, tel que S. Luc ici le décrit : auquel d’un côté reluit et la vertu admirable de Dieu, sous l’ignominie de la croix, et une constance incroyable des serviteurs de Dieu, pressés d’un merveilleux fardeau de grandes incommodités et fâcheries : et d’autre côté se montre le fruit de toutes les deux, en l’avancement de l’Evangile plus grand que jamais on n’eut su croire ni penser.

Mais laissant pour maintenant les autres points, lesquels il vaut mieux qu’on comprenne par la lecture même de l’histoire de S. Luc, je toucherai seulement ce qui concerne spécialement les Princes terriens, et les grands gouverneurs des royaumes et pays : à savoir, que vu que lors que la toute puissance du monde était contraire, et que tous ceux qui gouvernaient employaient toutes leurs forces à éteindre l’Evangile, de pauvres gens en petit nombre, étant de basse condition et méprisés, n’ayant armes, ni autres semblables moyens humains, s’appuyant sur la seule force de la vérité de Dieu, et la vertu de l’éprit, ont travaillé si courageusement à épandre d’un côté et d’autre la semence de la foi de Christ, et ne se sont épargnés pour travail ou danger quelconque : et nonobstant tous les combats qui se sont présentés ont persisté fermes, jusqu’à ce que finalement ils demeurassent victorieux. Les Princes et gouverneurs Chrétiens qui ont prééminence entre les peuples, puisque Dieu leur a mis le glaive en la main, pour maintenir et défendre le règne de son Fils, n’ont point d’excuse, s’ils ne se montrent pour le moins aussi courageux et constant à s’acquitter d’une commission tant honorable. Au reste, quant à la fidélité et dextérité d’interpréter que j’ai eu en ce livre, ce n’est pas à moi d’en parler. Tant y a que j’espère que ce mien labeur sera utile en commun à toute l’Eglise. Mais quant à vous, Prince très excellent, il m’est besoin de recommencer encore derechef à vous prier, et même requérir et supplier instamment, que vous veilliez en votre particulier à vous ranger et adonner du tout à la domination de Christ, comme vous avez déjà de longtemps commencé bienheureusement : et puis qu’à l’endroit de tant de nobles personnages, lesquels et la grandeur de race et l’excellence des vertus rend honorables, vous soyez non seulement une bonne aide, mais aussi vaillant porte-enseigne à avancer le règne de Christ. C’est un singulier privilège d’honneur que Dieu a fait au royaume de Pologne, de ce que la plus grande part de la noblesse, quittant les superstitions d’impiété, qui sont autant de corruptions et pollutions du service de Dieu, s’est trouvée d’un bon accord à désirer la droite forme de vraie religion, et un ordre d’Eglise dressé comme il faut. Et on sait bien qu’en telle affaire votre crédit et autorité leur a été un grand support et avancement : mais et vous et eux avez encore tant de combats préparés, qu’il n’est pas question de cesser le travail, et vous reposer comme soldats qui ont leur congé. Car premièrement, encore qu’il ne vienne point d’ennemi d’ailleurs pour vous fâcher, vous aurez assez d’affaire à remédier aux maux et empêchements qui s’élèveront entre vous.

Déjà vous avez expérimenté combien de ruses Satan a en main pour dresser des embûches, afin de rompre et gâter le saint accord qui doit être entre les frères, et auquel consiste la prospérité de l’état de l’Eglise. Mais cela montre qu’il advient entre vous comme il a accoutumé d’en prendre quasi partout : c’est que les choses étant troublées, beaucoup d’étourdis s’ingèrent : lesquels voyant petit nombre de gens, et ceux-ci faibles, être poursuivis et tourmentés par la grande multitude, et que ceux-là ont grand-peine à défendre la vérité laquelle est comme étouffée de grosses nuées de calomnies, se fourrent, dedans plus aisément, y venant comme par-dessous terre. Et c’est une astuce par laquelle ce fin ouvrier et père de toute tromperie et malice, machine de ruiner l’Eglise, non seulement en rompant et déchirant par pièces l’unité de la foi, mais aussi en chargeant d’un faux blâme le nom de Christ : pour ce qu’il semble que les assemblées des fidèles, parmi lesquelles ces méchants garnements se mêlent, sont comme des retraites de toutes ordures. A ce propos, cependant que cet Esprit étourdi de Stancarus épand ses rêveries et erreurs entre vous, étant poussé à cela de son ambition de laquelle il brûle, de là est sortie une contention qui menace aucunement l’Eglise de dissipation : et avez été exposés aux blâmes et calomnies de beaucoup de gens, pour ce qu’on a pensé que sa secte s’étendait bien avant, et qu’il eût beaucoup de disciples. Et puis voilà d’autre côté un certain médecin, George Brandata, encore pire que Stancarus, selon qu’il est imbu d’une erreur beaucoup plus détestable, et nourrit en son cœur plus de venin caché. Ce qui fait que d’autant plus est à reprendre la facilité de ceux, envers lesquels l’impiété de Servet a si soudain trouvé tant de faveur. Car combien que je tiens pour certain qu’ils ne tiennent rien des sacrilèges et erreurs malheureux de la doctrine de Servet, si devaient-ils bien être plus avisés que ce renard-là ne s’insinuât en leur familiarité. Or pour ce que jamais le monde ne sera net de telles pestes, et jamais Satan ne cessera de mettre en bataille telles gens qui sont de ses meilleurs suppôts pour troubler les commencements de l’Evangile, il vous faut persévérer à tenir bon au contraire. Et pour obvier à plus grands maux, il vous faut mettre et établir une vraie et droite forme de bon gouvernement, qui est la sûre garde d’une sainte paix. Car comme il est certain que la pureté de doctrine est l’âme de l’Eglise, ainsi on peut à bon droit comparer la discipline aux nerfs, desquels le corps étant tout ensemble lié et joint, se maintient en sa fermeté. De l’autre part aussi, la malice et obstination d’une autre sorte d’ennemis vous doit croître le cœur, et aiguiser votre bonne affection : j’entend les trompettes de l’Antéchrist Romain, lesquels pour déguiser les matières et décevoir les simples entonnent à pleine bouche sans cesse, et font retentir à haute voix le nom d’Eglise. Quant à l’Eglise, nous ne débattons point contre eux que tous les enfants de Dieu ne doivent avoir en révérence l’autorité de celle-ci : le désaccord est en ce qu’eux, sous un faux semblant de lui faire honneur, couvrent leur tyrannie exorbitante du nom d’Eglise qui est seulement en ombre : mais quant à nous, sans dissimulation et avec affection de cœur nous avons tellement en révérence l’Eglise, que ce nous est une extrême méchanceté quand on profane le nom sacré de celle-ci. Sans faire mention des autres fidèles Ministres de la pure et sainte doctrine, de ma part j’ai débattu cette question déjà par ci-devant tout au long en plusieurs passages, combien c’est une chose ridicule, quand on parle de l’Eglise (de laquelle le Fils de Dieu est le chef, et à laquelle lui-même qui est la source de vie éternelle inspire vie, et fournit toujours vigueur par son Saint Esprit) de produire un corps sans chef, et une charogne morte. Les flatteurs que le Pape a en louange crient qu’ils ont l’Eglise de leur côté.

Pour bien connaître si ce de quoi ils se vantent est vrai ou non, il n’y a point de meilleur moyen qu’en regardant le chef. Or on voit qu’ils l’ont coupé et retranché par une violence pleine de sacrilège. Car comment est-ce que Christ demeurera encore chef, quand on l’a dépouillé de toute sa vertu, démis de sa domination, et renié sa dignité ? Le Père céleste l’a constitué chef de l’Eglise à cette condition, que par la doctrine de son Evangile il gouverne tous hommes depuis le plus grand jusques au plus petit : qu’il soit seul Sacrificateur, pour nous rendre assiduellement le Père favorable, comme il a apaisé une fois l’ire du Père par le sacrifice de sa mort : que sa mort soit une purgation perpétuelle de nos péchés, son sang notre seule purification, son obéissance notre satisfaction entière : qu’il sait seul intercesseur, en faveur duquel nos prières soient exaucées : qu’il soit notre protecteur et défenseur fidèle, pour nous maintenir sous sa sauvegarde : qu’en domptant et mortifiant les vices de notre chair, il nous réforme en justice et sainteté : et que lui seul commence et rend parfaite en nous la vie bienheureuse. De tout cela si les Papistes lui ont laissé quelque chose de reste, nous accordons qu’ils aient l’Eglise de leur côté. Mais si ainsi est que le Pape opprimant les consciences d’une tyrannie plus que cruelle et barbare, a ôté l’empire à Jésus-Christ : s’il a introduit une forme de gouvernement du tout contraire à la doctrine de l’Evangile : s’il a forgé une sacrificature nouvelle et étrange, c’est à savoir qu’un homme mortel s’ingère de se présenter médiateur entre Dieu et les hommes : s’il a controuvé des sacrifices qui se font tous les jours, pour les mettre en la place de la mort de Jésus-Christ : s’il a inventé mille satisfactions pour la rançon des péchés : s’il a tiré du bourbier d’enfer des purifications composés à sa façon, pour faire tarir le sang du Fils de Dieu : s’il a substitué en la place de celui-ci un nombre infini d’avocats : s’il a déchiré en mille pièces la justice, laquelle il fallait prendre en lui seul : s’il a dressé le franc-arbitre des hommes au lieu du saint Esprit : devons-nous maintenant douter, que le vrai Jésus-Christ soit banni bien loin de la Papauté ? Quand j’ai dit que les Papistes produisent une charogne morte au lieu du corps vif du Seigneur Jésus, c’est pour ce qu’ayant éteint la doctrine de l’Evangile, qui est la vraie âme de l’Eglise, et qui seule la vivifie, ils magnifient toutefois et louent hautement je ne sais quelle Eglise qui est seulement en ombre et par fantaisie. Nous montrons ouvertement combien la pureté de la doctrine est gâtée et corrompue chez eux, ou pour mieux dire, de quelles horribles et monstrueuses erreurs elle est souillée. Quant à eux, non seulement ils mettent en avant une ombre d’Eglise pour couvrir toutes leurs corruptions, mais aussi ils crient et se plaignent tant et plus, que nous faisons une grande injure et bien vilaine à l’Eglise, de ce que nous disons qu’elle peut errer. Mais avant toutes choses il fallait examiner la doctrine, afin que par celle-ci on puisse connaître l’Eglise. Ces prud’hommes et équitables estimateurs, prenant le titre d’Eglise pour se déguiser, veulent qu’il serve de préjudice pour empêcher tout examen de doctrine. Et ne font point cela pour tromper. Car de quels enchantements pourraient-ils user pour tromper même des bigleux au milieu d’une si grande lumière ? Mais pour ce qu’ils mettent en compte entre les parties de leur tyrannie cette licence de mentir, il leur semble qu’ils ne dominent point bien à leur appétit, s’ils ne se moquent des pauvres âmes, voire avec outrage.

Pour n’en chercher point l’exemple plus loin, nous avons vu de notre temps les vénérables Pères de Trente, et puis de Bologne, lesquels combien qu’ils fussent partisans et discordants entre eux comme ennemis, ne laissaient pas toutefois en tous les deux lieux d’écumer à gros bouillons leurs Canons pleins de vent. Et de fait, si on veut acquiescer à leurs principes, et suivre les belles maximes qu’ils proposent, il n’y a point de doute qu’ils ont beau de quoi triompher des deux côtés. Là sont assis je ne sais combien d’Évêques et Abbés, par aventure cent bêtes cornues en tout. Quand on aurait choisi la fleur et l’élite de toute famille pour la mettre là et en faire parade, ce ne serait toutefois autre chose, qu’une méchante conspiration contre Dieu. Mais maintenant puisque le Pape a amassé les raclures et ordures de son troupeau infâme et puant, pour les faire venir tout en un bourbier, de là incontinent apparaîtra et lèvera la tête l’Eglise représentative. Et encore n’ont-ils point de honte d’appeler Concile général, sacré et légitime, ce qui ne mérite pas même d’être nommé un masque de Concile, quand ce serait même à petit semblant (comme disent les enfants) et pour jouer une farce. Mais quant à nous, à qui la promesse est donnée, que l’Antéchrist, lequel est assis au Temple de Dieu, doit être détruit par le souffle de la bouche du Seigneur, ne cessons de réfuter cette impudence effrontée de paillarde, par la très sacrée Parole, contre laquelle ils s’élèvent si arrogamment : afin que tous connaissent manifestement et clairement quelle différence il y a entre l’épouse chaste de Jésus-Christ, et l’infâme paillarde de Bélial : entre le sanctuaire de Dieu, et le bordel de Satan : entre le domicile spirituel des fidèles, et une étable à pourceaux : bref, entre la vraie Eglise, et la cour Romaine. De cela il n’y a ni Euclides, ni Archimèdes qui puisse amener une démonstration plus certaine ou plus évidente, qu’on la trouvera en faisant comparaison entre l’Eglise telle que S. Luc la décrit, et la synagogue Papale. Et je ne suis point si rigoureux que je veuille examiner à la règle des Apôtres, qui est angélique et céleste, cette horrible confusion de la Papauté, qui est toute contraire à tout ordre de nature et toute raison d’humanité. Moyennant qu’ils montrent par devers eux quelque chose qui en approche, je ne les empêche pas de triompher, s’ils veulent. Mais vu que toutes choses y sont contraires, encore que la plus grande part du monde ferme les yeux pour n’y voir goutte, tant y a pour le moins que nous pouvons dire que tout le ciel nous applaudit : et ayant cela nous pouvons non seulement hardiment mépriser leur orgueil insensé, mais aussi le diffamer librement. Cependant nous sommes soutenus de cette consolation qui n’est pas petite : que combien que les Papistes nous opposent fièrement le titre d’Eglise, ce nonobstant nous savons bien que nous n’avons la guerre que contre des gens qui sont ennemis formels de Christ. Or sur tout il est à désirer que le Roi qui déjà de longtemps selon sa prudence a aperçu les ruses et tromperies de la cour Romaine, finalement sans plus s’amuser à ces vaines Bulles du Pape (par lesquelles il fait fête d’un Concile au pauvre monde : mais c’est de bien loin) et les jetant au vent, entreprenne franchement et à bon escient une bonne et entière réformation de l’Eglise. Cependant toutefois il n’y a retard qui doive vous arrêter que chacun de vous ne s’efforce selon sa puissance à avancer et étendre les choses qui sont si bien commencées. Qui sera l’endroit, Monseigneur et Prince magnifique, où je vous dirai Adieu. Le Seigneur vous veuille toujours gouverner par son Saint Esprit, accroître par tous moyens votre état et honneur, et bénir jusques à la fin vos saintes entreprises.

A Genève, le premier août 1560.

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