Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre II

2.1

Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils étaient tous ensemble dans le même lieu.

S. Luc rend derechef témoignage de leur persévérance, quand il dit que tous ont demeuré en un même lieu jusques au temps qui leur avait été fixé. A cela même tend aussi ce qui est dit, que tous étaient d’un accord. Au surplus, nous avons touché ci-dessus, pourquoi le Seigneur a différé l’avènement du Saint Esprit un mois et demi. Mais on demande pourquoi il l’a envoyé plutôt ce jour-là qu’un autre. De moi, je ne veux réfuter cette similitude de S. Augustin, que comme la Loi a été donnée au peuple ancien le cinquantième jour après Pâque, étant écrite de la main de Dieu en tables de pierre ; aussi le Saint Esprit (duquel l’office est d’écrire la Loi en nos cœurs) a accompli ce qui avait été figuré en la publication de la Loi en cinquante jours aussi après la résurrection de Christ, qui est notre vraie Pâque, 1 Corinthiens 5.7. Mais quant à ce qu’il insiste sur cette subtilité, et la propose comme nécessaire, au livre des questions sur Exode, et en la 2me épître à Januarius, je désirerais qu’en cela il fût plus sobre et modeste. Toutefois que son opinion lui demeure en liberté. Cependant je me tiens à ce qui est plus ferme et solide, à savoir que ce miracle a été fait en Jérusalem un jour de fête, auquel grand nombre de gens avaient accoutumé de s’assembler, afin que le miracle fut plus connu. Et de fait, il a été répandu jusques aux derniers bouts du monde par cette occasion ; comme nous verrons tantôt après. Pour cette même raison, Christ est souvent monté en Jérusalem aux jours de fête, afin que plus de gens eussent connaissance des vertus et miracles qu’il faisait ; et aussi afin que sa doctrine rapportât plus grand fruit, pour ce qu’il y avait plus de gens assemblés, Jean ch. 2, 5, 7, 10, 12. En cette sorte, S. Luc expliquera aussi que S. Paul se hâta, afin qu’il vînt en Jérusalem avant le jour de la Pentecôte ; et non point cela par superstition quelconque, mais pour l’assemblée qui était plus grande, afin que sa doctrine profitât à plus de gens. Par quoi, en l’élection du jour Dieu a eu égard à l’utilité de ce miracle ; premièrement, afin qu’il fut mieux divulgué en Jérusalem ; d’autant que les Juifs étaient lors plus attentifs à considérer les œuvres de Dieu ; secondement, afin que la renommée de celui-ci parvînt jusqu’aux régions lointaines. Or ils l’appelaient le cinquantième jour, faisant supputation depuis les prémices.

2.2

Et il se fit tout à coup, du ciel, un bruit semblable à celui du vent qui souffle avec violence ; et il remplit toute la maison où ils étaient assis.

Il fallait que ce fut un don visible, afin que les disciples fussent plus vivement réveillés par un sentiment corporel. Car selon que nous sommes lâches et paresseux à estimer les dons de Dieu, sinon qu’auparavant il réveille tous nos sens, sa vertu nous échappera et s’écoulera sans que nous la connaissions. Ceci donc leur a été une préparation, afin qu’ils sachent mieux, que ce que l’Esprit que Christ leur avait promis, n’était pas loin alors, combien que cela n’a point été fait tant pour eux que pour nous ; comme en ce que langues découpées et de feu sont apparues, Dieu a regardé plutôt à nous et à toute l’Eglise, qu’à eux. Car Dieu leur pouvait bien donner la faculté et puissance nécessaire pour publier l’Evangile, sans y ajouter aucun signe. Ils eussent bien compris qu’ils n’avaient point été si soudainement changés par cas fortuit, ni par leur propre industrie. Mais les signes qui sont ici expliqués, devaient profiter à tous siècles ; comme nous sentons aujourd’hui qu’ils nous profitent. Au surplus, il nous faut observer en bref, l’analogie ou convenance des signes, avec ce qu’ils signifiaient.

La véhémence du souffle du vent tendait à leur donner crainte. Car nous ne sommes jamais bien disposés à recevoir la grâce de Dieu, si la vaine assurance de la chair n’est matée. Car tout ainsi que l’accès nous est ouvert par foi pour aller à lui ; aussi la crainte et humilité fait que la porte lui est ouverte pour venir à nous. Il n’a rien à faire avec gens orgueilleux et nonchalants, et qui se plaisent en eux-mêmes. C’est une chose toute commune que par le souffle l’Esprit est dénoté. Car Christ voulant donner le Saint Esprit à ses apôtres, souffla sur eux (Jean 20.22) ; et en la vision Ezéchiel 1.4, il y eut du tourbillon et du vent. Et qui plus est, le mot d’Esprit est pris d’ailleurs et par similitude, vu qu’il signifie souffle. Car d’autant que cette personne de la divine essence qui est appelée Esprit, est de soi incompréhensible, l’Écriture emprunte ce nom de souffle, pour ce que c’est la vertu de Dieu, laquelle il épand sur toutes créatures comme en soufflant.

L’apparence des langues est restreinte à la circonstance spéciale de ce qui était lors à faire. Car tout ainsi que la figure de la colombe qui descendit sur Christ (Jean 1.32), avait une signification propre à la nature et office de Christ ; aussi Dieu a ici choisi un signe qui fut convenable à la chose figurée, pour montrer l’efficace du Saint Esprit dans les apôtres, telle qu’elle s’en est suivi après. La diversité des langues était comme un empêchement, que l’Evangile n’eût son étendue plus loin. Ainsi, si ces hérauts et ambassadeurs n’eussent su qu’une langue, tous eussent pensé que Christ eût été enclos en un coin du monde, à savoir en Judée. Mais Dieu a trouvé un chemin pour le faire sortir, quand il a donné aux apôtres des langues départies, afin qu’ils épandissent par tous les peuples ce qui leur avait été enseigné. En quoi reluit une merveilleuse bonté de Dieu, d’autant que la punition de l’arrogance humaine a été convertie en matière de bénédiction. Car d’où est venue la diversité des langages (Genèse 11.7), sinon afin que les méchants et pervers conseils des hommes fussent dissipés ? Maintenant Dieu fait parler divers langages aux Apôtres, afin qu’il réduise en une unité bienheureuse les hommes qui étaient dispersés çà et là. Ces langues départies ont fait, que tous parlent la langue de Chanaan ; comme Esaïe avait prédit (Esaïe 19.18). Car quelque langue que les hommes parlent, toutefois tous invoquent un même Père aux cieux, d’une même bouche, et d’un même esprit (Romains 15.6).

J’ai dit que cela a été fait pour l’amour de nous, non seulement pour ce que le fruit nous en revient, mais aussi pour ce que nous connaissons que l’Evangile n’est point parvenu jusques à nous par cas fortuit, mais par la volonté et ordonnance de Dieu, qui a envoyé des langues départies aux apôtres, afin qu’il n’y eût nation qui ne fut participante de la doctrine qui leur avait été commise. En quoi est approuvée la vocation des Gentils ; d’avantage, autorité est donnée à la doctrine des apôtres, d’autant que nous savons qu’elle n’a pas été forgée par les hommes, vu que nous entendons ici que le saint Esprit a habité en leurs langues.

Il reste maintenant de montrer ce que signifie le feu. Il ne nous faut point douter que ce n’ait été un signe de l’efficace qui devait être montrée en la voix des apôtres. Autrement, quand leur son eût retenti jusques aux derniers bouts du monde, qu’eussent-ils fait sinon battre l’air en vain ? Le Seigneur donc démontre que leur voix serait de feu pour embraser les cœurs des hommes, et pour purger et renouveler tout, en brûlant et consumant la vanité du monde. Autrement les apôtres n’eussent jamais été si hardis d’entreprendre une charge si difficile, si le Seigneur ne les eût rendus certains de la vertu de leur prédication. Par ce moyen est advenu que la doctrine des apôtres n’a point seulement résonné en l’air, mais est entrée jusques aux esprits des hommes, et les a remplis d’une ardeur et feu céleste. Et ce n’est point seulement en la bouche des apôtres que cette vertu s’est démontrée, mais elle est démontrée tous les jours. Mais tant plus nous faut-il bien prendre garde, que cependant que le feu est allumé nous ne soyons comme le chaume. Au reste, le Seigneur a donné son Saint Esprit à ses disciples une fois sous une espèce visible, afin que nous soyons assurés que sa grâce invisible et cachée ne défaudra jamais à son Eglise.

2.3

Et des langues séparées, comme de feu, leur apparurent et se posèrent sur chacun d’eux.

Pour ce qu’il change de nombre tout à coup, on est en doute s’il parle du feu. Il avait dit que langues étaient apparues comme de feu ; il s’ensuit tout incontinent, Et se posa sur eux. Toutefois quant à moi je rapporte ceci au Saint Esprit. Car les Hébreux ont accoutumé d’exprimer au second membre le nom qui doit être conjoint avec le verbe, et lequel ils avaient omis au premier membre. Comme nous en avons ici un exemple : Il se posa sur un chacun d’eux et tous furent remplis du Saint Esprit. Et nous savons que combien que saint Luc ait écrit en langue Grecque, toutefois il est plein de phrases Hébraïques. Au reste, quant à ce qu’il appelle ici les Langues, du nom du saint Esprit, cela est du commun usage de la sainte Écriture. Car Jean Baptiste appelle la colombe aussi de cette sorte (Jean 1.32) ; pour ce que le Seigneur voulait par ce signe rendre témoignage de la présence de son Esprit. Si c’était un signe seul, ce serait folie de l’appeler ainsi ; mais puis que la vérité est conjointe, le nom de celle-ci est proprement attribué au signe, lequel la présente à nos sens, pour nous en faire participant.

2.4

Et ils furent tous remplis de l’Esprit saint, et ils commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer.

Cette plénitude du Saint Esprit, laquelle il dit leur avoir été donnée à chacun, n’exprime point que la mesure des dons ait été égale en un chacun d’eux ; mais telle excellence qu’il était requis pour exécuter une si haute commission. Puis il ajoute qu’ils commencèrent à parler étranges langages, admonestant que l’effet s’en est ensuivi en même temps, et aussi à quel usage il fallait appliquer les langues. Au reste, pour ce que S. Luc ajoutera tantôt après, que les étrangers de diverses régions furent ébahis, de ce qu’un chacun entendait les apôtres parler leur langage, d’aucuns ont estimé vraisemblable qu’ils n’ont point parlé divers langages ; mais qu’un chacun a tellement entendu ce qui avait été prononcé en une langue, comme s’ils eussent entendu leur langage naturel. Ils pensent donc qu’un même son de voix a été distribué en diverses sortes entre les auditeurs. Ils ont une autre conjecture, que S. Pierre a fait un sermon à plusieurs qui étaient assemblés de diverses nations, qui ne pouvaient entendre sa parole, sinon que la voix parvînt autre à leurs oreilles, qu’elle n’avait été prononcée de la bouche de celui-ci. Mais il nous faut noter en premier lieu, que les disciples ont parlé à la vérité divers langages et étranges ; autrement le miracle n’eut point été en eux, mais dans les auditeurs. Par ce moyen la similitude de laquelle il a fait mention ci-dessus, eût été fausse ; et le Saint Esprit ne leur eût pas été tant donné qu’aux autres. Nous entendons aussi comment S. Paul rend grâces a Dieu, de ce qu’il parle divers langages, 1 Corinthiens 14.18. Il est certain qu’il s’attribue l’intelligence et usage de ceux-ci. Or il n’avait point acquis cette faculté par son étude ou industrie ; mais cela lui était donné du Saint Esprit. Au même passage il affirme que c’est un don spécial, qui n’est point conféré à tous. Je pense qu’on peut connaître clairement par ces choses, que les apôtres ont reçu diversité et intelligence des langues, tellement qu’ils parlaient Grec aux Grecs, Latin aux Italiens ; et qu’ils avaient une vraie communication avec les auditeurs. Toutefois à savoir vraiment s’il y a eu aussi un second miracle, que les Egyptiens et Elamites aient entendu S. Pierre parlant langage Chaldaïque, comme si diverses voix sortissent de sa bouche, je le laisse en la liberté d’un chacun. Car il y a des conjectures qui mènent à cela ; et toutefois elles ne sont pas si fermes, qu’on ne les puisse bien réfuter. Car il se peut faire qu’ils aient parlé divers langages selon les hommes qu’ils rencontraient, et que l’occasion se présentait ; et même que d’entre eux l’un ait usé d’une langue, l’autre d’une autre. Le miracle donc était tout évident, quand les auditeurs entendaient que les disciples parlaient promptement divers langages. Quant au sermon de S. Pierre, il s’est pu faire qu’il ait été entendu de la plus grande part, de quelque nation qu’ils fussent ; car il est vraisemblable que beaucoup de ceux qui étaient venus en Jérusalem savaient la langue Chaldaïque. D’avantage, il n’y aura nul inconvénient, si nous disons qu’il a aussi parlé en d’autres langages. Toutefois je ne veux grandement débattre de ceci, moyennant qu’on admette sans douter que les apôtres ont vraiment changé de langage.

2.5

Or à Jérusalem demeuraient des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel.

En disant ici qu’il y avait des hommes craignant Dieu, il semble qu’il veuille signifier qu’ils étaient venus en Jérusalem pour adorer Dieu, comme aussi en tous âges après la déportation, Dieu comme levant l’enseigne a toujours recueilli en cette ville-là quelque résidu de leur descendance ; car l’utilité du temple avait encore son efficace. Cependant toutefois il souligne en passant, qui sont ceux qui font leur profit des miracles, par lesquels le Seigneur déclare sa puissance. Car les infidèles et profanes s’en moquent, ou ne s’en soucient point, comme nous verrons tantôt après. D’avantage, il les a voulu appeler pour témoins, auxquels on ajoutât plus de foi à cause de la crainte de Dieu qu’ils avaient. Quand il dit, de toute nation, il entend de divers pays et éloignés l’un de l’autre. Car il met puis après des terres, qui étaient fort loin l’une de l’autre ; comme, était Lybie et Ponte, Arabie, Rome, Parthe, et autres semblables. Ceci sert pour mieux montrer la grandeur du miracle. Car les Crétois et Asiatiques pouvaient avoir quelque communication de langage à cause qu’ils étaient voisins, mais ce n’était pas de même entre les Italiens et Cappadociens, entre les habitants du Pont (Euxin) et les Arabes. Or ce fut à la vérité une œuvre mémorable de Dieu, et digne de grande admiration, qu’en une si horrible dispersion de son peuple, il n’a pas laissé de garder quelque résidu partout ; et qui plus est, il a fait qu’aucuns de nation étrangères se sont adjoints avec un peuple tant affligé et presque entièrement détruit. Car combien que les Juifs étant hors de leur vrai pays ça et là, et que, par manière de dire, ils habitassent en divers mondes, néanmoins ils retenaient l’unité de la foi entre eux. Car S. Luc ne les appelle pas sans cause hommes craignant Dieu.

2.6

Or, ce bruit ayant eu lieu, la multitude s’assembla et fut confondue de ce que chacun les entendait parler en son propre dialecte.

Saint Luc en parlant ainsi ne signifie autre chose sinon que la renommée étant répandue, il s’assembla grand nombre de personnes. Car si l’un après l’autre eût entendu parler les apôtres divers langages en divers lieux et temps, le miracle n’eût pas été si notoire. Ils s’assemblent donc tous en un lieu, afin que la diversité des langues soit plus évidente, en faisant présentement la comparaison. Il y a une autre circonstance, qu’un chacun connaît de quel pays ou de quelle nation étaient les apôtres ; et n’y avait nul qui ne sut bien qu’ils n’étaient point sortis de leur pays, en sorte qu’ils eussent pu apprendre à parler langages étrangers. Quand donc indifféremment selon que l’occasion le donnait, l’un parlait Latin, l’autre langage Arabique, l’autre Grec, et que chacun même change de langage ; par cela connaît-on mieux que c’était une singulière œuvre de Dieu.

2.7

Ils en étaient dans la stupeur et l’étonnement, se disant les uns aux autres : Ces gens-là qui parlent, voici, ne sont-ils pas tous Galiléens ?

2.8

 Comment donc les entendons-nous chacun dans le propre dialecte du pays où nous sommes nés ?

2.9

Parthes et Mèdes et Elamites, et ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont et l’Asie,

2.10

la Phrygie et la Pamphylie, l’Egypte et les quartiers de la Libye, qui est près de Cyrène ; et Romains en séjour,

2.11

Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer en nos langues les choses magnifiques de Dieu.

Saint Luc observe ici deux choses, qui ont induit les auditeurs à s’émerveiller ; l’une, que combien que les apôtres fussent auparavant rudes et idiots, et issus d’un lieu méprisé, toutefois ils parlaient magnifiquement et hautement des choses divines et de la sagesse céleste ; l’autre, qu’en un moment ils avaient reçu le don des langues. L’un et l’autre est digne d’être noté ; car un jargon et babil jeté à l’aventure, et des choses de néant, n’eut point eu une telle efficace à émouvoir les esprits ; mais la majesté de la chose devait plus vivement toucher tous les sens pour considérer le miracle. Or combien qu’ils rendent à Dieu l’honneur qu’il mérite, en ce qu’ils sont tous stupéfaits, toutefois le principal fruit de ce miracle est exprimé par ce qu’ils s’enquièrent ; et par ce moyen ils montrent qu’ils sont prêts d’apprendre ; car autrement l’étonnement et admiration n’eut pas grandement profité. Et de fait, il faut que nous nous émerveillions des œuvres de Dieu avec tellement d’étonnement, que la considération y soit conjointe, et le désir d’entendre.

2.12

Ils étaient donc tous stupéfaits et ne savaient que penser, se disant l’un à l’autre : Que veut dire ceci ?

2.13

Mais d’autres, se moquant, disaient : Ils sont pleins de vin doux.

Il apparaît par ceci combien est grande et monstrueuse l’impudence des hommes, quand Satan leur a ôté l’entendement. Si Dieu descendait ouvertement du ciel, à grand-peine pourrait-on plus clairement contempler sa majesté et gloire qu’en ce miracle. Quiconque aura une seule goutte de saint et bon entendement, il faut nécessairement qu’il soit touché au vif, seulement d’en ouïr parler. Combien donc sont brutaux et hors du sens, ceux qui le voient de leurs propres yeux, et toutefois s’en moquent ? et par leurs brocards et plaisanteries s’efforcent d’amoindrir la puissance de Dieu qui s’y montre ? Mais la vérité est telle. Rien ne peut être tant admirable, qui ne soit tourné en moquerie et risée par ceux qui ne se soucient nullement de Dieu ; car ils s’obstinent à leur escient à ne vouloir rien connaître et entendre dans des choses qui sont plus claires que le jour. Et c’est une juste vengeance de Dieu contre un tel orgueil, qu’il les livre à Satan pour les jeter en une fureur plus que brutale. Par quoi, il ne faut point que nous nous étonnions aujourd’hui, si tant de gens ont les yeux aveuglés à une si claire lumière, s’ils sont sourds, et ont les oreilles bouchées à une doctrine si manifeste ; et qui pis est, s’ils rejettent fièrement le salut qui leur est offert. Car si ainsi est que les œuvres de Dieu non accoutumées, par lesquelles il déclare magnifiquement sa puissance, soient sujettes aux moqueries des hommes, que feront-ils à la doctrine, laquelle ne leur paraît rien d’excellent, mais tout vulgaire et commun ? Combien que S. Luc ne signifie pas que ceux-ci fussent des plus méchants, ou des gens du tout désespérés ; mais il a plutôt voulu montrer de quelle sorte le peuple a été ému par ce miracle. Et de fait, il en est toujours ainsi advenu au monde, que bien peu de gens ont été touchés du vrai sentiment de Dieu, toutes les fois qu’il s’est manifesté. Et il ne s’en faut point étonner ; car c’est une vertu bien rare, et qui ne se trouve en guère de gens, que religion, c’est-à-dire crainte de Dieu ; qui est le commencement de sainte et pure intelligence. Au reste, combien que la plus grande partie repousse la considération des œuvres de Dieu, par une obstination plus qu’endurcie ; néanmoins elles ne sont jamais sans fruit ; comme on peut bien voir en cette histoire.

2.14

Mais Pierre, se présentant avec les onze, éleva sa voix et leur parla : Hommes juifs, et vous tous qui séjournez à Jérusalem, que ceci vous soit connu, et écoutez avec attention mes paroles :

Par ce mot étant debout, il déclare que S. Pierre fait quelque harangue grave et d’importance en cette assemblée ; car ceux qui avaient à parler au peuple, se levaient debout, afin qu’il fussent plus aisément entendus. Or la somme de ce propos est, que du don du Saint Esprit, lequel ils voyaient, il recueille que Christ était déjà manifesté. Il repousse toutefois avant que passer outre, cette fausse et perverse opinion, à savoir qu’aucuns se moquant pensaient que les apôtres fussent ivres. Et les réfute par un argument vraisemblable, d’autant que les hommes n’ont point accoutumé de s’enivrer au matin. Car ceux qui sont ivres, comme dit saint Paul, sont ivres de nuit, 1 Thessaloniciens 5.7. La raison est, qu’ils ont honte, et fuient la lumière. Et de fait, ce vice est si vilain, qu’à bon droit il fuit la lumière. toutefois cet argument ne serait pas toujours bon. Car Esaïe se courrouçait déjà de son temps contre ceux qui se levaient de matin pour s’enivrer (Esaïe 5.11). Et aujourd’hui il n’y a que trop de telles gens, qui comme pourceaux se mettent à boire aussitôt qu’ils sont hors du lit. Mais pour ce que cela est contraire à la commune façon des hommes, saint Pierre dit que cela n’est point vraisemblable. Ceux qui ont tant peu soit vu des antiquités, savent bien que le jour entier était divisé en douze heures, depuis le soleil levant jusques au soleil couchant. Ainsi les heures étaient plus longues en été, et en hiver plus courtes. Par quoi, ce que nous comptons aujourd’hui neuf heures en hiver, et huit heures en été, les anciens le comptaient pour la tierce heure du jour. Or quant à ce que saint Pierre ne s’arrête pas beaucoup à réfuter l’opinion de ceux-ci, que les apôtres fussent ivres ; c’est pour ce que c’eût été une chose superflue de faire sur cela une excuse trop curieuse. Par quoi (comme la chose étant indubitable) il s’arrête plus à réprimer ceux qui se moquaient, qu’il ne s’étudie à les enseigner. Au reste, il ne les réfute pas tant par la circonstance du temps, que par le témoignage de Joël. Car quand il dit qu’ils voient ce qui avait été prédit, il taxe leur ingratitude, qu’ils ne reconnaissent point un si excellent bénéfice, qui leur avait été jadis promis, et maintenant leur est manifestement présenté devant leurs yeux. Et touchant ce qu’il reproche à tous le vice d’aucuns, il ne le fait pas pour les envelopper tous en une même coulpe ; mais pour ce que la moquerie présentait bonne occasion de les enseigner tous, il ne la refuse pas.

2.15

Ces gens-ci ne sont point ivres, comme vous le supposez, car il est la troisième heure du jour.

2.16

Mais c’est ici ce qui a été dit par le prophète Joël :

2.17

Et il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair ; et vos fils et vos filles prophétiseront ; et vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes.

Par l’effet de ceci il prouve que le Messie est déjà manifesté. Il est vrai que le prophète Joël (Joël 3.1-2), ne fait pas expresse mention des derniers jours ; mais vu qu’il parle de la pleine restauration de l’Eglise, il ne faut point douter que cette Prophétie convienne seulement au dernier temps. Par quoi saint Pierre n’a rien amené qui soit contraire à l’intention de Joël ; mais seulement il a ajouté ce mot par forme d’explication, afin que les Juifs sachent que l’Eglise qui était lors déchue, ne pouvait être autrement restaurée, sinon qu’ils fussent renouvelés par l’Esprit de Dieu. Au reste, d’autant que la réparation de l’Eglise devait être comme un nouveau siècle ; à cette cause saint Pierre la remet sur les derniers jours. Et de fait, ceci était tout commun aux Juifs, que toutes les promesses grandes et magnifiques de l’état de l’Eglise bienheureux et bien réglé, ne seraient point accomplies avant que Christ vînt pour remettre toutes choses en leur entier. Par quoi ceci était entre eux hors de tout doute, que ce qui est ici allégué du Prophète Joël, appartenait au dernier temps. Au reste, par les derniers jours, ou La plénitude des temps, est signifié que l’état ferme de l’Eglise consiste en la manifestation de Christ.

J’épandrai de mon Esprit. Comme il a été déjà dit, il veut prouver que l’Eglise ne peut être autrement restaurée, sinon que le saint Esprit soit donné. Comme ainsi soit donc que tous espérassent que l’Eglise serait bientôt restaurée, il les accuse de stupidité, de ce qu’ils ne pensent point comment doit être faite cette restauration. Au surplus, quand le Prophète dit, répandrai, il ne faut point douter qu’il n’ait voulu signifier par ce mot une affluence et fort grande abondance. En disant, Je répandrai de mon Esprit, il signifie tout autant que s’il eût dit simplement, J’épandrai mon Esprit ; car le Prophète a ainsi parlé ; mais saint Pierre a ici suivi les Grecs. C’est donc en vain qu’aucuns philosophent ici trop subtilement. Car combien que les mots soient aucunement changés, néanmoins il nous faut retenir l’intention du Prophète. Cependant, quand il est dit que Dieu épand son Esprit, je confesse bien que cela doit être ainsi pris, que de son Esprit comme de la source unique, et qui ne peut jamais être épuisée, il fait découler sur les hommes une abondance de divers dons et grâces. Car (comme dit saint Paul) les dons sont bien divers ; mais il n’y a qu’un Esprit (1 Corinthiens 12.4).

Or nous recueillons de ceci une doctrine fort utile ; à savoir que nous ne pouvons recevoir de Dieu chose plus excellente, que la grâce de son Esprit ; et qui plus est, que sans celle-ci, ce n’est rien de toutes autres choses. Car quand Dieu veut promettre salut à son peuple en peu de paroles, il dit qu’il leur donnera son Esprit. De cela il s’ensuit que nous ne pouvons obtenir aucun bien, jusqu’à ce que le Saint Esprit nous soit donné. Et à la vérité il est comme la clef, laquelle nous ouvre l’huis, afin que nous puissions entrer dedans les trésors de tous biens spirituels ; et même être participais du Royaume de Dieu.

Sur toute chair. Il apparaît par ce qui s’ensuit, ce qu’implique cette généralité. Car premièrement il met en général, Toute chair ; puis après il ajoute une division, par laquelle il signifie que Dieu recevra tous indifféremment en la communion de sa grâce, sans aucun égard de l’âge et du sexe. Toute chair donc, c’est-à-dire hommes et femmes, jeunes et vieux. Toutefois on pourrait demander pourquoi c’est que Dieu promet à son peuple ce bien comme nouveau, et duquel on n’eût point encore entendu parler ; et nonobstant il avait accoutumé de le donner dès le commencement en tous temps. Car il n’y a eu siècle auquel le Saint Esprit n’ait été donné. La solution de cette question consiste en ces deux mots : J’épandrai, et, Sur toute chair. Car il nous faut ici noter deux oppositions, entre le temps du vieil et du nouveau Testament. Car comme j’ai dit, par ce mot d’épandre, il signifie une pleine et ample abondance de dons et grâces ; au lieu que sous la Loi la distribution n’a point été en si grande abondance de beaucoup. Voilà aussi pourquoi S. Jean dit, que le Saint Esprit n’a point été donné, jusqu’à ce que Christ est monté au ciel (Jean 7.39). Toute chair, signifie une multitude grande et infinie ; au lieu que le Seigneur auparavant n’avait si amplement communiqué son Saint Esprit qu’à un petit nombre de gens. Au reste, en toutes ces deux comparaisons ou oppositions, il n’est point dit que les Pères sous la Loi n’aient participé à une même grâce que nous. Mais le Seigneur montre que nous les surmontons ; comme la vérité est telle. Tous les fidèles, dis-je, depuis le commencement du monde ont reçu le même Esprit d’intelligence, de justice et sanctification, duquel le Seigneur nous illumine aujourd’hui et régénère. Mais il y en avait bien peu alors qui eussent reçu la lumière de connaissance, si on en fait comparaison avec le grand nombre des fidèles, lesquels Jésus-Christ a soudainement recueillis par sa venue. De plus, la connaissance des anciens était fort petite et obscure, et comme couverte d’un voile, si elle est comparée avec celle que nous avons aujourd’hui par l’Evangile ; auquel Christ, qui est le grand Soleil de justice, reluit à pleine clarté, comme en plein midi. Et a ceci n’est point contraire ce qu’aucuns d’entre eux ont eu une si excellente foi, que par aventure il n’y en a point de pareils aujourd’hui. Car quelque intelligence qu’ils eussent, néanmoins elle sentait sa pédagogie de la Loi. Car ceci demeurera toujours véritable, que les Prophètes et Rois fidèles n’ont vu ni entendu ce que Christ a manifesté par sa venue, Mattieu 13.17 ; Luc 10.24. Par quoi, pour nous montrer combien l’excellence du nouveau Testament est grande, le Prophète Joël dénonce que la grâce de l’Esprit sera beaucoup plus ample sous celui-ci ; d’avantage, qu’elle sera répandue sur plus grand nombre de gens.

Et vos fils et vos filles prophétiseront. Par ce mot de Prophétiser, il a voulu dénoter une singulière et excellente grâce d’intelligence. Et à cela même tend la division qui s’ensuit après, quand il dit : Vos jeunes gens verront visions, et vos anciens songeront songes. Car on peut recueillir de Nombres 12.6, que c’étaient les deux façons ordinaires, par lesquelles Dieu soulait se manifester aux Prophètes. Car en ce lieu-là Dieu exemptant Moïse du commun ordre des Prophètes, dit, Je me manifeste à mes serviteurs par vision ou par songe ; mais je parle à Moïse face à face. Nous voyons donc que deux espèces sont ajoutées après la généralité, par forme de confirmation. La somme toutefois revient à cela, que tous seront Prophètes, aussitôt que le saint Esprit aura été répandu du ciel. Mais on pourrait ici objecter, qu’on n’a rien vu de cela, même aux apôtres, tant s’en faut qu’il ait été aperçu en tout le troupeau des fidèles. Je réponds que ceci est coutumier aux Prophètes, de décrire le Royaume de notre Seigneur Jésus sous figures convenantes à leur temps. Comme quand ils parlent du service de Dieu, ils font mention d’un autel, de sacrifices, d’oblation d’or, d’argent, et d’encens. Et toutefois nous savons qu’il n’y a plus maintenant d’autels, que les sacrifices sont abolis, desquels on usait sous la Loi ; et que le Seigneur requiert de nous quelque chose plus haute que les richesses terriennes. Cela est bien vrai ; mais les Prophètes accommodant leur style à la capacité de leur temps, enveloppent par figures, qui étaient lors familières au peuple, les choses que nous voyons maintenant être autrement manifestées ; tout ainsi qu’en promettant ailleurs des Lévites, il en fera des Sacrificateurs ; et du populaire, des Lévites ; Esaïe 66.21 ; il ne veut signifier autre chose, sinon que sous le règne de christ les plus petits mêmes seront en honorable degré d’honneur. Si donc nous voulons avoir le vrai et naturel sens de ce passage, il ne faut point presser les mots qui sont pris de l’ancien état et gouvernement qui était sous la Loi ; mais nous devons seulement chercher la vérité sans aucunes figures. Or c’est que les Apôtres, étant soudainement inspirés d’en-haut, traitaient des mystères célestes prophétiquement, c’est-à-dire d’une façon céleste et divine, et surmontant la manière ordinaire. Ainsi donc, ce mot de Prophétie ne signifie autre chose qu’une singulière grâce et don excellent d’intelligence ; comme Joël disait, que sous le règne de Jésus-Christ il n’y aura pas seulement quelque petit nombre de Prophètes auxquels Dieu révélera ses secrets ; mais que tous recevront la sagesse spirituelle jusques à une excellence Prophétique. Comme aussi il est dit en Jérémie 31.31 : Un chacun n’enseignera plus son prochain, car tous me connaîtront depuis le plus petit jusques au plus grand.

Au reste, saint Pierre exhorte par ces paroles, les Juifs auxquels il parle, à communiquer à cette même grâce. Comme s’il disait, Le Seigneur est prêt d’épandre au long et au large le saint Esprit qu’il a répandu sur nous. Par quoi, il ne tiendra qu’à vous que vous ne puisiez de cette plénitude avec nous. Cependant, sachons que ce qui a été lors dit aux Juifs, nous est aussi dit aujourd’hui. Car combien que ces grâces visibles aient cessé, si est-ce toutefois que le Seigneur n’a point retiré son saint Esprit de son Eglise. Par cette promesse donc il le nous offre tous les jours à tous indifféremment. Ainsi si nous sommes indigents, cela ne vient d’ailleurs que de notre paresse. Et en même temps on voit clairement par ceci, que ceux qui osent bien forclore de la connaissance de Dieu le commun populaire des Chrétiens, sont méchants sacrilèges, et ennemis du saint Esprit ; vu que celui-ci non seulement y admet femmes et hommes, jeunes et vieux ; mais aussi les appelle nommément.

2.18

Oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, dans ces jours-là, je répandrai de mon Esprit, et ils prophétiseront.

Par ces paroles la promesse est restreinte à ceux qui servent et honorent Dieu. Car Dieu ne profane point son Esprit ; ce qui se ferait, s’il le prostituait aux incrédules et contempteurs. Il est bien vrai que par le saint Esprit nous sommes faits serviteurs de Dieu, et par conséquent, que nous ne sommes point serviteurs de Dieu, jusques à ce que nous ayons reçu son Esprit. Mais en premier lieu, ceux que Dieu a reçus en sa famille, et réformés par son Esprit à son obéissance, il leur donne puis après de nouvelles grâces. Et puis le Prophète n’a point regardé à l’ordre du temps ; mais seulement il a voulu faire cette grâce particulière à l’Eglise. Or d’autant que l’Eglise n’était sinon entre les Juifs, il les appelle par honneur serviteurs et servantes de Dieu. Mais depuis que Dieu a rompu la paroi, et qu’il a recueilli à soi une Eglise de toutes parts ; tous ceux qu’il a reçus à la participation de l’alliance, sont appelés de ce même nom. Souvenons-nous seulement, que le saint Esprit est particulièrement destiné pour l’Eglise.

2.19

Et je ferai des prodiges en haut dans le ciel, et des signes en bas sur la terre, du sang et du feu, et une vapeur de fumée.

2.20

Le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang, avant que vienne le jour grand et éclatant du Seigneur.

Il nous faut voir en premier lieu ce qu’est ce grand jour du Seigneur. Aucuns l’exposent du premier avènement de Jésus Christ en chair ; les autres le rapportent au dernier jour de la résurrection. Ni l’une ni l’autre de ces deux opinions ne me plaît. Car selon mon avis le Prophète comprend tout le Royaume de Jésus-Christ ; et ainsi il appelle le grand jour depuis que le Fils de Dieu a commencé d’être manifesté en chair, pour nous mener à l’accomplissement de son Royaume. Il ne limite donc point un certain jour ; mais il commence ce jour depuis la première publication de l’Evangile, et l’étend jusques à la dernière résurrection. Ceux qui restreignent ceci au temps des apôtres, sont mus de cette raison, que le Prophète conjoint ce membre avec le prochain. Mais en ceci il n’y a nul inconvénient de dire, que le Prophète dénote le temps auquel ces choses ont commencé d’être faites, combien qu’il faille qu’elles aillent toujours en avançant jusques à la fin du monde. Au surplus, quant à ce qu’il dit que le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang, ce sont manières de parler métaphoriques, par lesquelles il signifie que le Seigneur montrera des signes de son ire par toute la terre ; desquels les hommes seront épouvantés, comme s’il se faisait un changement horrible de toute la nature. Car tout ainsi que le soleil et la lune nous servent de témoins de la faveur paternelle de Dieu envers nous, quand chacun à son tour ils éclairent la terre ; aussi le Prophète dit au contraire, qu’ils seront messagers du courroux et ire de Dieu. Et ceci est le second membre de la Prophétie. Car après avoir parlé de l’abondance de la grâce spirituelle répandue sur toute chair, afin que nul n’imaginât qu’avec cela il y aurait en même temps prospérité et tranquillité de tous côtés, il ajoute que l’état du monde sera plein de troubles et de grandes frayeurs sous Jésus-Christ. Comme Jésus-Christ lui-même démontre plus amplement au chap. 24 de saint Matthieu et au 21 de saint Luc. Mais c’est une chose qui sert grandement à la louange de la grâce, que quand on n’aperçoit de tous côtés que ruines prochaines, toutefois quiconque invoque le nom de Dieu, est assuré de son salut. Par l’obscurité du soleil, par la défluxion sanglante de la lune, et par la noire vapeur de fumée, le Prophète a voulu exprimer que de quelque côté que les hommes tourneront la vue, beaucoup de choses apparaîtront et en haut et en bas, qui les rendront étonnés, comme j’ai déjà dit.

C’est donc autant comme s’il eût dit, que jamais les affaires du monde ne se sont portés tant misérablement, et qu’on n’a point encore vu tant de signes de l’ire de Dieu, ni tant horribles et épouvantables. On peut recueillir de ceci, combien est grande et inestimable la bonté de Dieu, lequel nous présente un remède certain et infaillible contre de si grands maux ; et d’autre part, combien sont pervers et ingrats envers Dieu, ceux qui ne recourent point à cette franchise de salut qu’ils ont devant leurs yeux. Car il ne faut nullement douter que Dieu n’ait voulu réveiller tous fidèles par cette description tant horrible et épouvantable, afin que d’affection plus ardente ils soient induits à désirer le salut. Et saint Pierre l’allègue, afin que les Juifs sachent qu’ils seront plus que misérables, s’ils ne reçoivent la grâce du saint Esprit, qui leur est offerte. Mais on pourrait demander à quel propos c’est, qu’une mer de tous maux se soit ainsi débordée, après la manifestation de Christ. Car il pourrait sembler être absurde, que Jésus-Christ soit le gage unique de l’amour de Dieu envers les hommes, auquel le Père céleste déploie tous les trésors de sa divine bonté, et même épand en nous les entrailles de sa miséricorde ; et que toutefois à sa venue l’ire de Dieu s’embrase de plus grande violence que de coutume, en sorte que, par manière de dire, elle engloutit tout d’un feu le ciel et la terre ensemble. Mais il faut premièrement observer, que d’autant que les hommes sont trop paresseux à recevoir le Fils de Dieu, il faut qu’ils soient pressés de diverses afflictions à ce faire, comme avec grands coups de fouets.

Secondement, comme ainsi soit que Jésus-Christ appelle à soi ceux qui sont travaillés et chargés de maux, Mathieu 11.24, il faut nécessairement qu’avant que venir à lui, nous soyons domptés de plusieurs adversités ; afin que nous apprenions à être humbles. Car quand les hommes voient que leurs affaires se portent bien, ils prennent des cornes d’orgueil ; et ne se peut faire autrement, que celui qui pense être heureux en soi-même, et est à son aise, ne méprise arrogamment Jésus-Christ.

Tiercement, pour ce que nous sommes trop enclins à chercher le repos de notre chair, et plus qu’il ne serait de besoin, et que par ce moyen il advient que plusieurs attachent la grâce de Jésus-Christ à la vie présente ; il est expédient que nous soyons accoutumés à une méditation toute contraire, à ce que nous sachions que le Royaume de Jésus-Christ est spirituel. Afin donc que Dieu nous montre que les biens de Jésus-Christ sont célestes, il nous exerce par plusieurs afflictions selon la chair. Par ce moyen nous sommes contraints de chercher notre félicité hors de ce monde. Avec ce, il y a l’ingratitude des hommes, qui augmente les misères. Car le serviteur qui connaît la volonté de son maître, et ne lui rend point obéissance, est digne d’être plus gravement puni (Luc 12.47). Tant plus que Dieu se communique à nous familièrement en Jésus-Christ, tant plus croît notre impiété, et tant plus se montre notre rébellion obstinée. Ainsi il ne se faut étonner, si après la manifestation de Jésus-Christ plusieurs signes de la vengeance Divine apparaissent à l’opposite ; vu que les hommes provoquent Dieu plus gravement, et embrasent son ire contre eux par un mépris plein d’impiété. Tant y a que ce que le jour de Christ est épouvantable, c’est par accident, soit que Dieu veuille corriger notre paresse, ou qu’étant rebelles il nous veut assujettir, ou châtier notre ingratitude. Car de sa nature il n’apporte que toute joie ; mais le mépris de la grâce de Dieu provoque justement le Seigneur à un courroux épouvantable.

2.21

Et il arrivera que quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

Voici un fort beau passage. Car tout ainsi que Dieu par menaces et épouvantements nous pique et sollicite comme ânes paresseux à chercher salut ; ainsi après qu’il a embrouillé le ciel et la terre de ténèbres, il ne laisse pas de nous montrer le moyen comment le salut apparaîtra devant nos yeux ; à savoir quand nous l’invoquerons, car il faut diligemment noter cette circonstance. Si Dieu promettait simplement salut, il est vrai que cela serait déjà une grande chose ; mais ceci est beaucoup plus, quand il promet salut au milieu de tant d’abîmes de mort et si divers. Quand toutes choses seront confuses, dit-il, et qu’on ne verra par tout que frayeurs de mort, invoquez-moi seulement, et vous obtiendrez salut. Par quoi, encore qu’un homme serait englouti d’un profond gouffre de maux, toutefois il a ici un remède proposé devant ses yeux, par lequel il puisse échapper. Il faut aussi noter le mot de généralité, qui est ici mis, à savoir, Quiconque. Car Dieu reçoit tous à soi sans exception, et par ce moyen les appelle à salut ; comme S. Paul le note en Romains 10.13. Et avant lui le Prophète avait écrit : Toi Dieu, qui exauces l’oraison, toute chair viendra à toi, Psaumes 65.2. Comme ainsi soit donc que nul n’est exclus de l’invocation de Dieu, la porte de salut est ouverte à tous ; et n’y a rien qui nous empêche d’entrer que notre infidélité. Quand je parle de tous, je dis tous ceux auxquels Dieu se manifeste par l’Evangile. Or tout ainsi qu’en l’invocation de Dieu il y a certain salut ; aussi nous faut-il avoir ceci pour tout résolu, que sans l’invocation, nous sommes plus que misérables et perdus. Au surplus, quand nous entendons ici que notre salut est attribué à l’invocation de Dieu, ne pensons point que pour cela rien soit ôté à la foi ; vu que cette invocation n’est fondée ailleurs qu’en la foi. Avec ce, il y a une autre circonstance qui n’est point moins digne d’être notée ; à savoir que le Prophète signifie que l’invocation de Dieu convient proprement aux derniers jours. Car combien qu’il ait voulu être invoqué en tous temps, toutefois depuis qu’il s’est déclaré être Père en Jésus-Christ, nous avons plus facile accès à lui. Ce qui nous doit donner une plus grande confiance et assurance, et nous réveiller de notre pesant sommeil. Ainsi que Christ aussi lui-même argumente en Jean 16.24, que par le privilège de sa manifestation nous est redoublée l’assurance de pouvoir invoquer Dieu ; Jusques à présent, dit-il, vous n’avez rien demandé en mon Nom ; demandez, et vous recevrez ; comme s’il disait : Puisque jusqu’ici, encore que je ne fusse apparu en chair de Médiateur et d’Avocat, vous avez néanmoins prié ; maintenant que je serai votre avocat, combien le devrez-vous faire de plus grand courage ?

2.22

Hommes Israélites, écoutez ces paroles : Jésus le Nazaréen, cet homme autorisé de Dieu auprès de vous par des miracles et des prodiges et des signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes ;

Saint Pierre accommode maintenant la prophétie de Joël à son propos ; à savoir afin que les Juifs connaissent par cela que le temps de la restauration est prochain, et que pour cette cause le Messie leur était donné. Car cette promesse ne devait être autrement accomplie que par la venue du Médiateur. Et de fait, il n’y a point d’autre droit usage de tous les dons et grâces que nous recevons par Jésus-Christ, sinon quand ils nous conduisent à la fontaine même, qui est le Seigneur Jésus. Mais S. Pierre vient à ce but petit à petit. Car il n’affirme pas du premier coup que Jésus fut le Christ, mais il dit seulement que c’était un homme envoyé de Dieu ; et prouve cela par les miracles qu’il avait faits. Après il ajoute qu’il est ressuscité des morts, après avoir été mis à mort. Dont il apparaît plus à plein et plus certainement, qu’il n’avait point été comme l’un des Prophètes, mais était le Fils de Dieu même, qui avait été promis pour restaurer toutes choses. Que donc ceci soit le premier membre, que Jésus Nazarien a été un homme approuvé de Dieu par témoignages évidents, en sorte qu’il ne devait être méprisé comme un homme vulgaire et inconnu.

Le traducteur Latin ancien a rendu le mot Grec, bien à propos par cette diction Approuvé. Et ainsi Erasme se trompe, qui pense qu’il ait autrement lu en son livre que nous ; et quant à lui il n’a point assez exprimé l’intention de S. Luc, en traduisant Exhibé. Car puisque le mot Grec signifie autant en leur langue, comme en la notre Démontrer, dont aussi vient le mot de Démonstrations, duquel usent les Mathématiciens, voulant signifier des arguments qui représentent tout évidemment la chose devant les yeux, et qui font des preuves nécessaires ; S. Pierre a voulu dire, que Jésus n’est point venu comme un homme inconnu, et sans témoignage ou approbation ; mais que les miracles que Dieu a faits par lui, ont servi à cela, qu’il fut connu excellent. Il dit, Approuvé entre les Juifs, pour ce que Dieu a voulu que son Fils fut prisé et réputé grand et excellent entre eux. Comme s’il disait que les miracles n’ont pas été adressés aux autres nations, mais aux Juifs ; afin qu’ils connussent que Jésus leur était envoyé de Dieu.

Par puissants faits, par merveilles, et par signes. Il dénote les miracles par ces trois mots. Et de fait, pour ce que Dieu déclare sa vertu en ceux-ci par une façon nouvelle et non accoutumée, ou pour le moins suscite en ceux-ci plus grande admiration, à bon droit ils sont appelés puissant faits. Car nous avons accoutumé d’être d’avantage émus, quand quelque chose extraordinaire advient. A cause de quoi les miracles sont appelés Merveilles, d’autant qu’ils nous contraignent de nous étonner. Or ils sont appelés signes, pour ce que Dieu ne veut point que les esprits des hommes s’arrêtent là, mais qu’ils se dressent et soient élevés plus haut ; comme ils se rapportent à une autre fin. Il a donc usé de ces trois mots, pour mieux exalter les miracles de Christ, et par un tel amas de paroles inciter le peuple à les considérer plus attentivement. Au demeurant, il ne fait point Christ principal auteur, mais seulement ministre ; pour autant qu’il a délibéré de procéder de degré en degré, comme il a été dit. Toutefois on pourrait demander si les miracles suffisent pour une approbation légitime ; car par ce moyen les magiciens donneraient autorité à leurs tromperies. A cela je réponds, qu’il y a grande différence entre les sorcelleries de Satan et la vertu de Dieu. Il est vrai que Christ dénonce ailleurs que le royaume de l’Antéchrist sera en miracles et signes (Matthieu 24.24) mais il ajoute tout soudain après, que ce seront miracles de mensonge, 2 Thessaloniciens 2.9. Si quelqu’un réplique, qu’il n’est pas facile de les discerner, pour ce qu’il dit qu’ils auront si belle apparence, qu’ils tireront les élus en erreur, si faire se peut ; je réponds derechef, que la déception ne vient que de notre faute, d’autant que nous sommes lourds, et avons l’entendement tout hébété. Car Dieu montre sa vertu assez clairement. Et pourtant il y a assez ferme approbation tant de la doctrine que du ministère dans les miracles ou signes que Dieu fait, pourvu que nous ayons des yeux. Et quant à ce que l’approbation n’est pas ferme envers les infidèles, pour ce qu’ils peuvent à tous propos être déçus par les faux miracles de Satan, il faut imputer cela à leur aveuglement. Mais quiconque a le cœur net, a aussi les yeux de son entendement purs pour reconnaître Dieu, toutes les fois q’il se montre. Et Satan ne peut autrement décevoir, sinon quand par la malice de notre cœur nous avons le jugement corrompu, et les yeux éblouis de ténèbres, ou qu’ils sont devenus chassieux par notre négligence.

2.23

ce Jésus, livré selon le conseil arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez fait mourir par la main d’infidèles, l’ayant cloué à la croix ;

La principale raison pourquoi il a fait mention de la mort de Christ, c’est afin qu’il y eût plus pleine certitude de la résurrection. C’était une chose toute notoire entre les Juifs, que Christ avait été crucifié. Qu’il soit ressuscité est un singulier et merveilleux témoignage de la vertu de Dieu. Cependant afin de poindre leurs consciences du sentiment de leur péché, il dit qu’il a été occis par eux. Non pas qu’ils l’avaient crucifié de leurs propres mains ; mais d’autant que par la voix de tout le peuple il fut demandé qu’on le fît mourir. Et combien que plusieurs des auditeurs auxquels il parle, n’eussent consenti à une si méchante et maudite cruauté, si est-ce qu’il impute à bon droit ce péché à toute la nation ; pour ce qu’ils s’étaient tous souillés en se taisant, ou autrement ne tenant compte de la chose. Et la couverture d’ignorance n’a point ici de lieu, vu que Dieu l’avait auparavant approuvé. Cette condamnation donc à laquelle il les adjuge, est une préparation à repentance.

Par le conseil défini et providence de Dieu. Il prévient le scandale ; pour autant qu’il semble de prime face que ce soit une chose absurde, que cet homme que Dieu avait orné de si excellentes vertus, soit puis après abandonné à toute moquerie, et finalement endure une mort si ignominieuse. Pour autant donc que la croix de Christ a accoutumé de nous troubler du premier regard, à cette cause S. Pierre nous exhorte que le Seigneur Jésus n’a rien souffert par cas fortuit, ou pour ce qu’il ait eu faute de pouvoir pour se délivrer mais pour ce que Dieu l’avait ainsi ordonné. Car cette seule connaissance, que la mort de Christ avait été ordonnée par le conseil éternel de Dieu, coupe broche à toutes folles pensées et extravagantes ; et prévient tous scandales lesquels sans cela on pouvait concevoir. Car il faut tenir pour tout résolu que Dieu ne décrète rien en vain ni à la volée. Dont il s’ensuit qu’il y a eu juste cause pourquoi il a voulu que Christ ait souffert. Cette même connaissance de la providence de Dieu est une étape pour considérer la fin et le fruit de la mort de Christ. Car en considérant le conseil de Dieu, ceci nous vient tout soudain au devant, Que le juste a été destiné à la mort pour nos péchés, et que son sang été le prix et rançon de notre mort. Or avons-nous ici un singulier passage de la providence de Dieu, afin que nous sachions que notre vie et notre mort sont gouvernées par elle.

Il est vrai que S. Luc parle de Christ ; mais nous avons en sa personne un miroir, lequel nous représente la providence universelle de Dieu, laquelle s’étend généralement par tout le monde ; mais spécialement apparaît à nous qui sommes membres de Christ. S. Luc met ici deux choses ; à savoir la providence de Dieu, et son conseil défini. Or combien que la providence soit la première quant à l’ordre (en tant que Dieu prévoit ce qu’il veut ordonner, devant que de fait il l’ordonne) néanmoins il la met après le conseil, afin que nous sachions que Dieu n’a rien voulu ou ordonné, qu’il n’ait longtemps auparavant dressé à sa fin. Car les hommes délibèrent souvent beaucoup de choses à la volée, pour ce que leur délibération est soudaine. S. Pierre donc pour montrer que le conseil de Dieu n’est point sans raison, il lui adjoint la providence pour compagne. Maintenant il nous faut distinguer ces deux choses, et d’autant plus diligemment que plusieurs sont abusés en cet endroit. Car laissant là le conseil de Dieu, par lequel il gouverne tout le monde, ils empoignent la providence nue. De là vient cette distinction vulgaire, que combien que Dieu prévoit toutes choses, nonobstant il n’impose nulle nécessité aux créatures. Et de fait, il est bien vrai que Dieu prévoit ceci ou cela, pour ce qu’il doit advenir ; mais (comme nous voyons) S. Pierre enseigne que non seulement Dieu a prévu tout ce qui est advenu à Christ, mais qu’il l’avait ainsi décrété et ordonné. Or il nous faut recueillir de ceci une doctrine générale ; pour ce que Dieu ne montre pas moins sa providence au gouvernement de tout le monde, qu’il l’a montrée en ordonnant la mort de Christ. C’est donc à Dieu non seulement de prévoir les choses à venir, mais aussi de décréter ce qu’il veut être fait, selon que bon lui semble. S. Pierre a signifié et démontré ce second point, quand il a dit, que Christ a été livré par le conseil défini de Dieu. Par quoi c’est autre chose la providence de Dieu, que sa volonté, par laquelle il conduit et gouverne toutes choses. Aucuns qui regardent de plus près, confessent que Dieu non seulement prévoit, mais aussi gouverne par sa volonté tout ce qui se fait au monde. Cependant toutefois ils imaginent un gouvernement confus, comme si Dieu lâchait la bride aux créatures, afin que chacune suive l’ordre de sa nature. Ils disent que le soleil est gouverné par la volonté de Dieu, pour ce qu’en nous éclairant il fait son office, lequel lui a été une fois enjoint de Dieu. Tout de même, ils pensent que le franc arbitre est laissé à l’homme, d’autant que sa nature est disposée à élire librement le bien ou le mal. Mais ceux qui sont de cette opinion, imaginent que Dieu est oisif au ciel. Or l’Écriture parle bien d’une autre façon, laquelle attribue un gouvernement spécial à Dieu en chacune chose, et en toutes les opérations des hommes. Toutefois c’est à nous de considérer à quelle fin elle nous enseigne ceci. Car il nous faut bien garder de toutes spéculations frivoles et pleines de rêveries, desquelles nous voyons plusieurs être transportés. L’Écriture veut exercer notre foi, afin que nous soyons certains que Dieu nous garde et défend de sa main, à ce que ne soyons à découvert et exposés aux nuisances de Satan et des méchants. Il est bon de nous arrêter à cela seulement. Et de fait, S. Pierre n’a prétendu autre chose en ce passage. Et qui plus est, nous avons ici un exemple proposé en Christ, de vouloir savoir à sobriété seulement, c’est-à-dire, par mesure. Car il ne faut douter que sa chair n’ait été sujette à corruption, selon sa nature ; mais la providence de Dieu l’avait exempté de corruption. Si quelqu’un demande, Les os de Jésus-Christ n’étaient-ils pas fragiles ? il ne faut pas nier qu’ils ne le fussent naturellement, et toutefois il faut ajouter que pas un n’a pu être cassé, pour ce que Dieu l’avait ainsi ordonné. Je dis donc que nous sommes exhortés par cet exemple, que nous devons tellement donner le premier lieu à la providence de Dieu, que cependant nous nous contenions dedans nos limites, et ne nous ingérions follement à chercher les secrets de Dieu, où nos yeux ne peuvent pénétrer, tant clairvoyants soient-ils.

Par les mains des iniques. Pour ce qu’il semble que S. Pierre ait voulu signifier que les iniques aient rendu obéissance à Dieu, de cela s’ensuit l’une de ces deux absurdités ; ou que Dieu est auteur de méchancetés ; ou bien que les hommes ne pèchent point en commettant quelque méfait que ce soit. Je réponds à la seconde absurdité, que combien que les méchants exécutent ce que Dieu a ordonné en soi-même, toutefois ils ne font rien moins que rendre obéissance à Dieu. Car l’obéissance procède d’une affection volontaire. Or nous savons que l’intention des méchants est tout autre. De plus, nul n’obéit à Dieu, s’il ne connaît quelle est la volonté de Dieu. L’obéissance donc dépend de la connaissance de la volonté de Dieu. Or Dieu nous a manifesté sa volonté en la Loi. Par quoi ceux-là seuls obéissent à Dieu, qui rapportent leurs œuvres à la règle de la Loi, et qui se soumettent volontairement et de bon gré au commandement de celle-ci. Nous ne voyons rien de ceci en tous les méchants ; lesquels Dieu pousse ça et là sans qu’ils en sachent rien. Ainsi donc, nul ne dira qu’ils soient excusables, sous couleur de ce qu’ils obéissent à Dieu ; vu que d’un côté nous devons chercher la volonté de Dieu en la Loi ; et d’autre part, quant à eux ils cherchent de résister à Dieu, en tant que cela dépend d’eux.

Quant à l’autre absurdité, je nie que Dieu soit auteur du mal ; pour ce que ce mot emporte certaine signifiance. Car un acte est estimé maléfice et forfait par la fin à laquelle tend celui qui le fait. Quand les hommes commettent un larcin ou meurtre, ils pèchent, pour ce qu’ils sont homicides ou larrons. Or au larcin et au meurtre, il y a une méchante délibération. Dieu qui se sert de leur malice, doit être mis en plus haut degré ; car il regarde bien à une autre fin. Il veut châtier l’un, et exercer la patience de l’autre ; et par ce moyen il ne se désavoue jamais de sa nature, c’est-à-dire, de parfaite droiture. Ainsi ce que Christ a été livré par les mains des méchants et crucifié, cela a été fait par la volonté et ordonnance de Dieu. Mais la trahison qui est méchante de soi, et le meurtre, qui contient un crime si énorme en soi, ne doit être réputé œuvre de Dieu.

Ayant délié les douleurs de la mort. Par les douleurs de la mort, j’entends quelque chose d’avantage que le sentiment corporel. Car si nous considérons au vrai quelle est la nature de la mort, d’autant qu’il est dit que c’est une malédiction de Dieu, il faut nécessairement qu’en la mort nous concevions que Dieu est courroucé. De là procède une merveilleuse frayeur, en laquelle il y a beaucoup plus de mal qu’en la mort même. Or Christ est mort à cette condition qu’il soutînt notre condamnation. Cette crainte intérieure en la conscience dont il a été contraint à un épouvantement tel qu’il en a sué sang, pensant qu’il avait à se présenter devant le siège judicial de Dieu, lui a apporté beaucoup plus d’angoisse et frayeur que tous les tourments corporels. Au surplus, ce que saint Pierre enseigne que Christ a combattu contre telles douleurs, et dit en même temps qu’il est demeuré victorieux ; cela fait que les fidèles ne doivent plus maintenant craindre la mort, ni l’avoir en horreur. Car la mort n’a point maintenant la même qualité qu’elle avait en Adam ; d’autant que la malédiction de Dieu est engloutie par la victoire de Christ (1 Corinthiens 15.54). Il est vrai que nous sentons encore des pointes de douleurs, mais lesquelles ne nous blessent point mortellement, quand le bouclier de la foi est mis au-devant. Il ajoute la raison ; pour ce qu’il était impossible que le Fils de Dieu fut accablé de la mort, lui qui est auteur de vie.

2.24

Dieu l’a ressuscité, ayant dissipé les douleurs de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’il fût retenu par elle.

2.25

Car David dit de lui : Je voyais le Seigneur devant moi constamment, parce qu’il est à ma droite, afin que je ne sois point ébranlé.

Il fallait prouver aux Juifs comme une chose nouvelle et non connue la résurrection de Christ, qui toutefois était attestée par claires et certaines prophéties, et qui pouvait être recueillie de toute la doctrine des Prophètes. Mais ce n’est pas merveille. Car nous voyons qu’après que Christ l’eut souvent répétée à ses disciples, ils n’y avaient encore guère profité. Et toutefois ces pauvres Juifs-ci avaient certains principes de la vraie doctrine, lesquels leur pouvaient donner entrée à la connaissance de Christ ; comme nous verrons tantôt après. Pour autant donc que le don du Saint Esprit, c’est-à-dire, que le Saint Esprit avait été envoyé sur la compagnie la assemblée, était un fruit de la résurrection de Christ, il confirme le témoignage de David, qu’il fallait que Christ ressuscitât ; afin que par cela les Juifs le reconnaissent pour auteur de ce don. Car il prend pour tout résolu qu’il a été ressuscité des morts, non point afin qu’il fût vivant pour soi, mais pour les siens. Nous voyons maintenant où tend l’intention de S. Pierre ; à savoir qu’on ne devait trouver étrange ce qui avait été ainsi prédit longtemps auparavant et avec ce que Jésus est le Christ, d’autant que David a prophétisé de lui comme du chef de l’Eglise. Premièrement, il nous faut voir si ce passage doit être aucunement entendu de Christ comme S. Pierre l’affirme. Après cela nous éplucherons par ordre s’il y a quelque chose digne d’être observée aux mots.

S. Pierre déclare que ce qui est ici dit, ne convienne point à David, à savoir, Tu ne permettras point que ton saint voie corruption ; d’autant que le corps de David a été corrompu au sépulcre. Il semble de prime face que ce soit un argument léger et faible. Car on pourrait répliquer promptement, qu’il ne faut pas trop presser ce mot pour en faire la preuve de la résurrection de Christ, vu que David n’a voulu autre chose sinon affirmer qu’il est assuré qu’il sera préservé de perdition. Ainsi donc, quoi qu’il ait été touché de corruption, cela toutefois n’empêche point qu’il n’ait bonne raison de dire qu’il est assuré de ne pas tomber dedans ; pour ce qu’il savait que le Seigneur le délivrerait. Et même, il semble que ce soit une répétition du membre précédent, selon l’usage coutumier de la langue Hébraïque. Que s’il est ainsi, le sens sera simple, que Dieu ne permettra point qu’il soit opprimé sous l’empire de la mort, ou que la mort l’engloutisse. Et cette interprétation est confirmée parce qu’en lieu que nous lisons ici Enfer, il y a en l’hébreu Séol ; et au lieu que nous lisons ici Corruption, il y a là Shachat. Or l’un et l’autre mot signifie Sépulcre. En cette sorte David dirait deux fois qu’il sera délivré de la mort par la vertu et grâce de Dieu. Bref, il signifie ici cela même qui est dit au Psaume 49.15, Dieu rachètera mon âme de la puissance d’enfer. Comme au contraire, quand il parle des réprouvés, il a accoutumé de prendre la descente au sépulcre, pour la perdition et damnation. Je réponds en peu de paroles, que quelque chose plus grande est ici exprimée que la commune rédemption des fidèles. Il est bien vrai que David s’assure que Dieu sera son garant et sauveur éternel tant en la vie qu’en la mort. Et de fait, que lui eût profité d’avoir été délivré une fois d’un péril, sinon qu’il se fut persuadé que par la protection de Dieu il serait mené finalement à salut ? Mais il marque ici un salut qui surpasse la commune condition des fidèles. Et certes les paroles mêmes signifient qu’il se réjouit et se glorifie de quelque nouveau et singulier privilège de Dieu. D’avantage, encore que nous accordions que ce fut une répétition, et que ces deux membres ne continssent qu’une même chose, à savoir, Tu ne délaisseras pas mon âme an sépulcre et, Tu ne permettras point, etc. Toutefois je dis que ceci ne doit être simplement entendu, que Dieu veuille son Saint de ruine éternelle. Car il y a promesse expresse qu’il sera exempt de corruption. Et je ne m’arrête point à cela, que Shachat signifie sépulcre, comme aussi Seol, qui est mis au premier membre. Car quand nous laisserions là les mots sans en débattre, nonobstant il faut regarder à leur étymologie, et d’où ils viennent. Vu donc que le sépulcre est appelé Shachat, pour ce qu’il corrompt de putréfaction le corps d’un homme ; il ne faut point douter que David n’ait voulu noter cette qualité. Par ce mot est plutôt exprimée la condition de pourrir, que le lieu. Ainsi le sens sera. Que Dieu ne permettra point que celui duquel le Psaume parle, pourrisse au sépulcre. Or comme ainsi soit que David n’ait été exempt, de cette nécessité, il s’ensuit que la prophétie n’a point été entièrement et parfaitement accomplie en lui. Or que le Psaume doive être nécessairement exposé de Christ, la chose d’elle-même le montre assez. Car puisque David était l’un des enfants d’Adam, il ne pouvait éviter cette condition universelle du genre humain : Tu es poudre et retourneras en poudre ; le sépulcre dis-je, est ouvert à tous les enfant d’Adam, pour les engloutir et consumer (Genèse 3.19) tous ; en sorte que nul ne se peut exempter de corruption. Par ainsi quand nous nous contemplons à part sans Christ, nous voyons le sépulcre ouvert et apprêté, lequel nous menace de pourriture. Pourtant si David est séparé de Christ, ce qui est ici dit, ne lui conviendra nullement, à savoir qu’il sera sauvé du sépulcre. Quand donc il se glorifie qu’il sera exempté du sépulcre quant à la pourriture, il ne faut point douter qu’il ne se conjoigne au corps de Christ ; auquel la mort a été vaincue, et son règne aboli. Que si David ne se promet l’exemption du sépulcre pour autre raison, sinon entant qu’il est membre de Christ, il apparaît par ceci qu’il faut commencer par Christ, comme par le chef. Quiconque sera de bon jugement, connaîtra facilement que cet argument est bon ; Dieu a assujetti tout le genre humain à corruption ; David donc en tant qu’il était du nombre des hommes, n’a pu être exempté de cette corruption. Il ne faut pas douter que les Juifs auxquels s’adressaient ces propos, comme ainsi soit que cette maxime était hors de toute doute entre eux, qu’il ne fallait attendre ni espérer la restauration d’ailleurs que du Christ promis, n’ayant tant plus facilement acquiescé aux paroles de Pierre ; pour ce qu’ils voyaient bien que ce que les mots portent, ne pouvait autrement demeurer ferme, sinon qu’on fut venu au Messie. Car ils n’étaient point venus jusques à une telle impudence (pour le moins ceux desquels il fait ici mention) qu’ils osent en choses si manifestes et ouvertes amener des chicanes. Car Dieu avait pour lors donné à ses disciples des auditeurs, gens dociles et craignant Dieu. Ils cherchaient le Messie dans le vieux Testament. Ils savaient bien qu’il était figuré en David ; ils avaient quelque religion, et portaient révérence aux saintes Écritures. Mais aujourd’hui ils sont presque tous désespérément effrontés ; et quoiqu’on les presse par arguments, ils se moquent de tout. Quand ils ne peuvent trouver d’échappatoire. Ils se sauvent à toute force, c’est-à-dire, en niant tout ; étant vaincus, jamais ils ne se rendront. Et ne faut nullement douter, que cette vilaine impudence ne soit une punition de leur impiété. Mais retournons au propos de S. Pierre. Vu que David non seulement prédit que Dieu lui sera libérateur, mais aussi exprime un moyen singulier, à savoir qu’il ne sera point sujet à la corruption du sépulcre ; S Pierre recueille de ceci a bon droit que cela ne le concerne point proprement, vu que son corps est pourri au sépulcre. Or pour ce que les Juifs eussent pu trouver ceci une chose fort dure à entendre, il adoucit l’âpreté, usant de circonlocutions. Car il ne dit pas précisément en un mot, que ceci n’a point été vraiment accompli en David ; mais seulement il le signifie obliquement, pour ce qu’il est consumé au sépulcre à la façon des autres. Au reste David a tellement prophétisé de Christ, qu’il s’est particulièrement approprié cette consolation, et l’a étendue au corps universel de l’Eglise. Car ce qui est entier et parfait au chef, est puis après répandu et distribué à un chacun membre. Toutefois il ne faut point nier que David n’ait ici parlé de soi-même ; mais ç’a été en tant qu’il se contemplait en Christ, comme au miroir de vie. Il jette donc son premier regard sur le Christ ; puis il se tourne aussi vers soi-même et les autres fidèles. Ici nous est donnée une doctrine générale de la nature de la foi, de la joie spirituelle, de la conscience, de l’espérance, de la délivrance éternelle.

Je contemplais, etc. Il nous faut retenir ce principe, si nous voulons que Dieu nous soit présent, de le nous proposer devant nos yeux, et même avant qu’il apparaisse. Car le regard de la foi passe beaucoup plus avant que l’expérience qui se voit présentement. La foi donc a donc ceci de propre, qu’elle se propose toujours Dieu pour guide et conducteur en choses confuses et en tous dangers. Car il n’y a rien qui nous soutienne que la connaissance de la présence de Dieu ; comme au contraire l’opinion de son absence nous rend tout éperdus. David ajoute qu’il n’a point été en vain attentif à cette adresse de Dieu ; car il dit que Dieu est à sa dextre, signifiant par cela, que quand nous le mettons devant nos yeux, il ne faut nullement craindre qu’il nous trompe et déçoive notre foi ; d’autant que nous sentirons toujours son aide présente. Il est vrai que la foi doit bien en espérant l’aide de Dieu, prévenir toute expérience, et tout ce que les hommes peuvent connaître par leurs sens ; mais quand elle aura donné cette gloire à Dieu, de le contempler en la Parole, combien qu’il soit absent, voire invisible, elle sera finalement surmontée par l’effet. Car la mesure de la foi n’est pas si grande, qu’elle puisse comprendre la grandeur et largeur infinie de la puissance et bonté de Dieu. Or il use d’une similitude prise de ceux qui se joignent au côté de ceux qu’ils sentent être débiles pour les soutenir, et de ceux qu’ils connaissent être timides pour les conformer.

N’ébranler, se prend ici pour n’être point abattu et ne perdre courage, mais demeurer ferme et sur pied, comme on dit ; comme aussi il est dit Psaumes 46.5, Dieu est au milieu de son Eglise, elle ne sera point ébranlée. Car combien qu’il advienne que les fidèles soient souvent ébranlés rudement, toutefois pour ce qu’ils reprennent toujours courage, il est dit qu’ils demeurent fermes. Il ne faut donc point que ceux qui sont soutenus par l’aide de Dieu craignent de tomber. Comme au contraire, ceux qui constituent leur force ailleurs qu’en Dieu, s’agiteront pour bien petit de vent qui souffle, et ne faudra qu’une bien petite tentation pour les faire trébucher.

2.26

C’est pour cela que mon cœur s’est réjoui, et ma langue a été dans l’allégresse, et même ma chair reposera encore avec espérance ;

Après la confiance et l’assurance, s’ensuit la joie de l’âme, la liesse de la langue, et le repos assuré de tout le corps. Car si les hommes ne sont stupides, il faut qu’ils soient en angoisse et tristesse, voire misérablement tourmentés, tandis qu’ils se sentent être destitués de l’aide de Dieu. Mais la confiance qui est mise en Dieu, non seulement nous délivre de toute détresse mais aussi réjouit merveilleusement nos cœurs. C’est-ci la joie que Jésus-Christ a promise à ses disciples, laquelle ne leur sera point ôtée, Jean 16.22 ; 17.13. Il exprime la grandeur de cette joie, quand il dit qu’elle ne pourra se contenir au dedans, mais qu’elle ne se déclarera par liesse de langue. Cavod en hébreu signifie bien Gloire, mais ici comme en plusieurs autres passages, il se prend pour la langue ; par quoi les Grecs ont bien fait de le tourner ainsi.

Le repos de la chair, signifie l’assurance de l’homme tout entier, laquelle la protection de Dieu nous apporte. Et à cela ne contredit point que les fidèles sont en inquiétude, et tremblent toujours. Car tout ainsi qu’au milieu de la tristesse ils ne laissent pas de se réjouir ; aussi il n’y a point d’agitations si grandes, qui puissent rompre leur repos. Si on objecte que la paix des fidèles consiste en l’esprit, et que ce n’est point une paix charnelle ; je réponds que les fidèles reposent selon le corps, non point qu’ils soient exempts de fâcheries, mais pour ce qu’ils s’assurent que Dieu a entièrement soin d’eux, et que non seulement leur âme sera en salut sous sa protection, mais aussi leur corps sera assuré.

2.27

parce que tu n’abandonneras point mon âme dans le séjour des morts, et tu ne permettras point que ton Saint voie la corruption.

Laisser l’âme en enfer, c’est la laisser opprimer de la mort. Deux mots sont ici mis, lesquels signifient tous deux en hébreu, sépulcre ; pour ce que le verbe Shaal signifie autant que demander, je pense que Scheol, qui signifie sépulcre, vient de là, pour ce que la mort est insatiable, dont aussi viennent ces façons de parler par similitude : Le sépulcre a élargi son âme. De même : Ils ouvrent leur bouche comme le sépulcre. Au reste, pour ce que le dernier mot Sahath est tiré de corruption, ou consomption, il faut considérer cette qualité ; comme aussi David l’a voulu noter. Quant à ce que certains disputent ici de la descente de Jésus-Christ aux enfers, ce sont choses superflues, selon mon jugement, d’autant que c’est une chose éloignée de l’intention et propos du Prophète. Car le mot d’âme en ce passage, ne signifie pas tant l’esprit qui est d’une essence immortelle, que la vie. Car quand l’homme est mort et étendu au sépulcre, il est dit que le sépulcre domine sur sa vie. Ce que les Grecs ont tourné ton saint, les Hébreux ont un mot qui signifie débonnaire. Mais saint Luc n’a pas tenu compte de cela, pour ce qu’il ne servait de rien à la présente matière. Au reste, l’humanité et douceur est tant souvent louée chez les fidèles, pour ce qu’il faut qu’ils ensuivent la nature de leur Père, et lui ressemblent.

2.28

Tu m’as fait connaître les chemins de la vie ; tu me rempliras de joie par ta présence.

Il signifie qu’il a été remis de mort à vie par la grâce de Dieu. Car ce qu’il est comme à demi-ressuscité, il le reconnaît avoir reçu de la seule bénignité de Dieu Ceci a été tellement accompli en Jésus-Christ, qu’il n’y avait rien à redire ; mais les membres ont leur mesure. Ainsi donc Jésus-Christ a été exempt de corruption, afin qu’il soit les prémices de ceux qui ressuscitent, 1 Corinthiens 15.20. Et nous le suivrons finalement, chacun en son ordre ; mais ce sera après que nous aurons été réduits en poudre, 1 Corinthiens 15.42. Or quant à ce qu’il ajoute qu’il est rempli de joie avec la face de Dieu, cela convient avec ce qui est dit ailleurs : Montre-nous ta face, et nous serons sauvés, Psaumes 80.3. Et encore : La lumière de ta face a été marquée sur nous ; tu as donné liesse en mon cœur. Car il n’y a que la face joyeuse de Dieu, qui non seulement nous réjouit, mais aussi nous vivifie. Au contraire, quand il détourne sa face de nous, et l’a comme troublée, il faut nécessairement que nous défaillions.

2.29

Hommes frères, qu’il me soit permis de vous dire, en toute liberté, au sujet du patriarche David, et qu’il est mort et qu’il a été enseveli, et que son sépulcre est parmi nous jusqu’à ce jour.

2.30

Etant donc prophète, et sachant que Dieu lui avait promis avec serment qu’il ferait asseoir un de ses descendants sur son trône,

Il démontre par deux raisons, qu’il ne se faut étonner si David étend ses paroles beaucoup plus loin qu’au temps de son âge. La première est, qu’il était Prophète. Or nous savons que les choses à venir et fort éloignées de la connaissance des hommes sont manifestées aux Prophètes. Par quoi c’est une chose inique de mesurer leurs paroles selon la façon commune des autres ; vu que par la conduite du saint Esprit elles outrepassent des longues révolutions d’années. Et pour cette raison ils sont appelés Voyants, d’autant que comme étant mis en une haute tour, ils voient des choses qui sont cachées aux autres pour la longue distance. La seconde raison est, que Jésus-Christ lui avait été particulièrement promis. Or cette maxime était tellement par tout reçue entre les Juifs, que souvent ils avaient ce mot en la bouche, Fils de David, chaque fois que mention était faite du Messie. Il est vrai que ce ne sont point tels arguments, qu’ils concluent nécessairement que cette prophétie doive être exposée de Jésus-Christ ; et aussi ce n’a point été l’intention de S. Pierre. Mais premièrement il a voulu prévenir l’objection qu’on eût pu faire au contraire, comment David aurait-il pu ainsi deviner une chose qui lui était in-connue. Il dit donc qu’il a connu Jésus-Christ, et par révélation Prophétique, et par promesse spéciale. D’avantage, ce principe que donne S. Paul (Romains 10.4) à savoir que Jésus-Christ est la fin de la Loi, avait lieu entre ceux qui avaient le jugement pur et bon. Nul ne doutait donc alors que tous les Prophètes ne tendissent à ce but, de conduire par la main tous les fidèles à Jésus-Christ. Pour cette raison le peuple était persuadé que tout ce qu’ils avaient dit d’excellent ou extraordinaire, convenait vraiment au Messie. Par quoi il faut noter que saint Pierre argumente bien, quand il recueille que ce qui était le principal point de toutes les révélations, n’a point été obscur à David.

Que Dieu lui avait promis avec jurement. Dieu a juré non seulement afin que David ajoutât foi à sa promesse ; mais aussi afin que la chose promise fut plus estimée. Lequel jurement est ici répété, selon mon jugement, afin que les Juifs pensent de quelle importance était la promesse que Dieu avait ainsi marquée. Et cette même admonition nous est aussi utile. Car il ne faut point douter que le Seigneur n’ait voulu montrer quelle était l’excellence de l’alliance, y ajoutant un serment solennel. Cependant nous avons ici un remède souverain pour l’infirmité de notre foi, puisque Dieu nous offre son précieux et sacré nom pour gage, qui nous assure de la vérité de ses promesses. Ce mot Selon la chair, signifie qu’il y avait en Christ quelque chose plus noble que la chair. Christ donc est tellement né homme de la semence de David, que cependant il garde sa Divinité ; et en cette sorte est nommément exprimée la distinction qui est entre les deux natures ; puisque Christ est appelé par une même raison Fils de Dieu, pour le regard de son essence éternelle, comme il est dit semence de David, pour le regard de son humanité.

2.31

il a, par prévision, parlé de la résurrection du Christ, disant qu’il n’a point été laissé dans le séjour des morts et que sa chair n’a point vu la corruption.

2.32

C’est ce Jésus que Dieu a ressuscité ; ce dont nous tous, nous sommes témoins.

Après avoir prouvé par le témoignage de David qu’il fallait que Jésus-Christ ressuscitât, il dit que lui et ses autres compagnons sont témoins de cette résurrection. Dont il s’ensuit que ce que David avait prédit de Christ, a été accompli en Jésus de Nazareth. Puis après il traite du fruit ou efficace. Car il fallait en premier lieu démontrer cela, que Jésus-Christ était vivant. Autrement c’eût été une chose absurde et incroyable, de dire qu’il fût auteur d’un si excellent miracle. toutefois il démontre en même temps qu’il n’est point particulièrement ressuscité pour soi ; mais afin qu’en épandant son saint Esprit, il fît toute l’Eglise participante de sa vie.

2.33

Ayant donc été élevé par la droite de Dieu et ayant reçu du Père l’Esprit-Saint qu’il avait promis, il a répandu ce que vous-mêmes aussi voyez et entendez.

La dextre est ici prise pour la vertu ou puissance, comme par tout en l’Ecriture. Car il veut dire que ceci a été une œuvre de Dieu digne de mémoire, qu’il a exalté son Christ en une si grande hautesse de gloire, lequel les hommes pensaient être complètement éteint. La promesse de l’Esprit, signifie ici l’Esprit promis. Car il avait déjà auparavant souvent promis le S. Esprit aux Apôtres. Saint Pierre donc signifie que Jésus-Christ a obtenu de Dieu son Père la puissance d’accomplir. Et il exprime notamment la promesse, afin que les Juifs sachent que ceci n’est point soudainement advenu, mais que maintenant les paroles du prophète Joël se sont trouvées véritables, qui avaient été dites longtemps auparavant que le fait advint. Au reste, quant à ce qui est dit, qu’il a reçu de son Père, cela est dit pour le regard de la personne du Médiateur. Car on peut bien dire tous les deux : que Jésus-Christ a envoyé le Saint Esprit de par soi et de par son Père. Il l’a envoyé de par soi, pour autant qu’il est Dieu éternel ; il l’a envoyé de par le Père, pour ce qu’en tant qu’il est homme, il reçoit du Père le Saint Esprit pour le nous transmettre. Or S. Pierre parle prudemment selon la capacité des rudes ; afin qu’il n’émeuve une question de la vertu de Christ hors de propos. Et de fait, vu que l’office de Jésus-Christ est de nous adresser au Père, voici une façon de ; parler bien propre pour l’usage de la vraie religion, que Jésus-Christ comme étant au milieu entre Dieu et nous, après avoir reçu des dons de la main de son Père, nous les donne après de sa main.

D’avantage, il nous faut noter cet ordre, qu’il dit que le Saint Esprit a été envoyé par Jésus-Christ, après qu’il a été élevé. Ceci s’accorde avec ces sentences : Le Saint Esprit n’était pas encore donné, d’autant que Christ n’était pas encore glorifié, Jean 7.39. De même : Si je ne m’en vais, le Saint Esprit ne viendra point Jean 16.7. Non pas que le Saint Esprit ait commencé seulement alors d’être donné ; car il a été donné aux saints Pères depuis le commencement du monde ; mais pour ce que Dieu a différé cette abondance de grâce beaucoup plus manifeste, jusques a ce qu’il eût placé son Christ en son siège royal ; laquelle abondance est signifiée par ce verbe, J’épandrai, comme nous avons vu naguère. Car l’efficace et vertu de la Résurrection est scellée par ce moyen. Et en même temps nous entendons par ceci que nous n’avons rien perdu quand il est parti du monde ; pour ce qu’étant absent selon le corps, il nous est mieux présent par la grâce de son Esprit.

2.34

Car David n’est point monté au ciel ; mais il dit lui-même : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite,

Combien qu’il fut facile de recueillir de l’effet même, lequel ils voyaient devant leurs yeux, que la principauté avait été donnée au Seigneur Jésus, toutefois afin que sa gloire ait plus d’autorité, il prouve par le témoignage de David, que Dieu l’avait ainsi dès longtemps ordonné, que Jésus-Christ fut exalté au souverain degré d’honneur. Car cette forme de parler, être assis à la dextre de Dieu, vaut autant comme s’il était dit qu’il obtient le souverain Empire ; comme il sera dit ci-après plus simplement. Toutefois avant que de mentionner la prophétie, il déclare qu’elle ne convient à aucun autre qu’à Jésus-Christ. Afin donc que le sens soit plus clair, Il faut que cette sentence soit ainsi mise en ordre ; David prononce que Dieu a ordonné qu’un Roi soit assis à sa dextre. Or ceci n’appartient point à David, qui n’a jamais été exalté en degré ni honneur si haut. Il dit donc cela du Messie. D’avantage, ce qui avait été prédit par l’oracle du saint Esprit, ne devait sembler nouveau aux Juifs. Il apparaît par ceci, en quel sens saint Pierre dit que David n’est point monté aux cieux. Il n’est donc point ici question de l’âme de David, à savoir si elle a été reçue au repos bienheureux et domicile céleste ; mais cette Ascension au ciel comprend sous soi ce que saint Paul enseigne au chapitre 4 des Éphésiens ; où il situe Jésus-Christ pardessus tous les cieux, afin qu’il remplisse toutes choses. Par quoi ce serait une chose du tout superflue de disputer ici de l’état des morts. Car saint Pierre ne veut dire autre chose, sinon que la prophétie de la place à la dextre de Dieu n’a point été accomplie en David ; et pourtant il faut chercher ailleurs la vérité de celle-ci. Or vu que cette vérité ne peut être trouvée sinon en Christ, il reste que les Juifs exhortés par cette prophétie connaissent que ce qui avait été si longtemps auparavant prédit, leur est montré en Christ. Il est bien vrai que David a régné par le commandement de Dieu, et aucunement a été son lieutenant ; non point toutefois en telle sorte qu’il fut éminent par dessus toutes créatures. Par quoi cette place ne peut appartenir à aucun, s’il n’est haut élevé par-dessus tout le monde.

Le Seigneur a dit à mon Seigneur, assieds-toi à ma dextre. Pour ce que la juste et légitime façon de régner est, quand le Roi ou Empereur, ou de quelque autre nom que soit appelé celui qui domine, connaît qu’il est ordonné le Dieu ; à bon droit aussi David prononce expressément, que le mandement de régner a été donné à Jésus-Christ. Comme s’il disait qu’il n’a point usurpé follement l’honneur a soi, Hébreux 5.5 ; mais seulement a obéi au commandement de Dieu. Il nous faut voir maintenant si la raison de S. Pierre est assez ferme. Il fait cette conséquence, que ceci est dit de Christ, puis que l’assiette à la dextre de Dieu ne convient point à David. Or il semble bien que cela peut être réfuté, pour ce que David a régné par le commandement spécial, au nom et en l’autorité de Dieu, qui est être assis à la dextre de Dieu. Mais S. Pierre prend pour tout résolu ce qui est véritable (comme déjà nous l’avons touché en bref) qu’ici est signifié un plus grand et plus excellent Empire, que celui duquel David a joui. Car combien qu’il ait été lieutenant de Dieu, et par manière de dire ait représenté sa personne en régnant ; toutefois cette puissance n’est pas de beaucoup si grande, qu’elle soit éminente jusques au côté dextre de Dieu. Car ceci est attribué à Jésus-Christ, d’autant qu’il est ordonné et constitué sur toute principauté, et tout nom qui est nommé non seulement en ce monde, mais aussi au siècle à venir, Ephésiens 1.21. Vu que David est assis beaucoup au-dessous des Anges, il n’occupe pas un si haut siège qu’il soit réputé second après Dieu. Car il faut monter outre tous les cieux, avant qu’on vient à la dextre de Dieu. Par quoi, nul n’est proprement et vraiment assis en cette dextre, sinon celui qui surpasse toutes créatures en dignité et honneur. Mais celui qui est assis entre les créatures, quand encore il serait mis au rang et ordre des Anges, il demeure toutefois au-dessous de cette grande hautesse. D’avantage, il ne faut point chercher la dextre de Dieu entre les créatures ; mais elle est éminente même par-dessus toutes les principauté célestes.

De plus, le contenu de tout le texte emporte grand poids. Ici est commandé au Roi de tenir le souverain Empire, jusques à ce que Dieu ait abattu et mis par terre tous ses ennemis. Ainsi certes, encore que j’accordasse que le nom d’une situation si honorable puisse être attribué à un seigneur terrien, je dis toutefois que David n’a point régné jusques à ce que tous ses ennemis lui fussent assujettis. Car nous recueillons de ceci à bon droit, que le Royaume de Jésus-Christ est éternel. Mais le royaume de David non seulement a été temporel, mais aussi caduque et de bien petite durée. Joint qu’il a laissé beaucoup d’ennemis ça et là survivant après sa mort. Il est vrai qu’il a obtenu plusieurs nobles victoires ; mais il s’en faut beaucoup qu’il ait dompté tous ses ennemis. Il a rendu tributaires certains peuples qui lui étaient voisins ; il en a chassé d’autres, ou les a déconfits ; mais à quoi aboutit tout cela au pris de cette généralité ? Finalement, on peut résoudre de toute la déduction du Psaume, qu’un autre royaume ne peut être entendu que le Royaume de Christ. Mais encore que nous laissions à parler de tout le reste ; ce qui est là dit de la Sacrificature éternelle, ne convient nullement à la personne de David. Je sais bien que les Juifs babillent ici, que les enfants des Rois sont aussi ailleurs appelés Cohenim. Mais il est ici question de la Sacrificature, telle que Moïse l’attribue au Roi Melchisédec ; comme de fait une nouvelle Sacrificature est ici conformée par serment solennel. Par quoi il ne faut rien controuver en ce lieu qui soit vulgaire ou ordinaire. Or est-il que si David se fut ingéré seulement à quelque partie de l’office sacerdotal, il eût commis un grand forfait ; comment sera-il donc appelé Cohen, voire par-dessus Aaron, et consacré de Dieu à toute éternité ? Au reste, pour ce que je n’ai pas délibéré maintenant d’exposer tout le Psaume, contentons-nous de cette raison que saint Pierre amène ; qu’il y a un Seigneur commis sur la terre et sur les cieux, qui a son siège en la dextre de Dieu. Quant au second membre du verset, touchant les ennemis qui doivent être mis sous ses pieds ; je renvoie les lecteurs à ce que j’ai noté sur 1 Corinthiens 15.25.

2.35

jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis pour le marchepied de tes pieds.

2.36

Que toute la maison d’Israël sache donc avec certitude que Dieu l’a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié.

La maison d’Israël confessait que le Messie ou Christ qui avait été promis, devait venir ; mais elle ne comprenait pas qui il serait. Par quoi S. Pierre conclut que Jésus qui avait été si ignominieusement traîné, et qui pis est, le nom duquel ils avaient en si grande exécration, est celui lequel ils doivent reconnaître et révérer comme leur Seigneur. Dieu (dit-il) l’a fait Seigneur et Christ ; c’est-à-dire : Il ne vous en faut point attendre un autre que celui-ci qui a été créé et donné de Dieu. Au surplus, il dit qu’il a été fait, pour ce que Dieu le Père lui a conféré cet honneur. Il conjoint le titre de Seigneur avec le nom de Christ ; pour ce que ceci était une chose toute vulgaire entre les Juifs, que le Rédempteur devait être oint à cette condition, qu’il fut le chef de l’Eglise, et que la puissance de gouverner, et la souveraine domination lui fut donnée. Et il adresse sa parole à toute la maison d’Israël, comme s’il disait, Tous ceux qui veulent être réputés enfants de Jacob, et qui attendent celui qui est promis Rédempteur, qu’ils sachent certainement que c’est celui-ci, et qu’il n’y en a point d’autre. Il use de ce mot de Maison, pour ce que Dieu avait séparé ce nom et cette famille de tous les autres peuples. Et il ajoute ce mot, Certainement, pour non seulement arrêter leurs esprits en la vraie confiance de Christ, mais aussi afin qu’il coupe broche, ainsi qu’on dit, à toutes les doutes de plusieurs, lesquels souvent font scrupule à leur escient en choses très certaines. Finissant son propos, il leur reproche derechef qu’ils l’ont crucifié, afin qu’étant touchés d’une plus grande amertume et douleur de conscience, ils aspirent au remède. Or puisqu’ils savent déjà que Jésus est le Christ du Seigneur, le gouverneur de l’Eglise, et donateur du Saint Esprit, l’accusation a beaucoup plus grande véhémence. Car le meurtre de celui-ci était pleine non seulement de cruauté et méchanceté, mais aussi de déloyauté horrible contre Dieu ; et avec ce était un témoignage de sacrilège et ingratitude, et de révoltement de Dieu. Mais il fallait qu’ils fussent ainsi navrés, afin qu’ils ne fussent paresseux à chercher remède. Et toutefois ils ne l’avaient pas occis ni crucifié de leurs propres mains ; mais cela est plus que suffisant pour les condamner, qu’ils avaient requis qu’il fût mis à mort. Or pensons aussi ceci de nous, que ce mot nous rendra coupables, si nous le crucifions en nous-mêmes, le voyant maintenant là-haut glorifié au ciel, voire si nous le crucifions le diffamant ; comme il est dit, Hébreux 6.6.

2.37

Ayant entendu ces choses, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux autres apôtres : Hommes frères, que devons-nous faire ?

Maintenant Luc rapporte le fruit de la prédication de S. Pierre, afin que nous sachions que la vertu du saint Esprit a été manifestée non seulement en la diversité des langages, mais aussi dans les cœurs de ceux qui les entendaient. Or il note deux profits. Le premier profit a été, qu’ils ont été touchés de sentiment de douleur ; le second, qu’ils se sont montrés obéissants au conseil de saint Pierre. Voici le commencement de repentance, et l’entrée à la crainte de Dieu, quand nous concevons tristesse de nos péchés, et sommes navrés du sentiment de nos maux ; car tandis que les hommes s’endorment de nonchalance, il ne se peut faire qu’ils appliquent leurs entendements à la vraie doctrine à bon escient. Pour cette raison la parole de Dieu est comparée à un glaive, d’autant qu’elle mortifie notre chair ; afin que nous soyons offerts à Dieu en sacrifice, Hébreux 4.12. Mais aussi avec la componction, il y doit avoir une promptitude à rendre obéissance. Caïn et Judas ont eu componction (Genèse 4.13 ; Matthieu 27.3) mais le désespoir les a empêchés de se soumettre et obéir à Dieu. Et de fait, quand David affirme que le sacrifice qui est agréable à Dieu, c’est un cœur contrit et abattu, certes il parle là de la componction volontaire ; vu que parmi les componctions des méchants il y a des murmures et grincements mêlés. Car l’Esprit saisi de frayeur ne peut faire sinon fuir Dieu. Il nous faut donc bien espérer et redresser nos cœurs par cette confiance de salut ; afin que nous soyons prêts de nous soumettre à Dieu, et résigner nos cœurs à tout ce qu’il lui plaira nous commander. On en voit beaucoup tous les jours, qui sont percés en leurs cœurs ; nonobstant ils se dépitent ou murmurent, ou bien ils résistent avec un orgueil obstiné, voire sont furieusement enragés ; voire même ils prennent occasion d’être ainsi insensés, de ce que de bon gré ils ne veulent sentir telles pointures. La componction donc n’est utile, sinon à ceux qui reçoivent une douleur volontaire, et en même temps demandent le remède à Dieu.

2.38

Et Pierre s’adressant à eux : Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour la rémission de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit.

Nous voyons par ceci, que ceux qui interrogent la bouche du Seigneur, ne s’en retournent jamais vides, et ceux qui se présentent à lui pour être enseignés et gouvernés de lui, ne sont jamais frustrés de leur attente. Car cette promesse : Frappez à la porte, et elle vous sera ouverte (Matthieu 7.7) ne nous peut tromper. Quiconque donc sera vraiment disposé pour apprendre, il sentira que le Seigneur ne frustrera point son saint désir. Car c’est vraiment un bon maître et très fidèle, moyennant qu’il rencontre des disciples obéissants, dociles et studieux. Par quoi il ne faut point que nous craignions qu’il nous laisse dépourvus de bon conseil, pourvu seulement que nous nous rendions attentifs à l’écouter, et ne refusions point d’embrasser et recevoir tout ce qu’il aura commandé. Au reste, notons aussi qu’il nous faut laisser gouverner par le conseil et autorité de ceux, lesquels Dieu aura ordonnés pour nous enseigner. Car l’obéissance tant prompte que ceux-ci ont si tôt rendue aux Apôtres, pour se ranger et laisser gouverner par eux, est procédée d’ici, à savoir, qu’ils sont persuadés que les Apôtres leur sont envoyés de Dieu, pour leur manifester la voie du salut.

Amendez-vous, etc. Il y a beaucoup plus grande véhémence au mot Grec ; car il signifie une conversion de cœur, en sorte que l’homme soit renouvelé complètement, et fait tout autre qu’il n’était. Ce qu’il nous faut diligemment noter ; d’autant que cette doctrine a été misérablement corrompue sous la Papauté. Car ils ont presque transféré le nom de Pénitence à je ne sais quelles cérémonies externes. Ils gazouillent bien quelque chose d’une feinte contrition de coeur ; mais ils ne touchent ce point que comme par forme d’acquit ; et s’arrêtent principalement sur les exercices extérieurs du corps, lesquels, quand encore il n’y aurait nul vice, ne seraient pas de grande importance. Bref, presque tout ce qu’ils enseignent de Pénitence, ne sont que fatras controuvés, qui sont plus pour tourmenter les esprits des hommes qu’autrement. Par quoi sachons qu’elle est la vraie repentance, quand l’homme est renouvelé en son sens, comme saint Paul enseigne Romains 12.2. Et ne faut point douter que saint Pierre n’ait traité expressément de la vertu et nature de la repentance ; mais saint Luc touche seulement les principaux points de la harangue de S. Pierre, sans l’expliquer tout du long. Voici donc qu’il nous faut retenir. Premièrement, que saint Pierre a exhorté les Juifs à repentance ; secondement, qu’il les a redressés, leur donnant assurance de pardon. Car il leur a promis rémission des péchés. Et ce sont là les deux parties de l’Evangile, comme il est assez notoire. Et pour cette raison, quand le Seigneur Jésus veut montrer en somme ce que contient la doctrine de l’Evangile, il dit qu’il a fallu que repentance et rémission des péchés ait été prêchée en son nom. Au reste, pour ce que nous ne sommes réconciliés à Dieu, sinon que la mort de Jésus-Christ entrevienne, et que nos péchés ne sont point autrement purgés et effacés que par son sang ; à cette cause saint Pierre nous renvoie expressément à lui. Il met ensuite le Baptême au quatrième lieu, comme le sceau, par lequel la promesse de la grâce est confirmée. Ainsi en peu de paroles nous avons presque toute la somme de la religion Chrétienne ; à savoir, que l’homme renonçant à soi-même se dédie et consacre complètement à Dieu ; d’avantage, que par la rémission gratuite des péchés il soit absous de la condamnation de mort, voire adopté entre les enfants de Dieu. Or pour ce qu’il ne peut rien obtenir de tout ceci sans Jésus-Christ, le nom de Christ est en même temps mis en avant, comme le fondement unique de la foi et de la Pénitence.

Au surplus, il nous faut aussi noter que nous commençons tellement la repentance incontinent que nous nous convertissons à Dieu, qu’il nous la faut poursuivre tout le temps de notre vie. Par quoi cette prédication doit tous les jours résonner en l’Eglise : Repentez-vous, Marc 1.15. Non point afin que ceux qui veulent être réputés fidèles, et qui ont déjà place en l’Eglise, la commencent ; mais afin qu’ils profitent en celle-ci ; combien qu’il y en ait plusieurs qui usurpent le nom de fidèles, qui toutefois n’ont jamais eu aucun commencement de repentance. Par quoi il nous faut tenir cette ordre d’enseigner ; que ceux qui vivent encore au monde et à leur chair, commencent à crucifier le vieil homme, afin qu’ils ressuscitent en nouveauté de vie ; et que ceux qui ont déjà fait quelque avancement en l’exercice de repentance, s’efforcent assiduellement de passer plus outre. Or pour ce que la conversion intérieure du cœur doit produire des fruits en la vie, la repentance ne peut être droitement enseignée, qu’on ne requière en même temps les œuvres ; non point ces œuvres frivoles, lesquelles les Papistes ont seules en estime ; mais telles œuvres qui soient témoignages fermes de vraie innocence et sainteté.

Et qu’un chacun de vous soit baptisé. Combien qu’au contenu de ce texte le Baptême précède la rémission des péchés, nonobstant selon l’ordre il doit aller après ; car le Baptême n’est autre chose que le sceau des biens que nous obtenons par Jésus-Christ, afin que par celui-ci ils soient ratifiés en nos consciences. Après donc que saint Pierre a traité de la repentance, il exhorte les Juifs à espérer salut, et s’assurer d’obtenir grâce. Pour cette cause saint Luc conjoindra ci-après en la prédication de saint Paul, la foi avec la repentance, en ce même sens qu’il met ici la rémission des péchés ; et à bon droit. Car l’assurance et confiance de salut ne consiste ailleurs qu’en l’imputation gratuite de justice. Or nous sommes réputés justes gratuitement devant Dieu, quand il nous pardonne nos péchés. Cependant, comme j’ai démontré ci-dessus que la doctrine de pénitence doit tous les jours retentir en l’Eglise ; ainsi en faut-il dire de la rémission des péchés, à savoir qu’elle nous doit être tous les jours offerte. Et de fait, elle ne nous est point moins nécessaire tout le cours de notre vie, qu’en la première entrée en l’Eglise. Ainsi il ne nous profiterait de rien, que Dieu nous eût une fois reçus en grâce, si cette ambassade n’avait son cours continuel : Soyez réconciliés à Dieu ; car celui qui n’avait point connu péché, a été fait péché pour nous, afin que nous fussions justice de Dieu en lui, 2 Corinthiens 5.21. Les Papistes corrompent aussi tellement cette seconde partie de l’Evangile, qu’ils abolissent la rémission des péchés, laquelle on devait obtenir par Jésus-Christ. Ils confessent bien que les péchés sont gratuitement pardonnés au baptême ; mais ils veulent que les péchés qui se commettent après le baptême, soient rachetés par satisfactions. Et combien qu’ils y mêlent en même temps la grâce de Jésus-Christ ; toutefois pour ce qu’ils l’enveloppent avec les mérites des hommes, ils renversent par ce moyen toute la doctrine de l’Evangile. Car ils ôtent en premier lieu, la certitude de la foi aux pauvres consciences ; puis quand ils font un partage entre la mort de Christ et nos satisfactions, ils nous privent entièrement du bénéfice de Jésus-Christ. Car Jésus-Christ ne nous a pas en partie réconciliés à Dieu, mais entièrement. Et le pardon des péchés et offenses ne peut être obtenu par lui sinon tout entier. Mais les Papistes errent grandement en ce qu’ils restreignent le baptême à la nativité et à la vie précédente ; comme si la signification et vertu de celui-ci n’avait pas son étendue jusques à la mort. Sachons donc que la rémission des péchés n’est fondée qu’en Jésus-Christ ; et qu’il ne nous faut penser autre purgation des péchés, sinon celle qu’il a faite par le sacrifice de sa mort. Et pour cette raison, saint Pierre exprime le nom de Christ (comme il a été dit) signifiant par cela, que rien de tout ceci ne peut être droitement enseigné, si Jésus-Christ n’est mis au milieu ; afin qu’on cherche en lui l’effet de la doctrine. Au reste, ceci n’a pas besoin de longue exposition, quand il commande qu’ils soient baptisés en rémission des péchés. Car combien que Dieu ait une fois réconcilié les hommes à soi en Jésus-Christ, ne leur imputant point leurs péchés ; et que maintenant il imprime la certitude de cette réconciliation en nos cœurs par son saint Esprit, 2 Corinthiens 5.19 ; toutefois pour ce que le baptême est le sceau par lequel il nous confirme ce bénéfice, voire est l’arrhe et le gage de notre adoption, il est dit à bon droit qu’il nous est donné en rémission des péchés. Car d’autant que nous recevons les biens de Jésus-Christ par foi, et que le baptême est une aide pour confirmer et augmenter la foi, la rémission des péchés qui est l’effet de la foi, lui est adjointe comme à un moyen inférieur.

Au demeurant, il ne faut pas prendre de ce passage la définition du baptême ; d’autant que saint Pierre ne touche qu’une partie de celui-ci. Saint Paul enseigne que notre vieil homme est crucifié par le baptême, afin que nous ressuscitions en nouveauté de vie, Romains 6.6 ; Galates 3.27. D’avantage il dit, Nous revêtons Jésus-Christ même, 1 Corinthiens 12. Et l’Ecriture enseigne partout, que le baptême est un signe de repentance. Mais pour ce que saint Pierre ne traite point ici de propos délibéré de toute la nature du baptême, mais faisant mention de la rémission des péchés, montre en passant que la confirmation de celle-ci est au baptême, il n’y a nul inconvénient s’il laisse à parler de l’autre partie.

Au nom de Christ. Combien que le Baptême ne soit une figure vaine, mais un témoignage vrai et avec efficace ; toutefois afin que nul n’attribue à l’élément de l’eau ce qui est là offert, le nom de Christ est ici mis expressément ; afin que nous sachions que lors seulement le signe nous sera utile, quand nous chercherons la vertu et efficace de celui-ci en Jésus-Christ ; et quand nous entendrons que nous sommes lavés au baptême, pour ce que le sang de Jésus-Christ est notre purification. Et nous recueillons en même temps de ceci, que Jésus-Christ est le but auquel le baptême nous adresse. Par quoi, autant que chacun apprenne à regarder à Jésus-Christ, autant profite-il au baptême. Mais ici se présente une question ; à savoir vraiment s’il a été licite à saint Pierre de changer la forme, laquelle Jésus-Christ avait donnée ? Les Papistes le pensent ainsi, ou bien se le font accroire ; et de là prennent un prétexte de se donner congé de changer ou abolir les ordonnances de Jésus-Christ. Ils confessent bien que quant à la substance il ne faut rien changer ; mais quant à la forme, ils disent que l’Eglise a liberté d’innover tout ce que bon lui semblera. Mais cet argument qu’ils mettent en avant, est bien facile à réfuter. Car en premier lieu il faut entendre que Jésus-Christ n’a point donné aux apôtres des paroles de sorcellerie pour en faire un charme, comme les Papistes songent ; mais a compris la somme du mystère en peu de paroles. D’avantage, je dis que S. Pierre ne parle point ici de la forme du baptême ; mais démontre simplement que toute la vertu du baptême est contenue en Jésus-Christ. Combien que la foi ne peut concevoir Christ sans le Père, qui nous l’a donné ; et sans l’Esprit par lequel il nous renouvelle et sanctifie. La solution consiste seulement en ceci, qu’il n’est point ici parlé d’une certaine forme de baptiser ; mais les fidèles sont renvoyés à Jésus-Christ auquel seul nous est conféré tout ce que le Baptême figure. Car d’un côté nous sommes nettoyés par son sang ; et d’autre part, nous entrons en nouvelle vie par le bénéfice de sa mort et résurrection.

Et vous recevrez le don du Saint Esprit. pour ce qu’ils avaient été émerveillés, voyant que les apôtres avaient tout soudain commencé à parler nouveaux langages ; saint Pierre dit qu’ils seront faits participants du même don, s’ils viennent à Jésus-Christ. Il est vrai que le principal c’était la rémission des péchés, et la nouveauté de vie ; mais ceci était comme un accessoire, que Jésus-Christ manifestât sa vertu en eux par quelque don visible. Car ce passage ne doit être entendu de la grâce de sanctification du Saint Esprit, duquel ils voyaient un témoignage en la diversité des langues. Et pourtant ceci ne nous appartient point proprement. Car pour ce que Christ a voulu magnifier le commencement de son Royaume par tels miracles, ils n’ont été que pour un temps. Mais pour ce que les grâces visibles que le Seigneur distribuait aux siens, montraient comme en un miroir, que Jésus-Christ était le donateur du Saint Esprit ; à cette cause ce que dit saint Pierre appartient aucunement à toute l’Eglise, quand il dit : Vous recevrez le don du Saint Esprit. Car combien que nous ne le recevions pour parler divers langages, et pour être Prophètes, ou pour guérir les malades, ni pour faire des miracles ; toutefois il nous est donné pour un usage plus excellent, à savoir à ce que nous croyons de cœur à justice (Romains 10.10) que nos langues soient formées à faire vraie confession, que nous passions de mort à vie (Jean.5.24) que nous qui sommes vides de tous biens, soyons enrichis, et que nous demeurions invincibles contre Satan et le monde. Ainsi donc la grâce du saint Esprit sera toujours annexée au Baptême, si l’empêchement ne vient de nous.

2.39

Car pour vous est la promesse, et pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont éloignés, autant que le Seigneur notre Dieu en appellera.

Il fallait expressément que ceci fût ajouté, afin que les Juifs eussent cela pour résolu, que la grâce de Jésus-Christ leur était commune avec les apôtres. Or S. Pierre prouve ceci, par ce que la promesse de Dieu leur était destinée. Car il nous faut là toujours dresser nos yeux ; pour ce que nous ne pouvons autrement connaître la volonté de Dieu que par la Parole. Mais ce n’est pas assez d’avoir la Parole en général, si nous ne savons qu’elle nous est destinée. Saint Pierre donc dit que les bénéfices de Dieu que les Juifs voyaient en lui et en ses compagnons, leur sont aussi promis ; pour ce qu’il est nécessairement requis pour rendre la foi certaine, qu’un chacun ait ceci imprimé en son cœur, qu’il est du nombre de ceux auxquels Dieu parle. En somme, ceci est la vraie règle de croire, quand je suis du tout certain que le salut est mien, pour ce que la promesse par laquelle il est offert, m’appartient. Et quand nous entendons que la promesse s’étend maintenant à ceux qui en étaient séparés auparavant, nous avons occasion d’être beaucoup plus confirmés. Car Dieu avait fait alliance avec les Juifs. Si donc la vertu et le fruit de celle-ci est parvenu jusques aux Gentils, il ne faut point que les Juifs doutent d’eux-mêmes, que Dieu ne leur tienne sa promesse. Or il nous faut noter ces trois degrés ; premièrement, que la promesse est faite aux Juifs ; secondement, qu’elle est faite à leurs enfants ; finalement, qu’elle doit être communiquée aux Gentils. La raison est notoire pourquoi les Juifs sont préférés aux autres ; car ils sont comme les premiers-nés en la famille de Dieu ; et de plus, ils étaient lors par un privilège spécial séparés de toutes autres gens et nations, Exode 4.22. Saint Pierre donc garde un bon ordre, quand il assigne le premier degré d’honneur aux Juifs.

Quant à ce qu’il adjoint leurs enfants avec eux, cela dépend des paroles de la promesse : Je serai ton Dieu et de ta semence après toi, Genèse 17.7 ; où Dieu dénombre les enfant avec leurs pères, et les fait participant de la grâce d’adoption. Ainsi les Anabaptistes sont assez réfutés par ce passage, qui ne veulent point que les enfant nés de pères et mères fidèles soient baptisés, comme s’ils n’étaient point membres de l’Eglise. Ils amènent une allégorie pour y trouver un subterfuge, appelant Enfant, ceux qui sont spirituellement engendrés. Mais de quoi profite cette impudence si lourde ? 11 est tout clair que saint Pierre a dit ceci, pour ce que Dieu a adopté particulièrement une nation. Or que le droit d’adoption fut aussi commun aux enfant, la Circoncision en rendait témoignage. Tout ainsi donc que Dieu avait fait son alliance avec Isaac qui n’était encore né d’autant qu’il était semence d’Abraham ; aussi saint Pierre enseigne que tous les enfants des Juifs sont compris en cette même alliance ; d’autant que cette promesse demeure toujours en sa vigueur : Je serai le Dieu de votre semence.

Et à tous ceux qui sont loin. Finalement les Gentils sont nommés, qui avaient été auparavant étrangers. Car ceux qui rapportent ceci aux Juifs qui étaient chassés bien loin, et comme bannis en régions lointaines, s’abusent grandement. Car il n’est point ici question de la distance des lieux ; mais S. Pierre montre qu’elle différence il y a entre les Juifs et les Gentils ; à savoir que les Juifs étaient les premiers conjoints à Dieu par le moyen de l’alliance, et même étaient ses domestiques ; mais les Gentils étaient bannis de son Royaume. Saint Paul use d’une semblable façon de parler au chapitre 2 des Ephésiens, à savoir qu’en lieu que les Gentils étaient étrangers des promesses, maintenant ils sont approchés de Dieu par Christ. Car Christ ayant rompu la paroi, a réconcilié à son Père tant les Juifs que les Gentils ; et venant au monde a annoncé la paix a ceux qui étaient près, et à ceux qui étaient loin. Nous entendons maintenant quelle est l’intention de S. Pierre. Car pour amplifier la grâce de Jésus-Christ, il la propose tellement aux Juifs, que cependant il dit que les Gentils en seront aussi participants. Et pourtant il use de ce mot Appellera. Comme s’il disait ; Tout ainsi que Dieu vous a par ci-devant assemblés par sa voix pour être un même peuple ; aussi cette même voix retentira partout ; en sorte que ceux qui sont loin, s’approcheront de vous, après qu’ils auront été appelés par le nouveau édit et mandement de Dieu.

2.40

Et par plusieurs autres paroles, il rendit témoignage, et il les exhortait, en disant : Sauvez-vous de cette génération perverse.

Combien que S. Luc n’ait point expliqué de mot à mot toute la harangue de S. Pierre en ce qu’avons entendu jusques ici, mais a touché seulement le résumé de celle-ci, nonobstant il remontre ici derechef que S. Pierre n’a point usé d’une doctrine nue et simple ; mais qu’il y a ajouté des aiguillons d’exhortations. Et il exprime nommément qu’il s’est fort arrêté sur cet endroit. Quant à ce qu’il dit qu’il a exhorté et adjuré, il dénote en cela une véhémence. Car il n’était pas aisé qu’ils puissent si tôt renoncer du tout aux erreurs desquels ils avaient si long été abreuvés, ni aussi de secouer le joug des Sacrificateurs, auquel ils étaient accoutumés. Il a donc fallu qu’ils fussent tirés d’un si profond bourbier par une merveilleuse violence. Or le tout était, qu’ils se donnassent garde de la génération perverse. Car ils ne pouvaient être à Christ, s’ils ne se fussent désolidarisés de ceux qui s’étaient déclarés ses ennemis. Les Scribes et Sacrificateurs étaient lors en grande autorité ; et d’autant qu’ils se couvraient du titre de l’Eglise, ils abusaient les simples. Plusieurs étaient grandement empêchés par ceci d’approcher de Jésus-Christ. D’autres aussi pouvaient douter, et d’autres se dévoyer de la vraie foi. Sain Pierre donc déclare ouvertement qu’ils sont une perverse génération, quoiqu’ils se vantent du titre de l’Eglise. Pour cette raison il commande aux auditeurs de se détourner d’eux, afin qu’ils ne participent pas avec eux en méchanceté et perversité. Quant à ce qu’il dit, Sauvez-vous ; il signifie que ce leur sera un poison mortel, s’ils se mêlent avec une telle peste. Et de fait, l’expérience témoigne comment ceux-là sont en une bien misérable inquiétude, et promenés ça et là, qui ne savent discerner et mettre différence entre la voix du bon Pasteur, et celle des étrangers ; et combien plusieurs sont retardés par leur délicatesse et paresse, cependant qu’ils veulent rester neutres. Il veut donc qu’ils se retirent de la compagnie des méchants, s’ils veulent être sauvés. Et c’est un point de doctrine qu’il nous faut aviser de ne pas négliger. Car il ne suffirait pas que Jésus-Christ nous fut proposé, si nous n’étions enseignés de fuir les choses qui nous détournent de lui. Et l’office d’un bon Pasteur est, de garder que les brebis ne s’approchent des loups.

Ainsi aujourd’hui pour entretenir le peuple en la pure doctrine, de l’Evangile, nous sommes contraints de remontrer et souvent assurer, combien la Papauté est différente de la vraie religion Chrétienne, et quelle peste dangereuse c’est d’être enveloppé avec les déloyaux ennemis de Jésus-Christ. Et il ne faut point attribuer à médisance, ce que S. Pierre appelle perverse génération, ces pères vénérables qui avaient lors par devers eux le gouvernement ordinaire de l’Eglise. Car il faut déclarer par leurs noms les dangers qui peuvent apporter la ruine aux âmes. Car les hommes ne se garderont point du poison, s’ils ne comprennent ce qu’est le poison.

2.41

Eux donc ayant reçu sa parole, furent baptisés ; et environ trois mille âmes furent ajoutées ce jour-là.

Saint Luc donc explique plus clairement quel fruit, apporta une seule prédication de S. Pierre ; à savoir qu’il gagna à Jésus-Christ environ trois mille hommes. Avec ceci il montre quelle est la vertu et la nature de la foi, quand il dit qu’ils reçurent volontiers, ou d’un cœur joyeux la parole. La foi donc doit commencer par cette promptitude, et par ce zèle joyeux de rendre obéissance. Mais pour ce que du commencement il y en a plusieurs qui se montrent fort volontaires, qui puis après n’ont nulle fermeté, ni constance, afin que nous ne pensions pas qu’en ceux-ci il y ait eu une impétuosité soudaine qui ait été incontinent abattue, S. Luc loue tantôt après la persévérance de ceux qui reçurent volontiers la Parole, disant qu’ils furent ajoutés. Aux disciples, ou bien greffés en un même corps, et qu’ils persévéraient dans la doctrine. Ainsi aussi il ne faut point que nous soyons lents à rendre obéissance, ni prompts à reculer ; mais il nous faut comme ficher le pied, et tenir fermes à la doctrine que nous aurons soudainement reçue. Au reste, cet exemple nous devrait faire grande honte. Car une si grande multitude de gens a été convertie à Jésus-Christ par une seule prédication ; et à grand-peine nous sommes émus d’une centaine. Saint Luc raconte qu’ils ont persévéré ; et à grand-peine y en a-t-il de dix l’un qui montre qu’il ait moyennement profité ; mais qui pis est, la plus grande partie se fâche de la doctrine. Malheur donc au monde à cause de sa nonchalance et légèreté.

2.42

Et ils persévéraient dans la doctrine des apôtres et dans la communion mutuelle, dans la fraction du pain et dans les prières.

Saint Luc non seulement loue en eux la constance de la foi et de la vraie religion ; mais aussi il dit qu’ils se sont constamment employés dans les exercices qui servent pour confirmer la foi ; à savoir qu’ils se sont astreints de profiter assidûment, en écoutant les apôtres ; qu’ils ont souvent vaqué à la prière ; qu’ils ont été diligents à communiquer entre eux, et à rompre le pain. Quant à la doctrine et aux prières, le sens n’est nullement obscur. La communion et la fraction du pain se peuvent prendre en diverses sortes. Certains prennent la fraction du pain, pour la Cène ; les autres entendent les assemblées que faisaient les fidèles pour manger ensemble. D’autres pensent que la communion désigner la célébration de la sainte Cène. Mais je m’accorde plutôt avec ceux qui pensent que la Cène est signifiée par la fraction du pain ; car ce mot de Communion, ne va jamais tout seul, sans quelque mot adjoint, quand il signifie la Cène. Je rapporte donc la communion à la conjonction mutuelle, aux aumônes et autres devoirs de conjonction fraternelle. Et la raison pourquoi j’aime mieux interpréter la fraction du pain, de la Cène du Seigneur, c’est que saint Luc explique les choses, en lesquelles consiste la manifestation publique de l’Eglise. Même il exprime ici quatre marques, par lesquelles on peut facilement juger quelle est la vraie et naturelle expression de l’Eglise.

Cherchons-nous donc la vraie Eglise de Christ ? L’image de celle-ci nous est ici dépeinte au vif. Or il commence par la doctrine, qui est comme l’âme de l’Eglise. Et ne parle point de toute doctrine ; mais de la doctrine des apôtres, c’est-à-dire de celle que le Fils de Dieu avait donnée par leurs mains. En quelque lieu donc que résonne la pure parole de l’Evangile ; en quelque lieu aussi que les hommes demeurent en la pure profession de celui-ci, et où ils s’exercent ordinairement à l’entendre et y profiter, il ne faut nullement douter qu’il n’y ait Eglise. On peut donc facilement conclure de ceci, combien est frivole la vanterie des Papistes, quand ils font retentir à pleine bouche ce mot d’Eglise ; comme ainsi soit toutefois qu’ils ont si vilainement corrompu toute la doctrine des apôtres. Car si on y regarde bien, il ne s’y en trouvera point un seul point entier, et en plusieurs il n’y a pas moindre désaccord qu’entre la lumière et les ténèbres. La règle de servir et honorer Dieu, laquelle ne devait être prise d’ailleurs que de la parole de celui-ci, pour tout potage est là rapetassée d’inventions superstitieuses des hommes. Quant à la confiance de salut, laquelle devait seulement résider en Jésus-Christ, ils l’ont transférée aux mérites des hommes. L’invocation de Dieu est presque ensevelie entre eux de rêveries profanes. Bref tout ce qui est là entendu, ou c’est une déformation, ou renversement de la doctrine des apôtres. Par quoi, autant qu’il est facile aux Papistes de prétendre le titre de l’Eglise, autant nous sera-il facile de repousser leur sotte arrogance. Car le point de notre différent sera, à savoir s’ils ont gardé la pureté de la doctrine ; de laquelle certes ils sont autant éloignés que les enfers du ciel. Mais à dire vrai ils sont bien sages de ne vouloir point qu’on ouvre la bouche pour disputer aucunement de la doctrine. Cependant toutefois, comme j’ai dit, nous pourrons hardiment et sans danger mépriser cette vaine contrefaçon d’église. Car le Saint Esprit prononce qu’on doit principalement estimer l’Eglise par cette marque, quand la simplicité de la doctrine enseignée par les Apôtres y est reçue.

Et en la communion. Ce point-ci et le dernier dépendant du premier, comme fruits et effets de celui-ci. Car la doctrine est le lien de la communion fraternelle qui est entre nous ; et en même temps elle nous ouvre la porte pour entrer jusques à Dieu, et lui présenter nos oraisons. Mais la Cène est ajoutée à la doctrine par forme de confirmation. Par quoi ce n’est point sans cause que saint Luc explique ces quatre choses quand il nous veut décrire un état de l’Eglise bien ordonné. Et quant à nous il faut que nous tâchions de parvenir à cet ordre, si nous voulons être vraiment réputés Eglise devant Dieu et ses Anges ; et non point nous vanter devant les hommes du titre de celle-ci sans effet. Il est certain qu’il parle des prières publiques. Par ainsi ce n’est point assez qu’un chacun fasse ses oraisons particulières en sa maison, si avec cela tous ne s’assemblent pour prier en commun ; en quoi aussi consiste la profession de la foi.

2.43

Et la crainte s’emparait de chacun ; et il se faisait beaucoup de prodiges et de miracles par les apôtres.

Saint Luc signifie que l’aspect de l’Eglise était tel qu’il rendait étonnés les autres qui ne consentaient point à la doctrine. Or ceci a été fait pour conserver et avancer l’Eglise. Quand quelque secte se lève, tous s’y opposent fort et ferme ; et comme la nouveauté est toujours odieuse, aussi les Juifs n’eussent jamais souffert que l’Eglise de Jésus fut demeurée en son état une seule minute de temps, si Dieu ne leur eût donné cette crainte pour les réprimer et tenir en bride. Au reste, saint Luc note une espèce de crainte, non point par laquelle les hommes soient amenés à l’obéissance de Christ ; mais une crainte qui les tient suspendus, et tellement liés, qu’ils n’osent empêcher l’œuvre du Seigneur. Comme même aujourd’hui il y en a plusieurs qui prennent plaisir à être ignorants, et ne savoir que c’est de l’Evangile ; ou bien sont empêtrés des sollicitudes de ce monde, afin qu’ils ne se rangent du tout à Jésus-Christ ; et toutefois ne sont point si endurcis, qu’ils ne connaissent bien que la vérité de Dieu est par devers nous. Et pour cette cause ils se tiennent comme entre deux ; et ne favorisent point à la cruauté des méchants, d’autant qu’ils craignent de s’achopper contre Dieu. Quant à ce qu’il dit, toute personne, etc. il prend le tout pour une partie. Car il est bien certain que plusieurs n’ont tenu compte de la main de Dieu, et d’autres n’ont été empêchés par aucune crainte, qu’ils ne se soient employés à persécuter furieusement la pauvre Eglise. Mais saint Luc a voulu dire qu’une telle vertu de Dieu reluisait en l’Eglise, que la plus grande partie du peuple avait la bouche close.

Et beaucoup de merveilles, etc. Ce membre aussi tend à rendre raison de la crainte de laquelle il a parlé. Car avec les autres œuvres de Dieu, les miracles servaient à donner crainte ; combien que ce n’a pas été la seule raison, mais une de plusieurs, pourquoi ils ont eu crainte de s’opposer à Dieu, lequel ils concluaient par les miracles être de ce côté-là. Dont nous pouvons recueillir que les miracles ne profitent point seulement à ce que les hommes se rangent sous l’obéissance de Dieu, mais aussi à ce que les méchants et obstinés en soient aucunement adoucis, et que leur inhumanité soit domptée. Pharaon a été un exemple d’une obstination désespérée sur tous autres, Exode 8.8-19 ; et toutefois nous voyons comment les miracles lui ont touché le cœur, quelque obstiné et endurci qu’il fut. Il est vrai que tantôt après il ne s’en souvient plus ; mais quand la main de Dieu le presse, la crainte le contraint de se plier au joug. En somme, saint Luc enseigne que par ce moyen les Juifs ont été retenus, en sorte que l’Eglise, laquelle on pouvait bien facilement détruire, a eu loisir de croître. Le semblable avons-nous expérimenté en notre temps par plusieurs fois. Au reste, il ne veut pas dire seulement que la crainte les a empêchés de nuire autant qu’ils eussent bien voulu ; mais aussi qu’ils ont été humiliés de révérence, à la louange de l’Evangile.

2.44

Et tous ceux qui avaient cru étaient ensemble, et ils avaient toutes choses communes ;

Là où j’ai traduit étaient unis, il y a mot à mot au Grec, étaient en un, ou en même ; ce qu’on pourrait exposer du lieu où ils étaient ; comme s’il disait que coutumièrement tous habitaient ensemble en un même lieu. Mais j’aime mieux entendre du consentement mutuel ; comme il dira au chapitre 4, qu’ils avaient tous un même cœur. Ainsi il poursuit par un bon ordre, quand il commence par les cœurs ; et ajoute puis après le bénéfice comme le fruit procédant de là. Il signifie donc qu’ils ont été conjoints entre eux d’un amour vraiment fraternel ; et qu’ils l’ont montré par effet, en ce que les riches vendaient leurs biens et possessions pour subvenir à la nécessité des pauvres. Or c’est un bel exemple de charité ; et saint Luc l’explique, afin que nous sachions que nous devons subvenir à l’indigence de nos pauvres frères de ce que nous avons d’abondant. Toutefois ce passage a bien besoin d’être saintement et purement exposé, à cause d’aucuns esprits fantastiques, qui forgent une communauté de biens, par laquelle toute police soit renversée ; comme en ce temps-ci les Anabaptistes ont ému des séditions, d’autant qu’ils pensaient qu’il n’y pouvait avoir aucune Eglise, sinon que tous les biens d’un chacun fussent entassés en un monceau, et que tous vinssent là pour en prendre. Et pourtant il nous faut ici garder de deux extrémités. Car d’un côté il y en a plusieurs qui sous couverture de la police, tiennent serré et caché tout ce qu’ils ont, défraudent les nôtres, et s’estiment plus que justes, pourvu qu’ils ne ravissent point le bien d’autrui. D’autre part, il y en a d’autres qui tombent en un erreur opposée, qui voudraient que tout fût en confusion.

Mais que dit saint Luc ? Il est certain qu’il montre qu’il y avait un ordre, et qu’on procédait avec discrétion, quand il dit que les possessions et autres biens ont été distribués selon qu’ils connaissaient qu’un chacun en avait besoin, Si quelqu’un réplique qu’il n’y avait rien de propre, vu que toutes choses étaient communes ; la solution est facile ; car cette communauté doit être restreinte à la circonstance qui est ajoutée incontinent après ; à savoir que les pauvres fussent secourus un chacun selon son indigence. C’est un proverbe ancien tout commun, que tous biens sont communs entre les amis. Or quand les Pythagoriciens parlaient ainsi, ils ne disaient pas qu’un chacun ne dut gouverner sa maison en son particulier, et leur intention n’était point de faire leurs femmes communes. Ainsi cette communauté qui est louée par saint Luc, n’abolit point l’ordre, que chacun ait soin de son ménage. Et on connaîtra mieux ceci par ce qui est dit au chapitre 4, où d’un si grand nombre de personnes qui étaient de l’Eglise, il n’en nomme que deux, qui vendaient leurs biens et possessions. Dont nous recueillons ce que j’ai dit, que les biens n’étaient point autrement apportés en commun, sinon pour subvenir à la nécessité présente. Or les moines ont montre une impudence ridicule, de dire qu’ils tiennent la règle des apôtres, pour ce qu’ils n’ont rien de propre ; et cependant ils ne vendent rien, et ne se soucient point si quelqu’un est indigent ; mais ils remplissent leurs ventres oisifs du sang des pauvres, et ne regardent autre chose en leur communauté, sinon de se soûler et faire bonne chère, encore que tout le reste du monde soit affamé. Qu’ont-ils donc de semblable avec les premiers disciples dont il est ici parlé, desquels ils veulent être réputés imitateurs ?

2.45

et ils vendaient leurs possessions et leurs biens et les distribuaient à tous, selon le besoin que chacun en avait.

2.46

Et ils étaient chaque jour assidus au temple, d’un commun accord, et, rompant le pain dans les maisons, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur,

Il faut noter qu’ils fréquentaient au temple, pour ce que la plus grande commodité et occasion se présentait au temple d’avancer l’Evangile. Car ce n’était pas la sainteté du lieu qui les attirait là, vu qu’ils savaient bien que les figures et ombres de la Loi étaient abolies ; et ne voulaient point induire les autres par leur exemple, à avoir quelque dévotion au temple. Mais pour ce qu’il y avait là plusieurs fidèles assemblés, lesquels ayant pour l’heure oublié leurs affaires particulières, qui les eussent distraits ailleurs, cherchaient le Seigneur ; ils fréquentaient au Temple pour gagner à Jésus-Christ ceux qui étaient tels. Ils pouvaient aussi avoir quelque autre raison : à savoir afin qu’ils communicassent entre eux de la doctrine. Ce qu’ils n’eussent peu faire plus commodément en maisons privées, et principalement depuis que le nombre était tant augmenté.

Et rompant le pain de maison en maison, etc. S. Luc signifie que non seulement ils montraient des signes de vraie religion en public, mais aussi qu’ils tenaient un même train en leur vie privée. Car quant à ce qu’aucuns prennent ici la fraction du pain pour la sainte Cène, cela me semble être loin de l’intention de saint Luc. Il signifie donc qu’il avaient accoutumé de prendre leur repas ensemble, et sobrement. Car ceux qui font des banquets somptueux, ne mangent pas ainsi familièrement ensemble. Et de fait, S. Luc ajoute puis après, En simplicité de cœur, qui est aussi un signe de tempérance. En somme, il veut dire que leur façon de vivre était sobre et fraternelle. Certains conjoignent la joie et la simplicité de cœur avec la louange de Dieu, et il y a apparence en tous les deux sens. Mais pour ce qu’en louant Dieu la simplicité de cœur n’y peut être, si elle ne se montre en toutes les parties de la vie ; à cette raison il est certain qu’il est ici parlé de celle-ci, pour montrer que les fidèles la pratiquaient en tout et par tout. Or il nous faut noter la circonstance du temps, que combien qu’ils fussent environnés de divers dangers, ils ne laissaient point toutefois d’être joyeux. La connaissance de l’amour que Dieu a envers nous, et l’assurance de sa protection nous apporte ce bien, que nous le louons d’un cœur assuré, quelque menace que le monde nous fasse. Or tout ainsi que saint Luc a parlé un peu auparavant de l’état public de l’Eglise ; aussi il explique maintenant quelle était la façon de vivre entre les fidèles, afin qu’à leur exemple nous apprenions à vivre sobrement, quand nous nous assemblons pour banqueter ensemble, et à montrer une simplicité en toute notre vie, à jouir d’une joie spirituelle, et nous exercer aux louanges de Dieu. Au reste, la simplicité de cœur s’étend bien loin. Mais si nous la conjoignons ici avec la fraction du pain, ce sera autant comme un vrai et pur amour, quand on déploie les cœurs l’un à l’autre, et que nul ne cherche son profit particulier par astuce. Toutefois je l’aime mieux opposer à la sollicitude qui tourmente un tas de gens qui sont trop prévoyants. Car quand nous ne remettons point tout notre soin en Dieu, c’est un juste salaire qui volontiers en revient, que nous tremblons de peur au milieu d’assurance.

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louant Dieu et trouvant faveur auprès de tout le peuple. Et le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Eglise ceux qui étaient sauvés.

Voici le fruit d’une vie innocente, de trouver grâce même envers les étrangers. Et toutefois il ne faut point douter qu’ils n’aient été haïs de plusieurs. Mais combien que saint Luc parle de tout le peuple en général, néanmoins il entend seulement la partie qui était pure, et nullement infectée de poison de haine. Bref, il signifie que les fidèles se portaient tellement, que pour leur innocence de vie ils étaient agréables au peuple.

Et le Seigneur adjoignait de jour en jour, etc. Il montre par ces paroles, que leur diligence n’a point été inutile. Ils étudiaient tant qu’ils pouvaient de recueillir en la bergerie du Seigneur les errants et vagabonds. Il dit donc qu’ils n’ont point travaillé en vain ni inutilement en cet endroit ; d’autant que Dieu faisait croître l’Eglise tous les jours. Et de fait, ce que l’Eglise diminue plutôt qu’elle ne croît, il le faut imputer à notre lâcheté, ou même malice. Au surplus, combien que tous s’employassent vaillamment à augmenter le Royaume du Seigneur Jésus, toutefois S. Luc attribue cet honneur à Dieu seul, qu’il a adjoint les étrangers à l’Église. Et à la vérité cela est son œuvre propre. Car les ministres ne profitent de rien en plantant et arrosant, si Dieu ne rend leur labeur fructueux par la vertu de son Esprit, 1 Corinthiens 3.6. Il faut aussi noter ce qu’il dit, que ceux qui devaient être sauvés, ont été adjoints à l’Eglise. Car il montre que c’est le moyen pour obtenir salut, que nous soyons assemblés et unis avec l’Eglise. Car comme hors d’elle il n’y a point de rémission des péchés ; aussi n’y a-il point d’espérance de la vie éternelle. Or voici une singulière consolation pour tous fidèles, qu’ils ont été reçus en l’Eglise pour être sauvés ; tout ainsi que l’Evangile est appelé la puissance de Dieu en salut à tout croyant. Au reste, puisque Dieu n’en adjoint qu’une partie du peuple, ou un certain nombre, il s’ensuit qu’il faut restreindre cette grâce à son élection ; afin que là soit la première cause de notre salut.

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