Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre VI

6.1

Or, en ces jours-là, le nombre des disciples augmentant, il y eut des plaintes des Hellénistes contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour.

Saint Luc explique ici pour quelle occasion premièrement, et à quelle intention, et de quelle façon les Diacres ont été ordonnés. Or il dit, que comme ainsi soit qu’il advint un murmure entre les disciples, cela a été apaisé par ce remède ; comme on dit en proverbe commun, que mauvaises mœurs ont engendré bonnes lois. Mais ou se pourrait étonner, vu que cet office est tant excellent et tant nécessaire à l’Eglise, pourquoi c’est que ceci n’est venu du commencement en l’entendement aux Apôtres, d’instituer des Diacres ; et pourquoi l’Esprit de Dieu ne leur a donné un tel avis, lequel ils prennent maintenant comme par crainte. Mais ce qui est advenu, a été meilleur pour lors, Et aujourd’hui aussi profite d’avantage pour l’exemple. Si les apôtres eussent tenu propos d’élire des Diacres, avant qu’aucune nécessité eût requis cela, ils n’eussent point eu le peuple si enclin ; et eût semblé avis qu’ils eussent voulu fuir le travail et la fâcherie ; il y en eût eu plusieurs qui n’eussent point si libéralement été élus par d’autres. Il fallait donc que les fidèles fussent convaincus par expérience, afin qu’ils élussent des Diacres de franche volonté, desquels ils voyaient qu’ils ne se pouvaient passer, et même par leur propre coulpe. Or quant à nous, nous apprenons premièrement de cette histoire, que l’Eglise ne peut être sitôt formée, qu’il ne reste quelque chose à corriger ; et qu’un bâtiment de telle étoffe ne peut être tellement achevé du premier jour, qu’on ne puisse ajouter quelque chose à sa perfection. De plus, nous apprenons par ceci, qu’il n’y a institution de Dieu tant sainte et louable soit-elle, qu’il n’advienne que les hommes la corrompent, ou la rendent moins utile par leur vice.

Nous nous ébahissons de ce que les choses ne sont jamais si bien disposées au monde, qu’il n’y ait toujours quelque mal mêlé parmi les biens. Mais la perversité de notre nature en est cause. cet ordre duquel saint Luc a parlé ci-dessus, était vraiment divin, quand les biens de tous étaient consacrés à Dieu, et distribués en commun, quand les apôtres comme intendants de Dieu et des pauvres étaient commis sur les aumônes. Mais voilà, un peu de temps après se lève un murmure qui trouble cet ordre. Là apparaît cette corruption des hommes, de laquelle j’ai parlé, laquelle ne permet que nous usions de nos biens. Avec ce il nous faut noter la ruse de Satan, lequel pour nous ôter l’usage des dons de Dieu, tâche assiduellement et est après pour faire que cet usage ne demeure en son entier ni en sa pureté ; mais qu’étant mêlé d’autres incommodités, il commence à être suspect, et puis à ennuyer, et finalement qu’il soit aboli. Mais les apôtres nous ont enseignés par leur exemple, qu’il ne nous faut point quitter la place à telles machinations de Satan. Car ils ne sont point offensés de ce murmure, en sorte qu’ils délibèrent de laisser le ministère lequel ils savent être agréable à Dieu ; mais plutôt ils s’avisent d’un remède, par lequel le scandale soit ôté, et ce qui est de Dieu soit gardé. Voilà comment il nous en faut faire. Car quelques scandales que Satan suscite tous les jours, il nous faut toutefois bien garder qu’il ne nous ôte les observations qui sont autrement bonnes et profitables.

Comme le nombre des disciples croissait, etc. Il n’y a rien plus désirable que ceci, à savoir que Dieu augmente son Eglise, et qu’il amasse beaucoup de gens de tous côtés pour accroître son peuple. Mais la corruption de notre nature empêche qu’il y ait rien qui soit parfaitement bienheureux. Car des accroissements de l’Eglise naissent en même temps plusieurs incommodités. Car plusieurs hypocrites se mêlent parmi la multitude, desquels la malice n’est pas tout incontinent découverte, jusqu’à ce qu’ils ont infecté de leur venin une partie du troupeau. Beaucoup aussi de malins arrogants et dissolus s’insinuent sous un faux prétexte de pénitence. Mais encore que nous laissions à parler de beaucoup d’autres choses, un si grand nombre de gens ne s’accorde pas facilement ; mais selon la diversité des mœurs il y a diverses affections ; en sorte qu’à grand-peine une même chose sera agréable à tous. Ce scandale fait que plusieurs désirent d’en élire peu pour faire l’Eglise, et se fâchent de la multitude, et même la haïssent. Mais il n’y a fâcherie ni ennui que nous devions tant craindre, qu’il nous empêche de désirer l’accroissement de l’Eglise, de nous efforcer à la dilater, de nous entretenir en unité avec tout le corps, entant qu’en nous est.

Il advint un murmure des Grecs. Il apparaît bien qu’ils n’étaient pas encore pleinement régénérés par l’Esprit de Dieu, vu que la différence du pays leur est occasion de concevoir un désaccord. Car il n’y a ni Grec ni Juif en Jésus-Christ. Par quoi cette envie et émulation sent la chair et le monde. Et d’autant plus nous devons nous garder que le semblable nous advienne. Après, un autre vice survient, qu’ils déclarent leur mécontentement par leur murmure. Au reste, on ne pourrait pas affirmer si leur complainte a été vraie. Car quand saint Luc dit que les Grecs ont murmuré, d’autant qu’on ne faisait nul honneur à leurs veuves, il explique ce qu’ils ont pensé en eux, et non pas ce qui est advenu de fait. Toutefois il se peut bien faire que quand les apôtres préféraient les veuves Juives, pour ce qu’elles étaient plus connues, les Grecs se sont abusés, pensant qu’on méprisait leurs veuves comme étrangères. Et ceci semble être plus probable. D’avantage, ce mot de Service, peut être pris en deux sortes ; ou en signification active, ou passive. Car nous savons que du commencement de l’Eglise on élisait des veuves pour faire office de Diacre. Mais je suis plutôt d’avis que les Grecs se plaignaient de ce qu’on ne subvenait point assez largement à leurs veuves. Ainsi le Service signifiera cette distribution ordinaire qu’on avait accoutumé de faire.

6.2

Mais les douze, ayant convoqué la multitude des disciples, dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu, pour servir aux tables.

En ce que les apôtres ne se courroucent point d’avantage, ils montrent leur patience et Esprit paisible ; et quant à ce qu’ils remédient de bonne heure au mal qui commencent à naître, et qu’ils ne diffèrent point, c’est une grande prudence et sainte sollicitude. Car toute rancune et dissension est une plaie difficile à guérir, quand elle est une fois enracinée. Par ce qu’ils font appeler la compagnie, il apparaît que l’Eglise est gouvernée par ordre et raison ; à savoir que l’autorité était donnée aux apôtres, et que toutefois ils communiquaient leurs conseils avec le peuple. Il faut noter aussi d’avantage, que le mot de disciples, est ici mis pour les fidèles ou Chrétiens, en lesquels se doit accomplir ce que dit Esaïe : Que tous seront enseignés de Dieu, de même, ce que dit Jérémie : Que dès le plus petit jusques au plus grand, tous connaîtront le Seigneur.

Nous ne sommes point d’avis, etc. Il y a au Grec un mot par lequel les Grecs signifient quelques fois une opinion ou avis quel qu’il soit, d’autres fois un avis qui est par-dessus tous les autres, et lequel on doit préférer comme meilleur. De moi, je pense plutôt que les apôtres expliquent ce qui est utile, que simplement ce qu’ils ont délibéré. Au reste, s’il n’est point expédient qu’ils soient empêchés de cette sollicitude, il semble qu’ils reconnaissent en cela quelque faute de ce qu’ils avaient servi à ce ministère jusques alors. Et de fait, cela est bien vrai, que l’usage est le père de prudence. Par quoi il n’y aura nul inconvénient, si nous disons qu’après que les apôtres eurent expérimenté que cette charge ne leur était point propre, ils ont requis l’Eglise d’en être délivrés. Mais s’il y a eu quelque faute, on la doit plutôt imputer à la nécessité qu’à eux. Car ils n’ont pas saisi cette charge par convoitise ; mais d’autant qu’on n’apercevait point encore autre moyen, ils aimaient mieux être grevés outre mesure, que de voir qu’on n’eut point soin des pauvres. Au surplus, quand ils disent qu’il n’est point raisonnable qu’ils délaissent la parole de Dieu pour s’occuper à avoir soin des pauvres, ils signifient qu’ils ne peuvent pas satisfaire à toutes les deux charges ensemble ; en sorte qu’il leur est nécessaire de laisser l’une ou l’autre. Car c’est autant comme s’ils disaient, Si vous voulez jouir de notre ministère en la prédication de l’Evangile, déchargez-nous de la sollicitude des pauvres ; d’autant que nous ne sommes pas suffisant pour exercer ces deux charges ensemble. Mais il semble avis qu’ils disent ceci hors de propos, d’autant qu’ils n’avaient point laissé auparavant la charge d’enseigner, combien qu’ils fussent commis sur les aumônes. A cela je réponds que quand cette administration était confuse avec l’office d’apôtre, ils étaient tellement enveloppés, qu’ils ne se pouvaient entièrement employer à administrer la doctrine comme il appartenait. Ils refusent donc une charge, laquelle les empêchait d’être très libre pour s’employer à plein temps à l’enseignement. N’entendons pas toutefois qu’ils aient totalement rejeté le soin des pauvres ; mais qu’ils ont cherché allégement, afin qu’ils se pussent rendre attentifs à leur office. Cependant ils montrent que le ministère de la parole est tellement laborieux, qu’il empêche l’homme tout entier, et ne permet point qu’il vaque à d’autres affaires. Que si on l’eût bien considéré, on y eût bien autrement pourvu, et distribué les charges en l’Eglise.

Sous couleur de l’office de Diacre, les Évêques de la Papauté ont engoulé de grandes richesses. Cependant ils se sont enveloppés de plusieurs charges, auxquelles un chacun ne pourrait pas fournir, quand il aurait dix têtes. Et toutefois ils sont si impudents qu’ils disent que l’Eglise ne pourrait subsister, si elle n’était plongée en cet abîme. Et ils ne cessent point de se vanter qu’ils sont successeurs des apôtres, combien qu’il apparaisse évidemment qu’il n’y a rien plus contraire. Il est vrai qu’ils ont été sages en ceci, qu’ils ont bien donné ordre qu’ils ne fussent occupés à la sollicitude des tables, et que pour cela ils fussent contraints de quitter leurs délices. Car un chacun étant soigneux de sa propre table, se dispense de n’avoir point de soin de celle des autres. Mais les laissant là, notons cette sentence pour notre usage. Nous savons combien c’est chose sainte, de prendre la charge des pauvres. Quand donc les apôtres préfèrent la prédication de l’Evangile, nous recueillons de cela, qu’il n’y a service plus agréable à Dieu que cette prédication. En même temps toutefois la difficulté est démontrée, quand ils disent qu’ils ne peuvent satisfaire à ces deux offices. Et quant à nous, il est bien certain que nous ne sommes pas plus excellents qu’eux. Par quoi il faut que celui qui est appelé pour administrer la doctrine, s’emploie du tout à faire valoir son office. Car il n’y a rien à quoi nous soyons plus enclins qu’à tomber à nonchalance. Avec cela chair nous fournit de beaux prétextes ; en sorte que ceux qui s’enveloppent d’affaires extérieures, ne sentent pas du premier coup qu’ils sont détournés de leur office. Et pourtant, si les ministres veulent bien faire leur devoir, qu’ils se remémorent souvent cette sentence, par laquelle les apôtres témoignent que vu qu’ils sont appelés à l’office d’enseigner, il faut laisser derrière la charge des pauvres. Quelle excuse donc auront les occupations profanes, ou celles qu’on a prises pour son profit particulier, vu que cette occupation des pauvres, qui n’est point la dernière au service de Dieu, donne lieu au ministère de la parole ?

6.3

Choisissez donc, frères, sept hommes d’entre vous, jouissant d’un bon témoignage, remplis d’Esprit et de sagesse, que nous préposerons à cet emploi.

Nous voyons maintenant à quelle fin les Diacres ont été créés. Il est vrai que c’est un nom général ; toutefois il est proprement pris pour ceux qui ont la charge des pauvres. Dont il apparaît de quelle licence les Papistes se moquent de Dieu et des hommes, lesquels n’assignent autre office à leurs Diacres, sinon que de manier la patine et le calice. Certainement il n’est pas besoin de longue dispute, pour prouver qu’ils n’ont rien de commun ou d’accordant avec les Apôtres. Mais si les lecteurs en veulent d’avantage, ils le trouveront en notre Institution. Quant au présent passage, en premier lieu l’élection est permise à l’Eglise. Car c’est une chose tyrannique, si un seul constitue des ministres à son appétit. Ainsi donc c’est le moyen légitime, que ceux qui doivent avoir quelque charge publique en l’Eglise, soient élus par les voix de tous. Or les apôtres remontrent quels doivent être ceux qu’on doit élire, à savoir qu’ils aient bon témoignage d’être fidèles et prudents, et garnis d’autres dons du saint Esprit. Et ceci est le moyen entre la tyrannie et la licence confuse, que rien ne se fasse sinon du consentement et approbation du peuple ; toutefois que les Pasteurs modèrent et gouvernent en sorte, que leur autorité soit comme une bride pour réprimer les impétuosités du peuple, afin qu’elles ne s’indisciplinent pas outre mesure. Cependant il nous faut noter ceci, que Loi est imposée aux fidèles de n’en élire point qui ne soit idoine. Car ce n’est point une petite injure que nous faisons à Dieu, quand sans discrétion nous prenons pour le gouvernement de sa maison, le premier qui se rencontrera. Il est donc besoin d’y procéder en grande révérence, et de se bien garder d’élire quelqu’un pour gouverner l’Eglise, qui n’ait donné bonne approbation de soi.

Le nombre de sept a été seulement accommodé à la nécessité présente ; afin qu’on ne pense point qu’il y ait quelque mystère caché. Or quant à ce que saint Luc dit, plein du saint Esprit et de sagesse, voici comment je l’interprète, que comme il est requis qu’ils soient garnis des autres grâces du saint Esprit, aussi est-il principalement requis qu’ils aient prudence, sans laquelle cette charge ne peut bien être exercée ; et aussi afin qu’ils se donnent garde des tromperies et fraudes de ceux qui étant trop adonnés à mendier, accaparant ce qui devait fournir à la nécessité des frères ; d’avantage, pour se garder des calomnies de ceux qui ne cessent de médire, encore qu’il n’y ait nulle occasion. Car cette charge-là est non seulement pénible, mais aussi sujette à beaucoup de murmures.

6.4

Et pour nous, nous continuerons à nous appliquer à la prière et au service de la parole.

Ils montrent derechef qu’ils auront sans cela assez d’affaires, en quoi ils se puissent exercer toute leur vie. Car à ce propos convient fort bien le proverbe ancien, duquel les Païens usaient en leurs offices divins, à savoir, Hoc age. c’est-à-dire : Fais ceci ; voulant par cela signifier que ceux qui faisaient les sacrifices, ne pensassent à autre chose qu’à cela qu’ils faisaient. Pourtant aussi les apôtres usent d’un mot Grec, lequel signifie autant qu’être attaché, et du tout occupé à quelque chose. Il ne faut donc point que les Pasteurs pensent s’être acquittés, s’ils ont employé quelque temps à enseigner tous les jours. Il est bien requis qu’il y ait un autre zèle, une autre affection, une autre ferveur, une autre continuation ou assiduité, une autre délibération, avant qu’ils se puissent vraiment glorifier qu’ils sont attentifs à cela. Ils ajoutent l’oraison, non pas que nul ne doive prier qu’eux ; car c’est un exercice général et commun à tous fidèles ; mais pour ce qu’ils ont des causes et raisons particulières de prier, que n’ont pas les autres. Il est bien vrai qu’il n’y a personne qui ne doive pas être soigneux du salut et du bien de toute l’Eglise ; mais combien le doit, être au pris un ministre ou pasteur, à qui cette charge est expressément enjointe ? et combien faut-il qu’il travaille pour celle-ci ? Ainsi Moïse exhortait bien les autres à faire prières, Exode 17.11 ; mais il allait devant comme capitaine ou porte-enseigne. Et ce n’est point sans cause que saint Paul fait si souvent mention de ses prières, Romains 1.10. D’avantage, nous devons toujours réduire ceci en mémoire, que nous pourrons bien labourer, semer, arroser, et toutefois nous ne prouverons de rien, sinon que l’accroissement vienne du ciel, 1 Corinthiens 3.7, et ailleurs. Ce ne sera donc point assez de s’employer diligemment à enseigner, si on ne demande à Dieu qu’il bénisse le labeur, afin qu’il ne soit inutile et infructueux. On voit bien par ceci, que ce n’est point en vain que l’exercice de prier est recommandé aux ministres de la parole.

6.5

Et la proposition plut à toute la multitude ; et ils élurent Etienne, homme plein de foi et d’Esprit-Saint, Philippe et Prochore et Nicanor et Timon et Parménas et Nicolas, prosélyte d’Antioche ;

Saint Luc ne sépare point la foi du saint Esprit, pour dire qu’elle ne soit aussi une grâce et don de l’Esprit ; mais par ce mot d’Esprit, il signifie les autres grâces, desquelles saint Etienne était orné ; comme de prudence, de zèle, dextérité, amour fraternel, diligence, pureté, et rondeur de bonne conscience ; puis après il exprime la principale espèce. Il signifie donc que saint Etienne était excellent en foi principalement, et puis après en d’autres vertus ; en sorte qu’on voyait bien que la grâce du saint Esprit abondait en lui. Il ne loue point si fort les autres ; pour ce qu’à la vérité il s’en fallait beaucoup qu’ils fussent tels que lui. Et qui plus est, tous les anciens sont de cette opinion, que ce Nicolas qui était l’un des sept, est celui même duquel saint Jean fait mention en Apocalypse 2.15 ; à savoir qui a été auteur d’une secte vilaine et méchante ; vu qu’il voulait que les femmes fussent communes. Ceci nous doit rendre plus diligents en l’élection des ministres de l’Eglise. Car si l’hypocrisie des hommes trompe ceux mêmes qui veillent soigneusement pour se donner garde, qu’adviendra-il à ceux qui sont nonchalants et n’y pensent pas bien ? Cependant, si après avoir employé toute la diligence que nous devons, il advient toutefois que nous soyons trompés, il ne faut point que nous nous troublions outre mesure ; vu que saint Luc explique que les apôtres mêmes ont été sujets à un tel inconvénient. On pourra ici faire une question : De quoi ont profité les prières et oraisons, et de quoi a servi l’exhortation, vu que l’issue montre bien que cette élection n’a pas été en tout et par tout conduite ni gouvernée par le Saint Esprit ? A cela je réponds que c’est une grande chose que l’Esprit de Dieu a dressé les jugements pour en élire six ; et quant à ce qu’il a souffert que l’Eglise ait erré en l’élection du septième, que cela ne nous fait point sembler absurde. Car il faut que nous soyons ainsi humiliés en diverses sortes ; en partie, afin que nous soyons exercés par les malins et méchants ; en partie, afin qu’étant exhortés par leur exemple, nous apprenions à sonder entièrement ce qui est au dedans de nous, pour ôter toutes les secrètes cachettes de fraude qui sont en nous ; en partie aussi, afin que regardant de plus près, et étant plus attentifs à discerner, soyons au guet à toutes heures, afin que les abuseurs et déloyaux, et les hypocrites ne nous déçoivent pas. Aussi il se peut faire que le ministère de Nicolas ait été utile pour quelque temps, et que puis après il soit tombé en cet erreur monstrueuse. Que si ce Nicolas est tombé d’un degré tant honorable, tant plus qu’un chacun de nous sera haut élevé, qu’il avise aussi de se soumettre d’autant plus à Dieu en toute révérence et modestie.

6.6

et ils les présentèrent aux apôtres, qui, après avoir prié, leur imposèrent les mains.

L’imposition des mains était un signe ordinaire de consécration sous la Loi. Ici les apôtres mettent les mains sur les Diacres, à cette fin qu’ils sachent qu’ils sont offerts à Dieu. Toutefois pour ce que ceci serait une cérémonie inutile en soi, l’oraison est en même temps ajoutée, par laquelle les fidèles recommandent à Dieu les ministres lesquels ils lui offrent. Il est bien vrai que ceci se rapporte aux apôtres ; car tout le peuple n’a pas mis les mains sur les Diacres. Mais comme ainsi soit que les apôtres fissent prières au nom de toute l’Eglise, les autres aussi font leurs requêtes à Dieu, lui recommandant ceux qu’ils ont élus. Nous recueillons de ceci, que l’imposition des mains est une cérémonie convenable à l’ordre et honnêteté, vu que les Apôtres en ont usé ; et toutefois qu’elle n’a nulle vertu ou efficace de soi, mais sa force et son effet dépendent du seul Esprit de Dieu. Ce qu’il nous faut aussi conclure en général de toutes cérémonies.

6.7

Et la parole de Dieu faisait des progrès et le nombre des disciples augmentait beaucoup à Jérusalem ; et une grande foule de sacrificateurs obéissaient à la foi.

Saint Luc parle derechef des accroissements de l’Eglise ; afin qu’il donne mieux à connaître comme en l’avancement de celle-ci, la puissance et la grande faveur de Dieu se manifestent de plus en plus. C’était déjà bien une excellence de Dieu, que l’Eglise avait été ordonnée et suscitée soudainement et comme en un moment ; mais nous ne devons pas être moins émerveillés, de ce qu’au milieu de tant d’empêchements, il poursuit néanmoins d’avancer son œuvre commencée, de multiplier le nombre de ses fidèles ; pour lequel diminuer, et qui plus est, pour complètement en éteindre et effacer l’engeance, le monde s’était tant et plus efforcé. Quant à ce qu’il dit que la parole de Dieu croissait, il signifie qu’elle a eu son étendue bien loin. Or la parole de Dieu croît en deux sortes ; ou quand nouveaux disciples se viennent humblement ranger sous son obéissance ; ou bien selon qu’un chacun de nous profite en celle-ci. Or saint Luc parle ici de la première façon de croître. Car incontinent après il s’explique lui-même, quand il fait mention du nombre des disciples. Toutefois il restreint cet accroissement de foi à une seule ville. Car combien qu’il soit croyable qu’il y avait aussi des disciples répandus ailleurs, toutefois il n’y avait point de certain groupe important qu’en Jérusalem.

Grand nombre aussi, etc. Vu qu’à parler proprement, notre foi obéit à la doctrine de l’Evangile, ce qui est dit qu’ils ont obéi à la foi, est une manière de parler figurée, qu’on appelle Métonymie. Car mot ce de foi, est ici pris pour la parole de Dieu, et pour la profession même de la Chrétienté. Il nomme expressément les Sacrificateurs, d’autant qu’ils étaient plus coutumièrement adversaires. Et d’autant plus c’a été une œuvre de Dieu admirable, de ce qu’aucuns de ceux-ci ont été convertis, et beaucoup plus quand il est parlé de la conversion d’un grand nombre. Car du commencement ils faisaient les braves contre Jésus-Christ, en disant par une manière de défi et dédain : Aucuns des Gouverneurs a-t-il cru en lui ? mais cette populace qui ne sait que c’est de la Loi, est exécrable, Jean 7.19.

6.8

Or Etienne, plein de grâce et de puissance, faisait des prodiges et de grands miracles parmi le peuple.

Saint Luc rapporte ici un nouveau combat livré à l’Eglise. Dont il apparaît que la gloire de l’Evangile a été toujours conjointe avec la croix et beaucoup de fâcheries. Or voici quelle est la somme, qu’en la personne d’un homme l’Eglise a été assaillie. Dont est advenu que les ennemis ont pris plus grande hardiesse, et étant abreuvés de sang innocent, exerçaient plus grande cruauté que de coutume. Car auparavant ils n’avaient point fait pis que d’emprisonner et battre de verges. Mais afin que nous entendions que le nom de Jésus-Christ a été glorifié tant en la vie qu’en la mort de saint Etienne, saint Luc explique au commencement, qu’il était rempli de foi et de force. Il signifie par cela, qu’il avait une foi notable, et était excellent en force et puissance de faire miracles. Car il ne nous faut point imaginer une perfection de foi, pourtant qu’il soit dit qu’il était rempli de foi. Mais la sainte Écriture a accoutumé d’user de cette façon de parler, d’appeler remplis des dons de Dieu ceux qui en ont en abondance. Quant à ce mot de force, je le prends sans contredit pour puissance de faire des miracles, et la foi comprend non seulement le don d’intelligence, mais aussi l’affection ardente et zèle embrasé. Or lui étant ainsi excellent, et à cause de l’excellence des grâces fort renommé, cela a fait que les iniques quasi tous d’une impétuosité se sont tournés contre lui en pleine rage. Car selon que la puissance, la vertu et la grâce du saint Esprit se manifeste, en même temps ceci advient ordinairement, que la rage de Satan est excitée. Or on verra par la déduction du texte, que saint Etienne a été hardi et diligent à répandre la doctrine de l’Evangile. Mais saint Luc ne parle point maintenant de ceci, se contentant d’avoir loué sa foi, qui ne peut demeurer oisive et endormie.

6.9

Mais quelques membres de la synagogue dite des Affranchis, de celle des Cyrénéens, et de celle des Alexandrins, et des Juifs de Cilicie et d’Asie, se levèrent, disputant contre Etienne.

Ceci a été le commencement de la persécution, que les méchants voyant qu’ils ne gagnaient rien de s’opposer contre Jésus-Christ par disputes, ont leur recours aux calomnies et séditions, quand ils connaissent leur premier effort être inutile ; et finalement ils viennent jusques à faire violence et meurtrir. Par ce mot donc de Lever, saint Luc signifie que ceux desquels il parle ici, ont assailli de langue et de bec la doctrine de l’Evangile, et qu’ils n’ont point du premier coup tiré saint Etienne en jugement, mais l’ont premièrement assailli par disputes contraires. Au surplus, il montre qu’ils étaient étrangers, s’étant retirés au pays de Judée, ou pour trafiquer, ou pour affection d’apprendre. Il explique donc ici que les uns étaient Cyréniens, les autres Alexandrins, aucuns de Cilice, les autres d’Asie ; et dit que tous ceux-ci étaient de la Synagogue des Affranchis. Il est probable que les affranchis des citoyens Romains ont fait édifier une Synagogue sur leurs deniers, laquelle fut particulièrement pour les Juifs qui venaient des provinces pour habiter en Jérusalem. Ainsi ceux qui étant là amenés par la grâce de Dieu, et devaient de tant plus grand zèle recevoir Jésus-Christ, sont ceux qui lui livrent les premiers assauts, et par manière de dire, sonnent la trompette pour enflammer la rage des autres. Et saint Luc montrera en beaucoup de lieux ci-après, que les Juifs des provinces ont été les plus grands ennemis de la sainte doctrine, et sur tous autres envenimés et remplis d’amertume à susciter des troubles. Il dit qu’il y en avait plusieurs, afin que la victoire de la vérité soit plus magnifique, vu que plusieurs assemblés de diverses régions s’en retournent tous confus, étant surmontés par un seul homme. Car il ne faut point douter qu’ils n’aient été contraints de demeurer muets honteusement. déjà la foi et les miracles avaient acquis grâce et autorité à saint Estienne. Maintenant il répond de telle sorte à ceux qui disputaient contre lui, qu’on voit bien qu’il est beaucoup plus fort qu’eux. La sagesse et l’Esprit, auxquels ils ne pouvaient résister, ne sont pas ici mis par saint Luc comme choses diverses. Il faut donc ainsi résoudre ces deux mots : Ils ne pouvaient résister, ou contredire à la sagesse, qui lui était donnée du saint Esprit. Car saint Luc a voulu exprimer que le combat n’a pas été de toutes les deux parts en la vertu de l’homme ; mais que les ennemis de l’Evangile ont été vaincus, pour ce que l’Esprit de Dieu qui parlait par la bouche de saint Etienne, combattait contre eux. Au demeurant, vu que Jésus-Christ a promis le même Esprit à tous ses serviteurs, seulement combattons fidèlement pour la vérité, et demandons-lui bouche et sagesse. Et lors nous aurons assez pour parler, en sorte que la subtilité, ni le caquet affété de nos ennemis ne nous fera jamais honte. Ainsi de notre temps le saint Esprit a eu une telle efficace et vertu en la bouche des Martyrs qui ont été menés au feu, et encore tous les jours elle manifeste la même vigueur et force, que combien que ce fussent hommes sans instruction, toutefois ils étonnaient les plus grands théologiens de la Papauté par leur seule voix, comme s’ils eussent été frappés d’un coup de foudre.

6.10

Et ils ne pouvaient résister à la sagesse et à l’Esprit par lequel il parlait.

6.11

Alors ils subornèrent des hommes qui dirent : Nous l’avons entendu proférer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu.

Etant abattus par la vertu du saint Esprit, ils laissent là les disputes. Cependant, ils subornent des faux-témoins pour l’opprimer de calomnies. Dont il apparaît clairement, qu’ils ont combattu de mauvaise conscience. Car qu’y a-t-il plus méchant que de maintenir et défendre une cause par menterie ? Prenons le cas qu’il y ait un homme au demeurant coupable ; toutefois si ne le faut-il pas opprimer ni grever par faux témoignages. Mais les hypocrites sous couleur de leur zèle se lâchent hardiment la bride en cela. Nous voyons comme les Papistes corrompent aujourd’hui contre leur propre conscience des passages manifestes de l’Écriture, quand ils allèguent des témoignages falsifiés à l’encontre de nous. Je confesse bien que le plus souvent ils pèchent par ignorance, mais cependant on n’en trouvera pas un seul d’entre eux, qui ne se donne licence de gâter le sens, et corrompre les mots de l’Écriture, afin qu’il rende notre doctrine odieuse. D’avantage, ils forgent en chaire des calomnies monstrueuses contre nous. Si ces beaux Pères et vénérables Rabbins sont interrogés, à savoir s’il est licite de calomnier quelqu’un, il est vrai qu’ils le nieront en général ; mais quand ce vient à parler de nous, le saint et bon zèle les excuse ; pour ce qu’ils pensent que tout ce qui peut empirer et rendre notre cause odieuse, est permis. Par quoi ils se flattent en mensonges, en fausseté et toute impudence effrontée. Une telle hypocrisie a aussi aveuglé ceux que saint Luc explique ici avoir abusé de faux témoignages pour détruire et ruiner saint Etienne. Car quand Satan obtient la domination, non seulement il sollicite les réprouvés à cruauté, mais aussi il leur éblouit les yeux, en sorte qu’ils pensent que toutes choses leur soient permises. Principalement nous sommes enseignés par cet exemple, combien est dangereuse la couverture d’un bon zèle, s’il n’est gouverné par l’Esprit de Dieu. Car de ce zèle-là il en sortira toujours une rage furieuse, et cependant c’est une merveilleuse masque pour couvrir toutes méchancetés.

6.12

Et ils émurent le peuple et les anciens et les scribes ; et se jetant sur lui, ils l’entraînèrent et l’emmenèrent dans le sanhédrin ;

6.13

et ils produisirent de faux témoins, qui disaient : Cet homme ne cesse de proférer des paroles contre le saint lieu et contre la loi.

6.14

Car nous l’avons entendu dire que Jésus, ce Nazaréen, détruira ce lieu et changera les coutumes que Moïse nous a transmises.

Il apparaît assez par la défense de saint Etienne, qu’il n’a jamais parlé de Moïse ou du Temple, sinon en tout honneur. Et toutefois cet outrage ne lui a point été mis en avant sans un prétexte. Car il avait enseigné l’abaissement de la Loi. Mais les témoins sont faux et subornés à dire mensonge, en ce qu’ils corrompent tout à propos ce qui avait été bien et saintement dit. Ainsi Jésus-Christ a été contraint de se défendre qu’il n’était point venu pour rompre la Loi. Car comme ainsi soit qu’il eût prêché de mettre fin aux cérémonies, les méchants tiraient cela à un autre sens, comme s’il eût voulu abolir toute la Loi. Ses ennemis aussi ont méchamment détourné et glosé ce qu’il avait dit de son corps, le rapportons au temple de Jérusalem. Mais quoi ? N’a-t-on pas reproché à saint Paul qu’il enseignait à faire le mal, afin que bien en advint ? par quoi il ne faut point que nous nous ébahissions aujourd’hui, si nous voyons tirer en sens pervers et malin ce que nous enseignons purement et saintement, et au profit d’un chacun. Mais plutôt faisons cette résolution, que la doctrine de l’Evangile ne pourra jamais être traînée si prudemment et modérément, qu’elle ne soit sujette à calomnies ; car Satan qui est le père de mensonge, s’emploie toujours à faire son office. D’avantage, pour ce qu’il y a plusieurs choses contraires à la raison charnelle, il n’y a rien à quoi les hommes soient plus enclins qu’à recevoir des calomnies et fausses accusations, par lesquelles le vrai et naturel sens de la doctrine soit corrompu. Cette malice de Satan et ces embûches nous doivent rendre mieux avisés et plus attentifs à nous garder de mettre hors de la bouche chose qui soit dite de travers, ou mal à propos, ou improprement, ou à la volée, de laquelle nos ennemis puissent être armés pour batailler contre nous. Car il faut diligemment ôter toute occasion aux méchants, afin qu’ils ne trouvent rien de ce qu’ils cherchent.

Mais si nous voyons que la doctrine que nous aurons droitement et saintement expliquée, soit défigurée, corrompue et démembrée par fausses calomnies, il ne faut point que nous nous repentions d’avoir bien commencé, ou que cela nous rende pour l’avenir plus tardifs et paresseux. Car il ne serait pas raisonnable que nous fussions assurés ou exempts de toutes morsures venimeuses de Satan, vu que le Fils de Dieu même ne les a pu éviter. C’est cependant notre office de repousser et de répondre aux mensonges, desquels on charge la vérité de Dieu ; comme nous voyons que le Seigneur Jésus maintient la doctrine de l’Evangile contre les calomnies par lesquelles on tâchait de la mettre en ignominie. Seulement retenons dedans nous cette affection et courage, qu’une telle méchanceté n’empêche point notre cours. Pour ce que nous enseignons que les hommes sont tellement corrompus, qu’ils sont totalement esclaves de péché et de mauvaises cupidités ; nos ennemis forgent de cela une calomnie, que nous disons que les hommes ne pèchent pas de leur propre gré, mais qu’ils sont poussés d’ailleurs à mal faire, en sorte que nulle faute ne leur doive être imputée ; ils nous accusent aussi, que nous éteignons le désir de bien faire. Pour ce que nous nions que les œuvres des saints et fidèles soient méritoires de leur propre dignité, d’autant qu’il y a toujours quelque vice mêlé parmi, ils nous imposent ce blâme, que nous ôtons toute différence des biens et des maux. Pour ce que nous disons que la justice de l’homme consiste en la seule grâce de Dieu, et que les âmes des fidèles ne peuvent trouver aucun repos ailleurs qu’en la mort de Jésus-Christ, ils nous objectent que par ce moyen nous lâchons la bride à la chair, en sorte que la Loi n’a plus de lieu. Quand nous donnons au Fils de Dieu l’honneur qui lui appartient, lequel eux ont déchiré par bribes et morceaux comme une proie, et selon qu’il leur a semblé bon l’ont distribué çà et là, et à qui ils ont voulu, ils font à croire, et controuvent que nous sommes ennemis des sains. Ils nous accusent faussement qu’en lieu de la liberté de l’Esprit, nous cherchons une licence charnelle. Quand nous nous efforçons de notre pouvoir de remettre la sainte Cène de notre Seigneur Jésus en son entier et pur usage, ils médisent de nous impudemment, que nous la voulons renverser et détruire. Les autres aussi qui mettent en doute tout ce qui est certain, et veulent qu’il soit en la liberté d’un chacun de suivre son opinion en toutes choses, à la façon des Académiques, pour ce que ce que nous enseignons selon les Écritures de la prédestination éternelle de Dieu, n’est pas une doctrine plaisante aux hommes, mais scabreuse et étrange, ils nous accusent malicieusement que nous faisons de Dieu un tyran, qui prend plaisir à détruire les hommes sans qu’ils en soient dignes, vu qu’il les a adjugés à la mort éternelle avant qu’ils soient nés, et autres semblables calomnies qu’on peut amener à ce propos ; néanmoins telles gens sont plus que convaincus, que nous ne pensons de Dieu qu’en toute révérence, et n’en parlons en toute sorte qu’ainsi que lui-même enseigne de sa propre bouche.

Il est vrai que c’est une chose dure et fort triste à porter, d’être ainsi rendus odieux ; toutefois il ne nous faut point pour cela laisser la défense d’une bonne cause. Car Dieu estime sa vérité précieuse, et pareillement nous devons la réputer telle, combien qu’elle soit odeur de mort à mort aux réprouvés, 2 Corinthiens 2.16. Mais je reviens à l’accusation de saint Etienne, de laquelle voici le principal article, qu’il a proféré paroles blasphématoires contre Dieu et Moïse. Ils ont raison de faire l’injure de Dieu et de Moïse commune ; d’autant que Moïse n’avait rien en sa doctrine de propre, ou qui fut séparé de Dieu. Ils prouvent le blasphème, pour ce qu’il avait parlé outrageusement contre le temple et la Loi. Au reste, ils constituent le blasphème en ce qu’il avait dit, que la venue de Christ avait mis fin au temple et aux cérémonies. Il n’est pas croyable que saint Etienne ait ainsi parlé comme ils le rapportent ; mais ils interprètent mal ce qui avait été bien et saintement dit, pour donner couleur à leur fausse accusation. Mais encore quand ils n’eussent rien changé aux mots, néanmoins tant s’en faut que saint Etienne ait rien dit au déshonneur du temple et de la Loi, qu’il ne les a pu mieux orner de vraies louanges. Les Juifs pensaient que l’honneur du temple fut complètement abattu, s’il ne demeurait perpétuellement en ses ombres et figures, et que la Loi de Moïse serait inutile et de nulle importance, si les cérémonies n’étaient toujours en vigueur. Mais au contraire, l’excellence du temple et l’utilité des cérémonies réside plutôt en cela, quand le tout est rapporté à Jésus-Christ, comme à son principal patron. Par quoi quelque couleur qu’il y ait en cette accusation, toutefois elle est inique et perverse. Au surplus, combien que le fait vienne en question, à savoir si la chose est, et s’il a parlé comme les adversaires disent ; toutefois le point principal de la cause réside en la qualité (comme disent les Rhétoriciens) c’est à savoir, s’il avait bien dit, et comment il fallait prendre son dire. Car ils blâment saint Etienne d’avoir enseigné qu’il fallait changer la forme du service de Dieu qui était reçue pour lors ; et interprètent que cela est un blasphème contre Dieu et Moïse. Ils débattent donc plutôt du droit que du fait. Car la question est à savoir si celui blasphème contre Dieu et Moïse, lequel montre que le temple visible est le patron d’un sanctuaire plus excellent sans comparaison, auquel habite toute plénitude de Divinité, et lequel enseigne que les ombres de la Loi sont temporelles.

Que ce Jésus de Nazareth. Ils parlent ainsi de Jésus-Christ par mépris, comme si c’était une chose détestable, que d’en faire mention. Cependant on peut recueillir de leurs calomnies, que S. Etienne parlant de l’abrogation de la Loi, avait opposé le corps aux ombres, et la substance aux figures. Car si les cérémonies sont abolies par Jésus-Christ, la vérité de celles-ci est spirituelle. Les Juifs qui voulaient qu’elles fussent perpétuelles, ne pensaient rien de celles-ci qui ne fut lourd, charnel, terrien, et devant leurs yeux. En somme, si l’usage des cérémonies était perpétuel, elles seraient caduques, et sans fermeté, d’autant qu’elles n’auraient rien que l’apparence externe. Ainsi il n’y aurait nulle fermeté. Par quoi la vraie perpétuité de celles-ci, c’est quand elles sont abolies par la venue de Jésus Christ ; car il s’ensuit de cela, que leur vertu et efficace consiste en Jésus-Christ.

Et changera les ordonnances, etc. C’est une chose bien certaine, que saint Etienne entendait ceci seulement de la partie de la Loi qui concerne les cérémonies. Mais comme les hommes ont accoutumé de s’arrêter plutôt aux pompes externes, ceux-ci prennent ce qui a été dit, comme si saint Etienne eût voulu réduire à néant toute la Loi. Il est vrai que les principaux commandements de la Loi étaient du service spirituel de Dieu, de la foi, de justice et jugement ; mais pour ce que ceux-ci ont en beaucoup plus grande estimation les cérémonies externes, ils nomment par excellence, Ordonnances de Moïse, les cérémonies et observations qui avaient été données touchant les sacrifices. Tel a été le naturel des hommes depuis le commencement du monde, et sera jusques à la fin. Comme les Papistes ne reconnaissent aujourd’hui aucun service de Dieu, sinon en leurs masques. Tant s’en faut qu’ils soient bien différents des Juifs, d’autant qu’en lieu des ordonnances de Dieu, ils ne suivent que des inventions frivoles des hommes.

6.15

Et comme tous ceux qui étaient assis au sanhédrin avaient les yeux arrêtés sur lui, ils virent son visage semblable au visage d’un ange.

C’est une chose coutumière lors des jugements de dresser la vue sur celui qui est accusé, quand on attend la défense de sa cause. Or S. Luc dit que S. Etienne a été vu semblable à un Ange. Ceci ne s’entend pas de son visage naturel, et tel qu’il l’avait ordinairement, mais de ce qui fut vu pour lors en lui. Car comme ainsi soit que la face de ceux qui sont accusés pâtit coutumièrement, qu’ils bégaient en parlant, et montrent d’autres signes de tremblement, S. Luc enseigne qu’il n’y avait rien de semblable en S. Etienne ; mais plutôt qu’on voyait reluire quelque majesté en lui. Car l’Écriture emprunte quelque fois la similitude des Anges en cette signification, comme 1 Samuel 24.9 ; 2 Samuel 14.17 ; 19.27.

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