Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre XVI

16.1

Or il arriva à Derbe et à Lystre. Et voici, il y avait là un disciple nommé Timothée, fils d’une femme juive fidèle, mais d’un père grec,

S. Luc explique maintenant quels avancement S. Paul a faits, après que lui et Barnabas se furent séparer. Et premièrement il dit qu’il prit Timothée à Lystre pour son adjoint. Mais afin que nous sachions que S. Paul n’a rien fait à la volée et sans bon avis, S. Luc dit ouvertement que Timothée était approuvé par les frères, lesquels rendirent bon témoignage de sa foi et crainte de Dieu. Et en cette sorte saint Paul observe maintenant le choix qu’il commande ailleurs de bien garder en la vocation et élection des Ministres. Car il n’est pas vraisemblable que les prophéties, par lesquelles S. Paul témoigne ailleurs (1 Timothée 1.18) que le Saint Esprit avait approuvé Timothée, fussent déjà lors prononcées. Mais il semble qu’il y ait quelque différence en cela, que S. Luc dit que Timothée a eu bon renom entre les frères ; et S. Paul veut que celui qui est élu pour Évêque, ait bon renom entre les étrangers. Je réponds à cela, qu’il faut principalement considérer le jugement des frères, comme de fait ils sont seuls témoins idoines, et n’y a qu’eux qui puissent droitement et prudemment discerner, d’autant qu’ils ont l’Esprit de Dieu ; et quant aux infidèles, il ne leur faut non plus attribuer qu’à des aveugles. Ainsi donc la sainteté et honnêteté de vie doit être en estime par l’opinion et le jugement des fidèles, en telle sorte que celui qu’ils auront estimé, soit réputé digne d’être Évêque. Je confesse toutefois qu’il est requis en second lieu, que les incrédules soient contraints de le louer, afin que l’Eglise de Dieu ne soit exposée à leurs opprobres et détractions, si elle s’abandonne au gouvernement de gens, de mauvais renom.

16.2

auquel les frères qui étaient à Lystre et à Iconium rendaient un bon témoignage.

16.3

Paul voulut l’emmener avec lui, et l’ayant pris, il le circoncit, à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là, car tous savaient que son père était grec.

S. Luc déclare expressément que Timothée n’a point été circoncis, pour dire qu’il fut nécessaire, ou que la religion du signe de la Circoncision durât encore ; mais c’a été afin que S. Paul évitât le scandale. Il a donc eu égard aux hommes, vu que cela était en liberté devant Dieu. Pour cette raison la Circoncision de Timothée n’a point été un sacrement tel qu’il avait été donné à Abraham et à ses successeurs, mais une cérémonie indifférente, laquelle seulement a servi pour garder et entretenir la charité, et non point pour exercice de piété. Sur ceci on fait une question, à savoir s’il a été licite à saint Paul d’user d’un signe vain et inutile, duquel la force et signification était déjà abolie. Car il semble bien que c’est une bouffonnerie, quand on s’éloigne de l’institution et ordonnance de Dieu. Or est-il ainsi que la Circoncision avait été ordonnée de Dieu pour durer seulement jusques à la venue de Christ. Je réponds à cette question, que la Circoncision a tellement cessé par la venue de Christ, que toutefois l’usage de celle-ci n’a point été soudainement du tout aboli ; mais a demeuré en liberté, jusques à ce que la lumière, de l’Evangile fut plus clairement manifestée, et que par ce moyen tous connussent que Christ était la fin de la Loi. Et sur ceci il nous faut observer trois degrés. Le premier est, que les cérémonies de la Loi ont été tellement abolies après la manifestation de Christ, qu’elles n’ont plus regardé au service de Dieu, et n’ont plus été figures de choses spirituelles, et n’était nullement nécessaire d’en user. Le second degré est que l’usage de celles-ci a été en liberté, jusques à ce que la vérité de l’Evangile fut plus clairement manifestée. Le troisième degré est qu’il n’a point été licite aux fidèles de les garder, sinon en tant que l’usage de celles-ci servît en édification, et que par celles-ci la superstition ne fut point nourrie. Combien que cette puissance libre d’en user, de laquelle j’ai parlé, n’est point sans exception ; d’autant qu’entre les cérémonies il y avait diverses raisons. Car la Circoncision n’était point en tel rang que les sacrifices, lesquels étaient ordonnés pour purger les ordures des péchés. Par quoi il a été licite à S. Paul de faire ce qu’il a fait, à savoir de circoncir Timothée ; mais il ne lui eût été licite d’offrir quelque bête en sacrifice pour les péchés.

Il est vrai que c’est une maxime générale, que tout le service de la Loi a cessé à la venue de Christ, pour ce qu’il n’était ordonné que pour un temps, en tant que cela touchait la conscience et la foi, Mais quant à l’usage, voici ce qu’il nous en faut juger ; que pour bien peu de, temps il a été indifférent et laissé en la liberté des fidèles, en tant qu’il n’était point contraire à la confession de la foi. Il faut bien noter la brièveté du temps, de laquelle j’ai fait mention, à savoir jusques à ce que l’Evangile fut clairement manifesté. Car quelques savants personnages s’abusent bien lourdement en cet endroit, auxquels il semble que la Circoncision a encore lieu entre les Juifs ; vu que S. Paul remontre qu’elle est superflue après que par le baptême nous sommes ensevelis en Christ, Colossiens 2.11-12. Le proverbe ancien a beaucoup mieux dit, à savoir qu’il faut ensevelir la Synagogue avec honneur. Maintenant il reste que nous déclarions en quelle sorte, l’usage de la Circoncision a été indifférent. Ce qui sera aisé à connaître, en considérant la raison de la liberté. Pour ce que la vocation des Gentils n’était encore par complètement connue, il fallait donner aux Juifs quelque peu de prérogative. Donc jusques à ce qu’il fût mieux connu que l’adoption était répandue sur toutes les gens aussi bien que sur la race d’Abraham, il a été licite, autant qu’il était besoin pour l’édification, de retenir le signe de la discrétion et séparation. Car comme ainsi soit que S. Paul (Galates 2.3) n’ait point voulu circoncir Tite, et remontre que cela a été bien fait, il s’ensuit que cette cérémonie n’a point été indifféremment en liberté, et qu’il n’ait fallu y avoir quelque égard. Par quoi on devait regarder à l’édification et à l’utilité publique de l’Eglise. Pour ce que S. Paul ne pouvait circoncir Tite sans se montrer traître envers la pure doctrine de l’Evangile, et sans s’exposer aux fausses accusations des ennemis, il s’est déporté de l’usage libre de la cérémonie lequel il s’est permis en Timothée, sachant bien que cela profiterait à l’Eglise. Par ceci on peut connaître facilement quelle confusion horrible et détestable il y a en la Papauté. Ils ont un amas infini de cérémonies ; et à quel propos, sinon afin que pour un voile du temple ancien, ils en mettent cent en avant ? Dieu a aboli les cérémonies qu’il avait ordonnées, afin que la vérité de l’Evangile reluisît plus clairement. Les hommes ont été obsédés d’en introduire de nouvelles, voire sans garder mesure quelconque. Puis après est survenue cette imagination perverse, qu’en elles seules consiste le service de Dieu. Finalement a été ajoutée la confiance diabolique de mérite. Maintenant puisqu’on voit clairement que telles cérémonies ne sont ni voiles ni sépulcres, par lesquels Christ soit couvert, mais plutôt fientes puantes, par lesquelles la pure religion et la vraie foi est souillée et du tout enterrée ; ceux qui mettent l’usage de celles-ci indifféremment en liberté, attribuent beaucoup plus au Pape que Dieu n’octroie à sa Loi. Quant à la messe et autres telles ordures tant puantes, qui contiennent idolâtrie manifeste, il n’est besoin d’en parler ici.

Car tous savaient bien, etc. S. Luc insiste que l’intention de S. Paul était, que Timothée eût entrée aux Juifs, afin qu’ils ne l’eussent en dédain et horreur, comme un homme profane. Tous savaient bien, dit-il, que son père était Grec. Pour autant donc que les mères n’avaient nulle puissance sur les enfants, ils étaient assez persuadés que Timothée n’avait point été circoncis. Les lecteurs doivent ici noter en passant, combien était lors misérable la servitude du peuple de Dieu. Eunice mère de Timothée était du petit résidu que les Juifs mêmes estimaient comme une chose monstrueuse ; et toutefois ayant épousé un homme infidèle, elle n’osait consacrer ses enfants à Dieu ; pour le moins pour leur donner le signe extérieur de la grâce. Et nonobstant elle n’a point laissé pour cela d’instruire son fils dès son enfance en la crainte de Dieu, et au pur service de celui-ci. Voici certes un exemple que les femmes doivent bien suivre, lesquelles les maris effraient par domination tyrannique, à ce qu’elles n’entretiennent leurs enfants et familles en la vraie crainte de Dieu. Ce mot de Grec, est ici pris pour Gentil, selon la coutume de l’Ecriture.

16.4

Et comme ils parcouraient les villes, ils leur transmettaient, pour les observer, les ordonnances rendues par les apôtres et les anciens de Jérusalem.

Saint Luc signifie par ces paroles, combien S. Paul a aimé la paix. C’était lors un fort bon lien pour entretenir concorde entre les Eglises, que de garder ce qui avait été arrêté entre les apôtres. Comme ainsi soit que S. Paul fut diligent en cela, aussi se donne-il bien garde que quelque trouble n’advienne pas sa faute. Cependant rappelons-nous que cela a été seulement pour un temps. Car quand il voie que le danger du scandale cesse, il libère complètement les Eglises, et sans avoir égard à l’ordonnance, il met en liberté ce que les Apôtres avaient là défendu. Toutefois par un tel anéantissement il ne change pas et ne viole point ce que les apôtres avaient ordonné, et ne méprise point ceux qui avaient fait une telle ordonnance. Car ce n’avait point été leur intention d’établir une ordonnance perpétuelle, mais seulement d’adoucir et apaiser pour un petit temps ce qui pouvait offenser les consciences faibles ; comme on a pu voir plus amplement ci-dessus au chapitre précédent. On peut facilement connaître par ceci la folie des Papistes, quand ils nous accusent gravement, qu’il s’en faut beaucoup que nous ressemblions à S. Paul ; d’autant que méprisant les ordonnances et statuts de l’Eglise, ainsi qu’ils disent, nous voulons que les consciences des fidèles soient seulement gouvernées par la parole de Dieu, et non point qu’elles soient assujetties à l’appétit des hommes. Mais, comme j’ai déjà dit, S. Paul n’a rien moins voulu que d’imposer nécessité aux consciences. Car il n’est point contraire à soi-même, quand il dit ailleurs : Toutes choses sont nettes aux nets : Tite 1.15. De même : Celui qui est ferme, mange de toutes choses. Romains 14.2. De même : Le royaume de Dieu ne consiste en breuvage ni viande, Romains 14.17. De même : La viande ne nous rend point plus agréables à Dieu, 1 Corinthiens 8.8. De même : Mangez de tout ce qui sera mis devant vous, ne vous enquérant de rien pour la conscience, 1 Corinthiens 10.25. Mais il accorde en un mot ce qui autrement pouvait sembler être discordant, quand il commande qu’on s’abstienne de manger des viandes offertes aux idoles, et ce pour la conscience d’autrui. Il se donne bien garde cependant d’astreindre les consciences fidèles aux ordonnances des hommes. Ainsi donc nous n’attentons rien aujourd’hui qui soit discordant à saint Paul. Au reste, les Papistes se moquent bien trop ouvertement, quand ils font comparaison de leurs lois avec les ordonnances des apôtres. Les apôtres n’avaient point forgé aucun nouveau service de Dieu ; ils n’avaient dressé aucun nouveau gouvernement spirituel ; mais pour le désir qu’ils avaient de garder et entretenir la paix, ils avaient exhorté les Gentils de quitter quelque chose aux Juifs. Avant que le Pape excuse ses statuts et ordonnances sous cette belle excuse, il faudra qu’elles soient premièrement du tout changées. Mais quant à nous, d’autant que les Papistes constituent le service spirituel de Dieu dans les traditions des hommes, et transfèrent le droit et l’autorité du Dieu vivant aux hommes, lesquels ont domination sur les âmes, nous sommes contraints de résister fort et ferme, sinon que par un déloyal silence nous voulions trahir la grâce acquise par le sang du Fils de Dieu. Et puis, quelle similitude peut avoir avec trois ordonnances qui auront été faites pour soulager les infirmes, un si grand amas de statuts, lequel non seulement opprime les pauvres âmes de sa pesanteur, mais aussi engloutit la foi ? On sait assez quelle est la complainte que saint Augustin fait à Januarius, que déjà l’Eglise était chargée de trop pesant fardeau de traditions. A savoir vraiment s’il endurerait aujourd’hui la servitude qui est en l’Eglise, laquelle est cent fois plus dure que celle de son temps.

16.5

Ainsi les Eglises s’affermissaient dans la foi, et croissaient en nombre, de jour en jour.

Nous recueillons de ceci, que ce que S. Luc a touché des statuts et ordonnances des apôtres, a été comme un accessoire. Car il magnifie bien un autre fruit qui sortit de la doctrine de S. Paul, quand il dit que les Eglises furent confirmées en la foi. Saint Paul donc a tellement mis ordre dans les choses extérieures, qu’il a été principalement attentif au royaume de Dieu, lequel consiste en la doctrine de l’Evangile, et est plus haut et plus excellent que l’ordre extérieur. Par quoi il est parlé de ces ordonnances, en tant que cela servait à la concorde ; afin que nous sachions que ce saint Personnage l’avait pour recommandée ; mais cependant la religion est mise en plus haut degré, de laquelle le seul fondement est la foi ; et la foi aussi regarde et s’arrête à la seule parole de Dieu, et ne dépend des ordonnances et constitutions humaines. Or maintenant S. Luc nous incite par cet exemple à nous avancer continuellement en la foi ; de peur que dès le commencement une nonchalance ne nous surprenne, et que nous ne tenions pas grand compte de profiter. Il exprime aussi par quel moyen la foi est augmentée, à savoir quand le Seigneur nous sollicite et réveille par le ministère de ses serviteurs ; comme lors il s’est servi du moyen de S. Paul et de ses compagnons. Quand il ajoute incontinent après, que même le nombre a été augmenté, il est bien vrai qu’il montre un autre fruit de la prédication ; toutefois il signifie avec cela, que selon que ceux qui ont été les premiers appelés profitent en la foi, ils en amènent plus grand nombre à Christ ; comme si à la façon des provins(marcottes), la foi s’étendait au long et au large jusques aux autres.

16.6

Or ils traversèrent la Phrygie et le pays de Galatie, ayant été empêchés par le Saint-Esprit d’annoncer la parole en Asie.

S. Luc explique ici combien S. Paul et ses compagnons ont été diligents à enseigner. Car il dit qu’ils ont passé par diverses contrées d’Asie mineure, pour semer l’Evangile. Mais il explique une chose qui est principalement digne de mémoire, qu’il leur a été défendu par le Saint Esprit de parler de Christ en aucuns lieux. Ce qui sert grandement à orner l’Apostolat de S. Paul ; comme il ne faut point douter qu’il n’ait été tant plus encouragé de persévérer, quand il connaissait que le Saint Esprit était conducteur et guide de ses entreprises. Et quant à ce que sans aucune différence ils se préparaient à enseigner, en quelque lieu qu’ils arrivassent, ils le faisaient selon leur vocation, et par le commandement de Dieu. Car ils étaient envoyer pour publier sans exception l’Evangile entre les Gentils. Mais le Seigneur a manifesté toujours au besoin son conseil en la conduite de leur course, lequel était caché auparavant. Toutefois on fait ici une question : Si S. Paul n’a enseigné nulle part, sinon que l’Esprit l’ait conduit par la main ; quelle certitude auront aujourd’hui les Ministres de l’Eglise de leur vocation, lesquels ne sont point rendus certains par oracles ni aucunes révélations, quand il est besoin qu’ils parlent, ou qu’ils se taisent ? Je réponds, que vu que la charge de S. Paul avait si longue étendue, il a eu besoin d’une singulière guide et adresse du Saint Esprit. Il n’avait point été ordonné apôtre seulement pour un lieu, ni pour un petit nombre de villes, mais il avait commandement exprès de publier l’Evangile par l’Asie et l’Europe ; ce qui était nager en la haute mer, ainsi qu’on dit. Et pourtant il ne nous faut point être étonné de ce qu’en cette longue et confuse étendue Dieu lui a tendu la main, lui donnant un signe, pour lui faire entendre à quel but il voulait qu’il tendît, et jusques où il allât.

Mais encore s’engendre une autre question beaucoup plus difficile, pourquoi le Seigneur a défendu à Paul de parler en Asie, et n’a point permis qu’il allât en Bithynie. Car si on répond que ces nations-là ont été indignes de la doctrine de salut, on pourra derechef répliquer : Pourquoi la Macédone était-t-elle plus digne ? D’aucuns voulant trop savoir, assignent les causes de cette différence dans les hommes, à savoir que le Seigneur fait ce bien à un chacun, de le faire participant de son Evangile, selon qu’il voit les hommes prompts et enclins à l’obéissance de la foi. Mais lui-même en prononce bien autrement ; à savoir qu’il s’est ouvertement manifesté à ceux qui ne le cherchaient pas, et qu’il a parlé à ceux qui ne s’enquéraient point de lui, Esaïe 65.1. Car d’où vient la docilité et la promptitude d’obéir, sinon de l’Esprit de Dieu ? par quoi il est bien certain que le mérite ne fait point que les uns soient préférés aux autres ; vu que tous sont détournés de la foi naturellement, autant les uns que les autres. Ainsi il n’y a rien meilleur que de laisser à Dieu sa pleine puissance, pour en faire selon son bon plaisir, et conférer sa grâce à ceux que bon lui semblera, et en priver ceux qu’il voudra. Et de fait, tout ainsi que son élection éternelle est gratuite, aussi faut-il penser que la vocation est gratuite, laquelle découle de son élection, et n’est nullement fondée es hommes, puis qu’il n’est obligé à personne. Sachons donc que l’Evangile nous vient de la seule source de pure grâce. Et toutefois Dieu n’est point dépourvu de juste raison, pourquoi il offre son Evangile à certains personnages, et laisse là les autres ; mais je dis que cette raison est cachée en son conseil étroit. Cependant, que les fidèles sachent qu’ils ont été appelés par grâce, afin qu’ils ne tirent à eux ce qui appartient à la seule bonté et miséricorde de Dieu. Et quant aux autres qui sont rejetés de Dieu, sans qu’il y ait aucune cause apparente, que les fidèles apprennent à avoir en admiration le profond abîme de son jugement, duquel il n’est licite de s’enquérir. Au surplus, le mol d’Asie est ici pris pour la partie qui est ainsi proprement et spécialement appelée. Or quand saint Luc dit que saint Paul et ses compagnons ont essayé d’aller en Bithynie, jusques à ce qu’ils ont été repoussés par le Saint Esprit, il montre qu’ils n’ont point été guidés par révélation Divine, sinon quand il en a été besoin ; comme on peut connaître par expérience, que le Seigneur assiste à ses fidèles dans les choses douteuses.

16.7

Et étant venus près de la Mysie, ils essayaient d’entrer en Bithynie ; mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas.

16.8

Et ayant franchi la Mysie, ils descendirent à Troas.

16.9

Et une vision apparut à Paul pendant la nuit : un homme macédonien se tenait là, et il le priait et disait : Passe en Macédoine et secours-nous.

Le Seigneur ne voulut point que Paul demeurât longtemps en Asie ; d’autant qu’il le voulait tirer en Macédoine. Et la façon de le tirer est exprimée par saint Luc ; à savoir qu’il eut une vision de nuit, en laquelle un homme Macédonien s’apparut à lui. Sur quoi il faut noter que Dieu n’a pas toujours gardé une même façon de révélation ; pour ce que diverses sortes conviennent beaucoup mieux pour confirmer. Or il n’est pas dit que cette révélation ait été faite par songe, mais seulement qu’elle a été faite de nuit. Car il y a des visions de nuit qui apparaissent bien aussi à ceux qui veilleront.

Et nous aide. Cette façon de parler est pour la louange du ministère qui était enjoint à saint Paul. Car comme ainsi soit que l’Evangile est la puissance de Dieu en salut à tous fidèles, Romains 1.10, il est dit que les ministres de celui-ci aident à ceux qui s’en allaient périssant, en les délivrant de la mort. Ils les amènent au bienheureux héritage de la vie éternelle. Et ceci doit bien servir d’un bon aiguillon aux docteurs fidèles, pour les inciter à brûler de désir, quand ils entendent dire qu’ils retirent les pauvres âmes hors de perdition, et qu’ils aident ceux qui autrement étaient perdus, à ce qu’ils soient sauvés. D’autre part, tous les peuples où l’Evangile est parvenu, sont enseignés de recevoir en révérence les Ministres de celui-ci, et les embrasser de sainte et bonne affection comme leurs libérateurs ; sinon qu’ils veuillent rejeter malicieusement la grâce de Dieu et sa bonté. Nonobstant ce titre-ci n’est point tellement transféré aux hommes, que Dieu soit dépouillé de la moindre partie de son honneur et louange. Car combien qu’il confère le Salut par ses fidèles Ministres, néanmoins il est seul auteur de celui-ci, comme s’il étendait ses mains pour secourir et aider.

16.10

Dès qu’il eut vu cette vision, nous cherchâmes aussitôt à passer en Macédoine, concluant que le Seigneur nous appelait à leur annoncer l’Evangile.

Nous recueillons de ceci que ce n’a point été une simple vision, mais qu’elle a été confirmée par le témoignage du Saint Esprit. Car Satan bien souvent abuse de ses visions et fantômes pour donner lieu à ses finesses, et pour décevoir les incrédules. Ainsi il advient qu’une vision nue laisse l’entendement de l’homme en suspens. Mais le Saint Esprit marque d’une certaine impression celles qui sont vraiment de Dieu ; à celle fin que ceux que Dieu veut être adonnés a son service ne chancellent point ou ne soient en doute. Un Esprit malin apparut à Brutus, l’invitant à cette bataille malheureuse qu’il donna aux champs Philippiens ; à savoir au lieu même où S. Paul fut depuis appelé. Mais comme la cause était bien autre, aussi le Seigneur a travaillé tout autrement avec son serviteur, afin qu’il lui ôtât tout scrupule, et ne le laissait en étonnement et frayeur. Au reste, en Paul et ses compagnons le désir d’obéir a suivi tout soudain la certitude. Car si tôt qu’ils sont assurés qu’ils sont appelés du Seigneur, ils se mettent en chemin. La terminaison du participe Grec qui est ici mis, est active. Or comme ainsi soit qu’il signifie plusieurs choses, je ne doute point que saint Luc n’entende en ce passage, que Paul et les autres, après avoir conjoint cette vision avec les oracles précédents, se sont persuadés qu’ils étaient appelés de Dieu pour aller en Macédoine.

16.11

Etant donc partis de Troas, nous cinglâmes directement vers la Samothrace, et le lendemain vers Néapolis.

Cette histoire montre comme en un miroir, comment le Seigneur a exercé au vif la foi et patience de ses serviteurs, leur mettant au-devant de si grandes difficultés, qu’elles ne pouvaient être surmontées sinon avec une magnanimité et constance singulière. Car on entend ici raconter une telle entrée de saint Paul en Macédoine, qu’il pouvait être du tout dégoûté d’ajouter foi à la vision. Ces bons et saints personnages laissent l’œuvre qu’ils avaient en main, et passent hâtivement la mer, comme si toute la gent des Macédoniens dut venir au-devant d’eux de grande affection pour demander secours. Maintenant tant s’en faut que l’issue réponde à l’espérance, que presque toutes ouvertures de parler leur sont fermées. Etant entrés en la première ville, ils ne trouvent personne pour qui ils se puissent employer. Ils sont donc contraints de sortir aux champs, et se retirer à l’écart pour parler. Et là même il n’y a pas un homme seul qu’ils puissent recouvrer, qui prête l’oreille à leur doctrine ; seulement ils trouvent une femme laquelle ils gagnent à Christ, encore était-elle étrangère. Qui est-ce qui n’eût dit que ce voyage avait été malheureusement et follement entrepris, vu que toutes choses venaient si mal à propos ? Mais voilà comment le Seigneur parachève ses œuvres sous une apparence infirme et débile, à cette fin que les hommes connaissent à la longue plus clairement sa puissance. Et principalement il fallait que les commencements du Royaume de Christ fussent tellement disposés, qu’ils se sentissent de l’abjection de la croix. Cependant, il nous faut noter la constance de saint Paul et de ses compagnons, lesquels voyant des commencements si contraires, ne laissent point pourtant d’essayer si quelque occasion, tant petite puisse-t-elle être, se présente contre tout espoir. Et de fait, les serviteurs de Christ doivent combattre contre tous empêchements, et ne laisser pour toutes difficultés de continuer le lendemain, quand ils n’apercevraient aujourd’hui fruit quelconque de leur labeur. Car ils n’ont nulle raison de demander d’être plus heureux que saint Paul. Quand S. Luc explique qu’ils ont demeuré en cette ville-là, aucuns aiment mieux le tourner ainsi ; qu’ils ont conféré ensemble, ou bien qu’ils ont disputé. Mais l’autre traduction est plus simple, et le fil du texte nous mène là. Car S. Luc montrera bientôt après, que Lydie a été les prémices de l’Eglise. Et on peut facilement conjecturer, que les Apôtres sont sortis hors, d’autant que nulle porte ne leur était ouverte en la ville.

16.12

Et de là nous allâmes à Philippes, qui est la première ville de ce district de la Macédoine, et une colonie. Et nous séjournâmes quelques jours dans cette ville.

16.13

Le jour du sabbat nous allâmes hors de la porte, près d’une rivière, où nous pensions que se trouvait un lieu de prière. Et nous étant assis, nous parlions aux femmes qui s’y étaient assemblées.

Il n’y a point de doute que les Juifs n’aient cherché quelque retraite, quand ils voulaient faire oraison ; pour ce que leur religion était lors partout en grande haine. Cependant Dieu nous a voulu enseigner par leur exemple, combien nous devons estimer la profession de la foi ; à savoir afin que nous ne la laissions de faire pour crainte de péril, ou de la mauvaise grâce des hommes. Il est bien vrai qu’il y avait des Synagogues pour les Juifs en beaucoup de lieux ; mais il ne leur était licite de faire des assemblées publiques en Philippes, qui était une Colonie Romaine. Ils se retirent donc en un lieu à l’écart, à cette fin qu’ils prient Dieu sans être aperçus. Toutefois ceci était odieux aussi, et leur pouvait engendrer quelque mauvaise grâce, et les mettre en danger ; mais ils préfèrent le service et honneur de Dieu à leur repos et commodité. Au demeurant, on peut recueillir du mot de Sabat, que saint Luc parle des Juifs. D’avantage, puis qu’il loue Lydie de ce qu’elle servait à Dieu, il faut dire qu’elle était Juive. Et n’est besoin d’en disputer longuement, vu que nous savons que les Grecs et Romains estimaient comme chose digne de mort, de célébrer le Sabat, ou d’user des cérémonies judaïques. Or nous entendons maintenant que ce n’a point été par superstition ou folle dévotion, que les Juifs avaient choisi le rivage du fleuve pour faire oraison ; mais ils n’ont point voulu être vus des hommes, et ont fui toute compagnie. Si quelqu’un objecte, pourquoi c’est qu’un chacun en son privé ne faisait oraison en sa maison ; la réponse est facile, que c’a été une façon ordinaire de prier, pour rendre témoignage de leur religion ; et afin qu’étant retirés des superstitions des Gentils, ils s’exhortassent l’un l’autre à rendre service et obéissance au Dieu seul et souverain, et entretinssent entre eux la religion qu’ils avaient reçue de leurs Pères. Quant à saint Paul et ses compagnons qui étaient nouvellement venus, on peut facilement penser qu’ils ne vinrent là non tant pour faire oraison, que pour ce qu’ils espéraient de faire quelque fruit. Car c’était un lieu propre pour enseigner loin du bruit, et fallait que ceux qui étaient là assemblés pour faire oraison fussent attentifs à la parole de Dieu.

Parlant aux femmes qui étaient là. Ou ce lieu-là était seulement ordonné pour l’assemblée des femmes, ou la religion était refroidie entre les hommes en sorte que pour le moins ils y venaient bien tard. Mais quelque chose qu’il y ait, nous voyons que ces saints personnages ne laissent passer occasion quelconque, d’autant qu’ils ne se fâchent point d’offrir l’Evangile à des femmes seulement. Au reste, d’autant qu’il me semble être vraisemblable que les prières se faisaient là en commun entre les hommes et les femmes, je pense que saint Luc n’a point fait mention des hommes, à cause qu’ils n’ont pas daigné écouter, ou qu’entendant ils n’en ont rien retiré.

16.14

Et une certaine femme, nommée Lydie, de la ville de Thyatire, marchande de pourpre, qui craignait Dieu, écoutait ; et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu’elle fût attentive aux choses que Paul disait.

S’ils eussent été entendus de peu de femmes, encore cela était entrer par une fente bien étroite. Mais maintenant quand il n’y a qu’une seule femme qui les écoute, ne pouvait-il pas sembler que l’entrée était fermée entièrement à Christ ? toutefois de ce bien petit surgeon est sortie depuis une Eglise excellente, laquelle saint Paul loue grandement en ses épîtres. Toutefois il se peut bien faire que Lydie eut aussi des compagnes, desquelles il n’est point fait mention, à cause qu’elle les surpassait. Or saint Luc n’assigne point la cause pourquoi cette seule femme s’est rendue docile, pour ce qu’elle ait eu l’entendement plus subtil que les autres, ou qu’elle ait eu quelque préparation ou disposition de soi-même ; mais il dit que son cœur a été ouvert par le Seigneur, afin qu’elle se rendît attentive à ce qui était dit par saint Paul. Il l’avait naguère louée de ce qu’elle honorait et craignait Dieu ; et toutefois il montre qu’elle n’avait pu comprendre la doctrine de l’Evangile sinon par l’illumination du Saint Esprit. Par quoi nous voyons que non seulement la foi, mais aussi toute l’intelligence des choses spirituelles est une grâce spéciale, et un don particulier de Dieu, et que les ministres ne profitent de rien par leur parler, sinon que la vocation intérieure de Dieu y soit en même temps conjointe. L’Écriture entend quelque fois par ce mot de Cœur, l’entendement ; comme quand Moïse dit : Jusques à présent le Seigneur ne l’a point donné un cœur pour te faire entendre, Deutéronome 29.4. Ainsi en ce passage saint Luc ne signifie pas seulement que Lydie ait été attirée par inspiration du Saint Esprit, à recevoir l’Evangile d’affection de cœur ; mais que son entendement a été illuminé pour bien entendre. Apprenons de ceci que la stupidité et aveuglement des nommes est si grand, qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en entendant ils n’entendent point, jusques à ce que Dieu leur forme des yeux nouveaux, et des oreilles nouvelles. Au surplus, il nous faut noter cette façon de parler, que le cœur de Lydie a été ouvert, afin qu’elle fût attentive à la parole extérieure de celui qui enseignait. Car tout ainsi que la prédication seule n’est autre chose qu’une lettre morte ; aussi d’autre part il se faut bien donner garde que quelque fausse imagination, ou quelque apparence d’illumination secrète ne nous détourne de la Parole, de laquelle la foi dépend, et en laquelle elle se repose. Car il y en a plusieurs, lesquels pour amplifier la grâce du Saint Esprit, se forgent je ne sais quelles révélations, en sorte qu’ils ne laissent aucun usage de reste à la parole externe. Mais l’Ecriture ne permet point qu’on fasse une telle séparation, quand elle conjoint le ministère des hommes avec l’illumination secrète du Saint Esprit. Si le cœur et entendement de Lydie n’eut été ouvert, la prédication de S. Paul ne pouvait être que littérale ; toutefois Dieu ne lui inspire seulement des révélations péremptoires, mais avec ce il l’amène à la révérence de sa Parole ; afin que la voix d’un homme, laquelle sans cela se fut évanouie en l’air, entre dedans son entendement doué de lumière céleste. Que donc un tas d’esprits rêveurs et fantastiques se taisent, lesquels sous ombre du Saint Esprit rejettent et ont en dédain toute doctrine extérieure. Car il nous faut garder cette modération que saint Luc met ici ; que nous ne pouvons rien obtenir par la seule audition de la parole de Dieu sans la grâce de son Saint Esprit ; et que l’Esprit qui nous est donné, n’est point un Esprit qui engendre un mépris de la Parole en dédain ; mais plutôt qui mette en nos entendements la foi de celle-ci, et l’écrive en nos cœurs.

Si maintenant on demande la cause pourquoi c’est que Dieu a ouvert le cœur à une femme seulement, il faut retourner à ce principe, que tous ceux qui ont été prédestinés à la vie, croient, Actes 13.48. Car la crainte et la révérence de Dieu qui avait précédé la claire connaissance de Christ en cette femme Lydie, était aussi un fruit de l’élection gratuite. Quand à la ville de Thyatire, les Géographes disent que c’est une ville de Lydie, assise sur le bord du fleuve Hermus ; et qu’autrefois elle était nommée Pélopie ; d’aucuns toutefois disent qu’elle est en Phrygie ; les autres en Mysie.

16.15

Or, dès qu’elle eut été baptisée, avec sa famille, elle nous pria, en disant : Si vous m’avez jugée fidèle au Seigneur, entrez dans ma maison et demeurez-y ; et elle nous y obligea.

On connaît bien par ceci, de quelle efficace Dieu en peu de temps a travaillé en cette femme Lydie. Car il ne faut douter qu’elle n’ait reçu en vérité la foi de Christ, et qu’elle n’ait fait profession de celle-ci, avant que S. Paul la reçut au Baptême. C’est un témoignage d’une promptitude singulière, et de zèle saint avec une vraie piété, en ce qu’elle consacre avec soi sa famille au Seigneur. Et à la vérité tous fidèles doivent avoir ce zèle commun, qu’ils aient pour compagnons en la foi ceux sur qui ils ont superintendance. Car quiconque veut dominer sur sa femme, sur ses enfants, sur ses serviteurs et servantes, et ne donne ordre cependant que Christ ait autorité par-dessus tous, il n’est point digne d’être réputé entre les enfants de Dieu. Un chacun fidèle donc se doit tellement étudier à instituer sa maison et famille, qu’elle soit comme une image de l’Eglise. Je confesse bien que Lydie n’a point eu en sa puissance les cœurs de tous ses familiers et domestiques, en sorte qu’elle convertît au Seigneur selon sa fantaisie tous ceux qu’elle eût voulu ; mais le Seigneur a béni en telle sorte son saint désir et affection, que ses domestiques lui ont été obéissant. Il est bien vrai, comme j’ai déjà dit, que tous fidèles se doivent employer à ce que toutes sortes de superstitions soient chassées de leurs maisons et familles ; puis après, que ceux qu’ils ont en leurs maisons ne soient gens profanes, mais qu’ils les tiennent sous la crainte du Seigneur. Ainsi commandement a été fait à Abraham le père des fidèles, de circoncir avec soi tous ses serviteurs, Genèse 17.18. Il est aussi loué du soin qu’il prenait à instruire sa famille, Genèse 18.19. Or si cela est requis d’un père de famille, il sera beaucoup plutôt requis d’un Prince, qu’il ne souffre pour ce qui dépend de lui, que le nom de Dieu soit profané sous sa juridiction.

Elle nous pria, etc. Ce qu’elle dit, Si vous m’avez tenue pour fidèle, est comme une manière d’adjuration ; comme si elle disait : Je vous supplie par la foi, laquelle a été confirmée de vous par le seau du Baptême, que vous ne refusiez mon logis. Au reste, Lydie a bien montré par ce désir si ardent, comment à bon escient elle aimait l’Evangile. Cependant il ne faut point douter que le Seigneur ne lui ait donné un tel zèle et affection, afin que saint Paul eût plus grand courage de bien persévérer ; non point tant pour ce qu’il voyait le recueil bénin et libéral de celle-ci, que d’autant que par cela il pouvait bien juger quel profit sa doctrine avait fait. Cette adjuration dont a été plutôt de Dieu que de la femme, à ce que saint Paul et ses compagnons fussent retenus. A quoi aussi appartient ce qui est expliqué puis après, à savoir qu’ils ont été contraints par cette femme Lydie, comme si Dieu en la personne de celle-ci les eût retenus.

16.16

Or, il arriva, comme nous allions au lieu de prière, qu’une servante qui avait un esprit de Python et qui, en devinant, apportait un grand profit à ses maîtres, nous rencontra.

Saint Luc montre quels ont été les accroissements de l’Eglise. Car combien qu’il n’exprime pas cela tout incontinent de parole, néanmoins on peut recueillir facilement de la déduction du texte, que plusieurs ont été amenés à la foi, ou pour le moins que l’Eglise a été augmentée de quelque nombre. Et certes saint Paul ne fréquentait point en vain les assemblées au temps de la prière. Cependant toutefois saint Luc explique que ce cours a été rompu par Satan ; à savoir d’autant que les apôtres ont été finalement contraints de sortir hors de la ville, après qu’ils eurent été battus de verges et mis en prison. Néanmoins quelque chose que Satan ait peu machiner, nous verrons à la fin du chapitre, que quelque corps d’Eglise a été amassé avant qu’ils partissent.

Qu’une chambrière ayant l’Esprit de Python, vint, etc. Les Poètes ont forgé qu’il y avait un serpent nommé Python, lequel fut tué des flèches de Phébus. De cette fable est venue une autre, qu’ils ont dit que les gens transportés étaient menés de l’Esprit de Python. Et par aventure aussi que les Phébades, c-à-d devineresses, ont été ainsi appelées en l’honneur d’Apollon. Et saint Luc suit la commune façon qui était reçue ; car il montre quel était l’erreur du peuple, et non point par quel instinct cette chambrière devinait. Car il est certain que sous la masque d’Apollon le diable a déçu les hommes, comme aussi c’est en sa boutique que toutes idolâtries et tromperies ont été forgées. Mais quelqu’un se pourrait s’étonner comment le diable (par l’impulsion duquel cette chambrière criait) a été auteur d’une louange si excellente, de laquelle elle ornait Paul et Silas et autres. Car vu qu’il est le père de mensonge, comment est-il possible que la vérité soit sortie de lui ? D’avantage, comment s’est fait cela, que de son bon gré il ait donné place à ces serviteurs fidèles de Christ, par lesquels son royaume tombait en ruine ? Comment s’accordera cela, qu’il ait préparé les cœurs du peuple a entendre l’Evangile, lequel il hait mortellement, et a en si grande détestation ? Certes il n’y a rien qui lui soit tant propre que de détourner le monde de la parole de Dieu à laquelle maintenant il fait donner audience. D’où procède un si soudain changement ou mouvement non accoutumé ? Entendons donc que le diable est tellement père de mensonge, qu’il se couvre d’une fausse couverture de la vérité, Jean 8.44. Il a donc par une ruse merveilleuse joué un autre personnage que sa nature ne porte ; à cette fin qu’il nuisît d’avantage en se fourrant secrètement. Il ne faut donc prendre ce qu’il est appelé père de mensonge, comme s’il mentait toujours ouvertement, et sans fard ; mais il se faut plutôt garder de ses embûches secrètes, et finesses obliques ; de peur qu’en proposant quelque couleur de vérité, il ne nous déçoive par une vaine et fausse apparence. Nous voyons aussi comment il use tous les jours de telles ruses et piperies. Car pourrait-on proposer de plus beaux titres que ceux du Pape ? par lesquels tant s’en faut qu’il se dise être adversaire de Christ, que plutôt il se glorifie d’être son vicaire. Y a-t-il chose plus plaisante et favorable que cette préface accoutumée : Au nom du Seigneur, Amen ? Toutefois nous savons que quand la vérité est ainsi prétendue par les faussaires suppôts et ministres de Satan, elle est corrompue et empoisonnée d’un venin mortel. Le diable ayant deux moyens pour combattre l’Evangile, à savoir que quelque fois il entre de rage ouverte, quelque fois aussi il se fourre dedans par mensonges occultes, use aussi de deux sortes de mensonge ; ou quand par fausses doctrines et lourdes superstitions il pervertit et renverse la parole de Dieu, ou quand faisant semblant de favoriser à la Parole par cautelles subtiles, il trouve façon de s’insinuer comme par-dessous terre. Et qui plus est, il n’est jamais ennemi plus dangereux, que quand il se transfigure en Ange de lumière, 2 Corinthiens 11.14.

Nous entendons maintenant à quoi prétendait cette louange si excellente, de laquelle il a orné S. Paul et ses compagnons ; c’est que pour ce qu’il ne lui était pas si aisé de faire guerre ouverte à l’Evangile, il essaya de renverser la foi de celui-ci par ruses occultes. Car si Paul eût reçu ce témoignage, il n’y eût plus eu de différence entre la doctrine salutaire de Christ, et les tromperies et finesses de Satan ; la lueur de l’Evangile eût été enveloppée et obscurcie des ténèbres de mensonge, et par ce moyen facilement éteinte. Mais on fait une question, pourquoi Dieu permet-il une si grande licence à Satan, que même par vraies devinations il abuse et ensorcelle les pauvres hommes. Car laissant là les disputations subtiles, lesquelles certains soulèvent touchant la subtilité de celui-ci, je prends pour une chose toute résolue, que le diable ne devine point des choses occultes ou à venir, que par la permission de Dieu. Or il semble avis que par ce moyen Dieu expose aux tromperies de celui-ci les hommes qui déjà sont assez mal avisés, en sorte qu’ils ne s’en puissent garder. Car comme ainsi soit que le don de prédire des choses à venir sente une vertu divine, il faut que toutes les fois qu’il est mis en avant, les cœurs des nommes soient en même temps touchés de révérence, sinon qu’ils aient Dieu en mépris. Je réponds, que Dieu, ne donne jamais un si grand abandon à Satan, sinon afin que le monde soit puni de son ingratitude, lequel convoite le mensonge d’un si grand désir, qu’il aime mieux être trompé à son escient, qu’obéir à la vérité.

Car ce mal duquel saint Paul se plaint (Romains 1) est universel ; à savoir que combien que les hommes connaissent Dieu naturellement par le grand ouvrage du monde, toutefois ils ne le glorifient point, mais suppriment malicieusement sa vérité. Voici donc une juste récompense d’une ingratitude si vilaine ; à savoir que la bride est lâchée à Satan, afin que par divers enchantements et fausses illusions il précipite en ruine ceux qui se détournent malicieusement de la lumière de Dieu. Toutes les fois donc que nous entendons parler des divinations de Satan, élevons nos yeux à la juste vengeance de Dieu. Or maintenant si Dieu fait une vengeance si horrible du mépris de sa lumière chez les gens profanes, qui pour tout enseignement n’ont que le regard du ciel et de la terre ; quelle punition plus grave et horrible au pris méritent ceux qui étouffent de leur bon gré et malice délibérée la pure doctrine de salut, qui leur a été ouvertement manifestée en la Loi et l’Evangile ? Par quoi on ne se doit étonner si Satan a eu si grand abandon, que par si longtemps il ait ensorcelé les hommes par ses tromperies, depuis que méchamment ils ont méprisé la vérité de l’Evangile, laquelle leur avait été manifestée tant clairement. Mais on fait encore ici une autre seconde objection, que quand les fausses divinations volent ainsi, il n’y a homme quelconque qui soit hors de danger. Car depuis que la vérité est ainsi brouillée il semble que les bons soient sujets aux tromperies et déceptions de Satan, aussi bien que les méchants. La réponse est facile. Que combien que ce rusé ennemi tende les filets indifféremment à tous hommes, nonobstant les fidèles sont préservés par la grâce de Dieu, à cette fin qu’ils ne soient pris dedans les filets avec les autres. Il y a aussi une plus claire distinction donnée en l’Écriture ; que Dieu par ce moyen éprouve la foi et religion de se serviteurs, mais aveugle les réprouvés afin qu’ils périssent, comme ils ont bien mérité. Et pour cette cause saint Paul dans 2 Thessaloniciens 2.11-12, exprime ouvertement que l’efficace d’erreur ou séduction n’est point donnée à Satan, sinon envers ceux qui refusent de rendre obéissance à Dieu, et de recevoir la vérité. Par cela aussi on peut facilement convaincre l’impiété perverse de ceux qui sous ombre de ceci excusent le mépris profane de toute doctrine. De quel côté nous tournerons-nous, disent-ils, vu que Satan a tant de ruses et finesses pour tromper ? Il vaut donc mieux que nous vivions sans religion, que d’attirer à ruine sur nous en voulant profiter et avancer en la religion. Et certes ils ne prétendent point cette crainte à bon escient ; mais d’autant qu’ils ne désirent rien mieux, que comme bêtes vaguer à travers champs sans souci et sans aucune crainte et révérence de Dieu, il n’y a échappatoire qui ne leur soit bon, pourvu qu’aucune religion ne les tienne astreints et obligés.

Je confesse bien que Satan abuse en plusieurs façons du nom de Dieu, et finement et impudemment ; et que ce beau proverbe qui est venu de la Papauté, n’est que trop véritable ; à savoir : Au nom du Seigneur commence tout mal. Mais vu que le Seigneur prononce qu’il est docteur et maître des humbles, et qu’il a promis qu’il sera près de tous ceux qui ont le cœur droit ; vu que saint Paul enseigne que la parole de Dieu est le glaive de l’Esprit, Ephésiens 6.17, vu qu’il rend témoignage que tous ceux qui sont bien fondés en la foi de l’Evangile, ne sont plus sujets aux tromperies et ruses des hommes ; vu que S. Pierre appelé l’Écriture une lampe ardente et luisante en un lieu ténébreux et obscur (1 Pierre 1.19) ; vu que cette semonce bénigne de Christ ne nous peut frustrer ni décevoir, quand il dit : Cherchez, et vous trouverez ; frappez à la porte et on vous ouvrira (Matthieu 7.7) ; quelque chose que Satan fasse et machine, et quelques ténèbres que les faux prophètes et faux docteurs tâchent de mettre en avant, il ne faut craindre que ce bon Seigneur nous laisse dépourvus d’Esprit de prudence et de discrétion ; vu qu’il réprime Satan ainsi qu’il lui semble bon, et nous fait triompher sur lui par la foi de sa Parole.

15.17

Elle nous suivait, Paul et nous, et criait, disant : Ces hommes-là sont des serviteurs du Dieu très haut, ils vous annoncent la voie du salut.

16.18

Or elle fit cela pendant plusieurs jours. Mais Paul, en étant importuné, se retourna et dit à l’esprit : Je te commande au nom de Jésus-Christ de sortir d’elle. Et il sortit à l’heure même.

Il se peut bien faire que du commencement saint Paul n’ait pas tenu grand compte du cri de cette fille, pour ce qu’il espérait qu’on n’en tiendrait compte, et eût bien voulu que cela se fut évanoui de soi-même. Mais voyant qu’elle y retournait trop souvent, il se fâche ; d’autant qu’il ne pouvait plus dissimuler, que lui se taisant, le diable n’en devînt plus arrogant et outrageux. Davantage, il ne devait point follement ni à la volée entrer en cette défense, laquelle il a faite au diable, jusque’à ce qu’il se sentît certainement être muni de la vertu de Dieu. Car le commandement que fait ici S. Paul eût été vain et frivole, sinon qu’avec ce il y eût le commandement de Dieu conjoint. Et ceci est bien digne d’être noté, afin que nul ne présume de condamner Paul de trop grande hâte, de ce qu’il est venu assaillir ce malin Esprit d’une ferveur si grande, car il n’a point été fâché, sinon d’autant qu’il voyait l’astuce de Satan l’emporter, s’il n’eût remédié de bonne heure ; et n’a rien attenté que par le mouvement du Saint Esprit, et n’est point entré au combat, qu’en même temps il ne fut armé de vertu divine. Toutefois il semble bien qu’il fait au contraire de ce que lui-même dit ailleurs, qu’il se réjouit par quelque occasion qu’il voie l’Evangile être avancé, voire quand ce serait par les méchants, et qui de propos délibéré s’efforçaient de le rendre odieux, Philippiens 1.18. Je réponds à cela, qu’il y avait ici une autre raison diverse, pour ce que tous eussent pensé qu’il y eût eu collusion entre S. Paul et le diable de cette fille. En cette sorte non seulement la doctrine de l’Evangile eût été suspecte, mais elle fut trompée en pure moquerie et opprobre. A cette fin aussi Christ commanda au diable de se taire, Marc 1.25, et Luc 4.35, et néanmoins il a souffert quelque fois, que son nom fut célébré par gens indignes.

Je te commande au nom de Jésus-Christ. Il nous faut diligemment noter cette façon de parler. Car tout ainsi que ce miracle devait apporter double utilité, à savoir que d’un côté la vertu de christ fut manifestée, et d’autre part qu’on connut qu’il n’avait rien de commun avec les enchantements de Satan ; aussi S. Paul attribuant le commandement et puissance à Christ seul, déclare qu’il n’est que ministre. D’avantage, il oppose manifestement Christ au diable, afin que par cette guerre qui est entre eux, tous aussi connaissent qu’ils ont une haine mortelle l’un contre l’autre. Car il a été utile que plusieurs qui avaient été adonnés à cette tromperie si lourde fussent réveillés, afin qu’étant bien purgés ils se détournassent devers la vraie et sainte foi.

16.19

Mais ses maîtres, voyant disparaître l’espérance de leur gain., se saisirent de Paul et de Silas, et les traînèrent sur la place publique, devant les magistrats.

Ce même diable qui naguère par ses allèchements tâchait de gagner Paul par la bouche de la fille, lui-même enflamme maintenant à rage les maîtres de celle-ci, à ce qu’ils le fassent mourir. Voilà comment prenant un nouveau personnage, il joue une tragédie furieuse, d’autant que le premier jeu n’était pas venu à propos selon sa fantaisie. Or combien que l’ardeur du zèle duquel S. Paul s’était échauffé en courroux, ait suscité persécution, si est-ce toutefois qu’il ne le faut blâmer ; et saint Paul même ne s’est point repenti d’avoir fait ce miracle, et n’a désiré que ce qui avait été fait fut encore à faire, pour ce qu’il savait bien certainement de quel mouvement il avait chassé le diable de cette fille. Dont nous sommes exhortés de ne condamner témérairement les choses bien faites, et ce qui est entrepris par le commandement de Dieu, encore qu’il en advienne issue mauvaise. Car lorsque Dieu examine la constance des siens, jusques à ce que la fin plus joyeuse et bienheureuse chasse toute tristesse. Quant aux hommes, S. Luc exprime la cause pourquoi ils ont été ainsi enragés contre S. Paul ; à savoir d’autant que l’espérance de leur gain déshonnête était perdue. Or combien que l’avarice seule fasse en eux qu’ils ont en haine l’Evangile et les ministres de celui-ci, néanmoins ils se couvrent d’une belle couleur, qu’ils sont marris que l’état public est renversé, que les lois reçues sont violées, et que la paix est troublée. Ainsi, combien que les ennemis de Christ se montrent impudents et méchants, ils inventent toujours quelques causes de pécher. Et même quand leur cupidité perverse est manifestement aperçue, si est-ce qu’ils montrent un front d’airain, mettant toujours quelque chose en avant pour couvrir leur turpitude. Ainsi aujourd’hui tous ceux qui entre les Papistes sont les plus vaillant défenseurs et les plus grands zélateurs de leur loi, n’ont toutefois rien en l’Esprit que leur gain déshonnête, ou leur domination tyrannique. Qu’ils fassent tant d’exécrations qu’ils voudront, qu’ils sont menés de bonne et sainte affection ; tant y a que le fait démontre que leur zèle n’est embrasé que de la froideur de la cuisine ; et l’ambition lui sert de soufflet pour l’allumer. Car ce sont des chiens affamés qui toujours ont la gueule ouverte, ou des lions qui ne dégorgent que toute cruauté.

16.20

Et les ayant conduits aux préteurs, ils dirent : Ces hommes-là troublent notre ville ; ce sont des Juifs,

Ils ont finement forgé ce blâme, pour charger ces serviteurs de Christ. Car d’un côté ils se couvrent du nom Romain, qui était la chose la plus favorable qu’ils eussent pu trouver. D’autre part, comme le nom de Juif était infâme, aussi le mettent-ils en avant, pour rendre les Apôtres plus odieux. Car quant à la religion, les Romains avaient plus de société avec toutes les autres nations, quelles qu’elles fussent, qu’ils n’avaient avec les Juifs. Car il était licite à un homme Romain de faire service divin fut en Asie ou en Grèce et autres pays, où les idoles et superstitions avaient la vogue, comme Satan consentait facilement avec soi-même, soit déjà qu’il se transfigurât en diverses formes. Mais la seule religion vraie qui était au monde, était détestable aux Romains. Ils brassent puis après la troisième calomnie du crime de sédition ; car ils mettent en avant que Paul et ses compagnons troublaient la paix publique. Ainsi a été blâmé Christ par haine, Luc 23.5 ; et maintenant pour nous rendre odieux, les Papistes n’ont point plus belle couleur que de crier à haute voix, que toute notre doctrine ne tend à autre fin qu’à brouiller tout, et à mettre toutes choses en confus, et à ce qu’il y ait finalement un désordre horrible en toutes choses. Mais il nous faut constamment mépriser une si fausse diffamation, à l’exemple de Christ et de saint Paul, jusques à ce que Dieu mette en évidence la malice de nos ennemis, et repousse leur impudence.

16.21

et ils annoncent des coutumes qu’il ne nous est pas permis de recevoir ni de suivre, à nous qui sommes Romains.

Ils se fondent sur l’opinion que tous en avaient, afin que la cause ne soit débattue ; comme aussi les Papistes font aujourd’hui envers nous, quand ils disent, il a été ainsi ordonné au Concile général ; cette opinion est si bien reçue, qu’il n’est plus licite d’en douter ; ceci a été approuvé par long usage ; ceci est établi par commun consentement il y a plus de mille ans. Mais à quelle fin tend tout ceci, sinon afin qu’ils ne laissent aucune autorité à la parole de Dieu ? voici, on met en avant les ordonnances des hommes, et cependant les lois et ordonnances de Dieu ne sont point reçues, non pas même mises au dernier lieu. Mais on peut résoudre de ce présent passage, jusqu’où tels préjudices et opinions reçues du commun doivent avoir lieu. Les lois Romaines étaient excellentes ; cependant la religion ne dépend d’ailleurs que de la seule parole de Dieu. Par quoi on doit toujours diligemment aviser en cette cause, que les hommes soient rangés, en sorte que la seule autorité de Dieu ait lieu, et assujettisse de soi tout ce qui est excellent au monde.

16.22

Et la foule se souleva contre eux, et les préteurs firent arracher leurs vêtements et ordonnèrent qu’ils fussent battus de verges.

Quand saint Luc explique que le peuple accourut soudain, que quelques garnements ont ému bruit, lesquels faisaient trafic d’enchanterie, étant assez connus pour leurs ordures et méchancetés, il nous dénonce de quelle rage furieuse le monde est transporté contre Christ. Il est bien vrai que ce vice est commun à tous peuples, et est presque perpétuel, que les hommes sont fols et inconstants ; mais en ceci on aperçoit une merveilleuse violence en Satan, qu’il y en aura de tels qui seront modestes et paisibles dans d’autres causes ; mais quand il sera question de combattre la vérité de Dieu, ils sont bouillants tout soudain et pour un rien, et s’adjoignent à toutes manières de gens, quelques bélîtres et méchants qu’ils soient. Il n’y a point eu plus grande modération dans les juges mêmes ; si nous considérons bien quel était leur office. Car ils devaient par leur gravité apaiser la fureur du peuple, et s’opposer constamment et rudement à cette violence. Ils devaient couvrir sous leur protection les innocents ; mais ils les empoignent à l’étourdie sans forme de procédure de justice, et après avoir déchiré leurs vêtements, sans les entendre, ils commandent qu’ils soient battus de verges. A la vérité on doit bien déplorer la perversité des hommes, par laquelle il est advenu que presque tous les sièges judiciaux du monde, qui devaient être comme temples sacrés de justice, ont été pollués d’une méchante et malheureuse résistance contre l’Evangile.

Toutefois on peut faire ici une question, pourquoi c’est qu’ils ont été mis en prison, vu qu’ils avaient déjà été punis ; car la prison est ordonnée pour garder les malfaiteurs jusqu’à ce qu’on les punisse. Mais c’est que ces juges ont usé de cette forme de correction, jusqu’à ce qu’ils vinssent à connaître plus amplement de ce fait. Et ainsi nous voyons que les serviteurs de Christ sont plus inhumainement traités, que les adultères, brigands, et autres malfaiteurs exécrables. Dont on aperçoit plus clairement la force que Satan a à émouvoir les cœurs des hommes, en sorte qu’ils ne tiennent aucune forme de jugement en persécutant l’Evangile. Or combien que la condition des fidèles soit plus dure en maintenant la vérité de Christ, que celle des méchants en leurs forfaits, néanmoins c’est un grand bonheur aux fidèles serviteurs de Dieu, qu’en toutes les injures qu’ils endurent ils triomphent magnifiquement devant Dieu et ses Anges. Ils souffrent des opprobres et ignominies ; mais pour autant qu’ils savent que les flétrissures et marques de Christ sont plus précieuses, et ont plus grande dignité au ciel, que les vaines pompes et bravades de la terre, tant plus que le monde les tourmente outrageusement, tant plus ont-ils ample matière de se glorifier. Car si les auteurs profanes ont fait un si grand honneur à Thémistocles, qu’ils ont préféré sa prison au siège et à la cour des Juges, combien au prix plus honorable opinion devons-nous avoir du Fils de Dieu, duquel la cause est débattue, toutes les fois que les fidèles endurent persécution à cause de l’Evangile ? Soit déjà donc que le Seigneur ait permis que Paul et Silas aient été battus de verges par le commandement de ces juges iniques, néanmoins il n’a point souffert qu’aucun déshonneur leur soit demeuré, qui ne leur tournât en plus grande gloire. Car comme ainsi soit que toutes les persécutions qu’il nous faut endurer pour le témoignage de l’Evangile, sont le résidu des passions de Christ, Colossiens 1.24 ; tout ainsi que notre Roi et Prince a converti en char triomphant la croix qui était maudite, ainsi aussi ornera-il les prisons et gibets de ses fidèles ; en sorte que là ils triompheront de Satan et de tous les bourreaux et tyrans.

Leur déchirant leurs, etc. L’ancien traducteur avait bien traduit ceci, mais Erasme l’a mal changé, disant que les Magistrats ont déchiré leurs propres robes. Car saint Luc a voulu seulement signifier que ces bons et saints personnages ont été battus par tumulte, sans qu’il y eût ordre légitime de jugement, et qu’on leur jeta si âprement les mains dessus, que leurs robes furent déchirées. Aussi c’eût été une chose trop contraire à la façon que tenaient les Romains, que les juges eussent devant tous déchiré leurs vêtements en plein plaidoyer ; principalement puis qu’il était seulement question d’une religion inconnue, de laquelle ils ne se souciaient pas grandement. Mais je me déporte de débattre plus longuement d’une chose du tout certaine.

16.23

Et après qu’on leur eut infligé beaucoup de coups, ils les jetèrent en prison, ordonnant au geôlier de les garder sûrement.

Quant à ce que les Magistrats commandent que Paul et Silas soient si soigneusement gardés, ils l’ont fait à cette intention qu’ils connussent plus amplement de la cause. Car ce qu’ils les avaient fait battre de verges, c’était pour apaiser l’émotion. Et c’est ce que j’ai naguère dit, que le monde est transporté d’une si hostile et furieuse impétuosité contre les ministres de l’Evangile, qu’il ne garde aucune mesure de sévérité. Au reste, tout ainsi qu’il profite grandement pour exemple, de connaître combien les témoins du Fils de Dieu ont été jadis inhumainement traités ; aussi nous sera-il autant profitable de connaître ce que saint Luc ajoute tout incontinent de leur force et patience. Car soit déjà qu’ils fussent liés et enserrés aux ceps, toutefois il dit qu’en priant ils ont loué Dieu. Dont il apparaît que les injures et outrages qui leur avaient été faits, ni les plaies qui leur cuisaient, ni la puanteur de la prison profonde, ni le danger de la mort qu’ils voient devant les yeux, ne les ont peu empêcher de rendre grâces au Seigneur d’un cœur joyeux et allègre. Il est vrai qu’il faut retenir cette règle générale, que nous ne pouvons prier comme il appartient, que en même temps Dieu ne soit loué par nous. Car combien que le désir de prier soit engendré du sentiment de notre indigence, ou des maux que nous endurons, et pour cette cause un tel désir est volontiers conjoint avec douleur et angoisse d’Esprit ; tant y a toutefois que les fidèles doivent tellement modérer leurs affections, qu’ils ne murmurent point contre Dieu. Ainsi la façon légitime de prier conjoint deux affections qui sont contraires en apparence ; à savoir la fâcherie et la tristesse qui provient du sentiment de la nécessité qui nous presse, et la joie qui procède de l’obéissance, par laquelle nous nous assujettissons à Dieu, et de l’espérance laquelle nous réjouit au milieu des plus grands périls, nous faisant apercevoir le port être prochain pour nous. Saint Paul nous donne une telle forme, Philippiens 4.6, disant : Que par oraison et supplication avec action de grâces vos requêtes soient faites notoires envers Dieu. Mais il nous faut noter les circonstances en cette histoire. Car combien que la douleur des plaies leur fut aiguë, combien que la prison leur fut ennuyeuse, combien que le danger fut grand, quand Paul et Silas ne cessent de louer Dieu, nous recueillons de cela, quel grand courage ils ont eu à endurer la croix. Ainsi Actes 5.41, Luc dit que les apôtres se sont réjouis, d’autant qu’ils avaient reçu cet honneur, que d’endurer outrage pour le nom du Seigneur.

Tellement que les prisonniers les entendaient, etc. Il nous faut entendre que Paul et Silas ont prié à haute voix ; afin qu’ils donnassent à entendre aux autres qui étaient enfermés en la même prison, l’assurance de leur bonne conscience. Car ils pouvaient bien prier même en gémissant seulement en leurs cœurs, ou bien faire requête au Seigneur parlant tout bas. Pourquoi donc haussent-ils leur voix ? Il est certain qu’ils ne le font point par ambition ; mais afin qu’ils donnent à connaître qu’ils ont bonne cause, et que rien ne les empêche de s’adresser hardiment à Dieu. Ainsi donc leurs prières emportaient en même temps confession de foi, laquelle servait pour un exemple commun ; et ainsi a disposé les criminels et toute la maison du geôlier à mieux considérer le miracle.

16.24

Celui-ci ayant reçu un tel ordre, les jeta dans la prison intérieure, et fixa leurs pieds dans les ceps.

16.25

Or, sur le minuit, Paul et Silas, étant en prières, chantaient les louanges de Dieu, et les prisonniers les écoutaient.

16.26

Et tout d’un coup il se fit un grand tremblement de terre, en sorte que les fondements de la prison furent ébranlés, et aussitôt toutes les portes furent ouvertes, et les liens de tous furent détachés.

Quand Dieu a montré ce signe visible, premièrement il a voulu pourvoir à ses serviteurs, afin qu’ils connussent plus clairement, que leurs prières avaient été exaucées ; toutefois il a eu aussi égard aux autres. Il pouvait bien sans ce tremblement de terre, tirer Paul et Silas hors de leurs ceps, et ouvrir les portes sans faire bruit ; mais ceci qui est advenu de surplus, a grandement servi à les fortifier d’avantage, à savoir que pour l’amour d’eux, Dieu a fait trembler l’air et la terre. D’avantage, il fallait que le geôlier et les autres sentissent la présence de Dieu, à cette fin qu’ils ne pensassent que ce fut un miracle advenu par cas fortuit. Et certes il n’y a point de doute que Dieu n’ait montré ouvertement alors un témoignage de sa vertu, lequel profitât à tous siècles, à cette fin que les fidèles se tiennent bien assurés que Dieu sera près d’eux toutes les fois qu’ils auront à soutenir les combats et dangers pour la défense de l’Evangile. Cependant il ne continue pas toujours d’une même façon, en sorte qu’il donne à connaître sa présence par signes manifestes ; et d’autre part, il ne lui faut pas imposer loi. Car aussi la raison pourquoi il aida alors ses serviteurs par miracles manifestes, c’est afin qu’aujourd’hui nous nous contentions de sa grâce cachée. Mais il a été parlé de ceci plus amplement ci-dessus au second chapitre.

16.27

Et le geôlier, s’étant réveillé et voyant les portes de la prison ouvertes, tira son épée et allait se tuer, croyant que les prisonniers s’étaient enfuis.

Ce pauvre geôlier se voulait tuer, afin que par ce moyen il prévînt le supplice. Car ce lui eût été une défense frivole, de dire que les portes se fussent ouvertes d’elles-mêmes. Mais on pourrait faire une question : Puisque saint Paul voyait une espérance de pouvoir s’enfuir, si ce geôlier se fut tué, pourquoi l’a-t-il empêché ? Car il semble par ce moyen, qu’il refuse la délivrance qui lui était présentée de Dieu ; et qui plus est, il semble que c’ait été une pure moquerie, que Dieu ait voulu que le geôlier se soit réveillé, afin que le miracle n’eût point de lieu. A cela je réponds qu’il faut ici considérer quelle a été son intention. Car il n’a pas délié Paul et Silas et les autres de leurs ceps, et n’a point ouvert les portes, à cette fin qu’il les envoyât tout incontinent hors ; mais afin qu’en manifestant la vertu et puissance de son bras, il confirmât la foi de Paul et Silas ; et quant aux autres, qu’il magnifiât le nom de Jésus-Christ envers eux. Ainsi donc il acquiesce tellement aux prières de Paul et Silas, qu’il se démontre assez puissant pour les délivrer, toutes les fois qu’il lui semblera bon ; et que rien ne le peut empêcher qu’il n’entre non seulement dedans les prisons, mais aussi jusques dedans les sépulcres, pour délivrer ses serviteurs de la mort. Il a ouvert les portes de la prison à Pierre à une autre fin, comme on a peu voir ci-dessus au ch. 12. Mais maintenant, vu qu’il avait un autre moyen entre mains pour sauver et mettre hors de danger Paul et Silas, il les a plutôt voulu fortifier pour l’avenir, que les mettre hors pour cette heure-là par miracle. D’avantage, il faut se rappeler ce que j’ai naguère dit, que l’ouverture de la prison s’adressait aux autres, afin qu’il y eût plusieurs témoins, qui connussent que Dieu favorisait la doctrine de Paul, laquelle était déjà chargée de faux et inique jugement. Il est certain que Paul a bien connu cela ; et pourtant combien qu’il fut délié, nonobstant il n’a point bougé du lieu où il était. Il était en sa liberté de s’enfuir ; pourquoi s’arrête-il ? Est-ce qu’il méprise la grâce de Dieu ? Ou bien veut-il rendre le miracle inutile par sa nonchalance ? Il n’y a rien de tout cela qui soit vraisemblable. Dont nous recueillons qu’il a été retenu par le Seigneur, comme le Seigneur a accoutumé de conduire les cœurs de ses fidèles dans les choses perplexes, à ce qu’ils suivent ce qui est besoin de faire, et n’outrepassent point leurs bornes ; et ce quelques fois de leur su, quelques fois eux n’y pensant point.

16.28

Mais Paul lui cria d’une voix forte : Ne te fais point de mal ; car nous sommes tous ici.

16.29

Et ayant demandé de la lumière, il entra précipitamment, et, tout tremblant, se jeta aux pieds de Paul et de Silas ;

Ce geôlier n’a pas été moins abattu de crainte pour rendre obéissance à Dieu, qu’il a été préparé par miracle. Dont il apparaît combien il est profitable aux hommes, qu’ils soient abattus par terre, et déjetés de leur orgueil, à ce qu’ils apprennent à se soumettre à Dieu. Ce geôlier était endurci en ses superstitions ; il eût donc méprisé orgueilleusement tout ce que Paul et Silas eussent pu dire, lesquels même il avait enserrés aux plus étroits cachots de la prison ; maintenant la crainte le rend docile et débonnaire. Toutes les fois donc que le Seigneur nous abattra de frayeur, ou nous touchera de quelque stupéfaction, sachons qu’il fait cela afin qu’il nous humilie, et nous déjette de trop grande hauteur, pour nous ranger. Mais c’est merveilles, qu’il n’est repris de ce qu’il s’est jeté à leurs pieds. Car comment se fait cela, que Paul dissimule ce que saint Luc a ci-dessus expliqué (Actes 10.26) que Pierre ne l’a point souffert en Corneille ? Je réponds que Paul épargne le geôlier, d’autant qu’il soit bien qu’il s’est ainsi humilié, non point par superstition, mais de frayeur du jugement de Dieu. C’était une espèce de faire la révérence fort commune ; et principalement quand les Romains voulaient requérir pardon, ou faire quelque humble supplication, ils faisaient ceci coutumièrement, qu’ils se jetaient aux genoux de ceux qu’ils suppliaient. Il n’y avait donc point de raison, pourquoi Paul se dût courroucer, ou tancer ce geôlier, que Dieu avait ainsi humilié. Car si en ceci il y eût eu quelque chose faite contre la gloire de Dieu, il n’avait oublié ce zèle, lequel il avait montré auparavant entre les Lycaoniens. Par quoi, de ce que Paul ne dit mot, nous pouvons recueillir qu’en cette espèce d’adoration et agenouillement n’a été rien fait qui fut contraire à la vraie religion, ou qui dérogeât à la gloire de Dieu.

16.30

et les ayant conduits dehors, il dit : Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ?

Il demande tellement conseil, que en même temps il s’engage de rendre obéissance. Nous connaissons par ceci, qu’il a été touché à bon escient, pour être prêt à recevoir les commandements de ceux lesquels bien peu d’heures auparavant il avait garrotté inhumainement. Il advient souvent que quand les méchants et orgueilleux auront vu quelques miracles, combien que pour bien peu de temps ils soient stupéfaits, néanmoins ils deviennent plus obstinés tout incontinent, comme il en est advenu à Pharaon, (Exode 8.15 ; 9.34) ; pour le moins ils ne sont point tellement domptés, qu’ils se rangent sous la volonté de Dieu. Mais nous voyons que ce geôlier, après avoir connu la puissance de Dieu, n’a pas été étonné seulement pour un peu de temps pour retourner tantôt après à sa première rudesse farouche ; mais aussi il se montre docile et obéissant, et désirant la pure doctrine. Il s’enquiert comment il obtiendra salut ; et par cela il apparaît plus clairement, qu’il n’a point été seulement frappé soudain d’une crainte et frayeur évanouissante ; mais il a été vraiment abattu et humilié, en sorte qu’il se présente aux ministres de Dieu pour écouter leur doctrine, et se rendre leur disciple. Il savait bien qu’ils n’avaient été constitués prisonniers pour autre raison, sinon d’autant qu’ils troublaient l’état commun de la religion. Maintenant il est prêt de se rendre attentif et obéissant à leur doctrine, laquelle il avait auparavant méprisée.

16.31

Et eux dirent : Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta famille.

Voici une brève définition du salut, et bien froide, ce semble, à savoir qu’on croie en Jésus-Christ ; mais cependant elle est pleine et entière. Car Christ seul a toutes les parties de la béatitude et de la vie éternelle encloses en soi, lesquelles il nous offre par l’Evangile ; et de notre part, nous les recevons par foi, comme j’ai déclaré ci-dessus Actes 14.9. Or il nous faut ici noter deux choses ; premièrement, que Jésus-Christ est le seul but de la foi ; et pourtant les esprits humains ne peuvent faire autrement que divaguer, quand ils se détournent de lui. On ne se doit donc étonner si toute la théologie des Papistes est une confusion épouvantable, et un labyrinthe horrible ; d’autant que laissant Jésus-Christ, ils se lâchent la bride après des spéculations vaines et pleines de vent. De plus, il nous faut noter qu’après que nous avons reçu Jésus-Christ par foi, cela seul suffit pour nous faire obtenir salut. Mais le dernier membre que saint Luc ajoute bientôt après, exprime encore mieux la nature de la foi. Paul et Silas commandent au geôlier de croire au Fils de Dieu. S’arrêtent-ils précisément en ce mot ? Mais il y a bien plus en la déduction du texte, à savoir qu’ils annoncèrent la parole du Seigneur. Nous voyons donc, comment la foi n’est point une légère ou stérile opinion de choses inconnues, mais une connaissance claire et distincte de Jésus-Christ, conçue de l’Evangile. Derechef, que la prédication de l’Evangile soit ôtée, il n’y aura plus de foi. En somme, saint Luc conjoint la foi avec la prédication et la doctrine. Et après qu’il a parlé en bref de la foi, il montre puis après par forme de développement, quelle est la vraie et légitime façon de croire. Et pourtant au lieu de cette invention diabolique de la foi implicite, c’est-à-dire enveloppée, de laquelle les Papistes babillent, retenons la foi enveloppée en la parole de Dieu, par laquelle la vertu du Fils de Dieu nous soit déployée.

16.32

Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison.

16.33

Et les ayant pris à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies. Et aussitôt il fut baptisé, lui et tous les siens.

Saint Luc loue derechef le saint zèle de ce geôlier, en ce qu’il a consacré toute sa famille au Seigneur. En quoi aussi reluit la grâce de Dieu, lequel a fléchi soudainement toute sa famille à un si saint consentement. Cependant il nous faut noter cette mutation excellente. Naguère il se voulait occir, d’autant qu’il pensait que Paul et tous les autres s’étaient enfuis ; maintenant ayant ôté toute crainte, il les amène de son bon gré en sa maison. Ainsi nous voyons comment la foi travaille puissamment, et fait faire des actes vertueux a ceux qui n’avaient point de cœur auparavant. Et de fait, puis que c’est la crainte et doute qui nous rend nonchalant, il n’y a point de meilleure matière de confiance, que quand on peut jeter toutes ses sollicitudes au sein de Dieu, en sorte qu’il n’y ait aucun danger qui nous détourne de faire notre office, quand nous espérons de Dieu l’issue telle que lui-même aura prévu être profitable.

16.34

Et les ayant conduits dans sa maison, il leur servit à manger, et il se réjouit avec toute sa maison de ce qu’il avait cru en Dieu.

Ci-dessus la prédication externe de la foi a été louée en ce geôlier ; maintenant saint Luc décrit le fruit intérieur de la foi. Quand il a recueilli les Apôtres en sa maison, et la crainte de la peine ne l’a pu empêcher qu’il ne les traitât bénignement en sa maison, au contraire de ce qui lui avait été ordonné et enjoint par les Magistrats ; il a montré que sa foi n’était point oisive. Or la joie de laquelle saint Luc fait ici mention, est un bien singulier, qu’un chacun fidèle reçoit de sa foi. Il n’y a point de plus triste tourment ni plus horrible, qu’une mauvaise conscience. Car combien que les hypocrites et incrédules tâchent en toutes sortes de se rendre stupides ; toutefois pour ce qu’ils n’ont point paix avec Dieu, il faut nécessairement qu’ils tremblent. Que s’ils ne sentent les tourments présents, et qui pis est, s’ils se vautrent dans une licence forcenée, néanmoins ils ne sont jamais en repos, et ne peuvent jouir d’une vraie joie. La joie donc pure et ferme ne peut venir d’ailleurs que de la foi, quand nous avons Dieu propice et favorable. Pour cette raison, Zacharie 9.9 dit : Réjouis-toi, fille de Zion, et sois en liesse ; voici, ton Roi vient. Et qui plus est, on trouvera par tout en l’Ecriture, que cet effet est attribué à la foi, qu’elle réjouit les âmes. Sachons donc que la foi n’est point une imagination vaine ni morte ; mais un vif sentiment de la grâce de Dieu, lequel apporte une joie ferme de la certitude de salut ; de laquelle sont privés à bon droit les méchants, lesquels se détournent du Dieu de paix, et troublent toute justice.

16.35

Or le jour étant venu, les préteurs envoyèrent les licteurs, disant : Relâche ces hommes.

On peut demander ici, dont vient que ces juges ont si soudainement changé de conseil. Le jour précédent ils avaient commandé que Paul et Silas fussent garrottés et liés aux ceps, comme s’ils les eussent du punir gravement ; maintenant ils les laissent aller, sans en faire punition. Pour le moins s’ils les eussent entendus, la connaissance de cause les eût peu réduire à mansuétude et saint jugement. Mais comme ainsi soit que la cause fut encore en un même état, il apparaît clairement que d’eux-mêmes ils se sont repentis de ce qu’ils avaient fait. A cela je réponds que rien n’est ici expliqué, que ce qui advient presque ordinairement, quand une sédition et mutinerie est une fois émue. Car non seulement le populaire a le cœur bouillant, mais les gouverneurs aussi sont transportés ; ce qui se fait tout à rebours ; car ce que dit Virgile est tout notoire :

Quand en un peuple grand quelque trouble s’émeut,
Le populaire a donc prompt à se mutiner.
De fureur transporté s’arme de ce qu’il peut
Et pierres et tisons fait rejaillir en l’air.
Mais s’il advient qu’il voie ou entende parler
Quelque homme vertueux et prudent personnage
Ayant entre eux acquis bon bruit et témoignage,
Tout à coup étonnée, la foule fait silence,
Qui ayant apaisé les bouillons de sa rage,
Regarde vers le sage, et lui donne l’audience.

Il n’y a rien donc moins convenable aux juges, que d’être enflammés de courroux avec le peuple au milieu des troubles et mutineries ; mais voilà comment il en advient coutumièrement. Ainsi ces gouverneurs voyant l’émotion du peuple, pensèrent qu’il y avait assez suffisante cause, pourquoi ils devaient fouetter les apôtres. Et maintenant ils sont contraints avec honte et note d’infamie de porter la peine de leur légèreté. Peut-être aussi que faisant enquête de l’origine de ce trouble, ils ont trouvé que ces agitateurs étaient coupables ; par quoi ayant connu l’innocence de Paul et de Silas, ils les absolvent trop tard. Or tous ceux qui sont en office pour gouverner, sont semoncés par cet exemple, de quel soin ils doivent fuir trop grande précipitation. D’autre part, nous voyons comment les Magistrats se pardonnent aisément et sans souci de ce qu’ils ont mal fait ; de quoi toutefois ils se sentent assez coupables ; et principalement quand ils ont affaire avec gens inconnus et de bas étage. Quand ceux-ci donnent congé à Paul et Silas de s’en aller en liberté, ils n’ignorent point qu’on ne leur ait fait outrage auparavant ; toutefois ils pensent qu’il suffit, pourvu qu’ils ne continuent plus d’oser d’injustice et cruauté jusque’au bout envers eux. Les sergents sont ici nommés en Grec Rabdouchoi, pour raison des baguettes qu’ils portaient, en lieu que les enseignes de ceux qu’on appelait Lictores, qui étaient exécuteurs, étaient des haches auxquelles des verges étaient attachées.

16.36

Et le geôlier rapporta ces paroles à Paul : Les préteurs ont envoyé dire qu’on vous relâchât ; sortez donc maintenant, et vous en allez en paix.

16.37

Mais Paul leur dit : Après nous avoir battus de verges publiquement, sans jugement, nous qui sommes Romains, ils nous ont jetés en prison ; et maintenant ils nous mettent dehors en secret ! Non certes, mais qu’ils viennent eux-mêmes et nous conduisent dehors.

Il y a deux points en cette défense ; à savoir qu’on a inhumainement traité un homme Romain ; puis après, que cela a été fait contre tout ordre de justice. Quant à ce que saint Paul était homme Romain, nous le verrons ci-après. Or ceci était établi et ordonné par la loi Portia, et les lois de Sempronius, et pais par plusieurs autres fort étroitement, que nul autre que le peuple Romain eût puissance de vie et de mort sur un citoyen Romain. On se pourrait étonner toutefois de ce que S. Paul n’a point maintenu son droit, avant qu’il fut battu de verges ; car son silence pouvait donner honnête couleur aux juges pour s’excuser. Mais on peut facilement conjecturer, que la mutinerie était si grande et si bouillante, qu’il n’a pu être entendu. Si on réplique qu’il cherche maintenant un remède trop tard ; et qui plus est, que c’est folie à lui de pourchasser ce soulagement qui ne lui pouvait de rien profiter, à savoir quand il requiert que les Magistrats et gouverneurs eux-mêmes viennent ; la réponse aussi est bien facile a donner à ceci. Il est vrai que la condition de saint Paul ne pouvait être meilleure pour cela ; mais il nous faut noter qu’il n’avait rien moins délibéré, que de procurer son profit particulier ; mais il prétendait de donner à l’avenir quelque allégement à tous fidèles ; à ce que les Magistrats ne se donnassent licence si exorbitante contre les bons frères et innocents. D’autant qu’il les tenait déjà obligés à soi, il transféra son droit pour aider aux frères, à ce qu’ils fussent épargnés. C’est là la cause de ce que saint Paul s’est plaint. Et par ainsi il a usé prudemment de l’occasion qui lui était offerte ; comme il ne faut rien omettre de ce qui peut servir pour brider les ennemis, afin qu’ils ne prennent grande licence à tourmenter et ruiner les innocents, puisque ainsi est que ce n’est pour néant que Dieu nous donne telles aides en main. Toutefois souvenons-nous que si nous avons été offensés en quelque sorte, il ne faut point rendre injure pour injure, ni outrage pour outrage ; mais seulement nous devons tâcher de brider le fol appétit de ceux qui nous offensent ; afin qu’ils ne fassent dommage aux autres.

16.38

Et les licteurs rapportèrent ces paroles aux préteurs. Ceux-ci prirent peur en apprenant qu’ils étaient Romains.

Ils ne sont pas émus de l’autre point, à savoir que sans connaissance de cause ils avaient inhumainement traité des hommes innocents ; et toutefois ce reproche était de plus grand poids. Mais pour ce qu’en cela ils ne craignaient homme qui en fît la vengeance, ils ne se souciaient pas beaucoup du jugement de Dieu ; et par ce moyen ils laissent hardiment passer ce qui leur avait été mis en avant de l’injustice ; ils craignent seulement la punition du peuple Romain, à cause qu’ils avaient enfreint la liberté en la personne d’un citoyen Romain. Ils savaient bien que c’était un cas mortel aux souverains présidents ; qu’en pouvait-il donc advenir à des gouverneurs d’une ville ? Voilà quelle est la crainte des méchants, d’autant qu’ils ont la conscience stupide devant Dieu, ils se lâchent hardiment la bride à tous péchés, jusques à ce qu’ils voient le danger éminent par la justice des hommes.

Et ayant vu les frères, ils les consolèrent, et se séparèrent. Ils avaient été priés de partir bientôt ; mais il fallait avoir égard aux frères ; afin que la semence de l’Evangile, qui était encore tendre, ne pérît point. Et ne faut point douter qu’ils n’eussent là demeuré plus longtemps, s’il leur eût été permis ; mais ces prières des Magistrats emportaient commandement, dont ils sont contraints de rendre obéissance. Cependant ils ne laissent pas ce qui était le principal de leur office, à savoir d’exhorter les frères à constance. Quant à ce qu’ils sont allés tout droit chez Lydie, c’est signe qu’encore que l’Eglise fût accrue, que toutefois cette femme-là a été la principale en ce grand nombre, touchant la diligence en tous devoirs de piété ; ce qui est encore plus aisé à recueillir, de ce que tous les fidèles se sont assemblés en sa maison.

16.39

Et ils vinrent les apaiser, et les ayant conduits hors de la prison, ils leur demandaient de quitter la ville.

16.40

Et étant sortis de la prison, ils entrèrent chez Lydie ; et ayant vu les frères, ils les exhortèrent et partirent.

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