Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre XVIII

18.1

S’étant après cela éloigné d’Athènes, il vint à Corinthe.

Cette histoire est digne de mémoire, voire quand il n’y aurait autre cause, sinon pour ce qu’elle contient les commencements de l’Eglise de Corinthe ; laquelle comme elle était fort renommée, et à bon droit, tant à cause de la grande multitude de gens qui y habitaient, que pour les dons excellents desquels ils étaient ornés ; aussi était-elle entachée de vices lourds et infâmes. Or saint Luc démontre ici avec quels labeurs, et dangers, et difficultés saint Paul a acquis cette Eglise à notre Seigneur Jésus. On sait assez combien cette ville de Corinthe a été peuplée, combien elle était riche à cause des grandes foires, et combien elle a été adonnée à délices et voluptés. Et le proverbe ancien, Que tous n’avaient point eu ce bonheur d’avoir été à Corinthe, rend assez suffisant témoignage que ç’a été une ville somptueuse, et farcie de toutes sortes de dissolutions. Quand saint Paul y entre, je vous supplie, quelle espérance pouvait-il concevoir ? C’est un pauvre homme inconnu, qui n’a nulle faconde, ni aucune belle apparence, il ne montre avoir aucune puissance ni richesses. Quand nous voyons que ce gouffre si creux n’engloutit point sa confiance et le désir qu’il avait d’avancer l’Evangile, nous recueillons de cela, qu’il était muni d’une merveilleuse vertu de l’Esprit de Dieu, et en même temps que Dieu a travaillé par la main de celui-ci d’une façon du tout céleste, et non point humaine. Par quoi ce n’est point sans cause qu’il se glorifie que les Corinthiens sont le sceau de son Apostolat, 1 Corinthiens 9.2. Car ceux qui ne connaissent point que la gloire de Dieu a plus clairement relui en une façon de faire tant basse et dédaignée, sont doublement aveugles. Et lui-même a montré un témoignage assez évident de sa constance invincible, quand étant agité ça et là des opprobres de tous, comme il était exposé au mépris des orgueilleux, toutefois il s’est reposé sur la seule aide de Dieu. Mais il est bon que nous observions chaque circonstance, comme saint Luc les poursuit par ordre.

18.2

Et ayant trouvé un Juif, nommé Aquilas, originaire du Pont, récemment arrivé d’Italie avec Priscille, sa femme, parce que Claude avait ordonné à tous les Juifs de s’éloigner de Rome, il alla à eux.

Ce n’a point été une petite tentation, que saint Paul ne trouve personne à Corinthe qui l’hébergeât, excepté Aquilas un homme deux fois banni. Car comme ainsi soit qu’il fut natif du Pont, ayant délaissé son pays, il avait passé la mer pour habiter à Rome. Puis après il fut contraint de partir de là par l’édit et ordonnance de l’Empereur Claude. Combien (dis-je) qu’il y eût de si grandes commodités en cette ville de Corinthe, qu’il y eût de si grandes richesses, que la situation fut fort plaisante, qu’il y eût là aussi grande multitude de Juifs ; toutefois saint Paul n’y trouva hôte plus propre, qu’un homme fugitif de son pays, et banni d’une autre terre étrangère. Si avec une entrée si mal plaisante on fait comparaison du fruit excellent qui a été produit en bien peu de temps de sa prédication, la puissance du Saint Esprit sera beaucoup plus clairement connue. On peut aussi facilement apercevoir, comment le Seigneur par une singulière providence tourne à sa gloire et au salut de ses fidèles les choses qui semblent bien à la chair être adversaires et contraires. Il n’y a rien plus misérable selon le sens de la chair, qu’est le bannissement. Mais cela a beaucoup mieux valu à Aquilas, d’avoir été fait compagnon de Paul, que d’avoir été élevé en grande autorité ou à Rome ou en son pays. Ainsi donc cette calamité heureuse d’Aquilas nous exhorte que souvent Dieu fait beaucoup mieux pour nous, en nous affligeant rudement, que s’il nous traitait en grande douceur ; et quand il nous promène çà et là par durs exils et fuites, afin de nous amener au repos céleste.

Que tous les Juifs partissent de Rome, etc. La condition du peuple des Juifs était pour lors fort dure et triste à porter, en sorte que c’est merveille que presque tous n’ont pas délaissé le service de Dieu. Mais c’est encore plus grand merveille, que la religion en laquelle ils avaient été nourris, a eu lieu par-dessus la tyrannie de l’Empereur ; et toutefois quand Jésus-Christ qui est le Soleil de justice, a montré sa clarté, peu de gens se sont convertis à lui. Nonobstant je ne doute point que le Seigneur n’ait permis tout à propos qu’ils aient été ça et là agités par diverses fâcheries, afin qu’ils reçussent plus volontiers, voire de plus grand courage, la grâce de rédemption qui leur était offerte. Mais comme il advient ordinairement, la plus grande part est demeurée assoupie en ses maux. Bien peu (comme Aquilas et sa femme) se sont rendus dociles et obéissant sous la correction du Seigneur. Toutefois si ce que Suétone explique est vrai, ils ont été chassés pour la haine du nom Chrétien. Et en cette sorte la calamité pouvait tant plus irriter et aigrir une grande partie de ceux-ci, se voyant être accusés comme coupables, à l’occasion d’une religion, de laquelle ils étaient ennemis.

18.3

Et parce qu’il était du même métier, il demeura chez eux, et il travaillait ; car, de leur métier, ils étaient faiseurs de tentes.

Il est bien montre par ce passage, qu’avant que Paul vint à Corinthe, il avait coutume de travailler de ses mains, et non point pour passer le temps, mais afin qu’il gagnât sa vie à la sueur de sa face. On ne saurait pas bien dire où il apprit premièrement son métier. Mais il apparaît par son témoignage même, qu’il en a travaillé principalement à Corinthe, 1 Corinthiens 9.12-15. Et il exprime la raison, à savoir pour ce que les faux apôtres enseignaient pour néant et sans gages, afin qu’ils trouvassent plus facilement entrée. Ce saint apôtre donc a bien voulu montrer qu’en cet endroit il ne leur était inférieur, non plus qu’en tout le reste, afin que l’Evangile de Christ ne fut par lui exposé à opprobre. Au demeurant, on peut facilement recueillir de ce passage, que S. Paul a travaillé de son métier en quelque part qu’il arrivât jusques à ce qu’il fut occupé à enseigner sans intervalle, à cette fin qu’il gagnât sa vie par ce moyen. Chrysostome dit que saint Paul a été cordonnier ; et en cela il ne dit rien qui soit contraire à ce que dit ici saint Luc ; pour ce que lors on avait accoutumé de faire les tabernacles ou tentes de peaux.

18.4

Or il discutait dans la synagogue chaque sabbat, et il persuadait Juifs et Grecs.

C’est merveille dont est venu ce qui se trouve communément aux exemplaires de la traduction latine ancienne : Que Paul a entrelacé le nom de Christ ; sinon peut-être, que quelque lecteur a voulu suppléer le défaut de la sentence générale. Car saint Luc met ici distinctement deux choses ; à savoir que Paul a disputé entre les Juifs ; puis après, que quand Silas et Timothée furent venus, il a commencé à témoigner plus clairement de Jésus-Christ. Or combien qu’il est vraisemblable qu’il ait tenu propos de Christ déjà dès le commencement, pour ce qu’il ne pouvait omettre le principal point de la doctrine céleste ; tant il y a toutefois que cela n’empêche point qu’il n’ait tenu une diverse façon de disputer. Je prends donc le mot Grec Peithein, duquel l’apôtre a usé, pour Induire peu à peu. Car (selon mon jugement) saint Luc signifie que Paul voyant que les Juifs traitaient la Loi froidement et sottement, a parlé de la nature de l’homme, perdue et corrompue ; de la nécessité de la grâce du Rédempteur promis ; du moyen pour obtenir salut, afin qu’il les réveillât. Car c’est une préparation fort propre pour amener les gens à Christ. Après cela, quand il ajoute que Paul fut pressé de l’Esprit, pour témoigner que Jésus est le Christ ; le sens est, qu’il a été poussé d’une plus grande véhémence, afin qu’il parlât franchement et ouvertement de Christ. Ainsi, nous voyons que saint Paul n’a pas dit toutes choses à la fois, ni en une même heure ; mais a compassé sa doctrine selon que l’occasion s’y adonnait. Or pour ce qu’une telle modération est utile encore aujourd’hui, il faut que les fidèles docteurs avisent prudemment par où ils commenceront, de peur qu’une façon de procéder mal conduite et confuse n’empêche que leur doctrine prend accroissements. Au reste, combien que saint Paul eut assez de courage, tant il y a que ce n’est pas chose étrange, que lui étant survenu nouveau secours, il ait été courageux d’avantage ; non pas qu’il ait été fortifié par honte, ou pour la hardiesse de ses compagnons ; mais d’autant qu’il considérait que ce secours lui avait été comme transmis du ciel. Au demeurant, quand il est ici dit que l’Esprit a pressé saint Paul, on ne le doit prendre pour une impulsion violente, comme les sorcières et les fantastiques devins étaient transportés de fureur diabolique ; mais avec ce qu’il y avait déjà un instinct ordinaire de l’Esprit de Dieu en saint Paul voici un zèle plus fervent qui est embrasé en lui, en sorte qu’il a été poussé par une nouvelle vertu de Dieu, et cependant toutefois a de son bon gré suivi le Saint Esprit qui le conduisait. Quant à ce que saint Paul a attesté que Jésus est le Christ, je l’interprète ainsi : Que comme ainsi soit qu’il eût très bien remontré aux Juifs quel était l’office du Rédempteur, il a déclaré ouvertement par témoignages de l’Écriture, que c’était celui-là qu’il fallait attendre ; pour ce que tout ce que la Loi et les Prophètes attribuent au Messie ou Rédempteur, convient à Jésus. Il n’a donc point simplement affirmé, mais comme ajoutant une protestation solennelle, il a ouvertement montré que Jésus fils de Marie est ce Christ et Oint, qui devait être Médiateur entre Dieu et les hommes, afin qu’il retirât le monde de mort pour le remettre en vie.

18.5

Mais quand Silas et Timothée furent venus de Macédoine, Paul était tout entier à la Parole, rendant témoignage aux Juifs que Jésus était le Christ.

18.6

Mais comme ils s’opposaient et qu’ils blasphémaient, il secoua ses vêtements et leur dit : Que votre sang soit sur votre tête ! Moi j’en suis net ; dès à présent j’irai vers les païens.

Les Juifs avaient supporté saint Paul passablement, jusques à ce qu’il vint à parler manifestement de Jésus-Christ. Mais lors leur rage se découvrit. Et faut noter ce qui est ici dit, que non seulement ils contredisent, mais ils en viennent aussi jusqu’aux blasphèmes. Car il en advient ainsi ordinairement, quand les hommes se permettent une telle licence, que de degré en degré le diable les enflamme à une plus grande rage et forcènerie. D’autant plus donc soigneusement nous-nous devons garder qu’il n’y ait quelque appétit pervers qui nous sollicite a batailler contre la vérité. Et surtout, soyons frappés de ce jugement horrible, duquel le S. Esprit foudroie contre tous les rebelles et obstinés, par la bouche de S. Paul. Car ce que saint Paul a montré un signe du détestation en secouant ses vêtements, n’a point été un dépit humain, ou une indignation privée ; mais plutôt c’a été un zèle que Dieu a allumé en son cœur ; et pour mieux dire, Dieu l’a suscité pour dénonciateur de sa vengeance, pour donner à entendre aux ennemis de sa Parole, qu’ils ne demeureront impunis de leur obstination. Il a été déjà traité de ce signe d’exécration ci-dessus au chap. 13 et on le peut recueillir de là. En somme, il veut signifier que Dieu est plus gravement offensé par le mépris de sa Parole, que par autres forfaits quelconques. Et à la vérité, les hommes sont complètement désespérés, quand ils foulent aux pieds le remède unique de tous maux, ou le rejettent au loin. Or tout ainsi que Dieu ne peut aucunement souffrir la rébellion contre sa Parole, aussi en devons-nous être vivement piqués et navrés. J’entends que quand les méchants entrent en combat contre Dieu de malice obstinée, et propos délibéré, et par manière de dire, s’arment pour résister, lors nous sommes comme par une trompette céleste réveillés pour guerroyer. Car il n’y a rien plus vilain que de nous taire et ne sonner un seul mot, cependant que les méchants dressent leurs cornes publiquement contre Dieu, voire jusques à vomir leurs injures et blasphèmes.

Votre sang soit sur votre tête, etc. Il leur annonce la vengeance de Dieu, d’autant qu’ils sont inexcusables. Car ils ne peuvent remettre aucune partie de la coulpe sur autrui, puisque d’eux-mêmes méprisant la vocation et semonce de Dieu, ils se sont efforcés d’éteindre la lumière de vie. Puis donc qu’ils ont en eux la coulpe de leur ruine, il affirme aussi qu’ils en porteront la peine. Et en disant qu’il en est net, il proteste qu’il s’est acquitté de son office. Le commandement que Dieu fait à tous ses Ministres en Ezéchiel 3.8 est tout notoire, quand il dit, Si tu n’annonces pas au méchant qu’il se convertisse, je requerrai de ta main le sang de celui-ci. Pour autant donc qu’il n’avait tenu à saint Paul que les Juifs ne se repentissent, il dit franchement qu’il n’est point coupable. Or les ministres et docteurs sont exhortés par ces paroles, que s’il ne veulent être coupables du sang des autres devant Dieu, il faut qu’ils tâchent de tout leur pouvoir de réduire au bon chemin les pauvres errants, et ne permettent point qu’aucun périsse par ignorance et faute de savoir.

Je m’en irai aux Gentils, etc. Quand encore il y eût eu une grande docilité chez les Juifs, toutefois Paul devait s’employer pour enseigner les Gentils, auxquels il était député, et ordonné pour apôtre et ministre. Mais il exprime ici un départ, par lequel il se retirait complètement des Juifs rebelles et obstinés. Car il a tenu cette façon d’enseigner, qu’ayant commencé par les Juifs, il a voulu joindre les Gentils en société de foi ; à cette fin que par ce moyen de ces deux peuples il en fît un corps l’Eglise. Quand l’espérance de profiter parmi les Juifs lui a été ôtée, il ne restait plus que les Gentils. Le sens donc est, que les Juifs devaient être dépouillés et privés de leur propre héritage, afin qu’il fut transféré aux Gentils ; et qu’il fallait qu’ils fussent ainsi navrés, en partie afin qu’étant touchés de crainte, voire confus et honteux, ils retournassent à leur bon sens ; en partie aussi afin qu’étant jaloux des Gentils, ils fussent incités à se repentir à bon escient. Mais pour ce qu’ils étaient incorrigibles, leur opprobre et ignominie n’a de rien profité, sinon à les faire tomber en désespoir.

18.7

Et étant parti de là, il entra dans la maison d’un nommé Titius Justus, homme craignant Dieu, dont la maison était contiguë à la synagogue.

Saint Paul n’a point changé du logis où il était avec Aquilas et Priscille, pour dire qu’il fut ennuyé de leur compagnie ; mais c’a été afin qu’il s’insinuât plus facilement envers les Gentils. Car ce juste, duquel il est ici parlé, était plutôt Gentil que Juif, selon mon avis. Il est bien vrai que sa maison joignait à la synagogue ; mais cela n’y fait rien ; car les Juifs étaient répandus ci et là, en telle façon qu’on ne leur donnait certain quartier en la ville pour habiter. Et qui plus est, il semble avis que saint Paul a choisi tout à propos cette maison qui touchait à la synagogue, à cette fin qu’il poignît plus vivement les Juifs. Cette sentence est bien confirmée par le titre qui est donné à Justus, à savoir qu’il honorait et craignait Dieu. Car combien que la pure religion n’eût pas grande vigueur entre les Juifs, néanmoins pour autant qu’ils faisaient tous profession du service de Dieu, il pouvait sembler que la religion avait communément lieu en toute leur nation. Mais pour ce que c’était une chose bien clairsemée entre les Gentils, que de servir Dieu ; si quelqu’un approchait près de la vraie religion, ce témoignage singulier lui était attribué, lequel est opposé à idolâtrie. Et quant aux Corinthiens, desquels S. Luc fait mention incontinent après, je pense aussi qu’ils étaient des Gentils. Toutefois afin que nous ne pensions que le labeur de saint Paul ait été du tout inutile envers les Juifs, saint Luc en cite deux qui ont cru, à savoir Crispus et Sosthènes, desquels saint Paul aussi parle 1 Corinthiens 1.4. Car en la salutation il adjoint avec soi Sosthènes ; puis après il dit que Crispus a été baptisé par lui. Quand il l’appelle principal de la synagogue, c’est-à-dire l’un des principaux, et non point qu’il fut là seul président ; car il donnera bientôt après un semblable titre à Sosthènes.

18.8

Mais Crispus, chef de la synagogue, crut au Seigneur avec toute sa maison, et beaucoup de Corinthiens, entendant Paul, croyaient et étaient baptisés.

18.9

Et le Seigneur dit à Paul, pendant la nuit, en vision : Ne crains point, mais parle et ne te tais point ;

Combien qu’à bon droit saint Paul pouvait être encouragé par le fruit de sa doctrine à persévérer constamment, vu que tous les jours il en gagnait aucuns à Jésus-Christ ; toutefois pour le confirmer, il y a avec cela une révélation céleste. Dont nous pouvons facilement recueillir que grands combats lui ont été proposés, et qu’il a été gravement agité en diverses sortes. Car Dieu n’a jamais jeté ses oracles à l’aventure ; et d’autre part, ce n’a point été une chose ordinaire à saint Paul d’avoir des visions. Mais Dieu s’est bien voulu servir de cette sorte de remède, quand la nécessité le requérait ; et la chose en soi démontre que ce saint personnage a été opprimé d’une multitude d’affaires, qui non seulement l’eussent fait suer jusques au bout, mais l’eussent complètement lassé, et rendu fourbu, si quelque secours nouveau ne l’eût redressé et remis en vigueur. Et aussi ce n’est pas sans cause qu’il dit que son entrée vers eux n’a point été en grande apparence, mais modeste, et qu’il a conversé entre eux avec crainte et tremblement. Tant il y a que ma résolution est que l’efficace du Saint Esprit admirable, de laquelle S. Paul était déjà muni, a été aidée par vision. Or comme ainsi soit que l’Écriture distingue les visions des songes, comme il apparaît par Nombres 12.6. S. Luc signifie par ce mot de Vision, que S. Paul étant ravi en extase, une certaine apparence lui fut proposée, par laquelle il reconnut la présence de Dieu. Car il n’y a doute que Dieu ne lui apparut en quelque signe.

Ne crains point. Cette exhortation démontre que S. Paul a eu cause de craindre. Car quand les affaires sont en paix, ce serait chose superflue d’exhorter à ne craindre point ; et principalement en un homme si volontaire et dispos à faire son office. Or puisque le Seigneur commence par là, qu’il veut ôter la crainte à son serviteur, afin qu’il exécute son office et fidèlement et constamment, nous recueillons de cela, qu’il n’y a rien plus contraire à la pure et franche prédication de l’Evangile, qu’une crainte excessive. Et de fait, l’expérience montre bien que nul de ceux qui sont empêchés par ce vice, ne peut être fidèle ni courageux ministre de la Parole ; mais seulement ceux qui ont ce don, de pouvoir surmonter toutes difficultés par une force de courage, sont droitement disposés pour enseigner. Et pourtant il écrit à Timothée, que les Ministres de l’Evangile n’ont point reçu un Esprit de crainte, mais de vertu, d’amour et de sobriété, 2 Timothée 1.7. Il nous faut donc noter cette conjonction de mots : Ne crains point, mais parle. C’est autant comme s’il était dit : Que la crainte ne te ferme la bouche, et ne t’empêche de parler. Au reste, pour ce que la timidité ne nous rend pas du tout muets, mais nous tient serrés, en telle façon que nous ne pouvons parler purement et franchement ce qui est besoin, Jésus-Christ touche ici l’un et l’autre en bref. Parle, dit-il, et ne te tais point ; c’est-à-dire, ne parle point à demi-bouche, comme il est dit au proverbe. Et par ces paroles est donnée une règle commune aux Ministres de la Parole, qu’ils proposent simplement et sans fard ou simulation tout ce que le Seigneur veut que son Eglise connaisse ; et même qu’ils ne déguisent rien de ce qui sert à l’édification ou profit de la foi.

18.10

car je suis avec toi, et personne ne mettra les mains sur toi pour te faire du mal, car j’ai un grand peuple dans cette ville.

C’est la première raison pourquoi S. Paul doit, ôtant toute crainte, parachever sa charge constamment et hardiment, à savoir qu’il a Dieu de son côté. A quoi répond bien à propos la réjouissance et gloire de David : Quand bien même je cheminerais par la vallée d’ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi, Psaumes 23.4. De même : Quand une armée me viendrait assiéger, etc. Psaumes 27.3. On pourrait demander, s’il n’avait point senti aussi ailleurs la présence de Dieu. Comme de fait il avait souvent expérimenté l’aide de celui-ci en divers lieux. Car c’est une promesse générale et perpétuelle : Je suis avec vous jusques à la fin du monde, Matthieu 28.20. Et il ne faut point que nous nous défions, toutes les fois que nous obéissons à sa vocation, qu’il ne nous assiste. Mais notre Seigneur fait assez souvent ceci, qu’il accommode en spécial, quand la chose le requiert, ce qu’il a promis en général de faire en tous affaires. Et nous savons que quand la chose nous touche de près, que lors l’assistance de Dieu que nous avons désirée, nous émut beaucoup plus. Joint que ces deux membres sont liés ensemble, Je suis avec toi, et, Nul ne te nuira. Car il adviendra bien quelque fois, que Dieu nous aidera ; néanmoins il permettra que nous soyons opprimés selon l’apparence ; comme Paul n’a point été abandonné de lui, non pas en la mort même. Mais ici il promet une protection spéciale, par laquelle il puisse soutenir la violence furieuse de ses ennemis.

Mais on fait ici une question, à savoir si vraiment une telle confirmation a été nécessaire à Paul, vu qu’il fallait qu’il fut prompt et volontaire à s’exposer à tous dangers. Car qu’eût-ce été s’il lui eût fallu mourir ? Devait-il pour cela défaillir sous la crainte ? Je réponds à cela, que si quelque fois Dieu prononce que ses serviteurs seront en sûreté et sécurité pour quelque temps, cela n’empêche point qu’ils ne se doivent disposer à endurer la mort d’un, grand courage et constance. Mais tout ainsi que nous faisons distinction entre ce qui est utile, et ce qui est nécessaire ; aussi faut-il que nous notions qu’il y a quelques promesses, lesquelles si les fidèles n’avaient, il faudrait nécessairement qu’ils défaillent complètement ; mais aussi il y en a d’autres qui sont ajoutées par-dessus, quand il est ainsi besoin et expédient, lesquelles pourront bien être ôtées ; nonobstant pour ce que la grâce de Dieu demeure ferme, la foi des fidèles ne tombe point bas. En cette sorte il est dit à Paul qu’il ne craigne point ; d’autant que ses ennemis viendront jusques à lui pour lui faire mal. Que s’il eût été lors opprimé par leur outrage et violence, encore la crainte ne lui eût nullement fait quitter la place. Mais Dieu a voulu que par cela la force et le courage lui augmente, à savoir qu’il devait être hors de danger. Si quelque fois Dieu nous épargne en cette façon, il ne faut point que nous méprisions un tel soulagement de notre faiblesse et infirmité. Cependant, que ceci seul nous suffise pour fouler aux pieds toutes les craintes vicieuses de la chair, que tandis que nous bataillerons sous lui, nous ne pourrons être abandonnés de lui. Au reste, quand il est dit : Nul ne mettra la main sur toi pour te nuire, le Seigneur n’entend pas qu’il soit exempt de toute violence et tumulte, vu que les Juifs l’ont depuis assailli d’une haine mortelle ; mais le sens est, que les efforts de ses ennemis viendront à néant, d’autant que Dieu avait ordonné de le tirer de leurs mains saint Et sauf. Afin donc que nous puissions jouir de la victoire, il nous convient batailler allègrement.

Car j’ai un grand peuple en cette ville. C’est la seconde raison de son assurance, que Dieu voulait là susciter une grande Eglise et peuplée. Combien qu’il y a doute, à savoir si ce membre dépend du précédent ; car le fil du texte coulera bien proprement en cette sorte, que d’autant que Dieu avait ordonné de recueillir une grande Eglise par le moyen et ministère de Paul, il ne souffrira point que ses ennemis et adversaires rompent son entreprise, comme s’il eût dit, Je t’assisterai, à cette fin que tu ne défailles à mon peuple, auquel je t’ai député et ordonné pour Ministre. De moi, je reçois volontiers cette exposition, que ce ne sont pas ici raisons diverses mises en avant, lesquelles on doive lire à part, mais qu’elles sont tellement distinctes, qu’il y a une conjonction entre elles. Au surplus, le Seigneur nomme ici sien, celui qui combien que pour lors dût être réputé à bon droit étranger, toutefois pour ce qu’il était écrit au livre de vie, et devait être bientôt après adopté et reçu en la famille de Dieu, est proprement orné de ce titre. Car nous savons que pour quelque temps plusieurs brebis sont errantes hors du troupeau ; comme il y a plusieurs loups mêlés parmi les brebis. Le Seigneur donc mentionne entre son peuple ceux qu’il a ordonné d’acquérir bientôt après à soi, et ce au regard de leur foi à venir. Mais souvenons-nous que ceux-là viennent à être greffés au corps de Christ, lesquels lui appartiennent par l’adoption éternelle de Dieu ; comme il est écrit Jean 17.6 : Ils étaient tiens, et tu me les as donnés.

18.18

Et il demeura un an et six mois, enseignant parmi eux la parole de Dieu.

Nous ne lisons point en autre passage, que saint Paul ait demeuré ailleurs de son bon gré si longtemps, et toutefois il apparaît par ses deux épîtres, que non seulement il lui a fallu endurer plusieurs ennuis et fâcheries, mais qu’il a souffert beaucoup d’indignité par l’orgueil et l’ingratitude du peuple. Ainsi nous voyons qu’il n’y a pas eu un seul point de la guerre, auquel le Seigneur ne l’ait merveilleusement exercé. Nous recueillons aussi combien il y a affaire à édifier une Eglise, quel labeur et difficulté il y faut employer ; vu que pour mettre seulement les premiers fondements d’une seule Eglise, ce maître maçon tant excellent y a employé tant de temps. Car il ne se vante point d’avoir achevé toute l’œuvre ; mais d’autres ont été envoyés après lui pour bâtir sur son fondement ; comme il dit puis après, que lui a bien planté, mais Apollos a arrosé, 1 Corinthiens 3.6.

18.12

Mais, Gallion étant proconsul d’Achaïe, les Juifs s’élevèrent d’un commun accord contre Paul, et le menèrent devant le tribunal,

Il faut bien dire que le changement du Proconsul donna plus grand courage et hardiesse aux Juifs de se montrer insolents, comme les méchants et orgueilleux ont accoutumé d’abuser des changements à émouvoir séditions ; ou bien croyant que Gallion leur serait juge favorable, ont rompu en un moment la paix et repos de Paul, qui avait duré un an tout entier. Or la somme de leur fausse accusation est que Paul s’efforçait d’introduire un pervers et faux service de Dieu contre la Loi. Mais c’est à demander s’ils dénotent la Loi de Moïse, ou les cérémonies usitées sous l’empire Romain. Pour ce que le dernier de ces deux me semble contraint et froid, je reçois volontiers le premier ; qu’ils ont imposé ce blâme à Paul, qu’il violait le service que Dieu avait ordonné en la Loi ; ce qu’ils ont fait pour expressément le blâmer de nouveauté. Et certes S. Paul devait être condamné a bon droit, s’il eût attenté quelque chose semblable. Mais comme il est bien certain qu’ils ont méchamment et iniquement calomnié ce bon et saint personnage, ils ont tâché de couvrir leur mauvaise cause de quelque couleur honnête. Nous savons comment Dieu commande étroitement en sa Loi, de quelle façon il veut être servi des siens. Ce serait donc un sacrilège horrible de se détourner de cette règle. Mais comme ainsi soit que saint Paul n’ait jamais pensé de rien ajouter à la Loi, ou d’y rien diminuer, c’est à grand tort qu’on lui impose ce blâme. Dont nous recueillons que quelque chose que les fidèles se portent innocemment et sans aucune répréhension, tant y a toutefois qu’ils n’évitent point les faux diffamations, jusques à ce qu’ils aient été admis à se purger. Or saint Paul non seulement a été méchamment diffamé, et iniquement blâmé par mensonges de ses adversaires, mais ainsi qu’il voulait repousser leur impudence, et se purger des calomnies et faux opprobres dont ils le chargeaient, le Proconsul Gallion lui a rompu son propos. Ainsi il a été contraint de sortir de devant le siège judicial sans se pouvoir aucunement défendre. Quant à ce que Gallion refuse de connaître de la cause, ce n’est point pour aucune haine qu’il porte à S. Paul, mais pour ce que cela n’était pas de l’office du Gouverneur, de connaître et rendre droit touchant la religion de chacune province. Car comme ainsi soit que les Romains ne pussent contraindre les peuples qui leur étaient sujets, à observer leurs cérémonies, toutefois afin qu’il ne semblât qu’ils approuvassent ce qu’ils enduraient, ils défendaient à leurs Magistrats de toucher à cette partie de juridiction. Nous voyons bien par ceci, que peut faire l’ignorance de la vraie piété et religion, quand il est question d’ordonner l’état de chacune république ou royaume. Tous confessent bien que c’est le principal, que la religion prospère et soit en vigueur. Or quand on est venu à cela, que les hommes ont connaissance du vrai Dieu, et qu’ils tiennent une règle certaine de le servir, il n’y a rien plus raisonnable que ce qui est ordonné en la Loi, à savoir que ceux qui ont l’administration avec puissance, après avoir aboli les superstitions contraires, maintiennent le pur service de Dieu. Mais d’autant que les Romains observaient leurs cérémonies seulement par orgueil et obstination, et qu’ils n’avaient aucune certitude, vu qu’il n’y avait aucune vérité, ils ont pensé que c’était le plus aisé s’ils permettaient à ceux qui habitaient en leurs provinces, de vivre en liberté. Au contraire, il n’y a plus grande absurdité, que de permettre le service de Dieu à l’appétit des hommes. Par quoi ce n’est point sans cause que Dieu a commandé par Moïse, que le Roi fît écrire pour soi un livre de la Loi, Deutéronome 17.18 ; à savoir afin qu’étant bien instruit et rendu certain de sa foi, il entreprît de plus grand courage à maintenir ce qu’il connaissait assurément être juste et droit.

18.13

en disant : Celui-ci persuade les hommes d’adorer Dieu d’une manière contraire à la loi.

18.14

Mais comme Paul allait ouvrir la bouche, Gallion dit aux Juifs : S’il s’agissait, ô Juifs, de quelque injustice ou de quelque méchante action, je vous supporterais, comme de raison ;

18.15

mais s’il s’agit de discussions sur une doctrine, et sur des noms, et sur votre loi, vous aviserez vous-mêmes ; moi, je ne veux point, être juge de ces choses.

C’est un amas de paroles mal digéré ; mais Gallion parle ainsi par mépris de la Loi de Dieu, comme si la religion des Juifs consistait seulement en paroles et questions superflues. Et de fait, comme c’était un peuple indocile, il ne faut douter que plusieurs ne se troublassent eux-mêmes et les autres de rêveries superflues. Et même nous entendons ce que saint Paul leur reproche en plusieurs lieux, et principalement en Tite 1.14 ; 3.9. Toutefois Gallion n’est point excusable, qui mêle la Loi sacrée de Dieu avec la curiosité des Juifs, et se moque autant de l’une que de l’autre. Car tout ainsi qu’il fallait couper broche aux combats de paroles inutiles et frivoles ; aussi d’autre part, quand il est question du service de Dieu, il faut entendre que ce n’est plus un combat de paroles, mais qu’on traite d’une chose qui est de grande importance sur toutes les autres.

18.16

Et il les renvoya du tribunal.

18.17

Et tous, ayant saisi Sosthène, chef de la synagogue, le battaient devant le tribunal, et Gallion ne s’en mettait nullement en peine.

Ce Sosthènes est celui que saint Paul s’adjoint pour compagnon au commencement de la première épître aux Corinthiens. Or combien que mention n’ait été faite de lui auparavant entre les fidèles, néanmoins il est vraisemblable qu’il était pour lors un des compagnons et défenseurs de Paul. Mais quelle rage a ému les Grecs, que tous se sont jetés sur lui d’une impétuosité furieuse, sinon que ceci est destiné aux enfants de Dieu, d’être haïs du monde, et de l’avoir pour adversaire sans connaissance de cause ? par quoi il ne faut point que nous soyons aujourd’hui troublés quand nous verrons une telle iniquité, que de tous côtés on donne tant d’assauts à la pauvre Eglise. Avec ce la perversité de l’Esprit humain nous est ici proposée devant les yeux comme en un tableau. Prenons le cas que c’ait été à bon droit que les Juifs ont été haïs par tout ; toutefois pourquoi est-ce que les Grecs déchargent plutôt leur colère contre Sosthènes, qui était homme modeste et bénin, que contre ceux qui étaient auteurs de ce tumulte et bruit, lesquels outrageaient Paul sans cause ? Certes la raison est que quand les hommes ne sont point conduits et gouvernés par l’Esprit de Dieu, ils sont transportés à mal faire, comme par un instinct secret de nature. Toutefois il se peut bien faire qu’ils croyaient que Sosthènes logeait quelques méchantes gens pour émouvoir sédition, dont ils lui étaient si fort ennemis.

Et Gallion ne s’en souciait guère. Ce que le Proconsul se désintéresse de remédier à cet outrage, ne doit point tant être imputé à sa nonchalance, qu’à la haine qu’on portait à la religion judaïque. Les Romains eussent bien voulu que la mémoire du vrai Dieu eût été complètement ensevelie. En telle sorte qu’étant loisible entre eux de faire et rendre des vœux à toutes les idoles d’Asie et de Grèce, toutefois c’était un crime mortel de sacrifier et faire oblation au Dieu d’Israël. bref, en cette licence commune de toutes superstitions, la vraie religion était seule exceptée. C’est la cause pourquoi Gallion ferme les yeux à l’outrage qui est fait à Sosthènes. Il avait protesté un peu auparavant, qu’il punirait toutes les injures et outrages ; maintenant il souffre que devant son siège judicial un homme innocent soit battu. D’où vient cette souffrance, sinon qu’il eût bien voulu que les Juifs se fussent entretués l’un l’autre, et que par ce moyen la religion eût été éteinte. Mais comme ainsi soit que le Saint Esprit condamne la nonchalance de Gallion par la bouche de S. Luc, d’autant que suivant son office il ne subvient point à un homme iniquement affligé, que nos gouverneurs et magistrats sachent qu’ils seront moins excusables, s’ils ont les yeux fermés aux injures, violences, torts et outrages, s’ils ne répriment l’insolence des méchants, et s’ils ne tendent la main aux oppressés. Que si une juste damnation est préparée aux lâches et paresseux, je vous prie, quel jugement horrible doivent attendre en comparaison les déloyaux et malins, qui comme s’ils avaient dressé l’enseigne de mal faire sans répréhension, servent de soufflets pour allumer l’audace à tout mal et nuisance ?

18.18

Or Paul, après être demeuré encore assez longtemps à Corinthe, ayant pris congé des frères, naviguait vers la Syrie, et avec lui Priscille et Aquilas, après s’être fait raser la tête à Cenchrée, car il avait fait un vœu.

La constance de saint Paul se démontre en cela, que le coup ne le chassa point, de peur que les disciples faibles et mal-instruits ne fussent troublés s’ils l’eussent vu soudainement partir, et plutôt que de besoin. Nous lisons en plusieurs autres passages, que quand les persécutions étaient embrasées contre lui, il s’en est tout soudain enfui. Comment donc s’est fait cela, qu’il s’est arrêté à Corinthe ? C’est que quand il voyait que par sa présence les ennemis étaient enflammés à persécuter l’Eglise, il n’a point fait difficulté de fuir, afin que par son département les fidèles pussent recouvrer relâche et paix. Mais maintenant quand il voit que leur malice est bridée, en sorte qu’ils ne peuvent nuire au troupeau de Dieu, il aime beaucoup mieux les irriter, que de leur donner nouvelle occasion d’exercer leur cruauté, en leur quittant la place. Au reste, voici le troisième voyage entrepris par saint Paul pour aller en Jérusalem. Car étant parti de la ville de Damas, il y alla une fois pour se donner à connaître aux apôtres, Galates 1.18. Puis il y fut envoyé avec Barnabas pour accorder le différend lequel on avait ému des cérémonies. Maintenant saint Luc n’explique point pour quelle cause il a fait un si long chemin et de si grand travail, vu qu’il avait délibéré de s’en retourner bientôt.

Après qu’il se fut fait raser la tête. On ne saurait bien être certain si saint Luc dit ceci d’Aquilas, ou de Paul ; et cela n’est pas de grande conséquence. Toutefois je l’interprète volontiers de Paul ; pour ce que je trouve vraisemblable qu’il a fait cela pour l’amour des Juifs, vers lesquels il devait venir. Tant il y a que je tiens pour certain que ce n’a point été un vœu cérémonial, qu’il ait fait pour soi en particulier, par une manière de service de Dieu ; et de ma part, j’ai cela pour tout résolu. Il savait bien que ce que le Seigneur avait anciennement ordonné au peuple sous la Loi, n’était que pour un temps. Et nous savons aussi combien soigneusement il enseigne que le royaume de Dieu ne consiste point en ces éléments externes, et combien il s’efforce de montrer qu’ils sont abolis. Ce lui eût été une chose fort mal convenable, qu’il se fut lié sa conscience d’un scrupule duquel il déliait tous les autres. Ainsi donc ce qu’il s’est fait raser la tête, ce n’a été à autre intention, sinon afin qu’il s’accommodât aux Juifs qui étaient encore rudes, et assez mal instruits. Car, comme lui-même assure, afin qu’il gagnât ceux qui étaient sous la Loi, il a accepté une sujétion volontaire de la Loi, de laquelle il était affranchi, 1 Corinthiens 9.20. Or si quelqu’un objecte qu’il ne lui était licite de faire semblant de faire un vœu, vu qu’il n’avait fait ce vœu en son cœur et à bon escient ; la réponse est facile, qu’il n’a rien fait par dissimulation quant à la substance de la purification ; et quant à la cérémonie qui était encore en liberté, qu’il l’a appliquée, non point que Dieu requît un tel service, mais afin qu’il fît quelque chose pour la rudesse des infirmes. Et pourtant les Papistes se montrent bien ridicules, quand ils tirent d’ici un exemple de faire vœux. Il n’y a religion quelconque qui ait induit saint Paul à faire vœu ; ceux-ci au contraire constituent un service de Dieu dans les vœux. La condition du temps contraignait saint Paul à garder les cérémonies de la Loi ; ceux-ci ne profitent d’autre chose sinon d’embrouiller l’Eglise Chrétienne de superstition, laquelle a déjà sa liberté dès longtemps. Car il y a bien grande différence entre remettre en usage les cérémonies déjà abolies, et les endurer étant encore en être, jusques a ce que peu à peu elles perdent leur usage. Je laisse là ce que les Papistes comparent sottement et sans cause leur tonsure cléricale avec le signe de la purification, lequel était approuvé de Dieu en la Loi. Mais pour ce qu’il n’est point nécessaire d’en faire plus longue réfutation, contentons-nous de ceci seulement, que saint Paul, afin qu’il amenât les infirmes à Christ, pour le moins afin qu’il ne les scandalisât point, s’est obligé à un vœu lequel il savait bien n’être de nulle importance devant Dieu.

18.19

Or ils arrivèrent à Ephèse, et il les y laissa ; et lui, étant entré dans la synagogue, s’entretint avec les Juifs ;

Touchant ce que saint Paul avait secoué ses vêtements a Corinthe en signe de détestation, ce passage montre bien qu’il ne le fit pas pour dire qu’il rejetait toute la nation, mais seulement ceux qu’il avait déjà connus être désespérément obstinés. Maintenant il retourne derechef aux Ephésiens, pour essayer s’il trouverait plus d’obéissance entre eux. Or c’est merveille, que combien qu’en cette synagogue il a été entendu plus paisiblement, que jamais on ne l’avait entendu en quelque lieu que ce fut, comme raconte ici saint Luc, et même qu’il a été prié de demeurer, toutefois il n’a point voulu consentir à leur prière. On peut facilement conjecturer par ceci ce que j’ai dit ci-dessus, qu’il y avait quelque cause urgente, qui le faisait monter en Jérusalem. Et lui-même montre qu’il avait besoin de partir bientôt, quand il dit : Il me faut nécessairement faire la fête prochaine en Jérusalem. Et n’y a point de doute qu’ayant mis là bon ordre en toutes choses, il ne soit parti avec leur bonne grâce et par leur congé ; et même on peut recueillir des paroles de S. Luc, que son excuse fut reçue, et qu’ils ne furent offensés de son refus. Au demeurant, il nous faut ici observer que nous sommes tirés comme par la main de Dieu à d’autres affaires, quand quelque espérance de se rendre plus utile que de coutume nous est offerte ; afin que nous apprenions à nous laisser gouverner au bon plaisir de Dieu.

18.20

et comme ils le priaient de demeurer plus longtemps, il n’y consentit pas,

18.21

mais ayant pris congé d’eux et dit : Je reviendrai de nouveau vers vous, Dieu voulant. Il partit d’Ephèse.

Ce que j’ai naguère touché du vœu, appartient aussi au jour de fête. Car ce n’était point l’intention de saint Paul de s’acquitter de quelque devoir de dévotion envers Dieu ; mais de se trouver en plus grande assemblée, où il pouvait plus profiter, qu’il n’eût pas fait en d’autres temps ou saisons de l’année. Et la seule épître aux Galates rendra assez bon témoignage, combien peu il estimait la différence des jours, Galates 4.10. Or il faut aussi noter qu’il ne promet point de retourner, sinon en mettant cette exception, s’il plaît au Seigneur. Nous confessons bien tous, que nous ne pouvons pas même remuer le petit doigt sans sa sainte conduite ; mais pour ce que presque en tous hommes il y a une si grande arrogance, que laissant Dieu derrière ils osent bien délibérer de toutes choses, non seulement pour quelques temps à venir, mais aussi pour plusieurs années ; nous devons à toutes heures penser à cette sobriété et modestie, afin que nous apprenions à soumettre nos conseils et entreprises à la providence et au bon plaisir de Dieu ; afin que si nous délibérons ainsi que font ceux auxquels il semble qu’ils portent fortune en leur manche, nous ne souffrions la peine que mérite notre témérité. Car encore qu’il n’y ait point un tel scrupule de conscience aux paroles, qu’il ne nous soit libre de dire : Je ferai ceci, ou cela ; tant y a néanmoins qu’il est profitable de nous accoutumer aux façons de parler, lesquelles nous avertissent que tous nos pas sont adressés de Dieu.

18.22

Et étant débarqué à Césarée, il monta, et après avoir salué l’Eglise, il descendit à Antioche.

Combien que saint Luc explique seulement en un mot, que saint Paul salua l’Eglise en Jérusalem, toutefois il est bien certain qu’il y a été tiré par quelque grande nécessité. Et néanmoins on peut recueillir par la déduction du texte, qu’il ne fit pas grand séjour en Jérusalem ; par aventure pour ce que l’événement des choses qu’il démenait n’a point été correspondant à son espoir et désir. Au reste, il est ici déclaré que son chemin n’a été sans fruit au retour, quand il est dit qu’il confirma tous les disciples ; non certes sans grande fâcherie ; car il a été contraint de tournoyer par plusieurs détours. Car le mot Grec qui est ici mis, signifie un train continuel. Au reste, nous avons déjà rendu raison ailleurs, pourquoi c’est que ceux qui avaient reçu Christ, et avaient fait profession de la foi de l’Evangile, étaient appelés Disciples ; à savoir, pour ce qu’il n’y a point de légitime et vraie piété sans instruction. Il est vrai qu’ils avaient leurs pasteurs, sous lesquels ils pouvaient profiter ; mais d’autant que saint Paul avait plus grande autorité, et qu’il était doué de plus excellent esprit, il a aussi grandement confirmé en passant ; et principalement vu qu’il avait été le principal ouvrier à fonder toutes ces Eglises.

18.23

Et y ayant fait quelque séjour, il en partit, et parcourut de suite le pays de Galatie et la Phrygie, fortifiant tous les disciples.

18.24

Or un Juif, nommé Apollos, originaire d’Alexandrie, homme éloquent et puissant dans les Ecritures, arriva à Ephèse.

Ceci doit être à bon droit attribué à la providence de Dieu, que quand saint Paul a été contraint de partir d’Ephèse, Apollos a été substitué en sa place, pour réparer la perte de l’absence de celui-ci. Or il est bon que nous entendions quel a été le commencement de cet homme-ci ; vu qu’il a été successeur de saint Paul même entre les Corinthiens, et s’est porté si excellemment, et s’est tant fidèlement et vaillamment employé, que S. Paul lui fait honneur comme à son compagnon singulier ; j’ai planté, dit-il, Apollos a arrosé. De même, j’ai transféré ces choses par figure en moi et en Apollos, 1 Corinthiens 3.6 ; 4.6. Or en premier lieu saint Luc l’orne de deux beaux titres ; à savoir qu’il était bien parlant, et puissant dans les Écritures. Puis après il parlera de sa constance, de son zèle, et de sa fidélité. Or combien que S. Paul dise, et à bon droit, que le Royaume de Dieu ne réside point en parole, et que lui n’ait point eu cette grâce de bien parler ; toutefois la dextérité de bien parler, telle que S. Luc la loue ici, n’est à mépriser ; et principalement quand on ne cherche point quelque vaine ostentation, ou parade ambitieuse de l’éloquence ; mais plutôt quand on se contente de montrer clairement, sans fard et ambition, sans parade de mots retentissants, et sans artifice curieux, la chose qu’on a à traiter. Saint Paul n’a point eu ce don de bien parler ; c’est que Dieu a voulu que ce grand et excellent apôtre n’eût point cette vertu, afin que l’efficace du Saint Esprit se démontrât d’autant plus clairement en la parole rude et mal polie de son serviteur. Et toutefois il était pourvu de telle grâce de bien parler, pour autant que besoin était pour orner le nom de Christ, et pour affirmer et maintenir la doctrine de salut. Au demeurant, comme le Saint Esprit distribue ses dons en diverses sortes, la petite faculté que S. Paul avait à bien parler, n’a pas empêché que Dieu n’ait choisi pour soi des ministres bien parlant. Or afin que nul ne pensât que le beau parler d’Apollos fut profane et inutile, et comme un babil frivole, S. Luc dit que cette grâce a été conjointe avec une autre plus grande vertu ; à savoir qu’il était puissant dans les Écritures. Par ce mot j’entends que non seulement il était fort bien exercé dans les Écritures, mais ; aussi qu’il a entendu la vertu et efficace de celles-ci, tellement qu’étant armé de ces dernières, il surmontât et demeurât victorieux en toutes disputes. Et selon mon avis, c’est-ci plutôt une louange de l’Écriture que de l’homme, en tant qu’elle est assez et plus que suffisante, tant pour maintenir la vérité, que pour repousser les astuces de Satan.

18.25

Cet homme avait été instruit dans la voie du Seigneur, et, étant fervent d’esprit, il parlait et enseignait exactement ce qui regardait Jésus, bien qu’il n’eût connaissance que du baptême de Jean.

Ce que S. Luc ajoute bientôt après, qu’Apollos connaissait tant seulement le baptême de Jean, ne semble guère être convenable avec ce témoignage qui lui est ici donné. Mais le second membre est ajouté par forme de correction. Cependant ces deux choses s’accordent fort bien ; à savoir qu’il a entendu la doctrine de l’Evangile, pour ce qu’il savait que le Rédempteur avait été manifesté au monde, et était bien et purement instruit en la grâce de réconciliation ; et toutefois il n’avait encore appris que les rudiments de l’Evangile, en tant que portait l’institution de Jean Baptiste. Car nous savons que Jean Baptiste a été comme moyen entre les Prophètes et Christ ; et quant à son office, son père Zacharie d’un côté en parle en son cantique, Luc 1.76 ; et d’autre part, l’Ange en traite aussi selon la prophétie de Malachie, Luc 1.16 ; Malachie 3.1. Et certes, vu qu’il a porté le flambeau devant Christ, et qu’il a déclaré la vertu de celui-ci d’une façon magnifique, c’est à bon droit qu’il est dit que ses disciples ont eu connaissance de Christ. D’avantage, cette façon de parler est bien digne d’être observée ; à savoir qu’il connaissait le Baptême de Jean. Car nous recueillons de cela, quel est le vrai usage des Sacrements ; à savoir qu’ils nous servent de protestation et profession de quelque certaine doctrine ; ou qu’ils confirment la foi, laquelle nous avons une fois reçue. Tant il y a que c’est une profanation horrible, quand on les sépare de la doctrine. Par quoi à ce que les Sacrements soient dûment administrés, il faut que la voix de la doctrine céleste soit entendu là. Car qu’est-ce que du baptême de Jean ? saint Luc comprend tout le ministère et office de celui-ci par ce mot, non seulement pour ce que la doctrine est annexée avec le baptême, mais aussi pour ce quelle est le fondement du baptême, sans laquelle il ne serait qu’une cérémonie vaine et morte.

Et en ferveur de l’Esprit, parlait et enseignait. S. Luc orne ici Apollos d’une autre louange ; à savoir qu’il brûlait d’un saint zèle à enseigner. La doctrine sans affection et zèle est comme un glaive en la main d’un homme furieux ; ou bien elle est froide et sans fruit, ou elle sert à une ostentation perverse. Car nous voyons bien que d’entre les hommes savants les uns demeurent oisifs sans rien faire ; les autres (ce qui est pis) sont menés d’ambition ; les autres troublent l’Eglise par contentions et débats, qui est encore le plus grand mal de tous. La doctrine donc où il n’y aura point de zèle, sera fade et sans goût. Au demeurant, rappelons-nous que saint Luc met en premier lieu la science de l’Écriture, comme celle qui doit être la modération du zèle. Car nous savons qu’il y en a plusieurs qui bouillent sans considération, comme les Juifs par une affection mal conduite qu’ils portaient à la Loi, étaient transportés de rage contre l’Evangile. Et encore aujourd’hui nous voyons bien de quelle rage impétueuse sont embrasés les Papistes, étant incités par une opinion qu’ils ont conçue à la volée et inconsidérément. Il faut donc qu’il y ait science pour modérer et gouverner le zèle. Or il est dit ici que la ferveur a été cause de la diligence, d’autant qu’Apollos s’est employé diligemment à enseigner. Que si un tel homme qui n’était encore parfaitement instruit en l’Evangile, a si franchement et diligemment annoncé Christ, quelle excuse pensent avoir ceux qui ont pleine et claire connaissance de ce qui était encore caché à Apollos, sinon qu’ils tâchent de tout leur pouvoir à avancer le Royaume de Christ ? La raison pourquoi S. Luc attribue la ferveur au Saint Esprit, c’est pour ce que c’est une grâce spéciale et un don bien rare. Car je n’entends pas qu’Apollos ait été incité par l’instinct de son Esprit, mais par la grâce du Saint Esprit.

18.26

Et cet homme commença de parler avec assurance dans la synagogue. Et quand Priscille et Aquilas l’eurent entendu, ils le prirent avec eux et lui exposèrent plus exactement la voie de Dieu.

On voit bien par ceci qu’Aquilas et Priscille ne sont point adonnés à eux-mêmes, ni envieux de la vertu d’autrui ; à savoir en ce que familièrement et en particulier ils communiquent à un homme bien parlant ce qu’il fallait que puis après il annonçât en public. Ils n’étaient pas doués de si grande grâce qu’était Apollos ; et il est possible qu’ils eussent été méprisés parlant à l’assemblée. Mais ils aident de bon cœur et franche volonté celui qu’ils voient garni de plus grande éloquence, et mieux exercé en l’Écriture, en sorte qu’eux se taisent, et lui seul est entendu. D’autre part, Apollos a montré en ceci une modestie singulière, en ce qu’il a souffert d’être enseigné, poli et façonné non seulement par un homme de métier manuel, mais aussi par une femme. Il était puissant en l’Écriture, et plus avancé qu’ils n’étaient ; mais quant à l’accomplissement du Royaume de Christ, ils achèvent de l’enseigner plus parfaitement ; voire eux qui pouvaient sembler n’être pas suffisant ministres. Nous voyons aussi qu’en ce temps-là les femmes n’ont point été si fort reculées de la parole de Dieu, que les Papistes les en veulent faire éloigner ; vu que nous voyons que l’un des premiers docteurs de l’Eglise a été instruit par une femme. Toutefois il nous faut souvenir de ce que j’ai dit, que Priscille a donné cette instruction en privé et dedans la maison ; afin de n’enfreindre point l’ordre institué de Dieu, et que nature même nous enseigne.

18.27

Or comme il voulait passer en Achaïe, les frères l’y encouragèrent et écrivirent aux disciples de le bien recevoir. Quand il fut arrivé, il se rendit, par la grâce, très utile à ceux qui avaient cru,

Saint Luc n’exprime point à quelle intention Apollos a voulu aller en Achaïe. Néanmoins nous pouvons recueillir par la déduction du texte, qu’il n’a point été alléché pour aucune commodité particulière ; mais pour autant que plus ample fruit se montrait là pour étendre les bornes de l’Evangile ; pour ce que les frères l’ont incité par leur exhortation, et lui ont donné plus grand courage. Ce qu’ils n’eussent point fait, s’ils n’eussent connu que cela était pour le bien commun de l’Eglise. Car si on n’eût aperçu quelque bonne récompense de son absence, c’eût été sottement fait de prier et solliciter un tel homme de s’en aller, vu qu’ils avaient senti grand profit de son labeur fidèle, et savaient bien que pour le temps à venir ils en auraient besoin. Or j’entends par ceci, que les frères d’Ephèse ont écrit aux frères d’Achaïe, non seulement qu’ils fissent bon accueil à Apollos, mais aussi qu’ils l’admissent à la charge et office d’enseigner. Voilà une recommandation vraiment sainte et bonne, quand nous tâchons d’élever par notre témoignage et rapport ceux qui ont la crainte de Dieu ; afin que les grâces et dons du Saint Esprit, lesquels il a mis en dépôt vers un chacun pour l’édification de l’Eglise, ne demeurent ensevelis.

Lequel étant arrivé. Les frères qui avaient déjà fait l’expérience, avaient bien prévu ceci, quand ils l’ont exhorté à ce qu’il se mît en train de faire le chemin qu’il avait conçu en son esprit. Or quant à ce qui est dit, qu’il profita beaucoup aux fidèles, cela se peut entendre en deux sortes ; à savoir qu’il leur a secouru, d’autant qu’ils n’étaient guère bien munis, et les a aidés à rompre la dure obstination des ennemis. Car ce n’était pas une chose aisée de trouver homme qui eût bien à main les armes, c’est-à-dire les arguments et passages de l’Écriture, pour entrer en combat contre des adversaires rusés de longue main, et qui jamais ne se fussent rendus, s’ils n’eussent été fort pressés. Ou bien qu’il les a secourus, à ce que leur foi étant ébranlée par la contradiction des ennemis, ne tombe bas ; ce qui advient coutumièrement aux faibles en la foi. De ma part, je l’expose qu’ils ont été aidés en toutes les deux sortes ; à savoir en premier lieu, afin qu’ils fussent les plus forts au combat, ayant un capitaine bien conduit et exercé ; secondement, que leur foi fut établie d’un nouveau appui, en sorte qu’elle fut hors de danger de tomber bas. D’avantage, il semble que saint Luc veuille noter que les frères ont été secourus par son courage et constance, quand il explique qu’il a publiquement disputé contre les Juifs. Car c’était un certain signe de bonne assurance, et de ferveur de zèle, de ne fuir point la lumière et de venir en place marchande, comme on dit. Ce qui est dit en la fin de la sentence, par grâce, se conjoint avec le mot Avaient cru : ou doit être rapporté au secours et aide, lequel il a donné aux frères. La première exposition n’a point de difficulté. Car le sens sera, que les fidèles ont été illuminés par la grâce de Dieu, à ce qu’ils crussent ; comme s’il eût dit : Les frères, qui étaient déjà appelés à l’Evangile, ont profité de bien en mieux. Toutefois il semble bien que l’autre sens est plus convenable, qu’Apollos a aidé les frères, en leur communiquant la grâce qui lui était donnée. Et en ce sens, par grâce, emportera autant que : Selon la mesure de la grâce reçue.

18.28

car il réfutait publiquement les Juifs, avec une grande force, démontrant par les Ecritures que Jésus est le Christ.

On peut bien connaître par ceci, à quel but tendait cette faculté, qu’Apollos était puissant dans les Écritures ; à savoir d’autant qu’il avait arguments suffisants et efficaces pour convaincre ses ennemis. Semblablement le nœud de la dispute est brièvement exposé ; à savoir que Jésus est le Christ. Car ceci était sans difficulté entre les Juifs, que le Rédempteur, qui est Christ, était promis ; mais on ne leur pouvait facilement persuader, que Jésus fils de Marie fut ce Christ ou Rédempteur, par lequel le salut fût donné. Par quoi il a fallu qu’Apollos disputât tellement de l’office de Christ, qu’il montrât, ouvertement que les témoignages de l’Ecriture avaient été accomplis en Jésus fils de Marie ; et que de là il recueillît que c’était le Christ. D’avantage, ce passage rend témoignage que l’Écriture est utile, non seulement pour enseigner, mais aussi pour rompre la dure obstination de ceux qui ne veulent point suivre de leur gré. Car notre foi ne serait pas assez ferme, sinon qu’il y eût en elle une claire démonstration des choses lesquelles on doit nécessairement connaître à salut. Et certes si la Loi et les Prophètes avaient tant de lumière, que de là Apollos ait clairement prouvé que Jésus est le Christ, comme s’il eût montré la chose au doigt ; pour le moins quand l’Evangile y est ajouté, il doit bien faire que de toute l’Ecriture on cherche la pleine connaissance de Christ. Par quoi c’est un outrage détestable fait à Dieu, quand les Papistes accusent l’Écriture d’être obscure et ambiguë. Car à quel propos Dieu aurait-il parlé, si la vérité claire et invincible ne se montrait en ses paroles ? Et quant à ce qu’ils infèrent de cela, qu’il se faut arrêter à l’autorité de l’Eglise, et qu’il ne faut disputer par l’Ecriture contre les hérétiques ; cette chicane est suffisamment réfutée par saint Luc. Car comme ainsi soit qu’il n’y eût jamais hommes plus obstinés que les Juifs, il ne faut point craindre que les armes par lesquelles Apollos les a convaincus, ne nous soient suffisantes contre tous hérétiques ; vu même qu’elles nous font obtenir la victoire contre le diable, le prince de toutes erreurs.

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