Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre XXI

21.1

Et lorsque nous fûmes partis, après nous être arrachés d’auprès d’eux, voguant en droite ligne, nous vînmes à Cos, et le jour suivant à Rhodes, et de là à Patara.

Saint Luc explique en bref ce voyage fait par mer et ce non seulement pour la certitude de l’histoire, afin que nous sachions ce qui a été fait ou ci ou là, mais aussi afin que les lecteurs considèrent en eux la force et la constance invincible de saint Paul, qui a mieux aimé être agité par chemins longs, tortus et fâcheux pour s’employer au service de Christ, que de chercher son repos. Quant à ce qu’il dit, arrachés d’auprès d’eux, cela ne se rapporte pas simplement à la distance des lieux, mais pour ce que les frères demeurèrent au rivage, tant qu’ils purent suivre des yeux le navire, sur lequel Paul et ses compagnons s’étaient embarqués. Il nomme les ports où le navire aborda, afin que nous sachions qu’ils eurent du vent à volonté en leur navigation. Touchant la situation des villes, desquelles il est fait mention, on peut s’adresser aux Géographes. Il me suffit d’avoir montré l’intention de saint Luc.

21.2

Et, ayant trouvé un vaisseau qui faisait la traversée vers la Phénicie, nous montâmes dessus et partîmes.

21.3

.

Et quand nous eûmes aperçu Chypre, l’ayant laissée à gauche, nous faisions voile vers la Syrie, et nous abordâmes à Tyr ; car c’est là que le vaisseau devait décharger sa cargaison.

21.4

Et, ayant trouvé les disciples, nous y demeurâmes sept jours. Ces disciples disaient à Paul, par l’Esprit, de ne pas monter à Jérusalem.

Combien que le nombre des croyants fut bien petit, toutefois suivant ce qu’avaient dit les Prophètes, quelque semence de l’Evangile était là parvenue ; à ce que Tyr ne fût complètement exempté de la bénédiction de Dieu, Esaïe 23.18. Saint Luc appelle aussi ici les Chrétiens disciples, comme il fait en quelques autres passages, à cette fin que nous sachions que nuls ne sont réputés du troupeau de Christ, sinon ceux qui ont reçu la doctrine de celui-ci par vraie foi. Car c’est se moquer de faire profession de Jésus-Christ, et affirmer d’être de ses disciples, et cependant n’entendre point ce qu’il dit ou enseigne. Or que les lecteurs notent ceci, que saint Paul n’a point séjourné sept jours à Tyr pour autre raison, sinon afin qu’il confirmât les frères. Ainsi nous voyons bien qu’en quelque part qu’il arrivât, il n’a laissé passer aucune occasion de bien faire.

Ils disaient à Paul par l’Esprit, etc. A savoir, avec approbation de leurs propos, à cette fin que Paul entendît qu’ils parlaient par Esprit de Prophétie. Or à la vérité ceci ne lui a été une petite tentation, à ce qu’il ne réalise point son voyage entrepris, vu que le Saint Esprit l’en dissuadait. Et ce lui était une belle couleur de fuir la croix, s’il eût regardé à son bien et commodité particulière, que d’être retiré en arrière comme par la main de Dieu. Il ne laisse toutefois de passer outre, où il savait que le Seigneur l’appelait. Mais on pourrait ici faire une question, Comment se peut faire cela, que ces disciples et frères dissuadent par l’Esprit ce que Paul même a attesté qu’il faisait par l’instigation secrète de celui-ci ? L’Esprit est-il bien contraire à soi-même, en sorte que maintenant il délivre saint Paul, lequel il a tenu lié au dedans ? Je réponds qu’il y a divers dons du Saint Esprit ; tellement qu’il ne se faut étonner si ceux qui auront le don de prophétie, seront destitués quelques fois de courage et de jugement. Le Seigneur avait révélé à ces frères, desquels saint Luc fait mention, ce qui devait advenir ; cependant toutefois ils ne savent ce qui est expédient, ni ce que la vocation de saint Paul requiert, pour ce que la mesure du don qu’ils avaient reçu ne s’étendait pas jusques-là. Or le Seigneur a voulu tout à propos que son serviteur fut averti, en partie afin qu’il fut mieux préparé par longue méditation à endurer tout ce qui lui adviendrait ; en partie aussi afin que sa constance fut mieux connue ; en ce qu’étant certifié par révélations des choses fâcheuses qui lui adviendraient, néanmoins il ne laisse point d’aller pour souffrir volontairement, quoi qu’il lui advienne.

21.5

Mais lorsque nous eûmes atteint le terme de ces jours, étant sortis, nous marchions, tous nous accompagnant, avec femmes et enfants, jusque hors de la ville ; et après nous être mis à genoux sur le rivage et avoir prié,

Ç’a été un singulier témoignage de leur amour, qu’ils ont fait compagnie hors la ville à sainte Paul, voire avec leurs femmes et enfants. Et saint Luc a expliqué ceci, en partie à cette intention de louer leur bonne et sainte volonté, ainsi qu’elle le méritait ; en partie aussi pour montrer qu’ils ont fait honneur à saint Paul, comme il en était digne. Dont aussi nous recueillons qu’il ne pensait rien moins que de procurer ses commodités, puis qu’une telle bénévolence et amitié, laquelle lui pouvait servir d’un gracieux allèchement, ne l’a point empêché de poursuivre son chemin. Il nous faut aussi observer cette façon solennelle de prier dans les affaires qui étaient de plus grande importance ; et qu’étant avertis divinement du danger, ils sont tant plus ardents à prier.

21.6

nous prîmes congé les uns des autres, et nous montâmes sur le vaisseau ; et eux retournèrent chez eux.

21.7

Pour nous, achevant la navigation, nous arrivâmes de Tyr à Ptolémaïs ; et après avoir salué les frères, nous demeurâmes un jour avec eux.

Saint Luc explique en bref que saint Paul a été aussi recueilli des frères de Ptolémaïs. Or c’est une ville de Phénicie, proche de la mer, non guère loin des confins de Judée ; de laquelle il n’a point fallu que saint Paul et ses compagnons aient fait long chemin pour venir jusques à Césarée. Mais si les lecteurs veulent savoir d’avantage de la situation de ces régions et villes, ils le pourront voir par les Géographes. Au reste, saint Luc dit qu’ils furent logés à Césarée en la maison de Philippe, lequel il appelle Evangéliste, combien qu’il fût l’un des sept Diacres, comme il a été vu ci-dessus au sixième chapitre. Que cet office de Diacre ait été seulement une charge temporelle, on le peut facilement recueillir, pour ce que sans cela Philippe n’eût eu liberté de laisser Jérusalem, pour aller demeurer à Césarée. Et ici il n’est point proposé comme celui qui de son propre mouvement avait quitté et délaissé son office, mais comme celui qui avait reçu une charge plus excellente et honorable. Selon mon avis les Evangélistes étaient entre les Apôtres et les Docteurs. Car ils avaient une charge approchante de celle des Apôtres, à savoir qu’ils prêchassent l’Evangile par tout, et ne fussent point établis en un certain lieu ; seulement ils étaient en plus bas degré d’honneur. Car saint Paul décrivant l’ordre de l’Eglise, les met tellement au-dessous des apôtres, qu’il montre bien que leur office d’enseigner et prêcher s’étend plus loin que ne fait celui des pasteurs ou docteurs, qui sont ordonnés pour enseigner en certains lieux, Ephésiens 4.11. Ainsi donc Philippe a exercé l’office de Diacre en la ville de Jérusalem, pour quelque temps, et puis l’Eglise l’a réputé idoine, et elle lui donna en garde le trésor de l’Evangile.

21.8

Et le lendemain, étant partis de là, nous vînmes à Césarée ; et étant entrés dans la maison de Philippe l’évangéliste, qui était l’un des sept, nous demeurâmes chez lui.

21.9

Or il avait quatre filles vierges, qui prophétisaient.

Ceci a été ajouté à la louange de Philippe ; non seulement afin que nous sachions que sa famille était bien réglée, mais aussi qu’elle était enrichie de la bénédiction de Dieu. Car ce n’était un petit don, d’avoir quatre filles, qui toutes avaient le don de Prophétie. Or Dieu a voulu en telle façon orner les commencements de l’Evangile, quand il a suscité des hommes et des femmes qui prédisaient les choses à venir. Déjà dès longtemps les prophéties avaient quasi cessé entre les Juifs, afin que les cœurs fussent plus attentifs et éveillés à écouter la nouvelle voix de l’Evangile. Quand donc la prophétie est tout soudain retournée comme devant, c’était un signe d’un état plus parfait. Toutefois il semble qu’il y a eu même raison pourquoi elle a cessé bientôt après. Car Dieu a soutenu le peuple ancien par diverses prophéties, jusques à ce que Christ à sa venue mît fin à toutes révélations. Il a donc fallu que le Royaume nouveau de Christ fut paré de ce bel ornement, afin que tous connussent que la Visitation de Dieu promise était déjà venue ; mais il a fallu aussi que cet ornement eut lieu seulement pour un peu de temps, afin que les fidèles ne fussent toujours en suspens, et de peur qu’occasion ne fut donnée aux esprits curieux, de chercher ou inventer à tous propos quelque chose de nouveau. Car nous savons que soit déjà que cette faculté et puissance était ôtée, toutefois il y a eu plusieurs esprits fantastiques, qui se sont vantés d’être Prophètes. Aussi il se peut bien faire que la perversité des hommes ait privé l’Eglise de ce don. Mais cette cause seule doit suffire, que Dieu ôtant les prophéties a attesté que l’accomplissement et la fin était présentée en Christ. Au reste, il est incertain comment ces filles ont fait l’office de prophétiser ; sinon qu’elles ont été tellement gouvernées par l’Esprit de Dieu, qu’il n’a point troublé l’ordre que lui-même a mis. Or puisque Dieu ne permet point aux femmes de faire quelque office public en l’Eglise, il est vraisemblable qu’elles ont prophétisé en la maison, ou en quelque autre lieu privé, hors l’assemblée commune.

21.10

Et comme nous demeurions là depuis plusieurs jours, il descendit de la Judée un prophète, nommé Agabus ;

Combien que saint Luc ne déclare point ouvertement qui est cet Agabus, toutefois je pense que c’était celui duquel il a été parlé ci-dessus au chapitre onzième, qui a prédit la famine qui devait advenir sous la règne de Claude César. Et quant à ce que saint Luc lui donne le titre de Prophète, comme il a donné naguère aux quatre filles de Philippe, il signifie que c’était un don particulier, et non point commun. Maintenant il vous faut voir à quelle fin Agabus a derechef montré la persécution qui était prochaine. Quant à saint Paul, il avait été déjà plus que suffisamment exhorté. Pourtant je ne doute point que cette confirmation n’ait été ajoutée pour l’amour des autres ; d’autant que le Seigneur voulait que les liens de son serviteur fussent connus par tout ; en partie afin que tous entendissent qu’il était entré au combat de son bon gré ; en partie afin qu’ils connussent que c’était un champion ordonné de Dieu à combattre pour l’Evangile. Et de fait c’a été un exemple utile d’une constance invincible, quand de son bon gré et certaine volonté il s’est exposé à la violence de ses ennemis. Aujourd’hui aussi il ne nous est pas moins profitable que son Apostolat soit confirmé par ce qu’il a ainsi volontairement et constamment exposé sa vie en danger.

21.11

et, étant venu vers nous, et ayant pris la ceinture de Paul, et s’en étant lié les pieds et les mains, il dit : Voici ce que dit l’Esprit saint : L’homme à qui appartient cette ceinture, les Juifs le lieront de la même manière, dans Jérusalem, et ils le livreront aux mains des païens.

C’était une chose usitée aux Prophètes, de représenter par signes ce qu’ils disaient. Et certes en ajoutant des signes, ils ont confirmé leurs oracles et prophéties par le mandement du Saint Esprit, et non point par leur propre mouvement. Comme quand il est ordonné à Esaïe de cheminer tout nu, Esaïe 20.2, et à Jérémie d’attacher un joug à son cou, de vendre un champ et d’acheter, Jérémie 27.2 ; 32.7, et à Ezéchiel, de percer par derrière la paroi de sa maison, par où il puisse emporter de nuit son bagage, Ezéchiel 12.5 ; ces choses et autres semblables pouvaient sembler être jeux de petits enfants ; mais le même Esprit qui accommodait les signes à ces paroles, touchait au dedans les cœurs des fidèles, comme s’ils eussent été déjà amenés sur le fait présent. Ainsi ce spectacle duquel saint Luc fait mention, n’a point moins ému les compagnons de saint Paul, que s’ils l’eussent vu devant eux lié à bon escient. Les faux prophètes se sont depuis efforcés de décevoir les simples par une telle finesse, comme Satan a accoutumé de se montrer singe des œuvres de pieu ; et ses ministres tâchent à imiter les serviteurs de Dieu. Sédécias se fit faire des cornes, et par cela il promettait que la Syrie devait être vaincue. Ananias rompant le joug de Jérémie, donna une vaine espérance de délivrance au peuple. Or Dieu a permis que les réprouvés fussent abusés de tels enchantements, afin qu’il les punît de leur incrédulité. Mais d’autant qu’il n’y avait aucune efficace du Saint Esprit, leur mensonge n’a de rien nui aux fidèles. Ceci aussi est digne d’être noté, qu’Agabus ne propose point un spectacle sans parler ; mais il ajoute aussi la parole, afin qu’il montre aux fidèles, l’usage et la fin de la cérémonie.

21.12

Et quand nous eûmes entendu cela, nous suppliions Paul, tant nous que ceux du lieu, de ne point monter à Jérusalem.

Pour ce que tous n’avaient pas une même révélation, il ne se faut point étonner si entre eux il y a eu diverses opinions. Car pour ce que ces bons personnages savaient bien que la vie ou la mort d’un seul homme, à savoir de Paul, emportait beaucoup, ils ne voulaient point qu’il se mît en danger à la volée. Et leur affection est louable, quand en retenant Paul, ils désirent de pourvoir au salut commun de 1’Eglise. Mais d’autant plus grande louange mérite la constance de Paul, en ce qui demeure ferme et immuable en la vocation de Dieu. Car il savait bien quel trouble pouvait advenir de ses liens. Mais pour ce qu’il sait bien quelle est la volonté de Dieu, qui est la seule règle pour nous conduire en nos délibérations, à ce qu’il la suive, il ne se soucie pas beaucoup de tout le reste. Et de fait, nous devons être tellement attachés au bon plaisir de Dieu, que nous ne soyons détournés de son obéissance simple pour quelque profit et utilité, ou quelque apparence de raison qu’il y ait. Quand saint Paul se plaint aux frères, que par leurs gémissements et larmes ils affligeaient son cœur, il montre bien qu’il n’était point de fer ni d’acier, comme on dit, c’est-à-dire sans affections, tellement qu’il ne fut point ému par amour à compassion. Ainsi donc les pleurs et larmes des fidèles lui navraient le cœur ; mais cela ne l’a rendu si mot, qu’il ait aucunement fléchi, et ne l’a pas empêché qu’il n’ait continué à suivre Dieu toujours d’un même train. Nous devons donc être tellement humains envers nos frères, que la volonté de Dieu soit toujours la maîtresse. Maintenant saint Paul déclare derechef par sa réponse, que les fidèles serviteurs de Jésus-Christ ne seront préparés à faire leur office, sinon en méprisant constamment la mort ; et ne seront jamais bien encouragés à vivre au Seigneur, sinon qu’ils se démettent de bon gré de leur propre vie pour le témoignage de la vérité.

21.13

Alors Paul répondit : Que faites-vous, en pleurant et en me brisant le cœur ? Car pour moi je suis prêt, pour le nom du Seigneur Jésus, non seulement à être lié, mais même à mourir à Jérusalem.

21.14

Et comme il ne se laissait pas persuader, nous nous tûmes, disant : Que la volonté du Seigneur soit faite !

S’ils eussent pensé qu’il se jetait à la mort témérairement et à la volée, ils n’eussent point ainsi acquiescé et accordé. Ils acquiescent, afin de ne résister point au Saint Esprit, par lequel ils entendent que saint Paul est gouverné. Car combien que déjà ils eussent entendu de la bouche de saint Paul, qu’il se sentait lié par le Saint Esprit, et comme tiré par un mouvement secret de celui-ci, la perturbation toutefois de la douleur qu’ils en concevaient le leur avait fait oublier ; mais quand derechef il leur remontre qu’il plaît ainsi a Dieu, ils n’estiment plus leur être loisible d’y résister, ou répliquer à l’encontre. Et voilà de quelle bride toutes nos affections doivent être arrêtées, afin qu’il n’y ait rien tant amer, tant dur ou tant pénible, que la volonté du Seigneur Dieu n’amollisse et n’adoucisse. Car toutes les fois que quelque difficulté ou fâcherie surviennent, nous ne portons pas grand honneur à Dieu, sinon que cette considération ait la maîtrise sur nous : Qu’il faut obéir à Dieu.

21.15

Or, après ces jours-là, nous étant préparés au départ, nous montâmes à Jérusalem.

Les compagnons de saint Paul montrent bien que quand ils ont voulu détourner saint Paul du danger éminent, ils ont plutôt regardé au salut commun de l’Eglise, qu’à leur propre vie. Car se voyant repoussés par lui en leur requête, ils ne refusent point de s’exposer au même danger. Et toutefois ils avaient une excuse bien favorable, qu’il n’y avait point de commandement qui les astreignît à se laisser mener à la mort par l’obstination d’un homme. Et cela est vraiment assujettir nos affections à Dieu, quand nous ne sommes point stupéfaits et retenus d’aucune crainte, que chacun de nous ne fasse tout ce qu’il peut pour avancer ce que nous savons bien lui être agréable. Il apparaît aussi plus clairement, quelle ardeur d’affection de piété il y avait dans les autres, vu qu’ils s’adjoignent de leur bon gré, et lui amènent un hôte, combien qu’ils eussent juste occasion de craindre beaucoup d’inconvénients.

21.16

Et quelques disciples vinrent aussi de Césarée avec nous, et nous conduisirent chez un certain Mnason, de Chypre, ancien disciple, chez qui nous devions loger.

21.17

Or quand nous fûmes arrivés à Jérusalem, les frères nous reçurent avec joie.

Saint Luc explique ceci, pour louer la débonnaireté des frères, en ce qu’ils n’ont ajouté foi aux mauvais bruits et calomnies. Combien qu’il y eût plusieurs malveillants et méchants, qui tâchaient de rendre S. Paul odieux, et en venait tous les jours de nouveaux ; toutefois pour ce que Jacques et ses compagnons avaient fort bonne persuasion de son intégrité, ils ne se sont point séparés de lui. Maintenant donc ils le reçoivent fraternellement et bénignement comme un vrai serviteur de Christ, et déclarent qu’ils sont bien réjouis de sa venue. Et il faut bien soigneusement noter une telle modération ; afin que nous ne croyons trop légèrement les faux rapports, et principalement quand on charge de blâmes à nous inconnus ou douteux, ceux qui nous ont montré quelque témoignage de leur prudhommie, et lesquels nous avons expérimenté servir fidèlement au Seigneur. Pour ce que Satan sait bien qu’il n’y a rien plus propre pour dissiper le royaume du Fils de Dieu, que quand il y aura des dissensions et partialités entre les fidèles, il ne cesse de semer des propos à la traverse, pour rendre les uns suspects aux autres. Par quoi il faut se boucher les oreilles aux rapports, afin que nous ne croyons rien des Ministres fidèles de Christ, que nous ne l’ayons auparavant bien connu.

21.18

Et le lendemain Paul se rendit avec nous chez Jacques, et tous les anciens s’y trouvèrent.

On peut recueillir de ce passage, ce qu’on a déjà vu ci-dessus au ch. 15, que les anciens avaient accoutumé de s’assembler, toutes les fois qu’on devait traiter de quelque affaire d’importance ; afin qu’on consultât plus paisiblement hors de la grande multitude. Nous verrons bientôt après, que le peuple aussi a été reçu en son ordre ; mais c’a été après que les anciens eurent tenu leur conseil à part. Au reste, saint Paul montre sa modestie, quand il ne se fait point auteur des choses qui avaient été faites, mais en donne la louange à Dieu, se nommant seulement Ministre, duquel Dieu s’est servi. Comme certes il faut bien confesser que tout ce qui est excellent et digne de louange, ne se fait point par notre propre vertu, mais entant que Dieu travaille en nous ; et principalement quand il est question de l’édification de l’Eglise. On voit aussi d’autre part, combien il s’en faut que les anciens aient été menés d’envie, quand ils glorifient Dieu des choses qui étaient heureusement advenues. Or pour ce qu’il n’est ici parlé d’autre Apôtre que de Jacques, on peut facilement penser que les autres étaient lors allés en divers pays pour semer l’Evangile par-ci par-là comme leur office le requérait. Car le Seigneur ne leur avait pas assigné lieu certain en Jérusalem ; mais leur avait commandé, qu’après qu’ils auraient fait là le commencement, ils allassent par le pays de Judée, et finalement par les quartiers du monde. Au demeurant, on a vu au chap. 15 comment a été réfuté l’erreur de ceux qui ont pensé que ce Jacques fut un des disciples, lequel S. Paul met entre les trois colonnes de l’Eglise. Or combien qu’il eût un mandement tel qu’avaient ses autres compagnons ; tant il y a toutefois qu’ils avaient convenu entre eux, qu’il résidât en Jérusalem, où plusieurs étrangers arrivaient ordinairement. Car cela était autant comme s’il eût publié bien loin l’Evangile en diverses contrées.

21.19

Et après les avoir salués, il racontait une à une les choses que Dieu avait faites parmi les païens par son ministère.

21.20

Et eux, après l’avoir entendu, glorifiaient Dieu ; et ils lui dirent : Tu vois, frère, combien il y a parmi les Juifs de myriades de gens qui ont cru, et tous sont zélateurs de la loi.

On peut diviser ce propos en deux membres. Car les anciens racontent en premier lieu, que comme ainsi soit qu’autant qu’il y avait de Juifs, convertis à Christ, sont sectateurs et zélateurs de la Loi, ils ne portent point une bonne affection à Paul, d’autant qu’ils pensent qu’il ne s’étudie à autre chose qu’à abolir la Loi. Puis après ils l’exhortent à faire un vœu solennel, et se purifier, afin qu’aucun soupçon ne demeure plus sur lui. Ils mettent en avant la grande multitude des fidèles et croyants, afin qu’il s’accommode tant plus à eux. Car s’il n’y eût eu qu’un petit nombre de gens obstinés, il n’en eût pas été tant ému. Mais maintenant il ne peut bonnement mépriser un si grand peuple, et tout le corps de l’Eglise. Il est bien vrai que pour certain ce zèle de la Loi était vicieux ; et de fait, les anciens montrent bien qu’ils ne l’approuvent pas. Car combien qu’ils ne le condamnent et ne réprouvent point ouvertement, et qu’ils ne se plaignent pas trop aigrement ; tant il y a toutefois que d’autant qu’ils se séparent de l’affection de ceux-là, ils confessent bien tacitement qu’ils se trompent. Si c’eût été un zèle selon science, il devait commencer par les anciens. Or nous voyons qu’ils ne tombaient point pour la Loi, et ne mettent en avant la droite révérence de celle-ci, et ne s’accordent avec ceux qu’ils appellent zélateurs de celle-ci. Et pourtant ils montrent bien qu’ils ont une autre opinion, et qu’ils n’approuvent point la superstition du peuple. Toutefois à ceci semble être contraire, quand ils disent que Paul a été blâmé faussement. Davantage, quand ils veulent qu’il satisfasse à cela, on pourrait penser qu’ils nourrissent et entretiennent ce zèle. Je réponds à cela, que combien qu’en quelque endroit ce bruit fut vrai, duquel les Juifs avaient été offensés, toutefois il y avait quelque calomnie mêlée parmi. Il est vrai que S. Paul enseignait l’anéantissement de la Loi, en sorte toutefois que par ce moyen non seulement l’autorité de celle-ci demeurât en son entier, mais aussi qu’elle fût en plus sainte recommandation. Car (comme il a été dit au chap. 7) les cérémonies seraient inutiles, si l’effet de celles-ci n’eut été manifesté en Christ. Ceux donc qui enseignent qu’elles ont été abolies par la venue du Fils de Dieu, tant s’en faut qu’ils fassent outrage à la Loi, que plutôt ils conféraient la vérité de celle-ci. Il faut considérer deux choses dans les cérémonies : la vérité, à laquelle l’efficace est annexée ; puis après l’usage extérieur. Or l’abolition de l’usage extérieur, qui a été fait par Christ, dépend de ce que Christ en est le vrai corps ; et rien n’a été anciennement figuré, qui n’ait été accompli en lui. Cela est bien loin du révoltement de la Loi, de montrer la fin légitime de celle-ci, à ce que les figures cessantes, la vérité spirituelle d’celles-ci ait toujours sa vigueur. Par quoi nous voyons que ceux qui blâmaient S. Paul d’être apostat de la Loi, n’entendaient pas bien ce qu’ils disaient, et procédaient contre lui iniquement, combien qu’il retirât les fidèles du service extérieur de la Loi. Or quant à ce qu’ils veulent que Paul fasse vœu à cette intention, qu’il se montre observateur de la Loi, cela ne tend à autre fin, sinon afin qu’il atteste qu’il n’a point la Loi en horreur, comme un infidèle apostat, qui en son endroit rejetât le joug du Seigneur, et poussât les autres à une semblable obstination.

Qu’ils ne doivent point, etc. La vérité était telle. Car S. Paul enseignait indifféremment aux Juifs et aux Gentils, que la liberté leur était acquise. Car ces sentences sont générales en ses Epîtres : La Circoncision n’est rien1 Corinthiens 7.19. De même : Nous sommes circoncis par le Baptême en Christ, non point par circoncision faite de main. De même : Que nul ne vous juge au manger, ou au boire, ou en la différence des jours ; lesquelles choses ne sont sinon une ombre des choses venir ; mais le corps est en Christ, 1 Corinthiens 2.11, 16. De même : Mangez de tout ce qui se vend au marché, et de tout ce qui est mis devant vous, ne vous enquérant point pour la conscience 1 Corinthiens 10.23. De même : Ne soyez plus détenus du joug de servitude, Galates 5.1. Vu qu’il a ainsi parlé partout sans exception, il affranchissait les Juifs de la nécessité de garder la Loi. Et afin que je ne sois trop long en ce propos, il suffira d’alléguer un passage, où il compare la Loi à un tuteur, sous la conservation duquel l’Eglise ancienne a été comme en âge puéril ; mais qu’elle est maintenant en âge parfait, après qu’elle a connu la grâce de Christ, en sorte qu’elle est affranchie des cérémonies. Il est bien certain qu’il comprend en ce passage les Juifs avec les Gentils. Aussi quand il dit que l’obligation de la Loi, qui consistait en décrets, a été effacée par Christ, et attachée à la croix Colossiens 2.14, il exempte les Juifs aussi bien que les Gentils des cérémonies, lesquelles il appelle là Décrets. Mais d’autant qu’il ne rejetait point absolument les cérémonies, montrant qu’elles avaient cessées par la venue de Christ, et qu’il ne les fallait plus observer, cela n’était point un révoltement, comme ses envieux disaient. Et de fait, la liberté de Paul n’était point inconnue aux anciens. Comme ainsi soit donc qu’ils entendissent bien le fait, ils ne demandent autre chose, sinon de donner à connaître aux simples et ignorants, que Paul n’avait rien moins délibéré, que d’induire les Juifs à un mépris de la Loi. Par quoi ils ne regardent point le fait brut en soi, mais sachant quelle opinion le peuple avait de Paul pour les mauvais et faux rapports, ils désirent d’y remédier. Or il apparaît par ceci, combien les hommes sont fols et légers à croire, quand on leur propose des calomnies et faux blâmes d’autrui, et comment on retient obstinément une mauvaise opinion, laquelle on aura une fois follement conçue. Il ne faut point douter que Jacques et ses compagnons n’aient fait ce qu’ils ont pu pour maintenir le bon renom de Paul, et effacer les mensonges, qui nuisaient à sa bonne réputation ; tant il y a toutefois qu’ils ne peuvent empêcher que Paul n’ait mauvais bruit ; si d’aventure on ne veut dire que du commencement ils en avaient trop dissimulé pour s’accommoder à ceux de Jérusalem, tellement que puis après ils n’étaient pas en liberté de les contredire ouvertement.

21.21

Or ils ont été informés à ton sujet que tu enseignes à tous les Juifs qui sont parmi les païens à se détacher de Moïse, en leur disant de ne pas circoncire les enfants, et de ne pas marcher selon les coutumes.

21.22

Qu’y a-t-il donc à faire ? La multitude s’assemblera sûrement, car ils apprendront que tu es arrivé.

Il y a mot à mot : Il faut que la multitude s’assemble. Car on eût trouvé étrange, qu’un apôtre de si grand renom ne se fut montré devant toute la compagnie des fidèles. Car s’il eût refusé de se montrer devant le peuple, c’eût été pour augmenter les soupçons mauvais qu’on avait conçus de lui. Cependant, nous voyons de quelle modestie les anciens ont usé pour entretenir une bonne concorde, quand ils donnent ordre de bonne heure que le peuple ne soit offensé ; sinon que par aventure ils donnent trop de lieu à l’infirmité de celui-ci, requérant que Paul fasse vœu. Au reste, c’est une modération bien à garder en l’Eglise, que les Pasteurs aient autorité ; mais qu’ils ne dominent point orgueilleusement, et n’aient point en dédain le résidu du corps. Car la distinction des ordres et charges de l’Eglise ne doit pas être cause de dissension, vu que c’est un bien de paix.

21.23

Fais donc ce que nous allons te dire : nous avons quatre hommes qui se sont imposé un vœu ;

Il est vrai qu’il semble que les anciens ont eu un amour excessif envers leur nation, et que de là ils sont tombés à la supporter plus que de raison. Mais le jugement de cela dépend des circonstances qui nous sont aujourd’hui cachées, et lesquelles leur étaient évidentes. Presque tout le corps était composé de Juifs, en sorte qu’il ne fallait point craindre le scandale des Gentils. Car la cause de division dans les autres pays était qu’un chacun étant adonné à sa coutume, voulait imposer loi aux autres. D’avantage, en Jérusalem ils avaient beaucoup de choses qui les conviaient à garder les cérémonies de la Loi, en sorte qu’il y avait plus d’excuse, s’ils les délaissaient plus tard. Or combien que ce zèle ne fut point sans vice, tant il y a toutefois que comme il n’était pas facile de le corriger, aussi à grand peine y eût-on mis remède si tôt. Mais voyons comment après un longtemps à grand peine les apôtres ont pu se dépouiller de cette superstition. Et pour ce que tous les jours nouveaux disciples venaient à la foi, la faiblesse aussi se nourrissait en tous les autres. Nonobstant il ne faut point nier qu’il n’y eût de l’obstination avec cette ignorance, laquelle toutefois les anciens ont supportée, de peur qu’en appliquant des remèdes trop rudes et violents, ils ne fissent d’avantage de mal. A savoir vraiment s’ils ont passé mesure, je n’en détermine rien.

Qui ont fait vœu, etc. Combien que ces quatre hommes soient mis ici aux nombre des fidèles, néanmoins leur vœu était superstitieux. Dont il apparaît que les apôtres ont eu fort grand peine à gouverner cette nation, laquelle non seulement était endurcie par long usage à garder la Loi, mais était avec cela opiniâtre de nature, et presque totalement intraitable. Toutefois il se peut bien faire que ceux-ci étaient encore novices ; et que pourtant leur foi était tendre, et non encore bien formée. A cause de quoi leurs conducteurs qui les avaient enseignés, enduraient qu’ils accomplissent le vœu qu’ils avaient follement entrepris par ignorance. Quant à S. Paul, c’était autre chose, pour ce qu’il n’a point fait ce vœu pour sa conscience, mais pour l’amour de ceux qu’il voulait bien supporter en leur erreur néanmoins il faut aviser si ceci était une des cérémonies indifférentes, lesquelles les fidèles avaient liberté d’observer ou omettre. Il semble bien qu’elle a eu certaines choses mêlées, n’étant guère accordantes avec la profession de la foi Mais pour ce que la fin de ce vœu était action de grâces, comme il a été dit ci-dessus, Actes 18.18, et qu’en la cérémonie il n’y avait rien qui fut répugnant avec la foi de Christ, saint Paul n’a point fait difficulté de descendre jusques-là pour rendre témoignage de sa religion. Saint Paul donc a fait ce qu’il dit ailleurs de soi (1 Corinthiens 9.20) car il s’est adjoint aux sectateurs de la Loi, comme s’il eût été aussi astreint à la Loi. Bref, il a été fait tout à tous, afin qu’il gagnât tous ; à savoir la conscience sauve, tellement qu’il ne se polluât d’aucun sacrilège sous couverture de charité. Il ne lui eût pas été si bien licite de se trouver à un sacrifice solennel d’expiation et satisfaction. Mais il lui a bien été loisible d’user indifféremment de cette partie du service divin, laquelle consistait en un vœu ; moyennant qu’il ne fît cela par religion, mais seulement pour concéder aux faibles. Or est-il ainsi que son intention n’était point de présenter quelque service et honneur à Dieu par une telle cérémonie ; et si n’a point eu sa conscience liée ; mais il s’est assujetti en liberté aux frères faibles.

21.24

prends-les avec toi, purifie-toi avec eux, et paie pour eux, afin qu’ils se rasent la tête ; et tous connaîtront qu’il n’est rien des choses qu’ils ont ouï dire de toi, mais que tu marches, toi aussi, en gardant la loi.

Il semble qu’ils veulent induire Paul a montrer quelque dissimulation ou faux semblant. Car ce n’était point pour néant que le bruit s’était levé, qu’il détournait les Juifs des cérémonies, et aussi qu’il ne cheminait point en l’observation de la Loi. Mais il faut se rappeler ce que j’ai déjà dit, que ç’a été assez à Paul et aux anciens, qu’il fut purgé de la calomnie et blâme qui lui avait été iniquement imposé ; à savoir, qu’il était apostat de la Loi ; et au reste, dans quelque temps il aurait pu se présenter quelque meilleure occasion à S. Paul de s’excuser, et les retirer petit à petit de leur erreur. Et certes ce n’était point chose utile que Paul fut longtemps réputé observateur de la Loi, tel que les disciples étaient ordinairement pour lors. Car par ce moyen c’eût été mettre devant leurs yeux un voile plus épais pour obscurcir la lumière de Christ. Et pourtant sachons que saint Paul n’a point usé de quelque faux semblant, mais a montré et protesté en bonne rondeur, qu’il n’avait aucune haine contre la Loi, mais plutôt l’avait en révérence. Ils ordonnent, qu’il contribue avec eux. d’autant qu’on avait accoutumé de contribuer en commun, pour offrir un sacrifice ensemble.

21.25

Quant aux païens qui sont devenus croyants, nous leur avons écrit ayant décidé qu’ils n’avaient rien de semblable à observer, si ce n’est qu’ils se gardent de ce qui est sacrifié aux idoles, et du sang, et des choses étouffées et de la fornication.

Ils ajoutent ceci, à cette fin qu’il n’y ait aucun soupçon, qu’ils veuillent maintenant ôter la liberté qu’ils avaient auparavant octroyée aux Gentils, ou faire un préjudice contre eux à l’avenir. Mais cependant il semble qu’ils détiennent les Juifs sous le joug de servitude, duquel ils délient expressément les Gentils seulement. Je réponds à cela, que vu que la condition de tous était égale, aussi un même droit a été permis tant aux uns qu’aux autres ; mais qu’il n’est point ici fait mention des Juifs, pour ce qu’ils étaient encore tant adonnés à leurs observations, qu’ils ne voulaient pas prendre la liberté qu’ils avaient. Or les apôtres pourvoyaient nommément aux Gentils, à ce que les Juifs selon leur coutume, ne rejetassent comme profanes et immondes, ceux qui n’étaient ni circoncis, ni nourris en l’observation de la Loi. Au reste, afin que je ne remplisse ici du papier pour néant, en réitérant ce qui a déjà été dit, les lecteurs auront recours à Actes 15.20, pour voir ce qui appartient à l’exposition de ce décret.

21.26

Alors Paul ayant pris ces hommes avec lui, et s’étant purifié avec eux, entra, le jour suivant, dans le temple, annonçant le jour auquel la purification s’achèverait ; et il fit ainsi jusqu’à ce que l’offrande fut présentée pour chacun d’eux.

Quant à ce que d’aucuns accusent S. Paul, et disent qu’il a usé de finesse, comme s’il eût montré par semblant autre chose qu’il ne pensait à la vérité, j’ai ci-dessus réprouvé cela. Il y a bien plus de couleur en ce que d’aucuns débattent, et est (par manière de dire) plus disputable, à savoir qu’il a trop facilement acquiescé ; et toutefois je ne reçois point ce que d’aucuns veulent dire, que le mal qui est advenu à saint Paul, c’est d’autant que jouant un nouveau personnage et non accoutumé, il n’a pas assez constamment maintenu la liberté acquise par Jésus-Christ, comme il avait bien accoutumé. Je confesse bien que Dieu punira souvent de fols conseils par un événement malheureux ; mais je ne vois point de raison pourquoi cela doive être attribué à S. Paul, lequel d’une sujétion volontaire a tâché de s’insinuer aux rudes et ceux qui n’étaient guère bien enseignés, afin qu’il profitât, non pas qu’il l’eût fait de soi-même, et sans occasion, mais pour ce qu’il aimait mieux céder aux frères, que de se tenir à son jugement. Car quand on l’eût une fois admis, il fut facilement venu à modérer ce zèle. Plutôt son humanité mérite une grande louange que non seulement il s’abaisse bénignement pour l’amour du peuple ignorant et rude, mais il obtempère à la folie de ceux, auxquels il avait été suspect à tort et sans cause. Il avait juste occasion de se plaindre d’eux, d’autant qu’ils avaient cru si légèrement contre sa réputation ; de ce qu’il s’en déporte, en cela il démontre une merveilleuse patience ; et en ce qu’il tâche si soigneusement de les gagner et attirer à soi, en cela il démontre une modestie singulière. Joint qu’il pouvait être plus âpre envers Jacques et ses compagnons, d’autant qu’ils n’avaient pas employé assez grande diligence à purger le peuple d’erreur. Car combien qu’il soit certain qu’ils avaient fidèlement enseigné, néanmoins il se peut bien faire que le regard du temple, et le siège même de la Loi les ait empêchés à maintenir l’usage de la liberté. Mais Paul trouve bon leur conseil, et y acquiesce, soit qu’il ait voulu de son bon gré quitter son droit, soit qu’il ait estimé qu’ils voyaient mieux ce qui était expédient. Or quant à ce que les faux Nicodémites veulent par cet exemple de S. Paul farder leur dissimulation déloyale, quand ils se polluent et souillent en toutes les ordures de la Papauté, cela n’a nul besoin de longue réfutation. Ils se vantent qu’ils octroient cela aux frères infirmes ; comme si S. Paul leur avait tout octroyé sans regarder comment. Si étant Juifs ils faisaient un vœu entre les Juifs, selon l’ordonnance de la Loi, qui ne fût souillé d’aucune idolâtrie, lors ils se montreraient semblables à S. Paul. Mais maintenant, vu qu’ils s’enveloppent en des lourdes superstitions et manifestement méchantes, et ce pour fuir l’exercice de la croix, quelle est cette similitude qu’ils forgent ?

21.27

Et comme les sept jours allaient s’accomplir, les Juifs d’Asie, l’ayant vu dans le temple, ameutèrent toute la foule, et mirent les mains sur lui,

Il est certain que ces Juifs-ci avaient les Chrétiens en dédain et haine. Ainsi quand S. Paul s’emploie à apaiser les fidèles, il tombe cependant au milieu de la rage de ses ennemis. Et ceux qui émurent ce trouble, étaient d’Asie ; mais aussi les cœurs de tout le peuple étaient si remplis de haine contre lui, que tous ont été facilement saisis de rage. Or nous sommes enseignés par ce passage, que nous ne devons porter si impatiemment, s’il advient quelque fois que nous soyons frustrés de notre espérance, et si nos entreprises lesquelles nous aurons faites de droite et sainte affection, ne succèdent pas bien, tellement que nos actions n’aient pas toujours bonne issue. Cependant il ne faut rien attenter sinon en bonne conscience, et par l’Esprit de Dieu ; mais quand bien les choses ne nous viendront lors à souhait, si est-ce que ce sentiment intérieur nous doit soutenir, que nous savons notre affection être approuvée de Dieu ; combien que notre effort soit exposé aux opprobres et moqueries des hommes. Et ne nous repentons pas de notre bénignité et mansuétude, s’il advient que les méchants nous en rendent mauvaise récompense.

21.28

en criant : Hommes Israélites, aidez-nous ! C’est ici l’homme qui prêche partout, à tout le monde, contre le peuple, contre la loi, et contre ce lieu ; et de plus il a même introduit des Grecs dans le temple et a profané ce saint lieu.

Ils crient à haute voix ensemble, comme si tout était perdu ; et appellent tous les autres pour leur donner secours, comme si toute la religion était en danger. Par cela nous voyons de quelle haine et rage ils ont été embrasés contre saint Paul, seulement pour ce que prêchant qu’on trouve en Christ la pleine et entière vérité, il enseignait que les figures de la Loi avaient pris fin. Or quant à ce qu’après avoir vu Trophime, ils conçoivent une fausse opinion, ils montrent mieux par cette soudaine légèreté, combien ils sont envenimés. Ils accusent saint Paul de sacrilège. Pour quelle raison ? Par ce qu’il a amené au temple un homme incirconcis. Mais quoi ? c’est par fausse opinion qu’ils ont imposé un crime si énorme à un homme innocent. Ainsi verrons-nous ordinairement, que ceux qui sont menés à la volée de quelque opinion qu’ils auront présumée, montreront aussi une folle audace injustifiée. Mais quant à nous, apprenons par tels exemples de nous garder d’affections immodérées, et de ne lâcher point la bride aux jugements légèrement conçus, de peur que nous ne nous jetions sur les innocents d’une impétuosité exorbitante et inconsidérée.

21.29

Car ils avaient vu auparavant Trophime d’Ephèse avec lui dans la ville, et ils croyaient que Paul l’avait introduit dans le temple.

21.30

Et toute la ville fut émue, et le peuple accourut de toutes parts ; et s’étant saisis de Paul, ils le traînaient hors du temple ; et aussitôt les portes furent fermées.

Nous voyons ici l’inconstance du peuple, lequel tient Paul pour condamné autant que l’avoir entendu. Quant à ce que la cité s’émut des affaires de la religion, il ne s’en faut point étonner ; mais ceci procède d’un zèle pervers et d’une témérité insensée, qu’elle s’élève contre Paul sans ouïr sa cause. Car en ce naturel corrompu il y avait de la malice conjointe à leur folie, tellement que sans difficulté ils volent de leur propre gré pour maintenir une mauvaise cause, et cependant il eût été bien difficile de les faire bouger pour quelque bonne affaire, non pas même par beaucoup d’exhortations. Il est vrai que cette condition est fort fâcheuse, qu’à l’appétit et instigation de peu de gens tout le monde soit furieusement Et soudainement armé contre nous ; mais puis que le bon plaisir du Seigneur est tel, qu’un chacun de nous se prépare de bonne heure par cet exemple et autres semblables, à soutenir tous flots et impétuosités.

21.31

Mais comme ils cherchaient à le tuer, l’avis parvint au tribun de la cohorte que tout Jérusalem était en émeute.

On aperçoit bien la violence furieuse de Satan, en ce qu’il traîne le peuple jusqu’à une telle rage, qu’après avoir fermé les portes du temple, ne se contentant point de punir S. Paul moyennement, ils conspirent de le faire mourir. Nous devons bien tenir pour tout résolu, que les ennemis de la vraie religion sont furieusement poussés par Satan ; de peur que leur rage, quelque bruyante et cruelle qu’elle soit, ne nous trouble point. A l’opposite, on peut ici voir une merveilleuse bonté de Dieu, lequel suscite rapidement le Capitaine, pour sauver la vie de Paul. Il est vrai qu’il ne pense rien moins qu’à cela ; car il accourt seulement pour réprimer l’agitation du peuple ; mais le Seigneur a montré une plus claire épreuve de sa providence, en ce que la vie de Paul a été préservée du danger tant éminent sans aucun conseil humain. Voilà comme il permet que les fidèles non seulement soient en grande peine, mais aussi presque accablés ; afin qu’il montre beaucoup plus évidemment sa puissance, en les délivrant du milieu de la mort. Au reste, là où nous traduisons Capitaine, S. Luc use du mot de Tribun ; mais c’est improprement qu’il dit le Tribun ou Capitaine de la bande de la garnison ; car chaque Tribun avait sous soi mille hommes ; ce qui apparaît bien aussi par le texte, quand il est dit que ce Tribun prit avec soi des Centeniers.

21.32

A l’instant il prit des soldats et des centeniers avec lui, et descendit en courant vers eux. Mais eux, voyant le tribun et les soldats, cessèrent de battre Paul.

La majesté de Dieu, ni la sainteté du temple, n’avait pu apaiser la fureur de ce peuple ; et voici maintenant la révérence d’un homme profane qui le fait plier. Dont il apparaît clairement qu’ils ont été embrasés d’une cruauté barbare, plutôt que de quelque zèle. Quant à ce que le Capitaine lie Paul de chaînes, il montre bien par cela qu’il n’était point venu pour le soulager. Les incrédules attribueront tout incontinent cela au hasard ; mais le Saint Esprit nous a ici peint devant nos yeux comme en un tableau la providence de Dieu, régnant entre les émotions confuses et tumultes des hommes. Or combien que ce soit une chose dure, que ce tant fidèle serviteur de Dieu soi traité si ignominieusement ; tant il y a toutefois que ce que fait ce Capitaine sera une équité, si on fait comparaison avec la rage des Juifs. Il le lie, comme si c’était un brigand ou malfaiteur ; toutefois après l’avoir ainsi lié, il a bien patience de l’écouter ; et eux le tuaient à force de coups. Il ne veut point aussi rien ordonner de rigoureux à l’encontre de lui, que premièrement il n’ait connaissance de cause. Ce fut même un fort bon moyen d’apaiser leur cruauté, de ce qu’ils s’attendaient que ce Capitaine le ferait aussitôt mener au supplice.

21.33

Alors le tribun s’approchant, se saisit de lui, et ordonna qu’on le liât de deux chaînes ; et il demandait qui il était et ce qu’il avait fait.

21.34

Or les uns criaient d’une manière, les autres d’une autre, dans la foule. Et comme il ne pouvait rien apprendre de certain à cause du tumulte, il commanda qu’on le menât dans la forteresse.

La forcènerie de ce peuple mutiné se montre en toutes sortes. Ils jettent des cris en l’air où n’y a non plus d’accord qu’entre chiens et chats ; cependant ils savent bien demander tout d’un consentement que Paul soit mis a mort, qui n’était convaincu d’aucun crime. Au reste, il ne faut point douter qu’ils n’aient été aveuglés sous apparence et couleur d’un saint zèle ; mais c’est la vérité de la cause bien connue qui fait les vrais zélateurs de Dieu, comme les Martyrs. Quand saint Luc fait mention de la forteresse, il faut entendre que les soldats et gendarmes qui étaient en garnison dedans la ville, avaient un fort muni et remparé de tous côtés, lequel ils pouvaient garder comme un bastion ou forte tour, et dont ils pouvaient repousser la violence du peuple, si on eût commencé quelque sédition. Car il n’y eût pas eu grande sûreté pour eux, qu’ils eussent été logés par les hôtelleries et autres maisons dedans une ville si sujette à émotions et mutineries, et au milieu d’un peuple auquel on ne se pouvait nullement se fier. Et nous recueillons que cette forteresse était située en lieu haut, par ce que dit S. Luc, que quand on vint aux degrés, les soldats portèrent Paul. Or soit que Paul ait été élevé en haut par les soldats, pour le mener en sûreté dedans la forteresse, soit qu’il ait été ainsi poussé par la violence de la foule qui le pressait, si est-ce que cela n’a point été fait par faveur ; mais tant plus que la cruauté de ses ennemis furieux était embrasée, tant plus clairement Dieu s’est montré favorable et propice â son serviteur.

21.35

Et quand Paul fut sur les degrés, il arriva qu’il fut porté par les soldats, à cause de la violence de la foule ;

21.36

car la multitude du peuple suivait, en criant : Ote-le !

21.37

Comme on allait le faire entrer dans la forteresse, Paul dit au tribun : M’est-il permis de te dire quelque chose ? Il répondit : Tu sais le grec ?

Paul s’est offert à défendre sa cause : ce que tous serviteurs de Dieu doivent faire. Car il nous faut tâcher tant que nous pourrons, que notre rondeur et intégrité soit connue de tous, afin que nul déshonneur ou blâme ne revienne sur le nom de Dieu à cause que nous sommes diffamés. Or quand le Capitaine s’enquiert si Paul n’est point ce brigand Egyptien, qui un peu auparavant avait incité un fort grand nombre de gens a se révolter ; apprenons que combien que les Ministres du Seigneur Jésus s’étudient à se porter modestement et paisiblement, et combien qu’ils soient éloignés de toute coulpe, tant il y a toutefois qu’ils ne peuvent éviter les ignominies et opprobres du monde. Ce que nous devons bien noter, à cette fin que nous nous accoutumions aux outrages, et soyons prêts en faisant bien d’être mal considérés. Quand le Capitaine fait cette interrogation de l’Egyptien, il n’entend pas Theudas le magicien, comme plusieurs pensent, et à tort ; duquel Gamaliel a fait mention ci-dessus au chap. 5, et duquel Josèphe explique beaucoup de choses au livre 20 des Antiquités. Car outre ce que nous avons vu là, que Theudas avait séduit quatre cents hommes tant seulement, et qu’ici le Capitaine met quatre mille hommes, et dit que tous étaient pendards et brigandeaux ; il y a ceci d’avantage, que Theudas avait suscité cette faction sous le règne de l’Empereur Tibère, ou bien d’Auguste, de laquelle il n’y avait plus qu’un petit bruit, d’autant qu’on y envoya en diligence une compagnie, de gens de cheval, qui défît toute cette racaille. toutefois il me semble que Josèphe s’abuse en ce qu’il explique que Cuspius Fadus avait été envoyé auparavant par Claudius ; puis il ajoute que Theudas fut défait par lui ; vu que j’ai montré ci-dessus que Claudius était encore homme privé quand la première sédition fut suscitée. Combien qu’il discorde fort de ce que raconte saint Luc, quant au nombre, quand il dit qu’il y en eut environ trente mille qui furent attirés à cette sédition ; sinon que nous l’interprétions ainsi, qu’après qu’il fut mis en route par Félix, qu’il s’enfuit au désert avec quatre mille. Or c’eût été une chose trop absurde, que le nombre fut fait dix fois plus grand ; comme aussi d’appeler une troupe de gens non aguerris et sans défense, brigands et meurtriers. Car selon ce que témoigne Josèphe, ce trompeur par fausse promesse abusa le pauvre simple peuple qui était trop facile à croire, se vantant qu’il était Prophète de Dieu, qui devait faire passer le peuple par le milieu du Jourdain. Au reste, Josèphe ôte aussi toute doute, quand il explique que lorsque Félix était gouverneur, un Prophète Egyptien amassa quelque nombre de gens, et puis après les amena en la montagne des Oliviers, desquels il y en eut quatre cents tués, deux cents pris, et le reste mis en déroute. Ces choses étaient advenues il n’y avait pas longtemps ; et puis, d’autant que l’auteur de cette sédition était échappé, et que tout le pays était infesté et molesté de brigands, ce n’est point sans cause que le Capitaine fait cette demande à Paul, à savoir s’il est point cet Egyptien, contre lequel il voit la rage et haine de tous embrasée. Saint Luc ne rapporte pas plus avant les propos que le Capitaine et Paul ont tenu ; toutefois il est vraisemblable, puisque tous deux savaient bien parler Grec, qu’ils ont devisé plus longuement ensemble, ce qui a été cause que Paul a eu permission de parler au peuple. Car le Capitaine n’eut jamais octroyé ni permis cela à un homme malfaiteur, de haranguer publiquement en une ville tant suspecte.

21.38

Tu n’es donc pas cet Egyptien qui, ces jours passés, a excité une sédition et emmené avec lui dans le désert les quatre mille sicaires ?

21.39

Mais Paul dit : Moi, je suis Juif, de Tarse en Cilicie, citoyen d’une ville qui n’est pas sans renom. Mais, je te prie, permets-moi de parler au peuple.

21.40

Et quand il le lui eut permis, Paul, se tenant sur les degrés, fit signe de la main au peuple ; et après qu’il se fut fait un grand silence, il leur adressa la parole en langue hébraïque, disant :

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