Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre XXVI

26.1

Et Agrippa dit à Paul : Il t’est permis de parler pour toi-même. Alors Paul, ayant étendu la main, dit pour sa défense :

Nous avons montré à quelle intention S. Paul a été mené devant cette belle assemblée ; à savoir afin que Festus eût le conseil et opinion d’Agrippa et des autres, pour en écrire à l’Empereur. Et pourtant il n’use point d’une forme simple de défense, comme on a coutume ; mais mesure plus son propos pour enseigner. Il est bien vrai que S. Luc met un mot Grec qui signifie Excuser ; tant y a toutefois qu’il ne convient point mal, quand on rend raison de la doctrine. Au demeurant, pour ce que S. Paul avait déjà bien expérimenté que Festus méprisait par orgueil tout ce qui était pris de la Loi et des Prophètes, il adresse son propos au Roi Agrippa, duquel il espérait qu’il se rendrait beaucoup mieux attentif, comme celui qui n’était pas étrange de la religion Judaïque. Et pour ce que jusques à présent il avait eu affaire à des oreilles sourdes ; maintenant il se réjouit d’en avoir trouvé un qui puisse juger droitement, comme connaissant et expérimenté. Or tout ainsi qu’il loue le savoir d’Agrippa, en ce qu’il connaît bien les choses desquelles il est question ; aussi il lui fait requête de l’autre côté, qu’il le veuille patiemment écouter. Car quand il n’en tiendrait compte, et qu’il se dégoûterait, ayant la connaissance de ces choses il serait moins excusable. Il appelle questions, les points de la doctrine, que les Scribes avaient coutume de traiter entre eux ; entre lesquels la religion était plus subtilement épluchée. Par le mot de coutumes, il entend les cérémonies qui étaient communes à toute la nation. Il veut donc dire en somme, que le Roi Agrippa n’était ignorant de la doctrine ni des cérémonies de la Loi. Comme j’ai déjà touché, la conséquence qu’il fait : Par quoi je le prie que tu m’entendes patiemment, signifie que tant plus qu’un chacun a fait de fruit en la connaissance de l’Ecriture, tant plus aussi se doit-il rendre attentif, quand il est question de la religion. Car ce que nous entendons bien nous apporte moins d’ennui. Or c’est une chose bien raisonnable que nous soyons tellement soigneux du service et honneur de Dieu, que ne nous fâchions point d’ouïr patiemment et bénignement ce qui appartient à la déclaration de celui-ci ; et principalement quand nous entendons déjà les fondements et premières maximes, en sorte qu’il nous est aisé de juger de ce qui est dit, si nous voulons y prendre garde.

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Je m’estime heureux, roi Agrippa, d’avoir aujourd’hui à me défendre devant toi de toutes les choses dont je suis accusé par des Juifs ;

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surtout parce que tu connais parfaitement toutes les coutumes et toutes les discussions qui existent parmi les Juifs. C’est pourquoi je te prie de m’écouter avec patience.

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Ma manière de vivre donc dès ma jeunesse, telle qu’elle a été dès l’origine dans ma nation, à Jérusalem, tous les Juifs la savent ;

Il ne touche pas encore le point de la cause ; mais pour ce qu’il avait été faussement diffamé, et iniquement chargé de plusieurs blâmes ; afin que le Roi Agrippa ne trouve la cause mauvaise par la haine de la personne, il maintient premièrement son innocence. Car on sait bien que quand les esprits des hommes sont saisis une fois de quelque soupçon, tous les sens sont comme tenus fermés, en sorte qu’ils ne peuvent rien recevoir. Saint Paul donc ôte du commencement les nuées de mauvaise opinion, amassées et épaissies de faux rapports ; afin qu’il trouve des oreilles bien préparées, et que par ce moyen on lui donne audience. Nous voyons par ceci, que la nécessité de la cause a contraint saint Paul de louer sa vie passée. Au reste, il ne s’arrête pas longuement en cet endroit, mais il se fait incontinent ouverture pour entrer au propos de la résurrection des morts, quand il rappelait qu’il a été Pharisien. Et quand il appelle les Pharisiens la secte la plus exquise, selon mon avis il ne dit point cela pour le regard d’une plus sainte vie ; mais pour autant qu’en cette secte il y avait une plus grande pureté de doctrine et on y trouvait plus de savoir. Car les Pharisiens se glorifiaient qu’ils avaient l’intelligence secrète de l’Écriture. Et de fait, comme ainsi soit que les Sadducéens se vantassent d’entendre bien la lettre, cependant ils avaient tellement obscurci la lumière de l’Écriture, qu’ils étaient tombés en une vilaine et lourde ignorance. Quant aux Esséniens, se contentant de vivre d’une façon austère, ils ne se souciaient pas beaucoup d’étudier. Et à ceci n’est point contraire ce que Jésus-Christ se courrouce principalement contre les Pharisiens, comme ceux qui corrompaient plus faussement l’Écriture, Matthieu 23.13. Car comme ainsi soit qu’il s’attribuassent cela de singulier, d’interpréter l’Écriture, se disant en avoir le sens mystique et caché ; de là est venue l’outrecuidance de changer et innover, contre laquelle le Seigneur se courrouce si âprement. Mais saint Paul ne touche point à ces inventions, lesquelles ayant forgées à la volée, ils en requéraient l’observation d’une rigueur tyrannique. Car son intention n’était que de parler seulement de la résurrection des morts. Car combien qu’ils eussent corrompu et perverti la Loi en beaucoup d’endroits, toutefois il était bien raisonnable qu’on fît plus grand cas de l’autorité de cette secte-là à maintenir la vraie foi, que des autres qui s’étaient beaucoup plus éloignées de la pureté naturelle. Joint que S. Paul parle seulement du jugement qu’en avait le commun, lequel regardait à l’apparence d’un savoir subtil.

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me connaissant depuis longtemps, ils peuvent, s’ils le veulent, rendre témoignage que j’ai vécu pharisien, selon la secte la plus exacte de notre religion.

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Et maintenant, je suis mis en jugement à cause de l’espérance en la promesse faite par Dieu à nos pères,

Maintenant il entre en la matière ; à savoir qu’il est mis en fâcherie pour le principal article de toute la foi. Or soit déjà qu’il semble bien avoir parlé généralement de la résurrection des morts, tant il y a toutefois qu’on peut facilement recueillir de la déduction du texte, qu’il a commencé de plus haut, et qu’il a compris les circonstances qui appartenaient proprement à la foi de l’Evangile. Il se plaint qu’il a été accusé des Juifs, d’autant qu’il affirmait l’espérance de la promesse faite aux Pères. Ce commencement donc qu’il a pris, et même le fondement de sa défense était : Que l’alliance que Dieu avait faite avec les Pères, se rapporte au salut éternel. Par quoi la somme de toute la dispute a été, que ce n’était rien de la religion des Juifs, sinon qu’ils regardassent au ciel, et par conséquent que leurs yeux fussent dressés sur Jésus-Christ auteur de la vie nouvelle. Ils se glorifiaient que de tous les peuples de la terre, ils étaient seuls qui fussent élus par le Seigneur. Mais la vérité est telle, que l’adoption ne pouvait apporter aucune utilité, sinon qu’étant appuyés sur le Médiateur promis, ils regardassent à l’héritage du Royaume de Dieu. Il faut donc ici concevoir beaucoup plus, que saint Luc n’exprime ouvertement. Et de fait son récit ne tend à autre but, sinon afin que nous sachions de quelles choses saint Paul a traité. Mais il ne dit point quoi, ou en quelles paroles. Cependant c’est à nous de recueillir de ce bref résumé, les choses qui appartiennent à cette dispute, laquelle a été librement et franchement traitée devant le Roi Agrippa, où saint Paul avait moyen de parler paisiblement.

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et dont nos douze tribus, qui servent Dieu continuellement nuit et jour, espèrent voir l’accomplissement. C’est à cause de cette espérance que je suis accusé par des Juifs, ô roi !

Il se plaint devant Agrippa, que l’état de l’Eglise était tombé en telle décadence, que les Sacrificateurs combattaient l’espérance commune de tous les fidèles ; comme s’il disait : A quoi soupirent et tendent les désirs de tous ceux de notre nation, qui servent soigneusement à Dieu, et s’emploient jours et nuits aux exercices de vraie religion, sinon afin que finalement ils parviennent à la vie bienheureuse et immortelle ? Or est-il ainsi que c’est le même but de toute ma doctrine ; d’autant que quand on propose la grâce de rédemption, en même temps la porte des cieux est ouverte. Et quand j’annonce que l’auteur de salut est ressuscité des morts, j’offre en sa personne les prémices de l’immortalité bienheureuse. Ainsi la confirmation précédente de sa doctrine a été prise de la parole de Dieu, quand il mettait en avant la promesse faite aux Pères ; maintenant en second lieu il ajoute le consentement de l’Eglise. Et c’est le vrai moyen qu’il faut garder pour maintenir les principaux articles de la foi ; à savoir que l’autorité de Dieu aille devant ; puis après qu’il y ait le consentement de l’Eglise. Cependant toutefois il faut prudemment choisir la vraie Eglise ; comme S. Paul nous enseigne ici par son exemple. Car combien qu’il sût que les Sacrificateurs proposassent contre lui le titre d’Eglise, néanmoins il maintient constamment, que les vrais et purs serviteurs de Dieu sont de son parti, et se contente de ce qu’il les a pour défenseurs de sa cause. Car quand il parle des douze lignées, il ne met pas pêle-mêle tous ceux qui étaient descendus de Jacob selon la chair ; mais il entend seulement ceux qui retenaient un vrai amour de piété. Car il n’y eût point eu d’apparence d’attribuer indifféremment à toute la nation la crainte de Dieu, laquelle ne régnait qu’en un bien petit nombre. En l’un et l’autre les Papistes font tout à rebours ; car ils font tellement valoir la voix des hommes, qu’ils ensevelissent la parole de Dieu ; et avec ce sans couleur ni honte ils ornent de titre d’Eglise catholique je ne sais quelle racaille mêlée de gens ignorants ou de vie infâme. Or au contraire, à ce que nous puissions montrer que nous consentons et accordons avec la vraie Eglise, il nous faut commencer par les Prophètes et Apôtres. Puis après il faut mettre en leur compagnie ceux desquels la piété est connue et notoire. Si le Pape avec toute sa prêtraille est discordant d’avec nous, il ne faut point que nous nous troublions pour cela. Au reste, saint Paul prouve la vraie affection de religion par la continuation et par la véhémence ; qui était une vertu singulière principalement en ce temps-là, que les Juifs étaient affligés extrêmement.

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En quoi juge-t-on incroyable parmi vous que Dieu ressuscite des morts ?

Il ne faut point douter qu’il n’ait maintenu et prouvé par raisons et témoignages de l’Ecriture, ce qu’il enseignait de la résurrection et de la vie céleste. Mais il renvoie à bon droit à la puissance de Dieu ceux auxquels il parle, afin qu’ils ne jugent point de la résurrection selon la petite capacité de leur sens humain. Car il n’y a rien plus difficile à persuader, que la restauration qui doit être faite des corps, après qu’ils auront été réduits à néant. Pour ce donc que c’est un mystère qui surmonte de beaucoup l’entendement humain, que les fidèles se souviennent qu’il faut ici considérer combien s’étend au long et au large la vertu infinie de Dieu, et non point que c’est qu’ils peuvent comprendre ; connue saint Paul aussi lui-même déclare Philippiens 3.21. Car après avoir dit que notre corps vil sera transfiguré au corps glorieux de Jésus-Christ, tout de suite après il ajoute. Selon cette efficace, par laquelle il peut même assujettir toutes choses à soi. Or toutefois coutumièrement les hommes sont outrageux et ingrats envers Dieu, qui ne veulent point que son bras s’étende plus loin que ne peut atteindre leur sens. Ainsi ils voudraient s’ils le pouvaient, restreindre la grandeur de ses œuvres qui surmonte le ciel et la terre, dedans les bornes étroites de leur sens. Au contraire, saint Paul nous exhorte de considérer ce que Dieu peut ; afin qu’étant haut élevés par-dessus le monde, nous apprenions à concevoir la foi de la résurrection, non point par la capacité minime et faible de notre entendement, mais par sa puissance infinie.

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Quant à moi donc, il est vrai que j’avais pensé en moi-même qu’il fallait agir beaucoup contre le nom de Jésus de Nazareth,

Si S. Paul n’eût dit plus de choses que S. Luc n’a rapportées jusqu’à présent, ce serait un propos rompu. Dont nous pouvons recueillir ce que j’ai dit ci-dessus, qu’ayant fait mention de l’alliance de Dieu, il a traitée de l’office et grâce de Jésus-Christ, comme la chose le requérait. Or la raison pourquoi il répète l’histoire de sa conversion, c’est non seulement afin qu’il montre qu’on ne le doit réprimander sans raison, mais aussi afin qu’il témoigne qu’il a été divinement appelé, et même contraint par commandement céleste. Car ce que contre toute sa délibération il a été soudainement changé de loup en brebis, une si violente mutation sert grandement à faire ajouter foi à sa doctrine. Pour cette raison il amplifie l’ardeur de nuire, de laquelle il était furieusement transporté contre les membres de Jésus-Christ, et l’obstination à laquelle il était du tout adonné. Si dès sa première jeunesse il eût été instruit en la foi de Christ, ou bien qu’étant enseigné par quelque homme, il l’eût embrassée de son bon gré et sans aucune répugnance, Il est vrai que en son particulier il eût été bien certain de sa vocation, mais elle n’eût pas été si bien connue des autres. Mais maintenant comme ainsi soit que brûlant d’une fureur obstinée, et qu’on ne pouvait fléchir, il a changé de propos sans être induit par occasion quelconque, ni persuadé par quelque homme mortel, ne voit-on pas bien qu’il a été dompté de la main de Dieu ? Cette antithèse donc ou opposition emporte grand poids, quand il explique qu’il a été élevé d’une perverse outrecuidance, tellement qu’il a pensé de pouvoir vaincre et venir à bout de Jésus-Christ ; par laquelle opposition il a voulu montrer que ce qu’il a été fait disciple du Fils de Dieu, ce n’a point été par ce qu’il en eût quelque goût ou sentiment en son esprit. Le nom de Jésus de Nazareth est ici pris pour toute la profession de l’Evangile, laquelle saint Paul avait délibéré d’éteindre totalement, entreprenant la guerre contre Dieu par ce moyen sans y penser.

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ce que j’ai fait aussi à Jérusalem, et j’ai enfermé dans des prisons plusieurs des saints, en ayant reçu le pouvoir des principaux sacrificateurs ; et lorsqu’on les faisait mourir, j’y donnais mon suffrage ;

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Il prouve par les faits mêmes, de quelle impétuosité de zèle il a été transporté pour combattre Jésus-christ, jusqu’à tant qu’il a été retiré d’une violence et force plus grande, qui l’a fait tourner tout au rebours. Or il avait ses adversaires pour témoins de cette véhémence, tellement que c’était une chose bien certaine qu’il avait été bien soudainement changé. Et certes les Sacrificateurs ne lui eussent point donné cette commission s’il ne se fut porté vaillamment à exercer cruauté. Et il fallait bien qu’il fut fort courageux, de pouvoir satisfaire à leur rage. Cependant il faut noter que saint Paul n’a point eu honte de confesser combien il avait péché grièvement contre Dieu moyennant que cela tournât à la gloire du Seigneur Jésus. A la vérité ce lui était un grand opprobre, qu’étant ainsi furieusement transporté d’un zèle aveugle, il avait contraint ceux qui désiraient servir à Dieu de prononcer des horribles blasphèmes, fait beaucoup de fâcheries aux bons et simples, donné sa sentence qu’on devait répandre le sang innocent ; bref, avoir dressé ses cornes contre le ciel, jusqu’à ce qu’il ait été renversé par terre. Mais il n’épargne point sa réputation, qu’il ne produise volontiers son opprobre, moyennant que par cela la miséricorde de Dieu soit plus ouvertement manifestée. Par quoi on ne pouvait trouver aucun mauvais soupçon en son propos ; vu que n’ayant nul égard à soi, il s’impute de son bon gré à blâme et à crime les choses par lesquelles il avait obtenu louange et applaudissement envers le peuple. Et pourtant il condamne de forcènerie son zèle, lequel les autres honoraient. Dont il apparaît combien est sotte l’ambition de ceux qui ont honte de confesser simplement la faute qu’ils auront faite par ignorance et erreur. Car combien qu’ils ne l’excusent point du tout, néanmoins ils tâchent d’amoindrir ou farder les choses par lesquelles ils devaient demander pardon en toute humilité, et avec larmes et grande amertume de cœur. Au contraire, saint Paul, comme ainsi soit qu’il peut garder le renom d’homme sage et discret, atteste qu’il a été insensé et forcené. Car c’est ce que signifie le mot Grec duquel saint Luc use ici, quant à ce qu’il en a contraint plusieurs à blasphémer. Par ceci nous reconnaissons qu’il y avait mêmes parmi les prémices des croyants, c’est-à-dire en la première Eglise, beaucoup de gens de petite valeur, vu qu’après avoir fait profession d’être des écoliers de Jésus-Christ, ayant depuis perdu courage ou de crainte ou par tortures, ils ont non seulement renié et désavoué le Fils de Dieu, mais aussi blasphémé son saint nom ; combien que déjà le renoncement de soi contient un blasphème horrible.

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et souvent, dans toutes les synagogues, en les punissant, je les contraignais de blasphémer ; et étant transporté contre eux d’une extrême fureur, je les persécutais jusque dans les villes étrangères.

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Dans ces circonstances, me rendant à Damas, avec pouvoir et autorisation des principaux sacrificateurs,

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au milieu du jour, je vis, ô roi, sur le chemin, une lumière qui venait du ciel, et dont l’éclat surpassait celui du soleil, resplendir autour de moi et de ceux qui faisaient route avec moi.

Ce récit tend à ce but, que le Roi Agrippa entende que ce n’a point été un fantôme ou vaine illusion, ni une telle extase, qui lui ôtât l’entendement et jugement. Car combien qu’étant effrayé il soit tombé par terre, toutefois il entendit une voix distincte ; il interroge qui est celui qui lui parle ; et finalement il entend bien la réponse qui lui est faite ; toutes lesquelles choses sont signes d’un esprit arrêté. Il s’ensuit de cela, qu’il n’a point changé à la volée, mais qu’il a simplement et humblement obéi à l’oracle céleste, afin qu’il ne continuât point à être rebelle à Dieu à son escient.

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Et nous tous étant tombés par terre, j’entendis une voix qui me dit en langue hébraïque : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il t’est dur de regimber contre les aiguillons.

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Mais moi je dis : Qui es-tu, Seigneur ? Et le Seigneur dit : Je suis Jésus, que tu persécutes.

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Mais lève-toi, et tiens-toi sur tes pieds ; car voici pourquoi je te suis apparu : pour t’établir ministre et témoin, tant des choses que tu as vues que de celles pour lesquelles je t’apparaîtrai ;

Jésus-Christ a abattu Paul par terre, afin qu’il l’humiliât ; maintenant il le redresse, et veut qu’il prenne bon courage. Et nous aussi sommes tous les jours abattus par sa voix à cette même fin, à savoir que nous apprenions à être modestes et humbles ; mais ceux qu’il a abattus, sont soudain relevés par lui en bénignité et douceur. Et c’est une consolation singulière, quand Jésus-Christ prononce qu’il lui est apparu, non point comme voulant le punir, et prendre vengeance de sa forcènerie insensée, de ce qu’il avait injustement et cruellement tourmenté et battu les innocents, ni de ses sentences meurtrières prononcées contre les fidèles, ne de la fâcherie qu’il avait faite aux saints ; mais comme Seigneur propice et favorable, qui se veut servir de son labeur, et lui fait même ce bien de l’appeler à un état et ministère honorable. Car il le constitue témoin des choses qu’il a vues, et qu’il verra puis après. C’était déjà une vision bien digne de mémoire que celle-ci, de laquelle il avait appris que Jésus-Christ règne au ciel, afin qu’il ne le méprisât plus d’une façon orgueilleuse ; mais le reconnut le Fils de Dieu, et le Rédempteur promis. Il a eu depuis d’autres révélations, comme on peut voir par ce que lui-même explique, 2 Corinthiens 12.

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en te délivrant de ce peuple et des païens, vers lesquels je t’envoie,

Ce propos tend à armer Paul contre toutes craintes qui lui devaient advenir, et en même temps à le préparer à porter la croix. Toutefois vu qu’il ajoute tantôt après que Paul viendra pour illuminer les yeux des aveugles, pour réconcilier à Dieu ceux qui avaient été aliénés de lui, et pour mettre en état de salut ceux qui étaient perdus ; on se pourrait étonner pourquoi il ne promet aussi que tous ceux auxquels Paul communiquera de si excellents biens, lui feront de leur côté un recueil joyeux et favorable. Mais ici est notée l’ingratitude du monde ; car il rend une récompense du tout contraire à ceux qui leur administrent la vie éternelle ; comme les frénétiques se jettent de furie sur leurs médecins pour les maltraiter. Et Paul est exhorté qu’en quelque part qu’il aille, une grande partie de ceux auxquels il tâchera de faire du bien le haïront, en sorte qu’ils machineront sa mort et ruine. Or il explique expressément, qu’il est destiné et ordonné pour témoin tant aux Gentils qu’aux Juifs, à cette fin qu’on ne lui impute à vice, ce qu’il a indifféremment fait l’Evangile commun tant aux uns qu’aux autres. Car c’était à raison de cela que les Juifs avaient conçu contre lui une haine si envenimée, pour autant qu’ils étaient marris que les Gentils étaient mis en pareil degré qu’eux. Et combien qu’ils fissent semblant de faire cela de zèle, de peur que l’alliance que Dieu avait faite avec la postérité d’Abraham, ne fut profanée, quand elle serait transférée aux étrangers ; tant il y a toutefois que ce n’était qu’une pure ambition qui les poussait furieusement à cela ; d’autant qu’ils voulaient être tous seuls haut élevés, et ranger tous les autres dessous eux. Au reste, en la personne d’un seul homme, tous fidèles docteurs sont exhortés à faire leur office, afin que la malice des hommes ne les empêche de continuer à offrir la miséricorde de Dieu aux pauvres et misérables pécheurs, quelques indignes qu’ils soient.

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pour ouvrir leurs yeux, pour qu’ils se convertissent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, pour qu’ils reçoivent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part parmi ceux qui sont sanctifiés.

Il semble que saint Paul s’attribuant ce qui est propre à Dieu seul, s’élève trop haut. Car nous savons qu’il n’y a que le Saint Esprit qui illumine les yeux de l’entendement. Nous savons qu’il n’y a autre libérateur et rédempteur que Jésus-Christ, qui nous délivre de la tyrannie du diable. Nous savons qu’il n’y a que Dieu seul qui ôte et efface nos péchés, et nous adopte en la portion et héritage des saints. Mais c’est un usage assez commun en l’Écriture, que Dieu transfère aux ministres l’honneur qui est dû à lui seul, non point pour ôter ou diminuer quelque chose du sien, mais afin qu’il fasse valoir l’efficace de Son Esprit, laquelle, il déploie en eux. Car il ne les envoie point en l’œuvre pour être instruments oisifs et morts, ou pour être comme joueurs de farce ; mais afin qu’il travaille puissamment par leur main. Et ce que leur prédication soit fructueuse, cela dépend de la vertu secrète de Dieu, qui fait tout en tous, et donne accroissement lui seul. Les docteurs donc sont envoyés ou mis en travaille non point pour jeter en vain des paroles en l’air, ou pour battre seulement les oreilles d’un son inutile, mais pour apporter lumière vivifiante et salutaire aux aveugles, pour réformer les cœurs des hommes en vraie obéissance de la justice de Dieu, et pour ratifier la grâce de salut acquise par la mort du Seigneur Jésus. Mais ils ne font rien de tout cela, sinon dans la mesure où Dieu travaille par eux, à ce que leur labeur ne soit inutile ; en sorte que toute la louange demeure par devers lui, comme aussi l’effet tient de lui. Par quoi il nous faut noter que toutes les fois que l’Écriture élève le ministère externe si honorablement, il ne le faut séparer du Saint Esprit, lequel le vivifie, ni plus ni moins que l’âme vivifie le corps. Car il montre en d’autres passages, combien il s’en faut que l’industrie des hommes fasse quelque chose de soi ; et même combien elle est inutile de soi. Car c’est bien à eux de planter et arroser ; mais quant à donner l’accroissement, il n’appartient qu’à Dieu seul, 1 Corinthiens 3.6. Au reste, pour ce que plusieurs sont empêchés par leur ignorance ou malignité de recevoir de l’Evangile telle utilité et fruit qu’ils devaient, cette description est bien digne d’être observée, laquelle déploie brièvement et clairement durant les yeux ce trésor inestimable. Ainsi donc voici le but de l’Evangile, qu’étant délivrés de l’aveuglement de l’entendement, nous soyons faits participants de la lumière céleste ; qu’étant rachetés de la domination cruelle de Satan, nous soyons convertis au Seigneur ; qu’ayant obtenu la rémission gratuite des péchés, nous ayons part à l’héritage éternel entre les saints. Il faut que nous avons là tous nos sens concentrés, si nous voulons faire fruit en l’Evangile comme il convient.

Car quel profit nous apportera la prédication continuelle de celui-ci, de laquelle nous ne saurons pas le vrai usage ? Et en même temps le moyen parfait de notre salut nous est ici décrit. Tous disent bien qu’ils désirent d’être sauvés ; cependant toutefois il y en a bien peu qui s’avisent comment Dieu veut les sauver. Ce passage donc lequel comprend fort proprement le moyen, est comme une clef pour ouvrir la porte des cieux. Davantage, il faut comprendre que tout le genre humain est naturellement destitué et dépourvu de ces biens que le Seigneur Jésus-Christ affirme que nous obtenons par la foi de son Evangile. Ainsi il s’ensuit-il que tous les hommes sont aveugles, s’ils ne sont illuminés par foi ; que tous sont esclaves de Satan, sinon que par la foi ils sont affranchis de sa tyrannie ; que tous sont ennemis de Dieu, et coupables de mort éternelle, sinon que par la foi ils obtiennent la rémission des péchés. Ainsi quand nous sommes hors de Jésus-Christ et de sa foi, il n’y a rien si misérable que nous. On peut aussi connaître par cela, combien il s’en faut qu’il y ait quelque chose de reste pour le franc-arbitre et les mérites des hommes. Quant à une chacune partie, l’illumination se rapporte à la connaissance de Dieu, d’autant que toute notre subtilité n’est que pure vanité et ténèbres épaisses, jusqu’à ce que Dieu nous éclaire et illumine les yeux par sa vérité. Ce qui s’ensuit puis après s’étend bien plus loin, à savoir : Etre converti de ténèbres à lumière. Car cela se fait, quand nous sommes renouvelés de l’esprit de notre entendement. Et pourtant, selon mon avis, ce membre et l’autre suivant sont conjoints ensemble, quand il est dit : Etre converti à Dieu de la puissance de Satan. Car ce renouvellement lequel saint Paul déclare plus amplement Ephésiens 2.10 ; 4.23, est exprimé par diverses formes de parler. S’ensuit après, la rémission des péchés par laquelle Dieu nous réconcilie à soi gratuitement ; afin que nous ne doutions point qu’il sera apaisé envers nous se montrera favorable. Finalement, l’accomplissement du total est mis en dernier lieu, à savoir l’héritage de la vie éternelle. Quand il dit : Par la foi, cela ne se rapporte point à ce mot : Sanctifiez (comme certains l’exposent mal) car il s’étend à toute la clause. Le sens donc est : Que par foi nous entrons en possession des biens qui sont offerts par l’Evangile. Or la foi proprement a ses yeux dressés sur Jésus-Christ. Car toutes les parties de notre salut sont encloses en lui ; et l’Evangile ne nous montre point de les chercher ailleurs qu’en celui-ci.

26.19

En conséquence, ô roi Agrippa, je ne résistai point à la vision céleste ;

Il remontre en bref maintenant à quelle intention il a raconté l’histoire de sa conversion ; à savoir afin qu’il donnât à entendre à Agrippa et aux autres assistant, qu’il avait Dieu pour auteur de toutes les choses que les Juifs condamnaient de sacrilège et apostasie. Il s’adresse nommément à Agrippa, d’autant qu’il savait bien que Festus et les Romains n’entendaient point ce que voulait dire vision céleste. Au reste, quant a la somme de la doctrine que saint Paul dit avoir prêchée, il apparaît bien qu’il n’y a rien qui soit discordant ou éloigné de la Loi et des Prophètes. Ce qui confirme d’autant plus la certitude de cette vision, par laquelle il n’a été enjoint à Paul d’enseigner sinon choses bien accordantes à l’Ecriture. La conversion à Dieu est conjointe avec la repentance ; non pas que ce soient choses diverses ; mais afin que nous entendions que c’est se repentir ; comme aussi au contraire la corruption et perversité des hommes n’est autre chose qu’une séparation d’avec Dieu. Or pour ce que repentance est une chose intérieure, et qui réside en l’affection du cœur, saint Paul requiert en second lieu les œuvres, qui rendent témoignage de celle-ci ; suivant l’exhortation de Jean Baptiste : Faites fruits dignes de repentance, Matthieu 3.8. Or comme ainsi soit que l’Evangile de Jésus-Christ appelle tous à repentance, il s’ensuit que tous les hommes naturellement sont vicieux et corrompus, et ont besoin de changement. De plus, ce passage nous enseigne que ceux qui séparent la grâce de Jésus-Christ d’avec la repentance, ne savent ce qu’ils disent, et pervertissent l’Evangile bien sottement.

26.20

mais à ceux de Damas premièrement, et ensuite à Jérusalem, et dans tout le territoire de la Judée, et aux païens, je prêchais de se repentir, et de se convertir à Dieu, en faisant des œuvres dignes de la repentance.

26.21

C’est à cause de ces choses que des Juifs, s’étant emparés de moi dans le temple, cherchaient à me tuer.

Il se plaint ici de l’iniquité outrageuse de ses ennemis, afin que par cela on connaisse qu’ils soutiennent une mauvaise cause d’une mauvaise conscience. Car si saint Paul eût offensé, ils pouvaient poursuivre par justice. Et en cela leur condition eût été encore meilleure que la sienne, vu qu’ils avaient beaucoup plus de crédit et autorité. La rage donc qui les transporte rend témoignage qu’ils n’ont pas la raison pour eux. Quant à ce que saint Paul dit qu’il a été préservé par l’aide de Dieu, cela sert pour confirmer sa doctrine. Car d’où vient cela que Dieu lui tend la main, sinon d’autant qu’il le reconnaît pour son Ministre, et approuvant sa cause la veut maintenir ? Joint que le secours de Dieu lui devait donner courage, à telle fin que tant plus constamment il continuât à faire son office. Car c’eût été à faire à un homme ingrat, s’il se fût reculé de celui qui lui tendait les bras pour le secourir. Par lequel exemple nous sommes aussi enseignés, que toutes les fois que nous sommes délivrés des dangers, ce n’est pas à dire que le Seigneur nous prolonge la vie, afin que puis après nous nous abâtardissions par lâcheté et paresse ; mais afin que faisant notre office allègrement, nous soyons prêts de mourir à toutes heures pour la gloire de celui qui nous a réservés pour soi. Nonobstant saint Paul n’avait mis en oubli combien il était tenu au Capitaine ; mais il magnifie ici l’aide de Dieu, afin qu’il montre qu’il ne devait autrement faire, sinon d’employer tout le reste de sa vie au service de celui, par lequel il avait été secouru ; combien que cela eût été fait par la main d’un homme.

26.22

Mais ayant obtenu le secours qui vient de Dieu, j’ai subsisté jusqu’à aujourd’hui, rendant témoignage aux petits et aux grands, ne disant rien en dehors de ce que les prophètes et Moïse ont prédit devoir arriver ;

On a pu voir ailleurs, que Témoigner ou Rendre témoignage, est plus qu’Enseigner ; comme si une adjuration solennelle était faite entre Dieu et les hommes, afin que l’Evangile ait telle majesté qu’il lui appartient. Or il dit qu’il a rendu témoignage et aux petits et aux grands, afin que le Roi Agrippa sente que ceci lui appartient aussi ; et que quand la doctrine de salut est offerte aux plus petits mêmes, cela n’empêche point qu’elle ne monte aussi jusques à la hautesse des grands Rois. Car Jésus-Christ recueille en son soin gracieux tous hommes d’un même embrassement, afin que ceux qui gisaient auparavant en la fiente, étant élevés en un si grand honneur, se réjouissent et se glorifient en sa bonté gratuite ; et que ceux qui sont situés en degré haut et honorable, s’abaissent de leur bon gré, et ne se fâchent d’avoir des frères du plus bas rang et méprisé,à ce qu’eux aussi soient faits enfants de Dieu. Ainsi Romains 1.14, il dit qu’il est débiteur aux fous et aux sages ; afin que les Romains ne soient empêchés par la folle confiance de leur sagesse, de se soumettre à sa doctrine. Apprenons par ceci que ce n’est point à faire à un docteur, de choisir des auditeurs à sa convenance et fantaisie ; et que ceux qui restreignent leur labeur et ministère aux grands, font tort à Dieu, aussi bien qu’ils défraudent les hommes de ce qui leur appartient ; vu que Dieu met en ceci les grands pour compagnons avec les petits. De restreindre aux âges ces mots de Petit et Grand, ce serait une exposition étriquée. Par quoi je ne doute point qu’ils ne soient mis pour ôter l’exception qu’on eût peu faire des nobles ou des petits et méprisés ; et signifier que saint Paul n’a point craint la grandeur des premiers, ni dédaigné la petitesse des autres, qu’il ne fît office de fidèle docteur indifféremment envers les uns et les autres.

Ne disent rien que les choses, etc. Ceci est bien digne d’être noté en premier lieu, que saint Paul pour avoir des témoins idoines de sa doctrine, ne les prend point des hommes ; mais allègue Moïse et les Prophètes, auxquels Dieu avait donné une autorité indubitable. Et de fait, c’est la seule et vraie maxime pour enseigner une doctrine ferme, de ne mettre rien en avant, sinon ce qui est certain être procédé de la bouche de Dieu. Davantage, il nous faut noter que les principaux points de toute la dispute, ont été ceux que saint Luc explique maintenant : Que c’a été le propre office de Jésus-Christ de satisfaire pour les péchés du monde par sa mort, d’acquérir justice et vie bienheureuse aux hommes par sa résurrection ; et que le fruit de sa résurrection et de sa mort est commun tant aux Juifs qu’aux Gentils. Or comme ainsi soit qu’il n’y ait nul témoignage clair ou selon la lettre, de sa mort ou résurrection en toute la Loi, il ne faut point douter qu’ils n’aient eu une doctrine qu’ils tenaient de main en main des Pères, par laquelle ils apprissent de rapporter toutes les figures au Seigneur Jésus. Et quant aux Prophètes qui ont plus ouvertement prophétisé de Jésus-Christ, tout ainsi qu’ils ne puisaient que de cette source-là, aussi ont-ils donné à connaître aux gens de leur temps, qu’ils n’enseignaient rien qui fut nouveau, ou discordant de Moïse. Au reste, il faut bien dire, ou que saint Paul n’a pas parachevé son excuse, ou bien qu’il a recueilli des témoignages plus clairs de toutes les choses, lesquelles il avait protesté que Moïse et les Prophètes étaient ses garants et auteurs.

Et qu’il fut le premier de la résurrection. Il est vrai qu’il y en a eu d’autres qui sont ressuscités auparavant, voire si nous accordons que les saints desquels il est fait mention dans les Evangiles, sortirent des sépulcres avant Christ, Matthieu 27.52 ; ce qu’il faut bien dire d’Enoch et Elie qui furent enlevés, Genèse 5.24 ; 2 Rois 2.11 ; mais il appelle Jésus-Christ, Le premier de la résurrection, en tel sens qu’il l’appelle ailleurs, les prémices de ceux qui ressuscitent, 1 Corinthiens 15.23. Par ainsi ce mot dénote plutôt la cause que l’ordre du temps ; d’autant que Christ ressuscitant est sorti victorieux sur la mort, et Prince de la vie, afin qu’il régnât perpétuellement, et qu’il fît ses fidèles participants à jamais de son immortalité bienheureuse. Par ce mot de Lumière, est compris tout ce qui appartient à la pleine et entière félicité ; comme par les ténèbres l’Ecriture signifie en plusieurs passages la mort, et toutes sortes de misères. Et je ne doute point que saint Paul n’ait fait allusion aux sentences des Prophètes : Le peuple qui cheminait en ténèbres a vu une grande lumière, Esaïe 9.2. De même : Voici les ténèbres couvriront la terre, et obscurité les peuples ; mais le Seigneur sera vu sur toi, Esaïe 60.2. De même : Voici la lumière se lèvera sur ceux qui sont en ténèbres, Esaïe 42.16. De même : Je l’ai ordonné pour la lumière des Gentils, Esaïe 42.6 ; 49.6. Or que de Judée la lumière de vie devait être répandue jusques aux Gentils, il apparaît par plusieurs Prophéties.

26.23

que le Christ devait souffrir, et qu’étant le premier ressuscité d’entre les morts, il devait annoncer la lumière au peuple et aux païens.

26.24

Or comme il parlait ainsi pour sa défense, Festus dit à haute voix : Tu es hors de sens, Paul ; ton grand savoir te met hors de sens.

Cette exclamation de Festus montre bien combien la vérité de Dieu profite envers les réprouvés ; à savoir pour autant qu’elle soit claire et bien appuyée, ils ne laissent point toutefois de la mépriser et fouler aux pieds par leur orgueil. Car combien que tout ce que saint Paul avait traité, pris de la Loi et des Prophètes, ne contînt rien qui ressemble à des rêveries, mais plutôt fut fondé sur très bonne raison ; néanmoins Festus l’attribue à l’égarement de sens ; non point qu’il voie en cela quelque absurdité ou chose mal convenable ; mais d’autant qu’il rejette avec mépris tout ce qu’il ne comprend pas. Il n’y avait rien plus sot ou plus fade que les superstitions des Gentils, en sorte que les plus grands prélats mêmes avaient honte de découvrir leurs mystères ; et à bon droit, d’autant que ce n’étaient que badinages tant et plus ridicules. Festus reconnaît dans les propos de saint Paul un savoir profond ; cependant toutefois pour ce que l’Evangile est une chose cachée aux incrédules, auxquels Satan a aveuglé l’entendement (2 Corinthiens 4.3) il pense que ce soit un fantastique, qui entortille des propos ambigus et perplexes. Par ce moyen, soit déjà qu’il n’ose rire ne mépriser ouvertement, tant il y a néanmoins que tant s’en faut qu’il soit ému, qu’il tienne saint Paul comme un homme transporté de son sens, et follement curieux. Cela fait aussi qu’il ne daigne point y appliquer son esprit, de peur qu’il ne s’enveloppe en une même folie. Comme il y en a plusieurs aujourd’hui, qui se retirent de la parole de Dieu, de peur de de plonger en un labyrinthe ; et pensent que nous soyons des insensés, qui en faisant des questions de choses secrètes et cachées, nous rompons la tête, et sommes ennuyeux aux autres. Par quoi étant exhortés par cet exemple, demandons à notre bon Dieu, qu’en nous manifestant la lumière de sa doctrine, il nous la fasse aussi goûter à bon escient ; afin qu’elle ne nous soit rendue fade par son obscurité, et que finalement le dédain orgueilleux que nous en concevrions, ne s’excite jusqu’au blasphème.

26.25

Et Paul dit : Je ne suis point hors de sens, très excellent Festus, mais je prononce des paroles de vérité et de bon sens.

Saint Paul ne se courrouce point, et ne reprend point âprement la parole de Festus, laquelle contenait blasphème ; mais il lui parle honorablement. Car il n’était pas question d’user là de quelque rude répréhension ; et puis il fallait supporter l’ignorance du personnage ; vu qu’il ne s’élevait pas contre Dieu de propos délibéré. Saint Paul avait aussi égard à la personne ; car combien qu’il fut indigne d’honneur, néanmoins il présidait là avec autorité. Or toutefois en ce faisant si ne donne-il point lieu au blasphème, qu’il ne maintienne à la parole de Dieu la gloire qu’elle mérite. Dont aussi nous connaissons qu’il n’a regardé à soi-même, mais a été seulement soigneux de la doctrine. Car il ne se vante point de sa subtilité, il ne débat point, et ne se tourmente pour magnifier sa prudence ; mais se contente de cette seule défense, qu’il n’enseigne rien qui ne soit vrai, et de sens rassis. Or la vérité est ici opposée à toutes tromperies et mensonges ; et le sens rassis aux spéculations frivoles, ou aux subtilités entortillées, qui ne sont autre chose que semences de contentions. Il est vrai que S. Paul vient au-devant de l’erreur de Festus ; mais cependant on peut recueillir de ceci, quelle est la bonne façon d’enseigner ; à savoir celle qui non seulement est nette de toutes faussetés, mais aussi à cela qu’elle n’enivre point les esprits des hommes de vaines questions, et ne lâche point la bride à une sotte curiosité, et n’entretient point un désir immodéré de savoir plus que de raison ; mais est modérée à édification ferme et solide.

26.26

Car il est bien informé de ces choses, le roi à qui aussi je parle avec assurance ; je suis persuadé qu’il n’ignore rien de ces choses ; car ceci ne s’est pas passé en cachette.

Il s’adresse au Roi Agrippa, auquel il y avait plus d’espérance. Et premièrement il dit que l’histoire de ces choses lui est bien connue ; mais il le renvoie incontinent à la Loi et aux Prophètes. Car il ne lui eût pas beaucoup profité de savoir ce qui avait été fait, s’il n’eût aussi bien su, que les choses qui avaient été prédites de Christ, étaient accomplies en la personne de Jésus crucifié. Au reste, quant à ce que saint Paul ne doute point de la foi d’Agrippa, il ne le fait point tant pour le louer que pour exempter l’Écriture de tout contredit, à ce qu’il ne soit contraint de s’arrêter aux premiers rudiments. Le sens donc est, que l’Écriture est hors de tout doute ; en sorte qu’il n’est licite à un homme Juif de diminuer rien de son autorité, voire tant peu que ce soit. Cependant toutefois ce n’est pas que saint Paul le flatte. Car combien qu’il ne portât une telle révérence à l’Ecriture comme devait un vrai fidèle, tant il y a toutefois qu’il avait appris ce rudiment dès sa première jeunesse, qu’il était persuadé que rien n’était là contenu, que purs oracles et révélations de Dieu. Tout ainsi que combien que le commun des hommes ne se soucie pas beaucoup de la parole de Dieu, nonobstant il reconnaît en général et de manière confuse, que c’est la parole de Dieu, en sorte que pour le moins il a des scrupules de conscience de la rejeter ou mépriser.

26.27

Crois-tu aux prophètes, roi Agrippa ? Je sais que tu y crois.

26.28

Et Agrippa répondit à Paul : Il s’en faut peu que tu me persuades de me faire chrétien.

Pour le moins Paul a gagné cela, qu’il a arraché une confession non volontaire du Roi Agrippa ; comme ceux qui ne peuvent plus résister à la vérité, ont coutume de faire signe, ou pour le moins de donner quelque semblant de consentement. Il est vrai que le Roi Agrippa signifie bien qu’il ne serait point volontiers Chrétien, voire qu’il ne le voudrait point être ; cependant toutefois qu’il ne peut y résister, mais qu’il est aucunement tiré malgré soi. Dont apparaît combien est grande l’obstination de l’Esprit humain, jusques à ce qu’il soit rangé par l’Esprit de Dieu en vraie obéissance. Quant à ce qui est dit : En peu de temps tu me veux faire Chrétien, on l’a exposé en diverses sortes. Laurent Valle a pensé qu’il fallait ainsi traduire : Il ne s’en faut guère que tu ne me fasses Chrétien. Erasme l’a ainsi tourné : En une petite partie. L’ancien traducteur l’a tourné plus amplement, en cette sorte : En peu ; d’autant que pour le moins le traduisant de mot a mot, il a laissé les lecteurs en leur liberté. Et de fait, il se peut bien commodément rapporter au temps, comme si Agrippa eût dit : Tu me feras incontinent Chrétien, ou en peu de temps. Si quelqu’un réplique, que la réponse de saint Paul ne convient point à cela ; la solution est facile à donner ; car d’autant qu’il y avait ambiguïté en cette façon de parler d’Agrippa, S. Paul a proprement et de bonne grâce tiré à la chose ce qui avait été dit du temps. Comme ainsi soit donc que le Roi Agrippa entendît qu’il avait été presque fait Chrétien en bien peu de temps, S. Paul a répondu qu’il désirerait que tant lui que tous ceux qui étaient là, de ces petits commencements montassent a de plus grands progrès. Toutefois je ne trouve pas mauvais qu’on l’expose : A peu près. Or cette réponse rend témoignage combien le cœur de ce bon et saint serviteur de Dieu était embrasé d’une ardeur de zèle à étendre de tous côtés la gloire du Seigneur Jésus, quand portant patiemment les liens dans lesquels le Gouverneur le détenait, il désire que celui-ci sorte des liens mortels de Satan, et d’avoir tant lui que les autres pour compagnons et participants de la grâce de salut qu’il leur prêchait, se contentant cependant de sa condition fâcheuse et ignominieuse. Il nous faut bien noter qu’il ne désire point simplement ceci, mais que ce fut la bonne volonté de Dieu ; comme c’est à lui à faire de nous tirer au Fils ; d’autant que la doctrine extérieure sera toujours froide et sans fruit, sinon que le Saint Esprit enseigne au dedans.

Hors mis ces liens, etc. Il est certain que saint Paul ne s’est point tant fâché de ses liens, dans lesquels il se glorifie bien souvent, et lesquels il met en avant par honneur, comme les ornements et armoiries de son ambassade, Galates 6.17 ; mais il a égard a ceux pour lesquels il prie qu’ils soient fidèles sans croix et aucune fâcherie. Car eux qui ne croyaient point encore en Jésus-Christ, étaient encore bien loin de cette affection, d’être prêts de batailler pour l’Evangile. Et de fait, il est convenable que tous fidèles aient cette mansuétude, qu’ils portent paisiblement leurs fâcheries ; et quant aux autres, qu’ils leur désirent paix et repos, et qu’ils s’étudient dans leur mesure, de les relever de tout ennui ; et ne leur portent point d’envie de leur aise et repos. Or cette humanité et modération est bien loin du chagrin et de l’aigreur de ceux qui cherchent de s’alléger de leurs maux en les désirant aux autres.

26.29

Mais Paul dit : Qu’il s’en faille peu ou beaucoup plaise à Dieu que, non seulement toi, mais aussi tous ceux qui m’écoutent aujourd’hui vous deveniez tels que je suis, à l’exception de ces liens !

26.30

Et le roi se leva, et le gouverneur, et Bérénice, et ceux qui étaient assis avec eux.

26.31

Et s’étant retirés à part, ils parlaient entre eux disant : Cet homme n’a rien fait qui soit digne de mort ou de liens.

Ceci a tourné à grand honneur à l’Evangile, que saint Paul a été absous par la commune opinion de tous. Et Festus s’accordant avec les autres, se condamne soi-même, vu qu’en étant inique et déraisonnable, il avait réduit et contraint Paul à cette extrémité ; c’est à savoir en exposant la vie de celui-ci aux embûches de ses adversaires, sous couleur de le faire changer de lieu. Or combien que l’appel semble être dommageable à ce fidèle serviteur de Dieu ; néanmoins pour ce qu’il n’avait autre remède pour éviter la mort, il demeure paisible, et ne se tourmente point pour se démêler de ce filet ; non seulement pour ce que la chose n’était plus en son entier, mais pour ce qu’il avait été exhorté en la vision que Dieu l’appelait à Rome aussi.

26.32

Et Agrippa dit à Festus : Cet homme pouvait être mis en liberté, s’il n’en eût appelé à César.

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