Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre XXVIII

28.1

Et après avoir été sauvés, nous reconnûmes alors que l’île s’appelait Malte.

Au commencement de ce chapitre saint Luc explique ce spectacle hideux ; quand tant d’hommes mouillés de l’eau de la mer, et souillés des écumes et de la boue, et semblablement gelés, se sont traînés à grand peine et difficulté jusques au bord. Car cela était autant, comme si étant tirés hors des gouffres de la mer, ils eussent été jetés à une autre espèce de mort diverse. Saint Luc explique conséquemment que les Barbares les recueillirent bénignement, qu’ils allumèrent du feu pour sécher leurs habits et pour dégourdir leurs membres qui étaient roides de froid ; finalement ils furent à l’abri de la pluie, et mis à couvert. Or combien que la nature commune arrache des nations même barbares quelque affection de miséricorde en telle nécessité, tant il y a toutefois qu’il est bien certain que Dieu a fléchi à bénignité les cœurs des habitants de Malte, à ce que sa promesse fut ferme, laquelle on eût pu penser être imparfaite, si quelqu’un de cette troupe fut mort de ce naufrage.

28.2

Et les barbares nous montrèrent une humanité peu ordinaire ; en effet, ayant allumé un grand feu, ils nous en firent tous approcher, à cause de la pluie qui s’était établie, et à cause du froid.

28.3

Mais Paul, ayant ramassé une certaine quantité de bois sec et l’ayant mis sur le feu, une vipère en sortit, par l’effet de la chaleur, et s’attacha à sa main.

L’événement avait déjà montré que saint Paul était un vrai et certain Prophète de Dieu. Maintenant à cette fin que Dieu l’ennoblisse sur la terre, comme il avait naguère fait sur la mer, il confirme les oracles précédents par un nouveau miracle, et par ce moyen il établit son Apostolat entre ces Barbares habitants de Malte. Or combien qu’il n’y en ait pas eu beaucoup qui aient fait leur profit de ceci, toutefois la majesté de l’Evangile a resplendi même entre les incrédules ; et puis c’a été aussi à l’endroit de ceux qui avaient été au navire une grande confirmation des révélations auxquelles ils n’avaient pas porté grande révérence. Aussi ceci n’est point advenu par cas fortuit, que la vipère est sortie hors des sarments ; mais le Seigneur l’a adressée par son conseil secret pour mordre saint Paul, sachant bien que cela servirait à magnifier la gloire de son Evangile.

28.4

Et quand les barbares virent la bête suspendue à sa main, ils se dirent les uns aux autres : Assurément cet homme est un meurtrier, puisque, après qu’il a été sauvé de la mer, la Justice n’a pas permis qu’il vécût.

Cette opinion a été reçue de tous temps et par tout, que ceux qui enduraient quelque grand mal, étaient coupables de quelque grand crime aussi. Et de fait, cette persuasion n’a point été pour néant conçue, mais plutôt elle est procédée d’un bon et droit sentiment de la crainte de Dieu. Car à cette fin que Dieu rendît le monde inexcusable, il a voulu que ceci fut engravé dans les cœurs de tous : Que les afflictions et adversités, et principalement les grandes calamités et inconvénients notables sont enseignements de son ire, et de sa juste vengeance contre les péchés. Pour cette raison toutes les fois que quelque calamité mémorable advient, en même temps il vient en mémoire que Dieu est gravement offensé ; vu qu’il exerce si rigoureusement son jugement, et d’une façon si dure. Et de fait, l’impiété n’est jamais venue jusqu’à ce point, que tous hommes n’aient retenu ce principe, que Dieu envoyait des punitions notables aux méchants, afin qu’il se montrât être le grand Juge du monde. Mais d’autre part cet erreur a presque toujours obtenu, que sans exception les hommes ont condamné de forfait et crime tous ceux qu’ils ont vu être durement et rigoureusement traités. Mais combien que Dieu châtie toujours les offenses et péchés des hommes par adversités et afflictions, tant il y a toutefois qu’il ne punit pas en cette vie présente un chacun également, selon qu’il a mérité. Et quelques fois les afflictions des fidèles ne sont pas tant punitions qu’épreuves de la foi et exercices de patience. Par quoi ceux qui constituent une règle générale en ceci, qu’ils estiment d’un chacun selon la prospérité ou adversité, s’abusent grandement. Or c’a été le principal point de la dispute entre Job et ses amis (Job 4.7) d’autant qu’ils débattaient que celui qui était affligé de Dieu, était un homme réprouvé et haï de Dieu ; et lui au contraire répliquait, que les fidèles étaient quelque fois humiliés par la croix. Afin donc que ne nous abusions en cet endroit, il nous faut donner garde de deux choses. La première est : que ne jugions point hâtivement et à la volée des hommes qui nous sont inconnus, n’ayant rien devant nos yeux que le seul événement. Car d’autant que Dieu afflige les bons et mauvais indifféremment, et qui plus est, épargnant bien souvent les réprouvés, il punit ses fidèles plus gravement et d’une façon plus rude ; avant que nous puissions bien et droitement juger, il faut commencer par un autre bout que par les peines ; à savoir que nous nous enquérions des faits et de toute la vie. Si quelque adultère, si quelque blasphémateur, si quelque trompeur, ou parjure, ou meurtrier, ou brigand, ou quelque homme dissolu est puni ; Dieu nous montre alors son jugement comme au doigt. Si nul crime ou forfait ne nous apparaît, il n’y a rien de meilleur que de suspendre notre jugement quant à la punition.

L’autre chose de laquelle nous nous devons garder, c’est que nous ne soyons trop bouillants, mais que nous attendions la fin. Car quand Dieu commence à frapper, son intention ne nous est pas tout aussi tôt manifestée, mais plutôt l’issue diverse nous montre finalement qu’il y a grande distance devant Dieu entre ceux qui devant les yeux du monde semblent bien être conjoints ensemble par ressemblance de punitions. Si on objecte que ce n’est sans cause qu’il est répété tant de fois en la Loi, que toutes les misères tant particulières que générales sont autant de fléaux de Dieu ; je confesse bien cela être vrai ; mais je dis aussi que cela n’empêche de rien, que Dieu n’épargne certains pour un temps, selon que bon lui semble, combien qu’ils soient les plus méchants de tous les hommes ; et des autres, qu’il n’en fasse une punition plus grave, combien que leur coulpe. soit moindre. Cependant notre devoir est de ne faire point perpétuel ce qui advient ordinairement. Or nous voyons maintenant en quoi ces gens de Malte ont été abusés ; à savoir que sans s’enquérir de la vie, ils ont opinion que saint Paul était un homme méchant, et n’ont autre raison que la morsure de la vipère ; d’avantage, qu’ils sont trop hâtifs à prononcer leur sentence, ne pouvant attendre la fin. Cependant, il nous faut noter que ceux qui s’efforcent d’arracher de leurs cœurs le sentiment du jugement de Dieu, sont des monstres exécrables, vu que ce sentiment est engravé naturellement en nous tous, et même dans les cœurs des hommes barbares et sauvages. Quant à ce que ces Maltais font plutôt saint Paul coupable de meurtre que de quelque autre forfait, en cela ils suivent cette raison, que le meurtre a été toujours grandement détestable sur tous autres crimes.

La vengeance ne permet point de vivre. Ils concluent qu’il est méchant, d’autant qu’après qu’il a échappé de la mer, voici la vengeance qui le poursuit. Or ils avaient une opinion entre eux, qu’il y avait une déesse de la vengeance, qui était assise auprès du trône royal de Jupiter. Et il est vrai que cela était une imagination lourde et grossière, comme auront les gens ignorants de la vraie religion ; toutefois il y avait là-dessous un sens bien passable, comme s’ils eussent imaginé Dieu juge du monde. Au reste, par ce mot est distinguée la colère de Dieu d’avec déesse Fortune, et ainsi est maintenue la doctrine du gouvernement et jugement de Dieu, à l’encontre de tous ceux qui disent que les choses adviennent seulement par accident et par cas fortuit. Car les Maltais entendent que c’est un signe évident de la vengeance céleste, que saint Paul ayant déjà sauvé, néanmoins ne peut demeurer en sûreté.

28.5

Lui donc, ayant secoué la bête dans le feu, n’en éprouva aucun mal.

Quand il secoue ainsi ce serpent, il montre bien qu’il avait l’esprit calme et reposé. Car nous savons comment la crainte trouble et débilite les hommes, ce n’est pas à dire toutefois que saint Paul fut du tout sans crainte. Car la foi ne nous rend point du tout hébétés et stupides, comme aucuns fantastiques imaginent follement, étant loin des coups et à leur aise. Mais soit déjà que la foi n’ôte point le sentiment des maux, néanmoins elle l’adoucit, de peur que l’ébranlement ne transporte les cœurs des fidèles plus loin qu’il ne faut, et afin que toujours ils retiennent une droite assurance. Ainsi S. Paul sachant bien que la vipère est une bête nuisible, toutefois s’appuyant sur la promesse qui lui avait été faite, n’a point craint cette morsure mortelle jusques-là, qu’il en fût troublé ; et pour ce aussi qu’il était prêt à la mort, si besoin eût été.

28.6

Eux cependant s’attendaient à ce qu’il enflerait ou tomberait mort subitement. Mais ayant attendu longtemps, et voyant qu’il ne lui arrivait rien d’extraordinaire, ayant changé de sentiment, ils disaient que c’était un dieu.

Ce changement tant admirable et non attendu, devait toucher à bon escient les cœurs des Maltais, à ce qu’ils donnassent gloire à la bonté et miséricorde de Dieu ; comme auparavant ils avaient fait la vengeance. Mais comme la raison humaine est toujours follement transportée aux extrémités, tout soudain ils font Paul d’un homme méchant et meurtrier, un dieu. Mais si l’un ou l’autre devait avoir lieu, il valait mieux qu’il fut réputé meurtrier que Dieu. Et à la vérité, S. Paul eût beaucoup mieux désiré, non seulement être condamné d’un forfait ou crime, mais aussi être tout couvert de toutes sortes de blâmes et vilenies, voire plongé jusques aux enfers, que de tirer à soi la gloire de Dieu. Et ceci était assez connu de tous ceux qui l’avaient entendu prêcher au milieu des orages. Toutefois il se peut faire que ces gens de Malte après avoir été enseignés, aient reconnu que Dieu était auteur de ce miracle. Or apprenons de cette histoire, à attendre d’un cœur paisible et posé une issue bienheureuse après les adversités, qui du commencement semblent bien tendre au désavantage de la gloire de Dieu. Qui est celui de nous qui n’eut été grandement surpris d’un tel spectacle, lequel armait les méchants à dire outrages contre la gloire de l’Evangile et la charger de diffamations ? Nous voyons toutefois comment Dieu y a remédié de bonne heure. Ne doutons donc point qu’après qu’il aura permis que ses fidèles soient offusqués de scandales, il ne convertisse finalement les ténèbres en lumière, en leur apportant un remède commode et opportun. Cependant souvenons-nous qu’il nous faut bien garder du jugement de la chair. Et pour autant que les hommes s’oublient volontiers, demandons au Seigneur l’esprit de modération, qui nous contienne en une bonne et droite mesure. Davantage, soyons enseignés par ceci comment le monde est enclin à superstition. Et qui plus est, c’est une perversité qui prend volontiers naissance avec nous, que nous prenons plaisir à orner les créatures des attributs du Créateur. Par quoi on ne se doit étonner si en tout temps nouvelles erreurs ont bourgeonné régulièrement ; vu qu’il n’y a homme qui ne soit ouvrier merveilleux dès le ventre de la mère à faire et forger des idoles. Mais afin que de cela on ne prenne prétexte d’excuse, cette histoire rend bon témoignage, que la fontaine et source des superstitions est que les hommes étant ingrats envers Dieu, transfèrent sa gloire ailleurs.

28.7

Or, aux environs de ce lieu, se trouvaient des terres qui appartenaient au premier personnage de l’île, nommé Publius, qui nous reçut et nous logea amicalement durant trois jours.

Pour ce que ce nom de Publius est un nom Romain, je pense que celui duquel saint Luc fait ici mention, était plutôt citoyen Romain, que natif de cette île. Car ce n’était pas la coutume des Grecs ni des autres étrangers, sinon que ce fussent gens de basse condition, d’emprunter des noms des Latins. Or il se peut bien faire que quelqu’un des principaux de Rome était là pour cette heure, visitant ses possessions ; et qu’il est appelé le principal de l’île, non pas pourtant que ce fut là son habitation ; mais pour ce qu’il n’y en avait point là qui eût de si grandes richesses et si amples possessions. Or à grand-peine est-il vraisemblable, que toute cette compagnie de Grecs ait été là traitée libéralement par l’espace de trois jours. Je pense plutôt qu’en recevant le Centenier en sa maison, il a aussi fait cet honneur à S. Paul et à ses compagnons, d’autant qu’étant averti par le miracle, il croyait que S. Paul était un homme agréable à Dieu. Toutefois quelque chose qu’il y ait, son hospitalité n’a point été sans récompense. Car bientôt après le Seigneur a retiré le père de Publius d’une forte et dangereuse maladie, lui donnant guérison par la main de saint Paul ; et a voulu donner à connaître par cela, quel plaisir il prend à telle humanité qui est faite aux pauvres et souffreteux. Soit déjà que bien souvent ceux qui ont reçu quelque secours, soient ingrats des bénéfices qu’ils ont reçus, et les mettent en oubli, ou bien n’aient point la puissance de rendre la pareille ; tant il y a toutefois que Dieu lui-même récompensera abondamment le bien qu’on aura fait aux hommes par son commandement. Mais encore il advient quelque fois, qu’à ceux qui sont bénins et exercent hospitalité, il adresse aucuns de ses serviteurs, qui apportent bénédiction avec eux. C’était déjà un grand honneur, qu’en la personne de Paul, Publius avait reçu pour hôte le Seigneur Jésus. Mais voici pour fournir au comble, que saint Paul est venu équipé du don de guérison, par lequel non seulement il peut rendre la pareille, mais aussi donner beaucoup plus qu’il n’avait reçu. On ne sait si puis après le père de Publius reçut les rudiments de la foi, comme il advient volontiers que les miracles disposent les ignorants et incrédules à docilité et obéissance. Saint Luc dénote l’espèce de la maladie, pour mieux magnifier la grâce de Dieu. Car comme ainsi soit qu’il est bien difficile de guérir un flux de sang, et que la guérison en est fort tardive, principalement quand la fièvre est mêlée avec ; la santé n’a point été rendue à cet homme ancien si soudainement sans une vertu manifeste de Dieu, attendu que pour toute application il n’y a eu que l’imposition des mains et la prière.

28.8

Or il arriva que le père de Publius était au lit, malade de la fièvre et de la dysenterie. Paul étant entré auprès de lui, et ayant prié, le guérit en lui imposant les mains.

Saint Paul en faisant cette prière, déclare qu’il n’est point auteur du miracle, mais seulement ministre ; afin que Dieu ne soit frustré de sa gloire. Il confirme cela même par signe extérieur. Car comme on a pu voir ci-dessus en d’autres passages, l’imposition des mains n’a été autre chose qu’une cérémonie ordinaire d’oblation. Par quoi saint Paul offrant de ses mains un homme à Dieu, a montré qu’il lui demandait la vie de celui-ci humblement. Par lequel exemple non seulement sont exhortés ceux qui ont des grâces excellentes de Dieu, de se garder qu’en s’élevant par orgueil ils n’obscurcissent la gloire de Dieu ; mais aussi en général nous sommes tous enseignés qu’il faut savoir tellement gré aux Ministres de la grâce de Dieu, que cependant toute la gloire demeure par devers lui seul. Il est vrai qu’il est dit que S. Paul guérit cet homme qui avait le flux de sang ; mais par les circonstances ajoutées il est exprimé bien ouvertement, que ce fut Dieu qui lui fit ce bien par le ministère de Paul. Quant à ce que S. Luc explique puis après, que les autres malades de cette île aussi ont été guéris, il ne l’étend point à tous, mais il entend seulement que la vertu de Dieu, qui déjà était apparue assez ouvertement, a été approuvée par plusieurs témoignages, à cette fin que l’Apostolat de S. Paul fut d’autant plus confirmé. Or il ne faut point douter que S. Paul ne se soit employé aussi bien à guérir les âmes que les corps. Toutefois saint Luc n’explique point quel profit il s’en est suivi ; sinon que les gens de l’île à son départ le fournirent, tant lui que sa compagnie, des choses qui étaient nécessaires pour le voyage. Cependant ceci doit être bien observé, que combien que S. Paul eût plusieurs moyens en main pour échapper, toutefois la volonté de Dieu lui a servi (par manière de dire) de ceps volontaires ; d’autant qu’il avait été appelé souvent par oracle céleste, à être témoin de Dieu devant le siège judicial de Néron. Davantage, il savait bien que s’il se rendait fugitif, le chemin lui serait désormais fermé à publier l’Evangile, tellement qu’il demeurerait toute sa vie inutile en quelque coin.

28.9

Cela étant donc arrivé, les autres habitants de l’île qui étaient malades vinrent aussi, et ils étaient guéris.

28.10

Ils nous rendirent aussi de grands honneurs, et, à notre départ, ils nous pourvurent de ce qui nous était nécessaire.

28.11

Or au bout de trois mois nous nous embarquâmes sur un vaisseau d’Alexandrie qui avait passé l’hiver dans l’île, et qui portait pour enseigne les Dioscures.

Saint Luc signifie par ces paroles, ou que le premier navire fut échoué, ou qu’il était tellement rompu et brisé, qu’il n’a pu servir depuis. Et par cela peut-on mieux connaître combien le naufrage a été sérieux et pesant. Or il raconte expressément que ce navire d’Alexandrie, qui les conduisait jusqu’à Rome, avait pour enseigne Castor et Pollux ; afin que nous sachions que le choix n’a point été donné à S. Paul de naviguer avec ses semblables ; mais qu’il a été contraint d’entrer en navire dédié à deux idoles. Or la fiction des Poètes anciens est telle, que Castor et Pollux ont été engendrés de Jupiter et de Léda ; dont aussi en Grec ils sont nommés Dioscuri, duquel mot S. Luc a ici usé, comme si on disait, les fils de Jupiter. D’avantage, ils ont forgé que ce sont les signes au Zodiaque, qu’on appelle Gemini. Aussi entre les mariniers il y a eu une superstition, que les exhalations de feu, lesquelles on aperçoit au temps des tempêtes, sont ceux-ci mêmes. Et pourtant on a cru que c’étaient les dieux de la mer, et les a-t-on invoqués pour tels ; comme on fait aujourd’hui S. Clément et S. Nicolas, et autres semblables. Et même, comme on n’a fait seulement que changer les noms en la Papauté, et on a retenu les erreurs anciens ; aujourd’hui ils adorent ces exhalations sous le nom de S. Hermès, ou de saint Elme. Or pour ce que c’est un mauvais présage, quand on n’aperçoit qu’une exhalation toute seule ; mais quand il y en a deux, c’est signe que le voyage sera heureux et profitable, comme dit Pline ; afin que ces mariniers d’Alexandrie eussent Castor et Pollux favorables, ils avaient mis l’enseigne de tous deux en leur navire. Ainsi quant à eux, le navire était pollué d’un malheur sacrilège ; mais pour ce que saint Paul ne l’avait pas choisi de son bon gré, il n’en tire aucune pollution sur soi. Et certes, vu que l’idole n’est rien, elle ne peut infecter les créatures de Dieu, ni faire que les fidèles n’en puissent user purement et licitement. Et en général il faut avoir pour résolu que toutes les ordures desquelles Satan tâche de souiller les créatures de Dieu par ses enchantements, ne peuvent être lavées que par une pure conscience ; vu que les infidèles au contraire polluent par leur attouchement immonde les choses qui d’elles sont pures et nettes. Bref, l’entrée de ce navire n’a non plus souillé saint Paul, que le regard des autels en la ville d’Athènes ; d’autant qu’étant pur et exempt de toute superstition, il savait assez que tous les services divins des Gentils et Païens n’étaient que pures illusions. De plus, il ne pouvait tomber en aucun soupçon envers les hommes, qu’il consentît aucunement à cet erreur profane. Car s’il lui eût fallu faire quelque semblant de présenter quelque honneur et service à Castor et Pollux, il eût mieux aimé beaucoup endurer la mort cent fois. Pour autant donc qu’il n’était à craindre qu’aucun se scandalisât de lui en cela, il entra au navire hardiment. Néanmoins il n’y a nul doute que ce n’ait été avec gémissement et tristesse, pour ce qu’il voyait l’honneur de Dieu être attribué à des idoles mortes, et vaines inventions. Par quoi il faut entre ses exercices compter aussi celui-ci, qu’il a eu pour guides et conducteurs de son chemin des gens qui pensaient être gouvernés par les idoles, et qui avaient mis le navire en la garde et protection de ceux-ci.

28.12

Et ayant abordé à Syracuse, nous y demeurâmes trois jours.

Saint Luc poursuit le reste de la navigation, à savoir, qu’ils arrivèrent premièrement en Sicile. Puis après à cause de l’impétuosité de la mer ils tournoyèrent pour venir en Italie. Or tout ainsi que ce port duquel saint Luc fait ici mention, est renommé entre les ports de Sicile ; aussi est-il plus loin du havre d’Italie, que n’est le port de Messine, à l’opposite duquel la ville de Reggio est située, de laquelle il parle ici. Ce Reggio est en la contrée des Brutiens, comme Pouzzoles est une ville de Campanie. Au reste, comme ainsi soit que saint Paul ait été retenu par les frères à Pouzzoles l’espace de sept jours, nous pouvons bien recueillir de cela, comment le Centenier l’a traité bénignement et humainement. Et de ma part, je pense bien que ce saint serviteur de Dieu lui avait promis de se trouver toujours prêt à l’heure assignée. Et aussi le Centenier avait telle persuasion de la prudhommie et fidélité de saint Paul, qu’il ne craignait point qu’il lui fît quelque mauvais tour. Cependant nous pouvons bien recueillir de ce passage, qu’alors la semence de l’Evangile était déjà bien dispersée ; comme ainsi soit qu’à Pouzzoles même il y avait quelque corps d’Eglise.

28.13

De là, en longeant la côte, nous arrivâmes à Reggio. Et un jour après, le vent du sud s’étant levé, nous vînmes en deux jours à Pouzzoles ;

28.14

où ayant trouvé des frères, nous fûmes priés de demeurer avec eux sept jours : et ainsi nous vînmes à Rome.

28.15

Et de là les frères, ayant appris ce qui nous concernait, vinrent au-devant de nous jusqu’au forum d’Appius, et aux Trois-Tavernes ; et Paul les voyant, rendit grâces à Dieu, et prit courage.

Par cette venue des frères Dieu encouragea encore son serviteur, afin qu’il allât plus joyeusement à maintenir et défendre l’Evangile. Or la sainte sollicitude et le zèle des frères se montre en cela, qu’ils s’enquièrent de la venue de saint Paul, et sortent pour aller au-devant de lui. Car lors ce n’était pas seulement une chose odieuse de faire profession de la foi Chrétienne, mais c’était aussi pour les mettre en danger de perdre la vie. Et n’était question seulement d’un petit nombre de. gens, qui se missent en quelque danger particulier ; car la haine en tombait sur toute l’Eglise. Mais ils n’ont rien en si grande recommandation que de faire ce devoir d’humanité, duquel ils ne se pouvaient déporter qu’ils ne se montrassent lâches et ingrats. C’eut été une barbarie et cruauté de mépriser un si excellent apôtre du Fils de Dieu, vu même qu’il était en telles fâcheries pour le profit commun de tous. Et puis, vu qu’il leur avait déjà écrit auparavant, et s’était le premier offert à s’employer pour eux, c’eut été une grande lâcheté aux autres de ne lui montrer mutuellement une bénévolence fraternelle. Ainsi donc les frères ont montré par une telle humanité la crainte et religion qu’ils avaient envers le Seigneur Jésus ; et le zèle de saint Paul a été plus enflammé, d’autant qu’il voyait devant ses yeux du fruit qu’apporterait sa constance et persévérance. Car combien qu’il fut muni d’une force invincible, en telle façon qu’il ne dépendait point des secours des hommes ; néanmoins Dieu qui a coutume de fortifier les siens par moyens qui sont pris des hommes, lui a donné en cette façon une vigueur nouvelle. Puis après quand il fut délaissé de tous étant en prison, comme il se plaint lui-même ailleurs (2 Timothée 4.10 ; il n’a point toutefois perdu courage ; mais il a guerroyé vaillamment sous l’enseigne de Christ, autant hardiment et courageusement, que s’il eût mené de fortes et grandes armées sous soi en bataille. Mais encore lors même la mémoire de cette rencontre servit à l’inciter, quand il venait à penser en soi-même, qu’il y avait plusieurs bons frères à Rome, mais infirmes, auxquels il était envoyé pour les fortifier. Pour le présent il ne faut point que nous nous étonnions si saint Paul a pris courage après avoir vu les frères ; et ce d’autant qu’il espérait bien qu’il y aurait grand fruit en la confession de sa foi. Car toutes les fois que Dieu montre à ses serviteurs quelque fruit de leur labeur, par manière de dire il leur donne un aiguillon pour les inciter, à ce qu’ils continuent en son œuvre de plus grand courage.

28.16

Et quand nous fûmes arrivés à Rome, le centenier remit les prisonniers au préfet du prétoire ; mais à Paul il fut permis de demeurer en son particulier, avec le soldat qui le gardait.

Saint Luc signifie que plus grande grâce a été faite à saint Paul qu’aux autres. Car il a eu une condition diverse et particulière. Car il lui fut permis de faire sa demeure en une maison privée ; ayant avec soi un soldat pour le garder ; et les autres furent mis en prison publique. Car le Capitaine général connut par le rapport de Festus, que saint Paul n’était coupable de forfait quelconque. Et le Centenier (comme on peut bien penser) rapporta fidèlement ce qui pouvait servir à lui faire trouver grâce. Toutefois sachons que Dieu a adouci les liens de son serviteur, non seulement à cette fin qu’il allégeât ses fâcheries, mais aussi afin que les fidèles eussent plus facile accès vers lui. Car il n’a point voulu que le trésor de la foi de son serviteur fut tenu enserré dedans l’enclos de la prison ; mais qu’il fut publiquement déployé, à cette fin que plusieurs en fussent enrichis et çà et là. Au reste, saint Paul ne fut pas tenu si librement, qu’il ne fut toujours enchaîné.

28.17

Or il arriva que, trois jours après, Paul convoqua les principaux des Juifs ; et quand ils furent réunis, il leur disait : Hommes frères, quoique je n’eusse rien commis contre le peuple ni contre les coutumes de nos pères, fait prisonnier à Jérusalem, j’ai été livré entre les mains des Romains,

Certes voici une mansuétude admirable en saint Paul ; que combien que ceux de sa nation l’eussent gravement tourmenté et fait de terribles outrages, toutefois il tâche bénignement d’apaiser les Juifs qui étaient à Rome, et s’excuse envers eux, afin que la cause ne leur soit odieuse, pourtant qu’ils aient que les Sacrificateurs lui étaient contraires. Il est certain qu’il n’avait point faute de raisonnable excuse envers les hommes, quand il se fut retiré vers les Gentils, laissant là les Juifs. Car combien que par plusieurs années il eût fait tout son effort en plusieurs lieux pour les amener au Seigneur Jésus, néanmoins ils s’en étaient aigris d’autant plus ; et cependant ni en Asie, ni aussi en Grèce, non pas même en Jérusalem, il n’avait rien omis de toutes les choses qui pouvaient apaiser leur fureur. Ainsi donc tous lui eussent pu pardonner à bon droit, s’il eût quitté et laissé là ceux qu’il avait expérimentés tant de fois être désespérément obstinés. Mais pour ce qu’il savait que son maître était ordonné par le Père céleste pour être ministre aux Juifs, à cette fin que les promesses fussent accomplies, par lesquelles Dieu avait adopté la semence d’Abraham pour son héritage et peuple, Romains 15.8, il ne se lasse jamais, ayant les yeux dressés sur cette vocation de Dieu. Il voyait bien qu’il lui fallait demeurer à Rome ; et d’autant qu’on lui donnait liberté d’enseigner, il ne voulait pas qu’ils fussent privés du fruit de son labeur. Davantage, il ne voulait point qu’en haine de sa cause ils fussent poussés à troubler l’Eglise ; d’autant qu’une bien petite occasion eût apporté un grand dommage à l’Eglise. Il s’est donc bien voulu garder de leur donner matière d’allumer un feu pernicieux selon leur rage accoutumée.

Hommes frères, combien que je n’aie, etc. Il y avait deux choses qui le pouvaient rendre odieux envers les Juifs ; à savoir s’ils eussent conçu opinion de lui, ou qu’il eût porté dommage au bien public de sa nation, comme aucuns apostats accroissaient par leur révolte la servitude qui n’était déjà que trop âpre ; ou qu’il eût violé le service de Dieu. Car combien que les Juifs fussent dévoyés de leurs Pères, et que la religion fut souillée et corrompue de beaucoup d’erreurs et superstitions entre eux ; tant il y a toutefois que le nom seul de la Loi et le service du temple étaient en grande révérence. Or saint Paul ne nie pas qu’il n’ait franchement omis les cérémonies, lesquelles les Juifs étaient superstitieusement attachés ; mais il rejette de soi le blâme et crime d’apostasie, duquel il pouvait être suspect. Pour cette cause il faut que nous entendions qu’il appelle coutumes des Pères, par lesquelles il a fallu que les enfants d’Abraham et les disciples de Moïse selon leur foi, fussent distingués des autres peuples et nations. Et de fait, en adhérant d’une façon si sainte et sacrée à Jésus-Christ, lequel est l’âme et la perfection de la Loi, tant s’en faut qu’il ait rien dérogé aux coutumes des Pères, qu’il n’y en avait point qui les observât si entièrement que lui.

28.18

qui, après m’avoir interrogé, voulaient me relâcher, parce qu’il n’y avait rien en moi qui méritât la mort.

28.19

Mais les Juifs s’y opposant, j’ai été contraint d’en appeler à César, sans que j’aie aucun dessein d’accuser ma nation.

Cette appellation était pleinement odieuse, pour ce qu’il semblait bien que cela était pour opprimer plus fort la prérogative et liberté du peuple des Juifs, qui eussent bien désiré de vivre selon leurs lois. Et de plus, d’autant qu’en défendant cet appel, il semblait bien que cela fut au déshonneur et dommage de tout le peuple. Il vient donc au-devant de cette objection, disant que la dure obstination de ses ennemis l’avait contraint de recourir à cette franchise. Car cette nécessité l’excuse, pour ce que nul autre moyen d’éviter la mort ne lui était demeuré de reste. Or ayant donné excuse du temps passé, il promet aussi pour l’avenir de défendre sa cause en telle manière, qu’il ne le fera point contre les Juifs.

28.20

C’est donc pour ce sujet que j’ai demandé à vous voir et vous parler ; car c’est à cause de l’espérance d’Israël que je suis lié de cette chaîne.

Il nous faut beaucoup plus entendre sous ce seul mot, que saint Luc n’exprime ; comme on peut aussi recueillir par la réponse, où les Juifs font mention de la secte ; à savoir réitérant son propos, duquel saint Luc ne fait mention. Saint Paul donc a traité de Christ ; afin qu’il donnât bien à entendre, que sans lui les Juifs ne peuvent rien avoir qui leur profite, ni le temple, ni la Loi ; et la raison est pour ce que l’alliance d’adoption est fondée en lui, et la promesse de salut ratifiée. Et aussi ils ne doutaient point que la pleine restauration du Royaume ne dépendît de l’avènement du Messie ; et lors l’état des choses perdu et désespéré augmentait le désir et espérance que le peuple avait de sa venue. Par quoi S. Paul dit à bon droit qu’il est enchaîné pour l’espérance d’Israël. Nous sommes aussi enseignés par ceci, que nul ne peut bien espérer et comme il appartient, sinon qu’il dresse les yeux sur Jésus-Christ et sur son Royaume spirituel. Car certes constituant l’espérance des fidèles en Christ, il exclut toutes autres espérances.

28.21

Et eux lui dirent : Nous n’avons point reçu de lettres de Judée à ton sujet ; et il n’est venu non plus aucun frère qui ait rapporté ou dit aucun mal de toi.

28.22

Or nous estimons juste d’entendre de toi-même ce que tu penses ; car, à l’égard de cette secte, il nous est connu qu’on la contredit partout.

Les Sacrificateurs et les Scribes ne s’étaient point tu, pour s’être tant soi peu adoucis envers Paul, qu’ils l’épargnassent ; mais plutôt cela avait été fait ou par mépris, ou par désespoir ; d’autant qu’ils n’avaient point bien le moyen de l’opprimer si loin ; et d’autre part, ce qu’il avait été mené en Italie, leur pouvait sembler comme si on l’eût jeté en un sépulcre. Car ils dominaient fièrement et sans souci ; pourvu qu’aucun ne leur fît fâcherie sur leur fumier. Au reste, les Juifs, soit déjà qu’ils ne viennent pas totalement nets pour l’entendre, montrent toutefois quelque affection d’apprendre, quand ils ne refusent point d’ouïr la défense de sa doctrine, à laquelle on contredisait partout. Car plusieurs ayant conçu auparavant quelque opinion, se ferment le chemin à eux-mêmes, pour ce qu’ils ne peuvent écouter ce qui est rejeté par le jugement du commun, mais viennent à consentir à l’opinion des autres, pour rejeter et condamner une doctrine qui leur est inconnue. Cependant, comme j’ai dit, cela était déjà mauvais, qu’ils lui objectent la contradiction, pour l’accuser de rage, ou pour le moins le charger de quelque mauvais soupçon ; comme s’il n’avait pas été prédit par Esaïe que Dieu serait pierre d’achoppement à tout le peuple. Or au jour assigné on ne saurait pas bien dire si saint Paul a continuellement parlé, ou bien s’ils ont disputé d’un côté et d’autre ; sinon qu’on peut bien conjecturer par la circonstance du temps, que saint Paul n’a pas toujours parlé tout d’une suite. Car à grand peine pouvait-il continuer ses propos depuis le matin jusques au soir. Par quoi je ne doute point qu’après que saint Paul a eu exposé la somme de l’Evangile en bref, il n’ait aussi donné lieu aux auditeurs de s’enquérir ou disputer de leur côté, et qu’il n’ait répondu aux objections et questions qui lui étaient proposées. Au reste, il faut noter le principal point de toute la dispute, lequel saint Luc divise en deux. Car en premier lieu saint Paul a montré quel était le Royaume de Dieu entre eux ; et principalement quelle était la souveraine félicité, et la gloire qui leur était promise, laquelle est si hautement célébrée partout dans les Prophètes. Car comme il y en avait plusieurs d’entre eux qui imaginaient un état caduque du Royaume de Dieu en ce monde, et que faussement ils le constituaient en délices, en aises et en abondance des biens présents ; il fallait bien qu’une vraie définition fut donnée, pour leur donner bien à entendre que le Royaume de Dieu est spirituel ; et que le commencement de celui-ci réside en nouveauté de vie ; et la fin est la gloire céleste, et l’immortalité éternelle et bienheureuse.

Secondement, saint Paul les a exhortés à recevoir le Seigneur Jésus-Christ comme auteur de la félicité promise. Et derechef ce point est divisé en deux membres. Car il ne pouvait être traité pleinement et avec fruit, qu’il ne déclarât en même temps l’office du Rédempteur promis ; et d’avantage qu’il ne montrât ouvertement qu’il était déjà manifesté, et que le Fils de Marie est celui auquel les Pères avaient espéré. Bien est vrai que cette maxime était reçue entre tous les Juifs, que le Messie devait venir, qui remettrait en bon ordre toutes choses ; mais saint Paul s’est arrêté sur l’autre partie, laquelle n’était pas si bien connue ; à savoir qu’un Messie avait été promis qui dût effacer les péchés du monde par le sacrifice et oblation de sa mort, qui dût apaiser Dieu envers les hommes, qui dût acquérir la justice éternelle, qui dût former les hommes à l’image de Dieu, en les régénérant par son Esprit ; et finalement qui dût faire ses fidèles, héritiers avec soi de la vie céleste ; et que toutes ces choses avaient été accomplies en la personne de Jésus-Christ crucifié. Or il ne pouvait traiter de ces choses, qu’il ne retirât les Juifs de leurs imaginations lourdes et terrestres, afin qu’il les élevât au ciel, et en même temps ôtât le scandale de la croix, en démontrant qu’il n’y avait point d’autre moyen pour nous réconcilier à Dieu. Or cependant il nous faut noter que tout ce que saint Paul enseigne de Jésus-Christ, il l’a pris de la Loi et des Prophètes. Car en ceci consiste la différence de la vraie religion d’avec toutes les autres fausses et controuvées, qu’elle a la seule parole de Dieu pour règle. En ceci aussi consiste la différence de l’Eglise de Dieu, d’avec toutes les sectes profanes, qu’elle n’écoute parler autre que Dieu, et se laisse gouverner par lui. Au reste par ceci on voit l’accord qu’il y a entre le vieil et nouveau Testament pour établir la foi en Christ, et avec ce la double utilité de l’Écriture, de laquelle même saint Paul fait si grande estime autre part ; à savoir qu’elle est suffisante tant pour instruire les dociles, que pour repousser l’obstination de ceux qui s’opposent à la vérité, Tite 1.9. Ceux donc qui désirent être sages à sobriété, et qui veulent bien et droitement enseigner les autres, qu’ils se limitent ces bornes, de ne rien mettre en avant qui ne soit tiré de la pure fontaine de l’Écriture. Les Philosophes procèdent autrement, d’autant qu’ils ne combattent que par raisons, pour ce qu’ils n’ont entre eux aucune autorité ferme. Et les Papistes les suivent trop sottement en ce que rejetant la vérité de Dieu, ils se reposent seulement sur ce qui aura été forgé au cerveau de l’homme, c’est-à-dire sur des pures folies.

28.23

Et lui ayant assigné un jour, ils vinrent à lui, en plus grand nombre, dans son logis ; et depuis le matin jusqu’au soir, il leur exposait le royaume de Dieu, rendant témoignage, et cherchant à les persuader, par la loi de Moïse et par les prophètes, de ce qui regarde Jésus.

28.24

Et les uns étaient persuadés par ce qu’il disait ; mais les autres ne croyaient point.

Saint Luc explique que l’issue de la dispute a été telle finalement, que tous n’ont pas également profité en la doctrine qui leur fut proposée à tous ensemble. Nous savons que ce S. apôtre était doué d’une telle grâce du Saint Esprit, que c’était pour amollir les pierres. Cependant toutefois en parlant à eux par plusieurs heures, et continuant grands propos, voire même leur témoignant, il n’a pu obtenir ceci, qu’il les gagnât tous à Jésus-Christ. Par quoi ne nous étonnons point si plusieurs aujourd’hui résistent par leur incrédulité obstinée à la doctrine de l’Evangile si claire et manifeste ; et si plusieurs demeurent endurcis, auxquels la vérité du Fils de Dieu n’a point été moins manifestée, que le soleil reluit en plein midi. Joint que ceux-ci qui étaient venus à saint Paul d’eux-mêmes, comme ayant affection d’apprendre, s’en retournent aveugles et stupides. Si ainsi est qu’il y ait eu une telle obstination en des gens qui étaient auditeurs volontaires, nous étonnerons-nous si ceux qui fuient la lumière de propos délibéré, étant pleins de présomption et amertume rejettent le Seigneur Jésus d’un cœur envenimé ?

28.25

Et n’étant pas d’accord entre eux, ils se retiraient, après que Paul leur eut dit une seule parole : C’est avec raison que l’Esprit-Saint a parlé à nos pères, par Esaïe le prophète, disant :

La malice et perversité des infidèles fait que Christ qui est notre paix et le seul lien de sainte unité, soit occasion de désaccord, et mette en combat ceux qui étaient amis auparavant. Car voici, les Juifs qui s’assemblent pour entendre saint Paul, sont tous d’une même opinion, ils ont tous une même voix, ils protestent tous de recevoir la Loi de Moïse. Incontinent après qu’ils ont entendu la doctrine de réconciliation, une discorde se lève entre eux, en sorte qu’ils sont divisés en diverses bandes. Tant il y a toutefois qu’il ne faut point penser que le désaccord commence de la prédication de l’Evangile ; mais c’est que la rancune qui était auparavant cachée dedans les cœurs malins, se découvre maintenant ; tout ainsi que la lueur du soleil ne fait point de nouvelles couleurs ; mais elle découvre à plein la différence qui n’apparaissait point en ténèbres. Comme ainsi soit donc que Dieu n’illumine que ses élus, et que la foi n’est point commune à tous, souvenons-nous qu’il ne se peut autrement faire, que quand Jésus-Christ sera mis en avant, les uns ne se retirent d’avec les autres, et qu’il ne se fasse des divisions. Mais réduisons rappelons-nous ce que Siméon a prédit de lui (Luc 2.34-35) s’accomplit ; qu’il est le but de contradiction, afin que les pensées soient découvertes de plusieurs cœurs ; et que l’incrédulité qui est rebelle à Dieu, est aussi la mère des discordes.

Après que Paul leur eût dit un mot, etc. Au commencement il a tâché de les attirer paisiblement et bénignement ; maintenant après avoir connu leur obstination, il se montre plus aigre, et leur dénonce avec rigueur le jugement de Dieu. Car voilà comment les obstinés et rebelles doivent être traités ; l’arrogance desquels ne peut être dompté par une simple doctrine. C’est aussi le moyen que nous devons tenir, que nous gouvernions les dociles et débonnaires en toute mansuétude et bénignité ; mais quant aux obstinés et endurcis, il les faut renvoyer devant le siège judicial de Dieu. Or quant à ce qu’il introduit le Saint Esprit parlant, plutôt que le Prophète, cela sert pour plus grande certitude de la prophétie. Car vu que Dieu requiert d’être seul entendu, la doctrine ne peut autrement avoir telle autorité et révérence qu’il lui appartient, sinon que nous sachions bien qu’elle est procédée de lui, et qu’elle n’a point été forgée au cerveau des hommes. Davantage, il donne à entendre tacitement que là il n’est point parlé de l’obstination d’un siècle seulement, mais que c’est une Prophétie du Saint Esprit, laquelle s’étend à l’avenir.

Va à ce peuple, et dis, etc. Ce passage est fort commun ; comme il est allégué au nouveau Testament six fois, Matthieu 13.14 ; Marc 4.12 ; Luc 8.10 ; Jean 12.40 ; Rom 11.8. Mais pour ce qu’il est ailleurs amené à une autre fin, il faut entendre à quelle intention saint Paul l’accommode au présent propos. C’est qu’il a voulu, par manière de dire, rompre à grands coups de marteau, la dure obstination des méchants ; et quant aux fidèles qui étaient encore tendres et débiles, il leur a voulu donner courage, de peur qu’ils ne fussent troublés ou détournés par l’incrédulité des autres. Il veut donc dire en somme, que ce qui avait été prédit par le Prophète, s’accomplit ; et que pourtant il ne faut point que les méchants se plaisent, ou que les fidèles s’étonnent comme d’une chose nouvelle et non accoutumée. Or combien que ce soit une chose toute certaine, que l’aveuglement, duquel le Prophète Esaïe fait mention, ait commencé déjà de son temps ; nonobstant saint Jean souligne qu’il appartenait au Royaume de Christ proprement. Et pourtant c’est bien à propos que saint Paul l’applique à ce mépris de l’Evangile qu’il voyait ; comme s’il eût dit : Rien n’advient, que le Saint Esprit n’ait prédit par la bouche du Prophète Esaïe dès le temps passé. Or quant à ce que ce passage est accommodé en diverses façons, non seulement par les Evangélistes, mais aussi par saint Paul même, on peut donner facile réponse à la répugnance qui y semble être. Saint Matthieu, saint Marc et saint Luc disent que cette Prophétie a été accomplie, quand Jésus-Christ a parlé au peuple en paraboles obscures, et ne leur a point manifesté les mystères du Royaume céleste. Car lors la voix de Dieu a battu les oreilles des infidèles, de laquelle il ne devait pas advenir qu’ils fissent leur profit. Jean 12.37 ne se recule pas beaucoup de ce sens, disant que combien que Jésus-christ fît plusieurs miracles, toutefois les Juifs n’avaient pu être induits à croire, afin que ce témoignage d’Esaïe fut accompli. Les quatre Evangélistes donc s’accordent en ceci, qu’il est advenu par juste jugement de Dieu, que les réprouvés en entendant n’entendent point, et qu’en ayant des yeux ils ne voyaient point. Maintenant S. Paul rappelle ce que le Prophète a témoigné des Juifs, afin que nul ne s’étonne de leur aveuglement. Au reste, le même saint Paul au ch. 11 des Romains monte bien plus haut, disant que la cause de l’aveuglement est, d’autant que le Seigneur donne la lumière de la foi au résidu seulement, lequel il a élu de sa pure bonté et grâce. Et de fait, il est bien certain que ce que les réprouvés rejettent la doctrine de salut, cela se fait par leur propre malice ; et pourtant la coulpe réside en eux. Mais cette cause prochaine n’empêche de rien, que l’élection secrète de Dieu ne discerne entre les hommes, en sorte que ceux qui sont prédestinés à vie, croient, et que les autres demeurent stupides. Or quant aux paroles du Prophète, je ne m’y arrêterai pas longuement, pour ce que je les ai exposées ailleurs. Au reste, saint Paul n’a point curieusement expliqué ce qui est écrit en Esaïe ; mais plutôt il a accommodé les paroles de celui-ci pour les faire servir à son propos. Et pourtant il impute à leur malice l’aveuglement que le Prophète attribue au jugement occulte de Dieu. Car il est commandé au Prophète de fermer les yeux à ses auditeurs ; ici S. Paul accuse les obstinés et incrédules de son temps, de ce qu’ils se sont fermé les yeux ; combien qu’il met tous les deux distinctement : Que c’est Dieu qui par sa juste vengeance les met en cet aveuglement, et que toutefois eux-mêmes se ferment les yeux, et prennent plaisir à être aveugles ; comme aussi ce sont deux points qui s’accordent fort bien, ainsi que nous avons déclaré ailleurs. Au dernier membre, où il est dit : Afin qu’ils n’aient des oreilles, et qu’ils ne voient des yeux, et qu’ils n’entendent de cœur, Dieu montre combien sa doctrine est facile et claire, vu qu’elle suffit abondamment pour illuminer tous les sens, sinon en tant que les hommes se rendent eux-mêmes aveugles par leur propre obstination et malice, comme saint Paul enseigne aussi ailleurs, 2 Corinthiens 4.3, que son Evangile est clair, tellement qu’il n’y a personne qui ne voie clair en la lumière de celui-ci, sinon ceux qui sont destinés à perdition, auxquels Satan a crevé les yeux.

Et se convertissent, et que je les guérisse, etc. On peut recueillir de ceci, que la parole de Dieu n’est pas proposée à tous, à ce qu’ils se retournent à amendement ; mais que la voix externe retentit dans les oreilles de plusieurs sans aucune efficace du Saint Esprit, seulement afin qu’ils soient rendus inexcusables. Or l’orgueil de la chair ne gagne rien de murmurer ou contester ici contre Dieu, comme nous en voyons beaucoup qui plaident contre lui, disant que c’est une chose vaine, et même absurde d’appeler les hommes s’ils n’ont par devers eux la faculté d’obéir. Car combien que la raison nous soit cachée pourquoi c’est que Dieu se montre aux aveugles, et parle aux sourds ; néanmoins sa seule volonté, qui est la règle de toute justice, nous doit être autant que mille raisons. En ce qui est dit en la fin, il nous faut observer quel est l’effet salutaire de la parole de Dieu, à savoir la conversion des hommes ; laquelle est non seulement un commencement de santé et guérison, mais comme une résurrection de mort à vie.

28.26

Va vers ce peuple et dis : Vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez point ; et en regardant, vous regarderez, et vous ne verrez point.

28.27

Car le cœur de ce peuple s’est engraissé ; et ils ont ouï difficilement des oreilles, et ils ont fermé leurs yeux ; de peur qu’ils ne voient des yeux, et qu’ils n’entendent des oreilles, et qu’ils ne comprennent du cœur, et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.

28.28

Sachez donc que ce salut de Dieu a été envoyé aux païens ; et eux l’écouteront.

Afin que les Juifs dorénavant ne l’accusent d’apostasie, d’autant que laissant la sainte lignée d’Abraham, il se retire aux Gentils et nations profanes ; il dénonce ce que tant de fois les Prophètes avaient attesté : à savoir que le salut duquel ils étaient les propres, ou pour le moins les principaux héritiers, serait transféré aux Gentils. Toutefois quand il dit que le salut de Dieu a été envoyé aux Gentils, il entend qu’il a été envoyé en second lieu ; à savoir après que les Juifs l’ont rejeté ; comme nous avons traité ci-dessus plus amplement. Le sens donc est, qu’il ne faut point que les Juifs se plaignent de ce que les Gentils sont admis en possession de l’héritage, après qu’eux s’en seront démis. Cependant aussi quand il dit que les Gentils entendront, il ne fait pas la foi commune à tous sans exception. Car il avait assez expérimenté, comment il y en avait plusieurs même d’entre les Gentils qui résistaient méchamment à Dieu. Mais il oppose aux Juifs incrédules autant qu’il y avait de Gentils croyant, afin qu’il provoque les Juifs à jalousie, comme il est dit au Cantique de Moïse, Deutéronome 32.21. Cependant il signifie que la doctrine qui est rejetée par eux, sera offerte à d’autres, où elle ne sera point inutile.

28.29

[Et quand il eut dit cela, les Juifs s’en allèrent, ayant de grandes contestations entre eux.]

Il n’y a point de doute que la Prophétie qu’il a produite contre les méchants, ne les ait aigris d’autant plus. Car tant s’en faut qu’ils soient adoucis par répréhensions, qu’ils s’en enflamment plus fort en une rage. C’est la raison pourquoi s’étant séparés d’avec saint Paul, ils ont eu cette grande dispute entre eux, d’autant que la plus grande partie ne voulait point acquiescer. Mais vu qu’il a été disputé d’un côté et d’autre, il apparaît qu’il y en a eu d’aucuns qui ont tellement reçu ce que saint Paul avait dit, qu’ils n’ont fait difficulté de maintenir fort et ferme ce qu’ils avaient cru. Au demeurant, si quelqu’un là-dessus objecte, que l’Evangile du Fils de Dieu est une semence de contentions, ce sera en vain ; car il est certain, qu’elles ne proviennent que de la dure obstination des hommes. Et de fait, c’est un point tout résolu, que pour avoir paix avec Dieu, il nous faut bien nécessairement faire la guerre aux contempteurs de sa majesté.

28.30

Mais Paul demeura deux ans entiers dans une maison qu’il avait louée, et il recevait tous ceux qui venaient le voir,

Le saint apôtre a montré en ceci un singulier témoignage de constance, quand il s’est offert tant simplement et franchement à tous ceux qui désiraient l’entendre. Il est certain qu’il savait bien comment il se rendait odieux ; et que c’eût été le plus expédient, qu’en se taisant il eût apaisé le mauvais vouloir de ses parties adverses. Car ce n’est pas ainsi qu’en eût du faire un homme prévoyant, qui eût voulu regarder seulement à soi. Mais pour ce qu’il se souvenait qu’il était apôtre du Fils de Dieu, et annonciateur de son Evangile aussi bien en la prison, que s’il eût été en pleine liberté ; il n’a point estimé qu’il lui fût loisible de se soustraire d’homme quelconque, qui fut prêt d’apprendre, de peur de laisser échapper l’occasion qui lui était offerte de Dieu. Et pour cette cause il a plus estimé la sainte vocation de Dieu, que le soin de sa propre vie. Et afin que nous sachions qu’il s’est mis en danger de son bon gré, saint Luc un peu après loue ouvertement sa hardiesse ; comme s’il disait que laissant toute crainte, il a fidèlement obéi au commandement de Dieu, et qu’il n’y a eu difficulté quelconque qui l’ait ébranlé, qu’il ne poursuivît à s’employer à tous ceux qu’il rencontrait.

28.31

prêchant le royaume de Dieu, et enseignant les choses qui regardent le Seigneur Jésus-Christ, avec toute liberté, et sans être empêché.

Il ne sépare point le royaume de Dieu d’avec les choses qui sont du Seigneur Jésus, comme deux points divers ; mais plutôt il ajoute par forme de déclaration ce qui est ici dit en second lieu ; afin que nous sachions que le Royaume de Dieu est fondé et contenu en la connaissance de la rédemption obtenue par Jésus-Christ. Saint Paul donc a montré que les hommes sont étrangers et bannis du royaume de Dieu, jusqu’à ce qu’étant réconciliés à Dieu par la satisfaction pour leurs péchés, ils viennent à être renouvelés en sainteté de vie par le Saint Esprit ; et que donc le royaume de Dieu est dressé et fleurit entre eux, quand Christ Médiateur les conjoint au Père, leur conférant rémission gratuite de leurs péchés, et les régénérant à justice, afin que commençants déjà ici-bas une vie céleste, ils aspirent toujours au ciel, où ils auront pleine et entière jouissance de gloire. Saint Luc propose aussi un singulier bénéfice de Dieu, en ce qu’une si grande liberté a été octroyée à saint Paul. Car il ne faut point dire que ceci soit advenu parce que ceux qui y pouvaient mettre quelque empêchement, aient fermé les yeux, ou qu’ils aient dissimulé, vu qu’ils avaient la religion en détestation ; mais pour ce que Dieu leur bandait les yeux, par quoi saint Paul se glorifie à bon droit, que la parole de Dieu n’a point été liée quand il était dans les liens, 2 Timothée 2.9.

chapitre précédent retour à la page d'index