Calvin Homme d'Église

Brève résolution sur le même sujet (Accord sur les sacrements) (suite)

Il s'ensuit en notre Accord un autre article tendant afin de corriger une superstition qui est tant et plus commune et fort mauvaise, c'est que le monde cuide (croit) que les sacrements de leur propre vertu nous apportent la grâce de Dieu et besognent tellement en nous que notre salut leur est attribué. Nous disons donc que ce qui nous est donné par les sacrements n'est point de leur vertu propre, mais selon qu'il plaît à Dieu d'y déployer la force de son Esprit. Or l'esprit humain ne se peut contenir qu'il n'imagine que la grâce de Dieu est enclose aux signes et que par ce moyen il ne les mette en la place de Dieu même ; dont il advient que Dieu est dépouillé de sa louange, en tant qu'on attribue aux créatures mortes et insensibles ce qui lui est propre. Voici donc la somme de notre doctrine, laquelle nous avons couchée en paroles claires et pures : C'est que Dieu seul parfait tout ce que nous avons des sacrements, voire par sa vertu secrète et qui est contenue en lui.

Toutefois afin qu'on ne peut répliquer que les Sacrements ont aussi bien leur office et propriété, autrement qu'ils seraient donnés en vain, nous prévenons cette objection en disant que Dieu besogne tellement par iceux qu'il ne leur résigne (abandonne) point sa vertu pour déroger à l'efficace de son Esprit. Qu'est-ce que ces bons prud'hommes qui nous tourmentent requerront ici non plus ? S'ils veulent que Dieu se serve des sacrements comme d'instruments de sa grâce, nous disons qu'ainsi est ; s'ils veulent que notre foi soit aidée, nourrie, confirmée par iceux, nous l'affirmons ; s'ils veulent que la vertu du saint Esprit s'y démontre afin qu'ils profitent au salut des élus, nous en accordons autant. Voici le nœud de toute la question, à savoir si on doit attribuer entièrement à Dieu toutes les parties de notre salut, ou bien si, en usant des sacrements, il leur en quitte quelque portion et s'en dénue. Et qui est-ce qui osera mettre ceci en difficulté, s'il n'a perdu toute honte ? Nous alléguons saint Paul pour témoin de notre doctrine, lequel dit que les ministres, soit qu'ils plantent ou qu'ils arrosent, qu'ils ne sont rien et ne peuvent rien si on les sépare de Dieu, lequel seul donne accroissement. Or quand nous parlons ainsi, on voit clairement que nous n'entendons point de rien ôter ou diminuer aux sacrements, moyennant que ce qui est propre à Dieu lui demeure. On sait comment saint Paul magnifie en d'autres passages la prédication de l'Evangile ; dont (d'où) vient cela donc qu'il semble la vouloir ici abolir, sinon que c'est raison, quand on compare Dieu avec les créatures, qu'il soit reconnu lui seul auteur de tous biens et qu'il se sert de tout ce qui est en sa main pour le faire valoir comme il lui plaît ? Au reste, quel tort fait-on aux éléments terrestres, si on ne ravit point à Dieu son honneur pour les en vêtir et parer ?

Quant à la sentence que nous ajoutons, tirée de saint Augustin, à savoir que c'est Jésus-Christ qui baptise au dedans, item que c'est lui qui nous fait participants de soi en la Cène, est pour nous éclaircir la dignité de ces deux mystères ; car de là on doit entendre que ce ne sont point actes humains, vu que le Fils de Dieu, qui en est auteur, y préside et auxquels il déploie sa vertu, comme s'il étendait sa main du ciel. Et puis il n'y a rien plus utile que de retirer nos sens du regard des hommes mortels et des signes qui sont éléments terrestres, afin que notre foi s'arrête du tout à Jésus-Christ, comme s'il était là présent. Au reste, cela est aussi pour maintenir à Jésus-Christ son droit, afin qu'il ne semble qu'en ordonnant les hommes pour ministres des signes extérieurs, il leur résigne la louange de l'effet spirituel qu'il retient devers soi. Et c'est à cette intention que saint Augustin déduit bien au long que le baptême d'efficace et de puissance ne compète (n'appartient) qu'à Jésus-Christ. Et qu'est-il besoin d'amener témoignages d'un homme, vu que la voix du saint Esprit publiée par Jean-Baptiste nous doit toujours résonner aux oreilles, à savoir qu'il n'y a que Jésus-Christ qui baptise du saint Esprit ? car il est certain qu'à ce titre Dieu le Père l'a voulu discerner d'avec tous ses ministres, afin que nous sachions que c'est lui seul qui accomplit au dedans ce que les hommes témoignent par le signe visible.

Ceci est très bien déclaré en un autre lieu par saint Augustin, quand il dit : Comment est-ce que Moïse sanctifie et Dieu pareillement ? Car Moïse ne sanctifie point comme étant en la place de Dieu, mais seulement en ce qu'il est ministre du signe visible ; mais Dieu sanctifie de sa grâce invisible par son Esprit, en quoi gît tout le fruit des sacrements. Car sans cette sanctification de la grâce invisible, que profiteraient les sacrements visibles ? Jusqu'ici j'ai récité les mots de saint Augustin. Or que tout cela soit vrai, il appert, pource qu'autrement il serait impossible d'accorder les passages de l'Ecriture qui de prime face semblent être contraires : comme quand le saint Esprit est nommé le sceau qui nous scelle et ratifie l'héritage de la vie céleste, et toutefois d'autre part ce même office est donné aux sacrements, il n'y aurait nul propos de les colloquer en pareil degré, pource que ce qui n'appartient qu'au saint Esprit leur serait transporté comme butin ou pillage. Parquoi il faut venir à cette solution que ce qui est subalterne et inférieur ne répugne point à ce qui est dessus, comme l'instrument dont l'homme use en besognant ne répugne point à la main à laquelle il est sujet. Qu'ainsi soit, si quelqu'un arguait que notre salut n'est point scellé par les sacrements pource que c'est le propre du saint Esprit, je demande que répondraient ces mutins qui réprouvent notre Accord, sinon le même que nous disons, à savoir : quand Dieu use de moyens inférieurs, que cela n'empêche point que lui seul par la vertu de son Esprit commence et parfasse notre foi.

Quant à ce que nous disons que les sacrements ne profitent pas indifféremment à tous, mais seulement aux élus de Dieu, auxquels le saint Esprit besogne par son efficace secrète, cela est si clair qu'il n'est jà besoin d'en tenir long propos. Car si on veut faire l'effet des sacrements commun à tous, outre ce que l'Ecriture contredit à telles rêveries, l'expérience aussi y résiste. Comme donc la voix d'un prêcheur ne peut de soi percer les cœurs et ne s'y donne point d'entrée pour changer les hommes, mais quand l'Evangile se prêche à plusieurs, ceux que Dieu le Père céleste attire à soi s'y rangent (comme aussi Esaïe en parle, que nul ne croit à la Parole, sinon que le bras de Dieu lui soit révélé) : en cette manière, nul ne profite en l'usage extérieur des sacrements, sinon qu'il lui soit donné d'en haut ; et cela est en la pure et libérale gratuité de Dieu de besogner en ceux que bon lui semble.

Toutefois en parlant ainsi, nous n'entendons pas de déroger en façon que ce soit aux sacrements, qu'ils ne demeurent en leur entier. Car quand saint Augustin restreint l'effet et vertu de la Cène au corps de l'Eglise qu'il dit être de ceux que Dieu a prédestinés à salut, il n'entend pas d'anéantir envers les réprouvés la grâce qui nous est offerte en la Cène, si on estime que veut dire ce sacrement et ce qu'il emporte ; mais seulement il signifie que le fruit n'en est pas commun à tous. Or pource qu'il n'y a rien qui empêche les réprouvés de jouir de Christ que leur propre incrédulité, toute la faute leur doit être imputée, comme elle réside en eux. Bref la représentation du signe n'est jamais frustratoire de soi, mais seulement de ceux qui s'en privent et par leur malice en sont frustrés. Car c'est une chose très vraie que nous ne rapportons autre fruit des sacrements que ce que chacun en reçoit au vaisseau de sa foi. Ainsi c'est à bon droit que nous rejetons l'invention des docteurs Sorboniques, à savoir que les sacrements de la nouvelle loi (comme ils disent) profitent à tous ceux qui n'y mettent point barre (obstacle) de péché mortel ; car c'est une superstition trop lourde et sotte, voire une sorcellerie, d'estimer que le simple usage des sacrements fasse découler en nous la grâce de Dieu.

Or, s'il faut que la foi entrevienne (intervienne), nul de sain jugement ne pourra nier que Dieu, qui veut soulager notre infirmité par telles aides, lui-même ne donne aussi la foi, laquelle, étant portée et élevée en haut par le moyen des sacrements, monte à Jésus-Christ pour posséder ses biens. Et de fait, il nous convient tenir ceci pour résolu, comme il ne suffirait point que le soleil éclairât le monde et épandît ses rayons partout, si premièrement les yeux ne nous étaient donnés pour recevoir sa clarté et en jouir, qu'aussi Dieu nous éclairerait en vain et sans fruit par les signes externes, s'il ne nous ouvrait les yeux. Qui plus est, comme la chaleur du soleil, en donnant vigueur aux corps vivants, cause ou émeut puanteur aux charognes, ainsi les sacrements donneront plutôt odeur de mort que de vie à tous ceux qui n'ont point l'âme de la foi pour être vivifiés.

Au reste, afin que nul ne pensât que par cette doctrine la vertu des sacrements soit amoindrie ou que la vérité de Dieu soit cassée et mise bas par l'incrédulité et malice des hommes, nous avons, comme je crois, bien remédié à cela, en déclarant que néanmoins les sacrements demeurent en leur entier pour offrir la grâce de Dieu à ceux qui s'en rendent indignes. Et combien que les incrédules ne reçoivent point ce qui leur est offert, rien ne déchet (n'est ôté) pourtant aux promesses de Dieu. Nous ne traitons pas ici la question qui a été jadis sottement agitée, à savoir si l'indignité des ministres corrompt les sacrements ; car l'institution de Dieu nous doit être si sainte qu'il ne faut point estimer sa force d'ailleurs. Ainsi la vertu des sacrements ne dépend point des hommes, tellement qu'ils y puissent rien changer de leur côté. Quand donc le ministre du baptême et de la Cène serait un épicurien ou contempteur de Dieu et de tous ses mystères, les fidèles ne laisseront pas de recevoir aussi bien par sa main le lavement de régénération et la nourriture spirituelle de leurs âmes que si un ange descendait à eux du ciel ; non pas que nous devions être nonchalants à réformer les vices, car si ceux qui se disent pasteurs sont gens débauchés et polluent (souillent) le lieu sacré qu'ils occupent de leur vie méchante, tous fidèles en public et chacun en particulier se doivent efforcer de purger le sanctuaire de Dieu de telle infection.

Mais s'il advient qu'un méchant hypocrite s'insinue ou que, par ambition ou faveur, on empêche que les ministres dissolus et indignes de leur état ne soient si tôt réprimés comme il serait à souhaiter, quelque détestable que soit leur impiété, si ne déroge (enlève)-t-elle rien aux sacrements, pource que Jésus-Christ prend seulement de soi ce qu'il nous y élargit et ne l'emprunte point des ministres. Parquoi ce que les papistes ont controuvé, à savoir que l'intention de celui qui consacre est requise pour faire valoir les sacrements, nous ne doutons pas que ce ne soit une invention damnable et perverse. Toutefois quand nous disons que Dieu est prêt à faire et accomplir en ses fidèles ce qu'il leur figure par les sacrements, encore que les ministres d'iceux soient déloyaux, ce n'est pas à dire que nous y recevions rien que par foi ; dont il s'ensuit que les incrédules s'en retournent aussi vides et indigents comme ils y étaient venus. Tant y a que la vertu des sacrements ne s'amoindrit point par leur vice ou faute. Tous incrédules ferment la porte à Dieu à ce que sa grâce n'ait nulle entrée en leurs âmes. Nous disons que pour cela Dieu ne retire point sa main, mais plutôt afin d'être ferme et constant en son propos, il offre et donne ce que les hommes refusent d'accepter et par ce moyen bataille de sa bonté infinie contre leur malice.

Mais ce sont deux choses bien diverses, que Dieu soit fidèle pour accomplir ce qu'il démontre par le signe, et que l'homme de son côté donne lieu à la promesse pour jouir de la grâce qu'elle contient. Car devant qu'un homme reçoive ce qui lui est donné, il faut qu'il en soit capable, selon qu'il est dit au Psaume 81 : Ouvre ta bouche et je la remplirai. Parquoi ceux qui crient que la Cène de Jésus-Christ ne sera qu'une figure vaine et frustratoire, si les incrédules n'y reçoivent autant que les fidèles, montrent assez qu'ils sont gens dépourvus de sens et de raison. S'ils disaient que le corps et le sang de Jésus-Christ est donné à tous indifféremment quant est de la part de Dieu, nous serions bien d'accord ; mais vouloir faire à croire qu'on reçoit Jésus-Christ sans foi, c'est une sottise autant absurde comme qui dirait que le blé germe dedans le feu. Et, je vous prie, à quel titre se donnent-ils congé de séparer et démembrer Jésus-Christ d'avec son Esprit ? Car cela est un sacrilège détestable. Ils veulent que les infidèles reçoivent Jésus-Christ, lesquels n'ont point une seule goutte de son Esprit. Que veut dire cela, sinon comme s'ils tâchaient d'enfermer derechef le Fils de Dieu au sépulcre ? S'ils répliquent que saint Paul, en disant que ceux qui participent indignement à la Cène sont coupables du corps et du sang de Jésus-Christ, signifie qu'ils reçoivent le corps et le sang comme les fidèles, la réponse est facile. C'est que tout au rebours, si Jésus-Christ entrait en eux et qu'il y fut logé, il les délivrerait de toute condamnation. Quand donc ils sont condamnés, c'est signe qu'ils n'ont nulle part avec celui qui est la justice de Dieu. Mais d'autant qu'ils foulent vilainement au pied le gage que Jésus-Christ nous donne de la communication sacrée que nous avons avec lui, ce n'est point merveille si à cause d'un tel mépris, oui même sacrilège, ils sont réputés coupables du corps et du sang de Christ.

Ainsi c'est une trop lourde sottise à telles gens de cuider (croire) que cette menace de saint Paul ne tombe sinon sur ceux qui manient de leurs mains, mâchent de leurs dents et avalent en leur gosier le corps de Christ. Davantage je demande quelle manière de réception ils nous veulent ici forger. Car saint Paul notamment déclare que la foi est le seul moyen par lequel Jésus-Christ habite en nous ; ainsi, la foi étant ôtée, il faudra bien, si quelqu'un reçoit Jésus-Christ, que ce ne soit que pour une minute de temps et qu'incontinent il s'évanouisse : qui est une rêverie trop badine. Suivons donc plutôt saint Augustin, lequel parle en homme dûment exercé en l'Ecriture, disant que tout ainsi que l'ange de Satan a été donné à Paul, afin que par icelui il fût parfait en Christ, à l'opposite le pain du Seigneur a été donné à Judas pour l'assujettir tant plus au diable. Or il avait dit un peu auparavant que les autres disciples, en mangeant le pain, avaient reçu le Seigneur, mais que judas avait seulement mangé le pain du Seigneur pour conspirer contre lui. En un autre passage aussi il pèse (comme c'est bien raison) ces mots de Jésus-Christ : Que ceux qui auront mangé sa chair et bu son sang ne mourront jamais ; et sur cela dit que ceux qui reçoivent la vertu du sacrement, et non pas le signe visible, obtiennent vie éternelle. Ceux (dit-il) qui mangent au dedans et non pas au dehors, du cœur et non pas des dents.

Finalement il conclut que le signe de ceci nous est proposé en la table du Seigneur et qu'aucuns le reçoivent à leur perdition, aucuns à vie ; mais, quand la substance du sacrement est reçue, à savoir Jésus-Christ, tous ceux qui en sont participants, il ne leur tourne jamais qu'à vie et salut. Et afin que l'intention de ce bon docteur ne soit obscure, je déduirai ici plus au long certaines sentences de lui, faisant à ce propos. Après avoir dit que le pain spirituel, duquel Jésus-Christ parle, requiert une faim en l'homme intérieur, il ajoute que Moïse, Aaron et Phinée et certains ayant plu à Dieu, ont mangé la manne et ne sont point morts. Et pourquoi ? D'autant qu'ils prenaient la viande visible spirituellement, ils la désiraient et la goûtaient comme spirituelle, afin d'en être spirituellement rassasiés ; comme aujourd'hui (dit-il) nous recevons en la Cène du pain visible, mais c'est autre chose du sacrement que de la vertu d'icelui. Un peu après il dit derechef :

Celui qui ne demeure point en Christ, ou auquel Christ ne demeure point, ne mange pas spirituellement sa chair et ne boit pas son sang, combien qu'il mâche visiblement avec les dents les signes du corps et du sang ; mais ce n'est qu'à sa damnation qu'il prend le signe d'une chose si digne et si haute, pource qu'étant pollué, il présume de s'approcher des sacrements de Christ. Nous voyons qu'il ne donne point la substance de la Cène à ceux qui sont profanes et impurs, mais seulement une réception visible du signe. je confesse bien qu'en un passage, il dit que le pain de la Cène n'a pas laissé d'être le corps de Christ à ceux auxquels saint Paul disait : Celui qui en mange indignement, c'est à sa damnation, ne discernant point le corps du Seigneur. Et combien qu'ils le reçussent mal, toutefois ce n'est pas à dire qu'ils ne reçussent rien. Mais il s'expose plus à plein en un autre lieu, pour montrer comment cela doit être pris. Car en traitant cet article de propos délibéré : comment les méchants et dissolus qui n'ont la foi qu'en la bouche mangent le corps de Christ, il réprouve l'opinion de ceux qui pensent que telles gens sont de fait participants du corps de Christ, et dit : Il ne faut pas qu'on cuide (croie) que ceux-ci qui ne sont point membres de Christ mangent sa chair ou boivent son sang, car encore que nous laissions là beaucoup de raisons, il est impossible que celui qui est membre d'une paillarde soit membre de Jésus-Christ. Et le Seigneur parlant ainsi : quiconque mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui, montre bien [ce] que c'est que de manger en vérité et de fait, et non pas seulement en signe ; à savoir que, pour ce faire, il est requis qu'il demeure en nous, et nous en lui ; car c'est autant comme s'il disait : Quiconque ne demeure point en moi et celui auquel je ne demeure point se trompe, s'il cuide manger ma chair et boire mon sang. Voilà le propos de saint Augustin. Pourtant que ces gens inconsidérés qui débattent contre nous se déportent de plaider la cause de judas, s'ils ne veulent qu'on soupçonne que sous sa personne ils parlent pour eux, voulant avoir Jésus-Christ sans l'avoir.

Quant à ce que nous disons que les fidèles hors l'usage des sacrements ne laissent pas d'avoir l'effet des biens spirituels qui est là figuré, doit bien être reçu de tous sans contredit, vu que tous les jours nous expérimentons que ainsi est et qu'il se prouve aussi clairement par l'Ecriture ; car combien qu'il ne soit point libre aux martyrs, quand on les tient en prison, de recevoir le signe extérieur de la Cène, si ne sont-ils pourtant privés de Christ, lequel triomphe en eux d'une gloire magnifique ; même nul étant vide de Christ ne doit approcher de sa sainte table, comme aussi de fait Corneille avait déjà en soi la vérité du baptême devant qu'être plongé en l'eau. Et Moïse, en donnant le signe de l'onction sacrée et divine à ses frères et à ses neveux, combien qu'il ne le reçût point, n'a point laissé d'avoir la substance et vérité. Nous n'entendons pas toutefois d'induire les hommes à quitter l'usage des signes, comme si ce leur était assez d'être inspirés du ciel. Car combien que Dieu, pour montrer que sa vertu n'est point sujette, ni liée à aucuns moyens inférieurs, parfait ce qui est figuré aux sacrements sans s'aider d'iceux, par cela il ne rejette point comme superflu ce que lui-même a ordonné pour notre salut.

Parquoi tant moins nous sera-t-il licite de le faire, à nous, dis-je, qui devons être attentifs à la Parole et aux signes, comme notre foi y est obligée. Car ce que dit saint Augustin est très vrai : à savoir, combien que Dieu sanctifie ceux qu'il veut, sans user de signes visibles, toutefois que celui qui méprise le signe mérite d'être privé de la chose. A quoi aussi répond et est conforme ce que nous avons dit en notre Accord : C'est que l'utilité qui nous revient des sacrements ne se doit restreindre au temps de la réception visible qui s'en fait, comme s'ils nous apportaient la grâce de Dieu en la même minute qu'ils sont reçus. Laquelle sentence est si claire que celui qui la voudra réprouver sera contraint de renverser tout l'ordre de Dieu. Bref, si on veut que les sacrements apportent avec eux leur effet présent, il faudrait avancer la grâce de Dieu en d'aucuns et, pour les autres, il faudrait forger des baptêmes infinis. Qu'ainsi soit, nous voyons que la vertu du baptême est nulle pour un temps en d'aucuns, et puis elle se démontre par succession. Comme pour exemple, un qui aura été baptisé dès le ventre de sa mère, étant venu en âge, tant s'en faut qu'il montre avoir été baptisé en Esprit que plutôt, éteignant en tant qu'en lui est l'Esprit de Dieu, il efface et anéantit son baptême ; en la fin Dieu le rappelle à soi. Parquoi ceux qui veulent enclore la grâce de Dieu au sacrement comme en une bougette (cassette), cuidant orner et magnifier le sacrement, font grande injure à Dieu. Davantage, puisque les chrétiens se doivent appliquer toute leur vie à faire pénitence, si on restreint le fruit du baptême au temps qu'il est donné et reçu, c'est retrancher la plus grande part de sa vertu ; car on le ferait seulement signe de la pénitence d'un jour, au lieu qu'il dure jusqu'à la mort. En somme, on ne peut mieux anéantir la vertu des sacrements, ni leur faire plus grand outrage, qu'en imaginant que la vérité ne passe point outre l'usage extérieur. J'entends ainsi ce mot : Combien que la figure visible passe, toutefois la grâce, laquelle y est testifiée, demeure et ne s'évanouit point avec le regard du signe ; cependant mon intention n'est pas d'adhérer à la folle superstition de ceux qui gardent le pain de la Cène au temple, comme si la consécration qui en a été faite retenait sa vigueur après que la Cène est célébrée. Or cet article mérite bien d'être exposé, afin qu'on n'attache point l'espérance de notre salut éternel à ce qui est transitoire, tellement que la foi ne conçoive non plus que ce que nous comprenons par le regard des yeux.

Je viens maintenant à la question qui a engendré de notre temps de si grands combats et violents, à savoir quelle est la communication que Jésus-Christ nous donne de son corps et de son sang en la sainte Cène. Or en notre Accord, devant que déterminer sur ce point, nous avions bien voulu repousser la fantaisie qui a régné au monde touchant la présence locale ; nous avions voulu aussi exposer ce mot de Jésus-Christ : voici MON CORPS, pource qu'on en a si âprement débattu ; mais pource que maintenant je me délibère de rabattre la colère de ces gens indoctes et chagrins qui sont transportés à l'étourdie pour calomnier tout ce que l'on dit, sinon qu'on prévienne les doutes et scrupules qui les fâchent, ou bien d'apaiser les simples qui sont mal abreuvés des propos dont les malins nous diffament, j'aime mieux ici commencer par ce bout : à savoir comment Jésus-Christ se communique à nous en la Cène.

En premier lieu, nous confessons que Jésus-Christ accomplit vraiment ce qu'il figure par les signes du pain et du vin : c'est dé nourrir nos âmes, leur donnant sa chair pour viande et son sang pour breuvage. Parquoi il faut que cette calomnie frivole soit mise bas, c'est que nous faisons de la Cène comme d'une farce qui se jouerait sur un échafaud, comme si nous faisions accroire que Jésus-Christ nous montre là quelque chose par signe, sans effet. Car nous n'entendons point que rien y soit signifié qui ne s'y donne à la vérité et n'y soit reçu. Le Seigneur nous commande d'y prendre le pain et le vin ; cependant il prononce qu'il nous donne pour nourriture de nos âmes son corps et son sang ; nous disons qu'il ne nous présente point une figure simple et nue pour nous frustrer, mais que sous le pain et le vin il nous donne de bons gages, auxquels la vérité répond et est conjointe : c'est que nos âmes sont vraiment nourries de son corps et de son sang. Au reste, sous le nom de foi, nous n'entendons point quelque imagination, comme si les fidèles recevaient seulement de pensée ou de mémoire ce qui leur est promis, mais nous ajoutons expressément que la foi y est requise, afin qu'on ne pense pas que Jésus-Christ soit tellement jeté à l'abandon que les incrédules participent à lui. Car aussi saint Paul, en disant que Jésus-Christ habite en nous par foi, n'introduit pas une demeure imaginaire et qui ne soit que par fantaisie, mais seulement montre comment nous entrons en possession d'un tel et si grand bien d'avoir Jésus-Christ habitant en nous. Ainsi nous confessons sans circuits ni cavillation (ruse) que la chair de Jésus-Christ est vivifiante, non seulement en tant que par icelle notre salut nous a été une fois acquis, mais que maintenant, nous étant unis avec Jésus-Christ, elle nous inspire vie de soi ; ou, pour le dire plus brièvement, c'est que nous, étant entés au corps de Christ par la vertu du saint Esprit, nous communiquons à sa vie. Car la vie qui réside proprement en l'essence divine, comme en sa source, a été épandue en la chair de Christ pour découler en nous, tellement que c'est de là qu'il nous la faut puiser.

Mais pource que nos entendements sont enclins à concevoir des lourdes sottises quand on traite des mystères célestes de Dieu, il est besoin en cet endroit de couper broche (couper court) aux absurdités que le monde se fait accroire. Et c'est à quoi nous avons regardé à notre Accord, déclarant notamment que les fidèles ne participent point à Jésus-Christ comme s'il se faisait quelque mixtion ou distillation de substance, mais d'autant que nous tirons vie de la chair qui a été une fois pendue en la croix pour nous. Si quelqu'un ne se contente point de cette déclaration, je dis premièrement qu'il s'est controuvé de son cerveau plus qu'on ne trouve en l'Ecriture et que la règle de foi ne permet ; et puis je dis que c'est un trop grand orgueil de vouloir imposer loi aux autres pour les assujettir à une opinion forgée à la volée. S'ils veulent que la substance de la chair de Jésus-Christ soit mêlée avec nos âmes, en combien d'absurdités s'envelopperont-ils ? Ils allèguent qu'il ne faut point abaisser un si haut mystère à l'ordre du monde, ou mesurer la grandeur infinie d'icelui selon la petitesse de nos esprits : ce que je leur accorde volontiers. Mais faut-il, sous ombre de cette modestie qui doit être en la foi, déguiser toute la doctrine de notre religion et la brouiller parmi des monstres du tout répugnants à raison et vérité ? Si ainsi était, ce qui serait le plus exorbitant conviendrait le mieux à Jésus-Christ et les rêveries les plus sottes et répugnantes à nature seraient les meilleurs articles de foi. Nous confessons bien que l'unité sacrée que nous avons avec Jésus-Christ est incompréhensible à notre sens charnel ; nous disons aussi que ce qu'il fait découler sa vie en nous après nous avoir conjoints à soi, et non seulement cela, mais que nous sommes faits un avec lui comme il est un avec son Père, que ce est un secret surmontant notre portée, sinon d'autant qu'il nous est révélé en sa Parole. Mais faut-il pourtant songer que sa substance soit transfusée en nous pour être souillée de nos ordures ? Ces bonnes gens font semblant de fermer les yeux, afin de ne se point enquérir trop curieusement de ce que Dieu tient caché ; mais il appert que ce n'est que feintise et mensonge, d'autant qu'ils ne veulent et ne peuvent souffrir qu'on les enseigne par la parole de Dieu.

De fait, voici la vrai sobriété de foi : c'est de se reposer du tout à ce que Dieu prononce et ne rien concevoir davantage que ce qui nous est déclaré par sa bouche sacrée ; et puis en second lieu de se ranger soigneusement à l'Esprit de prophétie et recevoir en toute douceur et docilité toutes interprétations conformes à la foi. C'est donc comme une ivrognerie que l'homme soit si adonné à son sens qu'il rejette et dédaigne toute clarté de bonne intelligence et droite ; et cependant qu'il ne se tienne point en ses limites, mais qu'il se forge telles inventions que bon lui semble. Nul de nous ne nie que le corps et le sang de Jésus-Christ ne nous soient communiqués ; seulement il est question de savoir quelle est cette communication. je m'ébahis si nos parties adverses osent affirmer qu'elle soit charnelle, sans déguiser une erreur si lourde par quelque couverture. Cependant, quand nous disons qu'elle est spirituelle, ils murmurent comme si nous entendions qu'elle n'est point réelle ni de fait. Or si de leur côté, en disant que nous communiquons réellement à Jésus-Christ, ils entendaient que ce n'est point en ombrage ni par fantaisie, nous ne leur en ferions nul combat. Car nous savons combien c'est chose indécente aux serviteurs de Christ d'émouvoir contention (querelle) pour quelques mots ; mais pource qu'en leur accordant tout ce qu'on peut, on ne profite guère, vu que ce sont gens si difficiles qu'ils ne prennent nulle raison en paiement, il me suffira de testifier à toutes gens craignant Dieu et de sens rassis qu'en disant que les fidèles communiquent spirituellement à Jésus-Christ, nous entendons qu'ils le possèdent vraiment et de fait. Cependant ne soyons point noiseux (querelleurs) ni importuns pour plaider contre une doctrine tant droite et certaine qu'est celle-ci, à savoir que la chair de Jésus-Christ nous vivifie, d'autant que Jésus-Christ instille d'icelle et fait découler la vie spirituelle en nos âmes. Item, que nous la mangeons quand nous sommes unis par foi en un corps avec Christ, afin que lui, étant fait nôtre, nous communique tous ses biens.

Quant à la présence du lieu, qui est d'attacher ou enclore Jésus-Christ au pain, c'est merveille si nos parties adverses n'ont honte de nous en plus molester ; toutefois ils se couvrent de cette cavillation (ruse) : qu'ils n'entendent d'enfermer le corps de Jésus-Christ en quelque lieu déterminé, mais d'autant qu'il est infini, qu'il peut bien être partout. Et de notre côté voici que nous disons : vu que l'Ecriture proteste qu'il est tenu au ciel jusqu'à ce que de là il apparaisse en jugement, qu'il ne le faut point chercher ailleurs. Toutefois, si quelqu'un nous voulait calomnier comme si nous disions que Jésus-Christ est absent de nous, en séparant le chef d'avec ses membres, il nous ferait grand tort. Vrai est, selon que saint Paul dit, que durant cette vie mortelle en conversant (vivant) en ce monde, nous sommes pèlerins éloignés de Dieu, il nous sera licite par une même raison de dire qu'en quelque sorte d'absence nous sommes séparés d'avec Christ ; voire d'autant que nous ne sommes point encore montés au ciel pour y habiter avec lui. Ainsi selon le corps, Christ est loin de nous de telle distance qu'il y a du ciel à la terre ; mais selon son Esprit, il habite en nous pour nous élever à soi jusqu'au ciel, voire tellement qu'il nous fait sentir une vigueur présente de sa chair, pour nous vivifier, tout' ainsi que nos corps sont réjouis et fomentés (fortifiés) de la substance du soleil par le moyen de ses rayons.

Ce qu'aucuns ont accoutumé de dire que Jésus-Christ est invisible avec nous vaut autant comme s'ils colloquaient sa forme et figure au ciel et qu'ils nous forgeassent une substance cachée, laquelle résidât par tout le monde sans avoir lieu ni siège propre. Or la vraie religion nous mène plutôt à l'opposite : c'est qu'il n'épand point la vie sur nous de sa chair, sinon qu'habitant tout entier ès cieux, il descend à nous par sa vertu. A quoi aussi se rapporte ce que nous ajoutons en notre Accord que, par cette doctrine, non seulement l'erreur que les papistes nous ont forgée de la transsubstantiation est abattue, mais aussi toutes les sottes rêveries et menues subtilités que plusieurs ont avancées, tant pour déroger à la gloire céleste de Jésus-Christ que pour obscurcir la vérité de sa nature humaine. Et n'est jà besoin de déduire fort au long pourquoi notamment cette exception a été ajoutée par nous. Aucuns, en imaginant un corps infini à Jésus-Christ, lui ôtent ce qui est inséparable d'un corps selon sa nature ; les autres enferment son essence divine sous un morceau de pain. Or, si quelqu'un par ci-devant a erré par ignorance, si les autres se sont trop échauffés en dispute et se sont jetés hors des gonds, je souffrirai volontiers que ce qui leur est follement échappé soit enseveli. je ne touche point aux personnes pour les diffamer, je ne les poursuis ni pique ; comme aussi en notre accord nous les avons épargnés, nous contentant de couper broche aux erreurs. Si nous demandons qu'on laisse à Jésus-Christ en son entier tout ce qui est propre à ses deux natures, quelle occasion y a-t-il de se fâcher ? car nous ne tendons à autre fin sinon que ce Médiateur unique, qui nous a conjoints à Dieu, ne soit point déchiré en pièces.

Quand ils imaginent un corps infini, c'est une illusion diabolique pour renverser toute l'espérance de notre résurrection ; car après qu'ils auront amené tous leurs subterfuges touchant les propriétés ou qualités d'un corps glorifié, si faudra-t-il revenir à ce que dit saint Paul : à savoir que nous attendons Jésus-Christ du ciel, lequel reformera notre corps de basse condition pour le rendre conforme au sien glorieux ; il faudrait donc que chaque corps des fidèles alors remplît tout le monde, en quoi il y a une absurdité si énorme qu'il n'est jà besoin d'en parler plus outre. Pourtant que ces opiniâtres apprennent à se modérer et qu'ils nous permettent d'exposer paisiblement notre doctrine, laquelle est saine et droite. Car s'ils continuent à faire leurs escarmouches, nous serons contraints de découvrir à leur grande honte ce que nous laissons comme caché. Que notre modestie ne les enhardisse point, d'autant que jusqu'ici nous les avons supportés ; car combien qu'il nous déplaise de nous attacher aux hommes, s'ils ne peuvent porter que nous déboutions les erreurs, si les faudra-t-il en la fin manier selon que leur importunité méritera. Ce qu'ils ont le plus favorable est qu'en maintenant que le corps de Christ est conjoint avec le pain, ou bien est donné sous le pain, ils ne prétendent à maintenir sinon la vérité du sacrement. Mais cependant le faut-il arracher de son siège céleste pour le tenir reclus sous un morceau de pain ? Car de notre côté, si on dit que le corps de Jésus-Christ nous est offert sous le pain comme sous un arrhe (gage), nous ne répliquons point à l'encontre ; comme quand nous ne voulons point qu'on accouple d'une façon charnelle Jésus-Christ avec le pain, nous n'entendons point de faire un divorce de la figure avec sa substance. Nous confessons donc simplement et purement que les fidèles sous le signe du pain reçoivent le corps de Jésus-Christ, pource que lui qui l'a promis est véritable et n'a garde de nous frustrer en nous montrant un signe vide ; mais cependant qu'on se garde aussi d'imaginer que son corps soit enclos au pain, ou qu'il se fasse quelque infusion ou mélange charnel de sa substance avec la nôtre.

Il reste d'avoir la droite exposition des mots de Jésus-Christ quand il dit : CECI EST MON CORPS, auxquels il n'y aurait nul scrupule, si on se délibérait d'acquiescer à ce qui nous est montré par toute l'Ecriture. Parquoi, que ceux qui s'y trouvent empêchés, imputent le mal à leur opiniâtreté, d'autant qu'ils aiment mieux tout obscurcir en criant et se tempêtant que de bien peser les choses pour en juger en intégrité. Ce que Jésus-Christ a nommé le pain, son corps : ils prennent cela ric à ric (au pied de la lettre) et ne reçoivent aucune déclaration, laquelle toutefois y est nécessaire. Car s'ils veulent tenir d'une rigueur précise que le pain est corps, il s'ensuivra que Jésus-Christ est aussi bien pain comme homme. Davantage, si cette façon de parler ne contenait en soi quelque figure, eux-mêmes parleraient faussement en disant que le corps de Jésus-Christ nous est donné au pain, sous le pain et avec le pain ; car par ce moyen ils en font des choses diverses, comme à la vérité elles sont, ce qui semble de prime face être répugnant aux mots.

Or s'ils se dispensent de parler si grossièrement contre la lettre, pourquoi ne nous sera-t-il licite d'ouvrir la bouche pour amener une exposition plus droite, naturelle et liquide ? Pour trouver le sens des paroles, nous disons que on doit avoir égard à la façon commune et accoutumée de parler qu'on voit par toute l'Ecriture quand il est question des sacrements. je crois que cette règle devrait bien être reçue. Or ils n'en veulent rien ouïr, sous ombre qu'il est simplement dit : Voici mon corps ; mais je vous prie, n'est-il pas dit aussi bien que la pierre était Christ ? et en quel sens, sinon que l'eau qui sortit du rocher était un même breuvage spirituel avec celui que nous goûtons aujourd'hui au calice de la Cène ? Ces obstinés, de peur d'obéir à raison, dissipent les choses qu'on ne peut séparer, car ils ne peuvent rejeter cette similitude sans se déclarer être forcenés. Mais encore que tout cela leur soit permis, à quel titre se donnent-ils congé (permission) de résoudre en diverses sortes le mot qu'ils veulent être si saintement observé ? Voilà, disent-ils, c'est un point raclé (acquis) que ce mot ÊTRE n'emporte point signe ni figure. Or s'ils veulent que le pain soit Jésus-Christ, pourquoi se détournent-ils à des gloses toutes diverses ?

Dont (d'où) leur vient cette maîtrise, qu'en voulant obliger tout le monde à leurs sottes gloses et absurdes et où il y a contrariété toute notoire, ils ne permettent point aux autres d'amener nulle saine intelligence, quelque fondement qu'il y ait ? Si le pain doit être réputé corps, parce qu'il est ainsi appelé, il sera aussi bien communication du corps, témoin saint Paul ; même quand je dirai que saint Paul, comme fidèle expositeur, a éclairci ce qui était obscur aux paroles de notre Seigneur Jésus, je pense que nul homme de sens rassis ne me contredira. Voici le Seigneur qui nomme en un mot le pain son corps ; le disciple vient après, lequel ne voulait point embrouiller ce qui eût été clair de soi, mais en déclarant plus à plein ce qui était trop bref en un mot, dit que le pain que nous rompons est la communication que nous avons au corps de Christ. Si nos parties adverses passent cet article, le procès sera tantôt vidé, d'autant que nous confessons que les fidèles, quand le pain leur est distribué en la Cène, reçoivent le corps de Jésus-Christ. Mais puisqu'ils se veulent tant arrêter aux mots, encore aurons-nous belle avantage sur eux.

Car puisque Jésus-Christ en saint Paul (1 Corinth. 11), au lieu de nommer le vin son sang, dit que c'est le testament en son sang, toutefois et quantes (toutes les fois) qu'ils crieront que le pain est corps, d'autant qu'il est ainsi intitulé, j'aurai sur le champ ma réplique : que cela vaut autant comme s'il était dit le testament en son corps. Parquoi, qu'ils se départent de cette sotte obstination et brutale, en laquelle ils ne font que s'entortiller jusqu'à se rendre de tout confus. Et pource qu'il n'est jà besoin d'entrer pour cette heure en plus longue dispute, je me tiendrai sur cet article. Après qu'ils ont bien débattu que le pain est corps, si sont-ils contraints de confesser qu'il est signe du corps. Et dont (d'où) est-ce qu'ils ont pêché cela, sinon que les paroles mêmes de Jésus-Christ les y attirent par force ? On voit donc qu'après avoir beaucoup plaidé que les paroles de Jésus-Christ ne se doivent prendre qu'en simple sens et littéral, ils en tirent comme à la dérobée le mot de signe. De notre côté, quand nous disons qu'il y a figure, nous n'amenons rien que chacun ne voie être tout vrai et naturel et qui ne soit conforme à la règle de foi ; et en ce faisant nous n'avons notre refuge (comme ils nous reprochent faussement) ni aux allégories ni aux paraboles ; mais selon que l'Ecriture parle partout des sacrements, que le nom de la chose signifiée s'attribue au signe, par une figure qu'on appelle métonymie, qui vaut autant comme transport de nom. Et c'est une maxime tant reçue et commune entre tous fidèles que c'est grand'honte d'y résister, car les exemples en sont si fréquents que les plus obstinés de ceux qui bataillent contre nous n'oseraient nier que cela est ordinaire partout.

Parquoi, comme la manne a été jadis viande spirituelle, comme le rocher était Christ, comme la colombe a été le saint Esprit, comme le baptême est le lavement de régénération, aussi le pain et le vin sont nommés le corps et le sang de Jésus-Christ. S'ils aiment mieux une autre figure, ce combat se devait plutôt renvoyer aux écoles de grammaires, tant s'en faut qu'il mérite qu'on en trouble toute la chrétienté. Mais encore que la chose soit discutée entre les grammairiens, qu'y profiteront-ils, sinon qu'ils se feront moquer des petits enfants ? Au reste laissant cela, je dis simplement que tous ceux qui appètent contentions (recherchent querelles) pour les mots montrent assez qu'ils ne sont point serviteurs de Jésus-Christ. Car quand on est d'accord de la chose, c'est une vilenie trop grande de rompre et dissiper l'union des églises et émouvoir de grands troubles, sous ombre que les uns diront que le pain est nommé le corps de Christ, d'autant que le corps de Christ nous est donné sous icelui ou avec icelui ; les autres d'autant qu'il en est le signe et le gage, voire non pas vain et frustatoire, mais accompagné de sa vérité et son effet ; c'est que ceux qui reçoivent le signe en la bouche et la promesse par foi sont vraiment participants du corps de Christ. Au fort aller (au pis aller) si nos parties adverses ont déterminé de ne cesser de médire et dégorger leurs injures contre nous, j'espère que toutes gens paisibles connaîtront que notre doctrine est pure et droite et que nous y procédons en toute simplicité. Cependant, que nous mettions peine en tant qu'en nous est de nourrir paix et concorde ; cela suffira bien à nous absoudre. Au reste, je ne crains point que nul les avoue ou s'accorde à leurs cris insensés, sinon qu'il soit agité et piqué d'une même furie.

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