Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE I
Qui est de connoistre Dieu en tiltre et qualité de Créateur et souverain Gouverneur du monde.

Chapitre VIII
Qu’il y a des preuves certaines, entant que la raison humaine le porte, pour rendre l’Escriture indubitable.

1.8.1

Si nous n’avons ceste certitude plus haute et plus ferme que tout jugement humain, en vain l’authorité de l’Escriture sera approuvée par argumens, en vain elle sera establie par le consentement de l’Eglise, ou confermée par autres aides. Car si ce fondement n’est mis en premier lieu, elle demeure tousjours en suspens : comme au contraire, après qu’elle aura esté receue en obéissance selon qu’il appartient, et exemptée de toute doute, les raisons qui au paravant n’avoyent point grande force pour ficher et planter en nostre cœur la certitude d’icelle, seront lors très-bonnes aides. Car il ne se peut dire quelle confirmation luy donne ceste considération, quand nous réputons diligemment comment Dieu a en icelle bien disposé et ordonné la dispensation de sa sagesse : quand nous recognoissons combien la doctrine d’icelle se monstre par tout céleste, ne ayant rien de terrien : combien il y a une bonne convenance entre toutes les parties, et les autres choses qui sont propres pour donner authorité à quelques escrits. D’avantage nos cœurs sont encores plus fort confermez, quand nous considérons que c’est la majesté de la matière, plus que la grâce des paroles, qui nous ravit en admiration d’icelle. Et de faict, cela n’est pas advenu sans une grande providence de Dieu, que les hauts secrets du Royaume céleste, nous ayent esté pour la plus grand’part baillez sous paroles contemptibles, sans grande éloquence : de peur que s’ils eussent esté fondez et enrichiz d’éloquence, les iniques eussent calomnié ; que la seule faconde eust régné en cest endroit. Or maintenant puis que telle simplicité rude et quasi agreste nous esmeut en plus grande révérence que tout le beau langage des Rhétoriciens du monde, que pouvons-nous estimer, sinon que l’Escriture contient en soy telle vertu de vérité, qu’elle n’a aucun besoin d’artifice de paroles ? Pourtant ce n’est pas sans raison que l’Apostre prouve la foy des Corinthiens n’estre pas fondée sur sagesse humaine, mais en la vertu de Dieu 1Cor. 2.4 : d’autant que sa prédication entre eux n’avoit pas esté en paroles persuasives de sagesse humaine : mais avoit esté approuvée par démonstrances d’Esprit et de puissance. Car la vérité est exempte de toute doute, puis que sans autres aides elle est de soy-mesme suffisante pour se soustenir. Or combien ceste vertu est propre à l’Escriture, il apparoist en ce que de tous humains escrits il n’y en a nul, de quelque artifice qu’il soit poly et orné, qui ait telle vigueur à nous esmouvoir. Que nous lisions Démosthène ou Cicéron, Platon ou Aristote, ou quelques autres de leur bande : je confesse bien qu’ils attireront merveilleusement, et délecteront et esmouveront jusques à ravir mesme l’esprit : mais si de là nous nous transportons à la lecture des sainctes Escritures, vueillons ou non elles nous poindront si vivement, elles perceront tellement nostre cœur, elles se ficheront tellement au dedans des moelles, que toute la force qu’ont les Rhétoriciens ou Philosophes, au prix de l’efficace d’un tel sentiment ne sera que fumée. Dont il est aisé d’appercevoir que les sainctes Escritures ont quelque propriété divine à inspirer les hommes, veu que de si loing elles surmontent toutes les grâces de l’industrie humaine.

1.8.2

Je confesse bien qu’aucuns Prophètes ont une façon de parler élégante et de bonne grâce, mesme un style haut et bien orné : mais par tels exemples le sainct Esprit a voulu monstrer qu’il n’estoit point despourveu d’éloquence, quand ailleurs il luy plaisoit d’user d’un style grossier et rude. Au reste, soit qu’on lise David, Isaïe et leurs semblables, desquels le style est doux et coulant, soit qu’on lise Amos, qui estoit bouvier, Jérémie ou Zacharie, desquels le langage est plus aspre ou rustique, par tout la majesté de l’Esprit se monstre évidemment. Je n’ignore pas que Satan, selon qu’il se fait tousjours singe de Dieu, et se contrefait pour s’insinuer sous ombre de l’Escriture, pour tromper le cœur des simples a suivy un semblable train entant qu’en luy estoit : c’est de publier ses erreurs, dont il abruvoit les povres aveugles, sous un langage dur et lourd et quasi barbare : usant mesmes de formes de parler quasi enrouillées de vieillesse, afin de couvrir tant mieux ses tromperies sous telles masques. Mais ceux qui ont jugement rassis voyent assez combien telle affectation est vaine et frivole. Quant à la saincte Escriture, quoy que les gens profanes et desbordez s’efforcent d’y trouver à mordre, toutesfois c’est chose patente qu’elle est remplie de sentences qui jamais ne fussent tombées en l’esprit humain. Qu’on lise chacun Prophète, il ne s’en trouvera pas un qui n’ait surmonté de grande distance la mesure des hommes, tellement qu’il faut bien dire que tous ceux qui ne trouvent point sçavoir en leur doctrine, sont par trop desgoustez et du tout stupides.

1.8.3

Il y en a d’autres qui ont traitté amplement ceste matière : parquoy il me suffira d’en toucher pour le présent autant qu’il sera requis pour le sommaire principal de ce qu’il en faut sçavoir. Outre ce que j’ay desjà touché, l’ancienneté de l’Escriture n’est pas de petite importance pour nous y faire adjouster foy. Car quelques fables que racontent les escrivains Grecs, de la théologie des Egyptiens, on ne trouvera tesmoignage de nulle religion, qui ne soit de long temps après Moyse. D’avantage, Moyse ne forge pas un Dieu nouveau, mais seulement propose au peuple d’Israël ce que desjà par longue succession d’aages ils avoyent entendu de leurs ancestres. Car à quoy prétend-il, sinon de les amèner à l’alliance faite avec Abraham ? Et de faict s’il eust rien mis en avant incognu et non ouy, il n’y avoit nul accez. Mais il faloit que le propos de leur délivrance fust tout commun et notoire entre eux, afin que le message qu’il leur en apportoit les esmeust incontinent et leur donnast courage : mesme il est bien à présumer qu’ils estoyent advertiz du terme de quatre cens ans. Maintenant considérons si Moyse, qui a précédé de si long temps tous autres escrivains, prend toutesfois de si loin l’origine et source de sa doctrine, quelle prééminence d’ancienneté a l’Escriture saincte par-dessus tous escrits qu’on peut amener.

1.8.4

Sinon que nous fussions si sots que d’adjouster foy aux Egyptiens, quand ils estendent leur ancienneté jusques à six mille ans devant que le monde fust créé. Mais veu que tout ce qu’ils en babillent a toujours esté mocqué et rejette par les payens mesmes, il ne nous faut jà travailler à les rédarguer. Josèphe contre Appius, amasse plusieurs tesmoignages mémorables des plus anciens escrivains, dont il appert que tous peuples ont esté d’accord en cela, que la doctrine de la Loy avoit esté renommée de tous siècles, combien qu’elle ne fust pas leue ne deument cognue. Au reste, afin que les gens scrupuleux et chagrins n’eussent occasion de mal souspeçonner, que les malins aussi les plus hardis ne prinssent licence de caviller, Dieu est venu au-devant de ces dangers par très-bons remèdes. Moyse raconte que trois cens ans au pavant, Jacob avoit bény ses successeurs estant inspiré de Dieu à cela, comment est-ce qu’il annoblit ou avance son parentage ? mais plustost en la personne de Lévi il le dégrade avec infamie perpétuelle. Siméon et Lévi, dit-il, instrumens d’iniquité : que mon âme n’entre point en leur conseil, ma langue ne s’adjoigne point à leur secret Gen. 49.5-6. Il pouvoit bien mettre sous le pied un tel opprobre, non-seulement pour espargner son père, mais aussi pour ne se point machurer et diffamer avec toute sa maison de la mesme ignominie. Je vous prie, comment nous peut-il estre suspect, veu qu’en publiant que l’autheur et la première souche de la famille de laquelle il estoit descendu avoit esté prononcé détestable par le sainct Esprit ? Il n’a nul esgard à son proufit particulier, et mesme ne refuse pas de s’exposer à la haine de tous ses parens, ausquels sans doute cela venoit mal à gré. Pareillement en récitant le murmure auquel Aaron son propre frère et Marie sa sœur s’estoyent monstrez rebelles contre Dieu Nombres 12.1, dirons-nous qu’il ait esté poussé d’affection charnelle, et non plustost qu’il a obéy au commandement du sainct Esprit ? D’avantage, puis qu’il avoit toute authorité et crédit, pourquoy au moins ne laisse-il la dignité sacerdotale à ses enfans, mais les rejette bien loin en basse condition ? J’ay allégué ce peu d’exemples, combien qu’il y en ait grande quantité : tant y a que nous rencontrerons par toute la Loy des argumens tant et plus pour nous y faire adjouster foy, et nous monstrer que Moyse sans contredit est comme un Ange de Dieu venant du ciel.

1.8.5

Outreplus tant de miracles et si notables qu’il récite, sont autant d’approbations de la Loy publiée par luy : car ce qu’il a esté ravy en une nuée sur la montagne : ce qu’il est là demeuré quarante, jours sans converser avec les hommes Exode 24.18 : ce qu’en publiant la Loy il avoit sa face tellement luisante que les rais en sortoyent comme du soleil : ce que les esclairs, tonnerres et tempestes voloyent en l’air : que la trompette sonnoit sans bouche d’homme : que l’entrée du tabernacle estoit cachée par fois de la veue du peuple par la nuée Ex. 34.29 ; 19.16 ; 40.34 : que l’authorité dudit Moyse fut si excellemment maintenue par ceste horrible vengence qui tomba sur Coré, Dathan et Abiron avec toute leur séquele : que le rocher estant frappé de sa verge jetta une rivière : que Dieu à la requeste d’iceluy fit pleuvoir la manne du ciel Nomb. 16.24 ; 20.10 ; 11.9 : Dieu par cela ne le recommandoit-il pas comme un Prophète indubitable envoyé de sa part ? Si quelqu’un objecte, que je pren les choses pour certaines ausquelles on pourroit contredire : ceste cavillation est facile à soudre, veu que Moyse publioit telles histoires en l’assemblée : je vous prie, comment eust-il menti envers ceux qui avoyent tout veu de leurs propres yeux ? C’est bien à propos, qu’il se fust présenté au peuple pour le rédarguer d’infidélité, rébellion, ingratitude et autres crimes, et cependant qu’il se fust vanté que sa doctrine avoit esté ratifiée en leur présence par les miracles que jamais il n’eussent veu. Et de faict ce poinct doit estre bien noté, toutesfois et quantes qu’il traitte des miracles, tant s’en faut qu’il cherche faveur, que plustost il conjoint non sans amertume les péchez du peuple, qui le pouvoyent picquer à y contredire, s’il y eust eu la moindre occasion du monde : dont il appert qu’il n’ont esté induits à y acquiescer, sinon d’autant qu’ils estoyent convaincus par expérience. Au reste, pource que la chose estoit si notoire que les payens mesmes, je di les anciens escrivains, n’ont pas osé nier que Moyse n’eust fait des miracles : le diable père de mensonge leur a suggéré une calomnie, quand ils ont dit que c’estoit par art magique : mais quelle conjecture ont-ils de le charger d’avoir esté magicien, veu qu’il a tant détesté ceste superstition, jusques à commander qu’on lapidast tous ceux qu’on trouveroit s’en estre meslez ? Et de faict nul trompeur ou enchanteur ne fait ses illusions, qu’il ne tasche pour acquérir bruit d’estonner et estourdir les sens du peuple Ex. 7.12 ; Lévit. 20.6. Qu’est-ce que Moyse a fait en protestant haut et clair que luy et son frère Aaron ne sont rien, mais que simplement ils exécutent ce que Dieu leur a ordonné Ex. 16.1 ? Il se purge assez de toute mauvaise note. Et si on considère les choses telles qu’elles sont, quel enchantement auroit fait descendre chacun jour la manne du ciel, qui suffist à nourrir le peuple : et si quelqu’un en avoit pris outre mesure, en ce qu’elle pourrissoit, il fust appris par cela que Dieu punissoit son incrédulité ? Il y a plus, c’est que Dieu a permis que son serviteur ait esté examiné de si bonnes et vives espreuves, que maintenant les mesdisans ne proufitent de rien en détractant ou gergonnant contre luy. Car combien de fois le peuple s’est-il orgueilleusement et sans honte eslevé pour le ruiner ? quelles conspirations ont esté dressées par aucuns ? A-ce esté par illusions qu’il a eschappé leur fureur ? Brief l’événement monstre que par tels moyens sa doctrine a esté ratifiée à jamais.

1.8.6

Pareillement ce qu’en la personne du patriarche Jacob il assigne à la lignée de Juda principauté sur tout le corps Gen.49.10 : qui est-ce qui niera que cela n’ait esté fait par esprit prophétique ? Mesmes si nous réputons bien la chose, et la mettons devant nos yeux comme elle est advenue : posons le cas que Moyse eust esté le premier autheur de ceste sentence, toutesfois depuis qu’il l’a mise par escrit, quatre cens ans se passent devant qu’il soit mention de sceptre royal en la lignée de Juda. Quand Saül est esleu et receu, il semble bien que le royaume soit estably en la lignée de Benjamin 1Sam. 11.15. Quand David est oinct par Samuel 1Sam. 16.13, quel moyen y a-il d’arracher la couronne à Saül ny aux siens ? Qui eust espéré qu’il deust sortir Roy de la maison d’un bouvier ? Qui plus est, y ayant sept frères, qui eust cuidé que le plus mesprisé de tous deust parvenir à ceste dignité ? Et comment de faict y parvient-il ? Qui est-ce qui dira que son onction ait esté conduite par art, industrie ou prudence humaine, et non pas plustost que c’a esté l’effect de ce que Dieu avoit révélé du ciel ? Aussi ce que ledit Moyse a prédit touchant les payens, qu’ils seroyent quelquefois receus de Dieu, et faits participans de l’alliance de salut, veu que c’a esté deux mille ans devant qu’il apparust, qui est-ce qui niera qu’il a ainsi parlé par inspiration céleste ? Je laisse les autres prophéties, lesquelles sont si divines qu’il appert assez à toutes gens de sens rassis que c’est Dieu qui parle. Brief son seul Cantique est un clair miroir, auquel Dieu apparoist évidemment tant et plus.

1.8.7

Tout ceci se voit encores plus clairement aux autres Prophètes. J’en choisiray seulement quelque peu d’exemples, pource qu’il y auroit trop affaire de les recueillir tous. Comme ainsi soit que du temps d’Isaïe le royaume de Juda fust paisible, et mesme estant allié avec les Chaldéens, pensant bien y avoir support, Isaïe prononçoit alors que la ville seroit en la fin ruinée, et le peuple transporté en captivité. Encores qu’on ne se contentast point d’un tel advertissement, pour juger qu’il estoit poussé de Dieu à prédire les choses qu’on tenoit alors incroyables, et que puis après on cognut estre vrayes : si ne peut-on dire que ce qu’il adjouste de la délivrance ne soit procédé de l’Esprit de Dieu. Il nomme Cyrus, par lequel les Chaldéens devoyent estre vaincus, et le peuple d’Israël remis en liberté Esaïe 45.1. Entre la naissance de Cyrus et le temps que le Prophète a ainsi parlé, on trouvera plus de cent ans : car il nasquit cent ans ou environ après le trespas du Prophète ; nul ne pouvoit deviner alors qu’il y deust avoir quelque Cyrus lequel menast guerre à l’advenir contre les Babyloniens : et ayant abatu une monarchie si puissante, délivrast les enfans d’Israël, pour mettre fin à leur captivité. Ce récit ainsi nud, et sans aucun fard, ne monstre-il pas évidemment que les sentences qu’on ouyt de la bouche d’Isaïe sont oracles de Dieu, et non pas conjectures humaines ? Derechef quand Jérémie, un peu devant la captivité, assigna terme de soixante et dix ans jusques au jour de la rédemption : ne faloit-il pas que sa langue fust gouvernée de l’Esprit Jér. 25.11-12 ? Ne seroit-ce pas une impudence trop vileine, de mescognoistre que l’authorité des Prophètes a esté approuvée par tels tesmoignages ? mesmes que ce qu’ils allèguent, pour attribuer foy à leur dire a esté accomply : C’est que comme les choses précédentes estoyent advenues selon que Dieu en avoit parlé, qu’il continuoit d’annoncer les choses nouvelles devant qu’on y pensast Esaïe 42.9. Je laisse que Jérémie et Ezéchiel séparez en pays lointains, s’accordoyent en tout et partout, comme s’ils eussent recordé la leçon l’un à l’autre. Que diray-je de Daniel ? Ne traitte-il pas des choses qui se sont faites six cens ans après sa mort, comme s’il racontoit des histoires passées et toutes notoires ? Si les fidèles ont ces choses bien imprimées en leurs cœurs, ils seront assez munis pour repousser ces chiens mastins, qui abbayent contre la vérité tant certaine et infallible : car ces argumens sont par trop patens, pour en évader par cavillation.

1.8.8

Je say bien qu’ont accoustumé de gazouiller certains brouillons, pour se monstrer subtils à combatre contre la vérité de Dieu. Ils demandent qui c’est qui nous a rendus certains que Moyse et les Prophètes ayent escrit ce que nous lisons sous leurs noms : mesme ils n’ont point de honte de mettre en doute si jamais il y a eu quelque Moyse. Or si quelqu’un estrivoit, asçavoir s’il y a eu un Platon, ou un Aristote, ou un Cicéron, je vous prie, ne l’estimeroit-on pas digne d’estre souffleté, ou d’estre chastié de bonnes estrivières ? Car c’est se desborder par trop, de mettre en question ce que chacun voit à l’œil. La loy de Moyse a esté miraculeusement conservée, plustost par la providence de Dieu, que par le soin des hommes. Et combien que par la nonchalance des Prestres elle fust comme ensevelie pour quelque temps, depuis que le bon Roy Josias l’eust retrouvée, elle a esté leue de tous par successions continuelles. Et aussi Josias ne la mit pas en avant comme chose nouvelle, mais qui avoit esté commune tant et plus, et dont la mémoire estoit publique et récente. L’original s’en gardoit au Temple. Il y en avoit une copie entre les Chartres Royales. Seulement il estoit advenu, que les Sacrificateurs avoient délaissé pour un temps d’en faire publication solennelle, et le peuple n’avoit tenu conte d’en avoir la cognoissance. Qui plus est, jamais ne s’est passé aage, où l’autorité d’icelle n’ait esté confermée et renouvellée. Moyse n’estoit-il pas cognu de ceux qui lisoient David ? Mais pour dire en général ce qui est de tous les Prophètes, il est plus que certain que quand leurs escrits sont parvenus de pères à fils, ceux qui les avoyent ouy parler en ont rendu tesmoignage de vive voix : et que de main en main cela a esté si bien testifié, qu’il n’y avoit que douter.

1.8.9

Ce que ces canailles amènent du livre des Machabées, tant s’en faut qu’il délègue à la certitude de l’Escriture saincte, comme ils prétendent qu’il est très-suffisant à l’establir. Mais il sera expédient en premier lieu de leur oster la couleur dont ils abusent : et puis nous retournerons leur argument contre eux-mesmes. Il est récité audit livre, que ce grand tyran Antiochus commanda de faire brusler tous les livres de la Loy 1Mach. 1.59. Sur cela ces mocqueurs demandent, D’où sont sorties les copies qui nous en restent ? Or je leur demande au contraire, en quelle boutique ils eussent esté si tost forgez, sinon qu’ils fussent demeurez. Car il est tout notoire, qu’incontinent après que la persécution fut cessée, lesdits livres se trouvèrent entiers, et furent recognus par les fidèles qui en avoyent esté privément enseignez. Mesme combien que de ce temps-là tout le monde conspirast contre les Juifs pour extirper leur religion, et que chacun s’efforçast de les calomnier : toutesfois nul n’a jamais osé leur impropérer qu’ils eussent supposé de faux livres. Car tous les incrédules et blasphémateurs qui furent jamais, en mesdisant de la religion Judaïque, ont néantmoins confessé que Moyse en estoit l’autheur. Ainsi ces canailles monstrent bien une rage désespérée, en chargeant de fausseté les livres qui ont tesmoignage de leur ancienneté par toutes les histoires, voire par la bouche de leurs propres ennemis et détracteurs. Mais afin que je ne m’amuse trop longuement à réfuter des badinages tant sots et lourds : plustost recognoissons en cest endroit, quel soin Dieu a eu de garder sa Parole, quand par-dessus et outre l’opinion de tout le monde il l’a retirée saine et sauve de la cruauté de cest horrible tyran, comme d’un feu embrasé qui devoit tout consumer : qu’il a fortifié d’une telle constance les bons Sacrificateurs et autres fidèles, qu’ils n’ont point espargné leur propre vie pour garder ce thrésor à leurs successeurs, ce qu’ils ne pouvoyent faire qu’en danger de mort : qu’il a esblouy les yeux des brigans et satellites de Satan, tellement qu’avec toutes leurs inquisitions ils sont demeurez frustrez, ne pouvans abolir comme ils pensoyent ceste vérité immortelle. Qui ne recognoistra une œuvre miraculeuse de Dieu et digne de mémoire, que quand les adversaires cuidoyent avoir tout gaigné, soudain il a remis au-dessus les livres qu’ils avoyent si diligeimment cherchez pour tout brusler, voire avec plus grande majesté qu’ils n’avoient eue au paravant ? Car l’interprétation Grecque tantost après survint, qui a esté le moyen de les espandre par tout le monde. D’avantage, le miracle n’a pas seulement esté en ce que Dieu a maintenu l’instrument de son alliance contre les cruelles menaces d’Antiochus : mais aussi en ce que parmi tant de calamitez et désolations qui ont esté sur les Juifs, la Loy et les Prophètes ont esté réservez, combien qu’on pensoit bien qu’ils deussent cent fois périr. La langue Hébraïque n’estoit pas seulement sans renom, mais rejettée comme barbare. Et de faict, si Dieu n’eust pourvu à la vraye religion en la conservant, c’en estoit fait. Car il appert par les Prophètes qui ont enseigné depuis leur retour de la captivité de Babylone, combien les Juifs estoyent eslongnez en ce temps-là de leur langue pure et nayfve : ce qui est bien à notter, pource que de telle comparaison, l’ancienneté de la Loy et des Prophètes est plus évidente. Et par quelles gens Dieu nous a-il gardé sa doctrine contenue en la Loy et aux Prophètes, afin de nous manifester par icelle Jésus-Christ en temps opportun ? asçavoir par les plus grans ennemis de la Chrétienté : que S. Augustin à bon droict appelle libraires de l’Eglise, pource qu’ils nous ont fourni des livres, dont eux-mesmes ne se peuvent aider ne servir.

1.8.10

Si on vient au Nouveau Testament, encores y trouvera-on plus ferme approbation. Les trois évangélistes récitent leur histoire en style bas. Plusieurs arrogans desdaignent cette simplicité, pource qu’ils ne regardent point à la substance. Dont il seroit aisé de recueillir combien ils surmontent toute capacité humaine en traittant les mystères du ciel. Certes quiconque aura une goutte d’honnesteté, sera confus en lisant seulement le premier chapitre de sainct Luc. D’avantage, le sommaire des sermons de Jésus-Christ, selon qu’il est là briefvement récité, ne souffre point qu’une doctrine si haute soit mesprisée. Mais sur tous sainct Jehan, comme tonnant du ciel, doit bien assujetir tous esprits en obéissance de foy : ou bien s’ils demeurent revesches, il est suffisant plus que toutes les foudres du monde, pour abatre tant et plus leur obstination. Que ces contrerolleurs se monstrent un peu, et puisqu’ils se baignent à rejetter des cœurs humains toute révérence de l’Escriture, qu’ils se bandent hardiment pour maintenir leur querele : mais ayans leu l’évangile sainct Jehan, maugré qu’ils en ayent, ils trouveront là mille sentences, lesquelles pour le moins resveilleront leur brutalité : mesme qui imprimeront chacune un horrible cautère en leurs consciences, pour rabatre leurs risées. Autant en est-il de sainct Pierre et de sainct Paul : car combien que la pluspart du monde soit si eslourdie, que de ne point recevoir leur doctrine : si est-ce qu’elle a en soy une majesté céleste pour tenir en bride, voire attacher de près tous ceux qui font des restifs. Quand il n’y auroit que cecy, c’est bien pour magnifier leur doctrine pardessus le monde : asçavoir que Matthieu estant du tout adonné à son gain de changeur et péager, Pierre et Jehan n’estans accoustumez qu’à pescher en une nasselle, et tous les autres Apostres estans idiots et lourds, n’avoyent rien appris à l’eschole des hommes qu’ils peussent enseigner aux autres. Quant à sainct Paul, après avoir esté non-seulement ennemi déclaré, mais cruel et quasi enragé à espandre le sang, estant converty en nouvel homme, n’a-il pas monstré à veue d’œil, par un changement si soudain, et que jamais on n’eust espéré, qu’il avoit esté contraint par l’empire et vertu de Dieu, de maintenir la doctrine, laquelle il avoit combatue ? Que ces chiens-cy abbayent tant qu’ils voudront, que le sainct Esprit n’est point descendu sur les Apostres, qu’ils tienent une histoire si patente pour fable : toutesfois la chose crie haut et clair. Quand ceux qui estoyent mesprisez entre le commun populaire, comme les plus rudes et grossiers, commencent en une minute de temps d’exposer les profonds mystères de Dieu, d’une façon si magnifique, il faut bien qu’ils ayent eu le sainct Esprit pour maistre.

1.8.11

Il y a encores d’autres bonnes raisons, pour lesquelles le consentement de l’Eglise n’est pas sans importance. Car il ne faut pas estimer cela comme rien, que par tant d’aages qui ont esté depuis que l’Escriture a esté publiée, il y ait eu un perpétuel consentement en l’obéissance d’icelle. Et combien que le diable se soit efforcé par plusieurs manières de l’opprimer, ou renverser, voire mesmes de l’effacer du tout de la mémoire des hommes, néantmoins qu’elle est tousjours comme la palme demeurée inexpugnable et victorieuse. Car il n’y a eu guères de Philosophes ou Rhétoriciens d’excellent entendement, qui n’ayent appliqué leur subtilité à l’encontre d’icelle : néantmoins tous n’y ont rien proufité. Toute la puissance de la terre s’est armée pour la destruire, et tous ses efforts sont tournez en fumée. Comment eust-elle résisté, estant si durement assaillie de toutes pars, si elle n’eust esté défendue que de support humain ? Parquoy il est plustost à conclure, que l’Escriture saincte que nous tenons, est de Dieu : puis que maugré toute la sagesse et vertu des hommes elle est néantmoins venue en avant par sa vertu. Outreplus il n’y a pas eu seulement une cité ou nation qui ait conspiré à la recevoir : mais tant que s’estend au long et au large toute la terre, elle a obtenu son authorité par un conforme consentement de tous les peuples, qui autrement n’avoyent rien entre eux de commun. Or comme ainsi soit qu’une telle convenance de peuples tant divers, et qui autrement discordent en façon et manière de vivre, nous doivent esmouvoir (veu que c’est une chose apparente que la vertu de Dieu a besongné à les accorder) toutesfois encore aura ceste considération plus de poids, quand nous contemplerons la preudhommie et saincteté de ceux qui sont convenus à recevoir l’Escriture. Je ne dy pas de tous : mais de ceux que nostre Seigneur a constituez comme lampes en son Eglise, pour l’esclairer par la lumière de leur saincteté.

1.8.12

D’avantage en quelle certitude devons-nous recevoir ceste doctrine, laquelle nous voyons avoir esté scellée et testifiée par le sang de tant de saincts personnages ? Iceux n’ont fait nulle difficulté de mourir courageusement, et mesme joyeusement pour icelle, après l’avoir une fois receue. Et nous, comment ne la recevrons-nous d’une persuasion certaine et invincible, puisqu’elle nous a esté donnée avec une telle arre et confirmation ? Ce n’est point donc une petite approbation de l’Escriture, de ce qu’elle a esté signée par le sang de tant de tesmoins. Principalement quand nous recognoissons qu’ils n’ont pas souffert la mort pour le tesmoignage de leur foy par furie et phrénésie (comme font aucunesfois les esprits d’erreur transportez :) mais par un zèle de Dieu, autant sobre et tempéré, comme ferme et constant. Il y a plusieurs autres raisons, et icelles bien apparentes, par lesquelles la majesté et dignité de l’Escriture non-seulement peut estre acertenée aux cœurs des fidèles, mais aussi puissamment maintenue contre la malice des calomniateurs. Lesquelles raisons néantmoins ne sont point de soy suffisantes pour fonder droitement sa certitude, jusques à ce que le Père céleste, faisant là reluire sa divinité, l’exempte de toute doute et question, luy donnant ferme révérence. Pourtant lors finalement l’Escriture nous satisfera à une cognoissance de Dieu, qui nous apporte salut, quand la certitude d’icelle sera appuyée sur la persuasion intérieure du S. Esprit. Les tesmoignages humains, qui servent pour la confermer, lors ne seront point vains, quand ils suyvront ce tesmoignage principal et souverain, comme aides et moyens seconds pour subvenir à nostre imbécillité. Mais ceux qui veulent prouver par argumens aux incrédules, que l’Escriture est de Dieu, sont inconsidérez. Or cela ne se cognoist que par foy. Ainsi S. Augustin à bon droict dit, qu’il faut que la crainte de Dieu, et une mansuétude paisible du cœur aille devant, pour faire rien entendre aux hommes, quant aux mystères de Dieu[d].

[d] Au livre De Util. cred.

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