Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE I
Qui est de connoistre Dieu en tiltre et qualité de Créateur et souverain Gouverneur du monde.

Chapitre XIV
Comment, par la création du monde et de toutes choses, l’Escriture discerne le vray Dieu d’avec ceux qu’on a forgez.

1.14.1

Combien qu’Isaïe à bon droict rédargue tous idolastres, de ce qu’ils n’ont point apprins des fondemens de la terre, et de ce grand circuit des cieux, quel estoit le vray Dieu Esaïe 40.21 toutesfois selon que nous avons l’esprit tardif et hébété, il a esté nécessaire de monstrer et quasi peindre plus expressément quel est le vray Dieu, afin que les fidèles ne se laissassent escouler aux resveries des payens. Car comme ainsi soit, que la description qu’en donnent les philosophes qui semble estre la plus passable : asçavoir que Dieu est l’esprit du monde, ne soit qu’un ombrage qui s’esvanouit, il faut bien que Dieu soit cognu de nous plus familièrement, à ce que nous ne chancelions point tousjours en ambiguïté. Parquoy Dieu a publié l’histoire de la création par Moyse, sur laquelle il a voulu que la foy de l’Eglise fust appuyée : afin qu’elle ne cherchast autre Dieu, sinon celuy qui est là proposé créateur du monde. Or le temps est marqué, afin que les fidèles, par le laps continuel des ans, fussent conduits jusques à la première origine du genre humain, et de toutes choses : ce qui est singulièrement utile à cognoistre, non-seulement pour rebouter les fables prodigieuses qui ont eu jadis leur vogue en Egypte et autre pais : mais aussi afin que le commencement du monde estant cognu, l’éternité de Dieu reluise plus clairement, et qu’elle nous ravisse en admiration de foy. Que nous ne soyons point troublez en cest endroit de la mocquerie des gaudisseurs, qui s’esmerveillent pourquoy Dieu ne s’est plustost advisé de créer le ciel et la terre, mais a laissé passer un terme infiny, qui pouvoit faire beaucoup de millions d’aages, demeurant ce pendant oisif : et qu’il a commencé à se mettre en œuvre seulement depuis six mille ans, lesquels ne sont point encores accomplis depuis la création du monde, lequel toutesfois déclinant à sa fin, monstre de quelle durée il sera. Car il ne nous est pas licite, ny mesmes expédient, d’enquester pourquoy Dieu a tant différé : pource que si l’esprit humain s’efforce de monter si haut, il défaudra cent fois au chemin : et aussi il ne nous sera point utile de cognoistre ce que Dieu (non sans cause) nous a voulu estre celé pour esprouver la sobriété de nostre foy. Parquoy un bon ancien jadis respondit fort bien à un de ces mocqueurs, lequel par risée et plaisanterie demandoit, à quel ouvrage s’appliquoit Dieu devant qu’il créast le monde. Il bastissoit (dit-il) l’enfer pour les curieux. Cest advertissement aussi grave que sévère doit réprimer toute convoitise désordonnée, laquelle chatouille beaucoup de gens, mesmes les pousse en des spéculations aussi nuisibles que tortues. Brief, qu’il nous souviene que Dieu qui est invisible, et duquel la sagesse, vertu et justice est incompréhensible, nous a mis devant les yeux l’histoire de Moyse, au lieu de miroir auquel il veut que son image nous reluise. Car comme les yeux chassieux ou hébétés de vieillesse, ou obscurcis par autre vice et maladie, ne peuvent rien voir distinctement, sinon estans aidez par lunettes : aussi nostre imbécillité est telle, que si l’Escriture ne nous addresse à chercher Dieu, nous y sommes tantost esvanouis. Si ceux qui se donnent licence à babiller sans honte et brocarder, ne reçoivent maintenant nulle admonition, ils sentiront trop tard en leur horrible ruine combien il leur eust esté plus utile de contempler de bas en haut les conseils secrets de Dieu avec toute révérence, que desgorger leurs blasphèmes pour obscurcir le ciel. Sainct Augustin se plaind aussi à bon droict qu’on fait injure à Dieu, cherchant cause de ses œuvres, laquelle soit supérieure à sa volonté[g]. Et en un autre passage il nous advertit bien à propos que d’esmouvoir question de l’infinité des temps, c’est une aussi grande folie et absurdité que d’entrer en dispute pourquoy la grandeur des lieux n’est aussi bien infinie[h]. Certes quelque grandeur ou espace qu’il y ait au pourpris du ciel, si est-ce encores qu’on y trouve quelque mesure. Si maintenant quelqu’un plaidoit contre Dieu de ce qu’il y a cent millions de fois plus d’espace vuide : ceste audace tant desbordée ne sera-elle point détestable à tous fidèles ? Or ceux qui contrerollent le repos de Dieu, d’autant que contre leur appétit il a laissé passer des siècles infinis devant que créer le monde, se précipitent en une mesme rage. Pour contenter leur curiosité, ils sortent hors du monde, comme si en un si ample circuit du ciel et de la terre nous n’avions point assez d’objects et rencontres qui, par leur clairté inestimable, doivent retenir tous nos sens et par manière de dire les engloutir : comme si au terme de six mille ans Dieu ne nous avoit point donné assez d’enseignemens pour exercer nos esprits, en les méditant sans fin et sans cesse. Demeurons doncques entre ces barres ausquelles Dieu nous a voulu enclorre et quasi tenir nos esprits enserrez, afin qu’ils ne descoulent point par une licence trop grande d’extravaguer.

[g] Lib. De Genesi, contra Manich.
[h] De civitate Dei, lib. II.

1.14.2

Ce que Moyse récite, que le bastiment du monde a esté achevé non pas en une minute, mais en six jours, tend à ceste mesme fin que j’ay dite. Car par ceste circonstance nous sommes retirez de toutes fausses imaginations pour estre recueillis à un seul Dieu : lequel a digéré son ouvrage en six jours, afin que nous ne fussions point ennuyez de nous occuper tout le cours de nostre vie à considérer quel il est. Car combien que nos yeux, de quelque costé qu’ils se tournent, soyent contraints de contempler les œuvres de Dieu, nous voyons toutesfois combien l’attention est légère et maigre : et si nous sommes touchez de quelque bonne et saincte pensée, elle s’envole incontinent. Or yci la raison humaine plaideroit volontiers contre Dieu, comme si bastir le monde de jour à autre ne fust pas chose décente à sa puissance. Voylà nostre présomption, jusques à ce que nostre esprit estant dompté sous l’obéissance de la foy, apprene à venir au repos auquel nous convie ce qui est dit de la sanctification du septième jour. Or en l’ordre des choses créées nous avons à considérer diligemment l’amour paternelle de Dieu envers le genre humain : en ce qu’il n’a point créé Adam jusques à ce qu’il eust enrichy le monde, et pourveu d’abondance de tous biens. Car s’il l’eust logé en la terre du temps qu’elle estoit encores stérile et déserte, et s’il luy eust donné vie devant qu’il y eust clairté, on eust estimé qu’il n’avoit point grand soin de luy ordonner ce qui luy estoit utile. Maintenant puis qu’il a différé de créer l’homme jusques à ce qu’il eust disposé le cours du soleil et des estoilles pour nostre usage, qu’il eust remply les eaux et l’air de toutes sortes de bestial, qu’il eust fait produire toutes sortes de fruits pour nous alimenter : en prenant tel soin d’un bon père de famille et pourvoyable, il a monstré une merveilleuse bonté envers nous. Si chacun poise bien et attentivement en soy ce que je touche yci comme en passant, il verra que Moyse est un tesmoin infallible et un héraut authentique pour publier quel est le Créateur du monde. Je laisse yci à dire ce que j’ay déclairé par cy-devant, asçavoir qu’il n’est pas là seulement tenu propos de l’essence de Dieu : mais qu’aussi sa sagesse éternelle et son Esprit nous y sont monstrez afin que nous ne songions point d’autre Dieu que celuy qui veut estre cognu en ceste image tant expresse.

1.14.3

Mais devant que je commence à traitter plus à plein de la nature de l’homme, il faut entrelacer quelque chose des Anges. Car combien que Moyse en l’histoire de la création se conformant à la rudesse des idiots, ne raconte point d’autres œuvres de Dieu, sinon celles qui se présentent devant nos yeux : toutesfois quand puis après il introduit les Anges comme ministres de Dieu, il est aisé à recueillir qu’ils le cognoissent pour Créateur s’adonnans à luy obéir et luy rendre tout devoir. Combien doncques que Moyse, parlant rudement comme le simple populaire, n’ait pas du premier coup nombré les Anges entre les créatures de Dieu, toutesfois rien n’empesche que nous ne déduisions yci clairement ce que l’Escriture nous en dit ailleurs : car si nous désirons de cognoistre Dieu par ses œuvres, il ne faut pas obmettre ceste partie tant noble et excellente. Outreplus ceste doctrine est fort nécessaire à réfuter beaucoup d’erreurs. La dignité, qui est en la nature angélique, a de tout temps esblouy beaucoup de gens, en sorte qu’ils pensoyent qu’on leur fist injure si on les abaissent pour les assujetir à Dieu : et là-dessus on leur a attribué quelque divinité. Manichée aussi avec sa secte s’est dressé, forgeant deux principes, asçavoir Dieu et le diable : attribuant l’origine des bonnes choses à Dieu, et faisant le diable autheur des mauvaises natures. Si nous avions les esprits embrouillez de telles resveries, Dieu n’auroit point la gloire qu’il mérite en la création du monde. Car puis qu’il n’y a rien plus propre à Dieu que son éternité et avoir estre de soy-mesme, ceux qui attribuent cela au diable, ne l’emparent-ils point aucunement du tiltre de Dieu ? D’avantage où sera la puissance infinie de Dieu, si on donne tel empire au diable, qu’il exécute ce que bon luy semble, quoy que Dieu ne le vueille pas ? Quant au fondement qu’ont prins ces hérétiques, asçavoir qu’il n’est pas licite de croire que Dieu qui est bon, ait rien créé de mauvais : cela ne blesse en rien nostre foy, laquelle ne recognoist nulle mauvaise nature en tout ce que Dieu a créé, pource que la malice et perversité tant de l’homme que du diable, et les péchez qui en provienent, ne sont point de nature, mais plus tost de corruption d’icelle : et n’y a rien procédé de Dieu, en quoy du commencement il n’ait donné à cognoistre sa bonté, sagesse et justice. Afin doncques de rebouter telles imaginations, il est requis d’eslever nos entendemens plus haut que nos yeux ne peuvent atteindre. Et de faict il est vray-semblable que c’a esté à ceste fin et intention qu’au concile de Nice Dieu est notamment appelé Créateur des choses invisibles. Toutesfois en parlant des Anges je m’estudieray à tenir telle mesure que Dieu nous commande : c’est de ne point spéculer plus haut qu’il sera expédient, de peur que les lecteurs ne soyent escartez de la simplicité de la foy : car aussi puis que le sainct Esprit nous enseigne tousjours ce qui nous est utile : et là où il n’y a pas grande importance pour édifier, il se taist du tout, ou bien il en touche légèrement et en passant : nostre devoir est d’ignorer volontiers ce qui n’apporte nul proufit.

1.14.4

Certes puisque les Anges sont ministres de Dieu, ordonnez pour faire ce qu’il leur commande, il n’y a doute qu’ils ne soyent ses créatures Ps. 103.1. D’esmouvoir questions contentieuses pour sçavoir en quel temps ils ont esté créez, ne seroit-ce point opiniastreté plustost que diligence ? Moyse récite que la terre a esté parfaite, et les cieux parfaits avec tous leurs ornemens ou armées Gen. 2.1 : que faut il se tormenter pour savoir au quantième jour les Anges qui sont armées du ciel ont commencé d’estre ? Afin de ne faire plus long procès, qu’il nous souviene, qu’yci aussi bien qu’en toute la doctrine chrestienne il nous faut reigler en humilité et modestie, pour ne parler ou sentir autrement des choses obscures, mesmes pour n’appéter d’en sçavoir, que comme Dieu en traitte par sa Parole : puis après que nous devons aussi tenir une autre reigle, c’est qu’en lisant l’Escriture nous cherchions continuellement et méditions ce qui appartient à l’édification, ne laschans point la bride à nostre curiosité, n’à un désir d’apprendre les choses qui ne nous sont point utiles. Et d’autant que Dieu nous a voulu instruire, non point en questions frivoles, mais en vraye piété, c’est-à-dire en la crainte de son nom, en sa fiance, en saincteté de vie, contentons nous de ceste science. Parquoy si nous voulons que nostre sçavoir soit droictement ordonné, il nous faut laisser ces questions vaines, desquelles se débatent les esprits oisifs, traittans sans la Parole de Dieu, de la nature et multitude des Anges et de leurs ordres. Je say bien que plusieurs sont plus convoiteux d’enquérir de ces choses, et y prenent plus de plaisir qu’à ce qui nous doit estre familier par l’usage continuel : mais s’il ne nous fasche pas d’estre disciples de Jésus Christ, qu’il ne nous soit point grief de suivre la façon de proufiter qu’il nous a monstrée. En ce faisant nous serons contens de la doctrine qu’il nous baille, en nous abstenant de toutes questions superflues, desquelles il nous retire : et non-seulement pour nous en faire abstenir, mais à ce que nous les ayons en horreur. Nul ne niera que celuy qui a escrit la hiérarchie céleste, qu’on intitule de sainct Denys, n’ait là disputé de beaucoup de choses avec grande subtilité : mais si quelqu’un espluche de plus près ces matières, il trouvera que pour la plus grand part il n’y a que pur babil. Or un théologien ne doit pas appliquer son estude à délecter les aureilles en jasant, mais de confermer les consciences en enseignant choses vrayes, certaines et utiles. Il semble en lisant ce livre-là que ce soit un homme tombé du ciel qui récite les choses qu’il a non-seulement apprinses, mais veues à l’œil. Or sainct Paul, qui avoit esté eslevé par-dessus le troisième ciel, non-seulement n’a pas ainsi enseigné, mais a protesté qu’il n’estoit point licite de révéler les secrets qu’il avoit veus 2Cor. 12.1. Pourtant en laissant là toute ceste folle sagesse, considérons seulement selon la simple doctrine de l’Escriture ce que Dieu a voulu que nous seussions des Anges.

1.14.5

Nous lisons par toute l’Escriture, que les Anges sont esprits célestes, du ministère desquels Dieu se sert pour faire et exécuter sa volonté : et de là leur est aussi imposé le nom d’Anges, d’autant que Dieu les fait ses messagiers envers les hommes, pour se manifester à eux. Semblablement les autres noms que l’Escriture leur donne, sont prins d’une mesme raison. Ils sont appelez Armées Luc 2.13, d’autant que comme les gendarmes sont autour de leur Prince ou Capitaine, aussi ils sont présens devant Dieu pour orner et honorer sa majesté : et sont tousjours prests attendans son bon plaisir, pour s’employer par tout où il ordonne, ou plustost avoir la main à l’œuvre. En telle magnificence nous est descrit le throne de Dieu par tous les Prophètes, et nommément en Daniel, quand il dit que Dieu estant monté en son siège royal, avoit des millions d’Anges en nombre inifiny tout à l’entour Dan. 7.10. D’avantage, pource que Dieu déclaire par eux la force de sa main, ils sont de là nommez Vertus Col. 1.10. Pource qu’il exerce par eux son Empire par tout le monde, selon ceste raison ils sont nommez maintenant Principautez, maintenant Puissances, maintenant Seigneuries Eph. 1.21. Finalement pource que la gloire de Dieu réside en eux, ils sont aussi nommez ses Thrones : combien que touchant ce dernier mot je n’en veux rien affermer, pource que l’autre exposition convient aussi bien ou mieux. Mais laissant là le nom de Thrones : quant aux précédens d’ont nous avons parlé, le sainct Esprit use souventesfois de ces tiltres, pour magnifier la dignité du ministère des Anges. Car ce n’est pas raison que les créatures dont le Seigneur use comme d’instrumens pour déclairer spécialement sa présence au monde, soyent laissées là sans honneur. Mesmes plusieurs fois ils sont nommez dieux, d’autant que par leur ministère ils nous représentent aucunement comme en un miroir l’image de Dieu. Car combien que ce qu’ont escrit les anciens Docteurs me plaise bien : asçavoir, que quand l’Escriture fait mention que l’Ange de Dieu est apparu à Abraham, ou à Jacob, ou à quelque autre, ils exposent cela de Jésus-Christ Gen. 18.1 ; 32.1, 28 ; Jos. 5.15 ; Juges 6.14 ; 13.22 : toutesfois si voit-on bien que les Anges en commun sont appelez souvent dieux, comme j’ay dit : et ne nous devons pas esbahir de cela : car si le mesme honneur est fait aux Rois et aux Princes, lesquels aussi bien l’Escriture appelle dieux Ps. 82.6, d’autant qu’ils sont en leur office comme lieutenans de Dieu, qui est le souverain Roy et supérieur de tous : il y a plus de raison qu’il soit donné aux Anges, veu que la clairté de la gloire de Dieu reluit abondamment en eux.

1.14.6

Or l’Escriture s’arreste principalement à enseigner ce qui peut servir le plus à nostre consolation et à la confirmation de nostre foy : c’est que les Anges sont dispensateurs et ministres de la libéralité de Dieu envers nous. Pourtant elle dit qu’ils sont toujours au guet pour nostre salut, qu’ils sont tousjours prests à nous défendre, qu’ils dressent nos voyes, et ont le soin de nous en toutes choses, pour nous garder de mauvaise rencontre. Car ces sentences qui s’ensuivent sont universelles, appartenantes premièrement à Jésus-Christ, comme chef de toute l’Eglise, puis après à tous les fidèles : asçavoir, Il a commandé de toy à ses Anges, qu’ils te gardent en toutes tes voyes. Ils te porteront en leurs mains, tellement que tu ne chopperas point. Item, Les Anges du Seigneur sont à l’environ de ceux qui le craignent, et les retirent du danger Ps. 91.11. Par ces sentences Dieu monstre qu’il commet à ses Anges la tutèle de ceux qu’il veut garder. Suivant cela l’Ange du Seigneur consoloit Agar en sa fuite, et luy commandoit de se réconcilier à sa maistresse Gen.26.9 ; 24.7. Semblablement Abraham promettoit à son serviteur, que l’Ange de Dieu luy seroit pour guide au chemin. Jacob en bénissant Ephraïm et Manassé, prioit que l’Ange de Dieu qui luy avoit tousjours assisté, les fist prospérer. Semblablement il est dit que l’Ange de Dieu estoit sur le camp du peuple d’Israël : et toutesfois et quantes que Dieu a voulu délivrer ce peuple de la main de ses ennemis, il s’est servy de ses Anges pour ce faire Gen. 48.16 ; Ex. 14.19 ; 23.20 ; Jug. 2.1 ; 6.11 ; 13.9. Et afin que je ne soye plus long, il est dit que les Anges servoyent à nostre Seigneur Jésus, après qu’il fut tenté au désert. Item, qu’il luy assistoyent en son angoisse du temps de sa passion. Semblablement ils annoncèrent aux femmes sa résurrection, et aux disciples son advénement glorieux Matth. 4.11 ; Luc.22.43 ; Matth. 28.5, 7 ; Luc.24.5 ; Actes 1.10. Pourtant afin de s’acquitter de l’office qui leur est donné d’estre nos défenseurs, ils combatent contre le diable et contre tous nos ennemis, et font la vengence de Dieu sur ceux qui nous molestent : comme nous lisons que l’Ange du Seigneur tua pour une nuict cent quatre-vingts et cinq mille hommes au camp des Assyriens, pour délivrer Jérusalem du siège 2Rois. 19.35 ; Esaïe 37.36.

1.14.7

Au reste, si chacun fidèle a un Ange propre qui luy soit assigné pour sa défense, ou non, je n’en oseroye rien affermer. Certes quand Daniel dit que l’Ange des Persiens combatoit, et semblablement l’Ange des Grecs, à l’encontre des ennemis Dan. 10.13, 20 ; 12.1 : par cela il signifie que Dieu commet aucunesfois ses Anges, comme pour estre gouverneurs des pays et provinces. Semblablement Jésus-Christ, en disant que les Anges des petis enfans voyent tousjours la face du Père, démonstre bien qu’il y a certains Anges qui ont la charge des petis enfans : mais je ne say pas si de cela on pourroit inférer que chacun eust le sien propre. Il faut bien tenir ce point résolu, que non-seulement un ange a le soin de chacun de nous, mais que d’un commun accord ils veillent pour nostre salut : car il est dit de tous les anges en commun, qu’ils se resjouissent plus du pécheur quand il se convertist à repentance, que de nonante justes, quand ils auront tousjours persévéré à bien faire Matth. 18.10. Il est dit semblablement que l’âme de Lazare a esté portée au sein d’Abraham par plusieurs anges Luc 15.7. Ce n’est pas aussi en vain qu’Elisée monstre à son serviteur tant de chariots flamboyans qui luy estoyent ordonnez en particulier pour le garder 2Rois 6.17. Il y a un passage qui sembleroit avis plus exprès pour confermer ceste opinion : c’est que quand sainct Pierre estant sorty miraculeusement de la prison, heurta à la maison où les frères estoyent assemblez, iceux ne pouvans penser que ce fust, ils disoyent que c’estoit son ange Actes 12.15. Or il est à conjecturer que cela leur veint en pensée, d’une commune opinion qu’on avoit lors, que chacun fidèle avoit son Ange particulier. Mais encores a cela on peut respondre, qu’il n’y a point d’inconvénient qu’ils entendissent indifféremment d’aucun des Anges, auquel lors Dieu eust recommandé sainct Pierre, non pas qu’il en fust le gardien perpétuel, selon qu’on imagine communément, que chacun de nous a deux Anges, l’un bon et l’autre mauvais : laquelle opinion a esté anciennement commune entre les Payens. Combien qu’il n’est ja besoin de nous tourmenter beaucoup en une chose qui ne nous est guères nécessaire à salut. Car si quelqu’un ne se contente pas de cela, que toute la gendarmerie du ciel fait le guet pour nostre salut, et est preste à nostre aide, je ne say qu’il luy proufitera d’avantage de dire qu’il ait un Ange particulier pour son gardien. Mesmes ceux qui restreignent à un Ange le soin que Dieu a d’un chacun de nous, se font grande injure et à tous les membres de l’Eglise : comme si pour néant Dieu eust promis que tousjours nous aurons de grosses bandes pour nous secourir, afin qu’estans ainsi munis de tous costez nous combations tant plus courageusement.

1.14.8

Touchant de la multitude et des ordres, que ceux qui en osent rien déterminer regardent sur quel fondement ils s’appuyent. Je confesse que Michel est nommé en Daniel grand prince ou capitaine, et Archange en sainct Jude : et sainct Paul dit bien que ce sera un Archange qui adjournera le monde avec une trompe, pour comparoistre au jugement Dan. 12.1 ; Jude 1.9 ; 1Thess. 4.16. Mais qui est ce qui pourra par cela constituer les degrés d’honneur entre les Anges, les distinguer chacun l’un de l’autre par nom et par tiltre, assigner à chacun son lieu et sa demeure ? Car mesmes les noms de Michel et Gabriel, qui sont en l’Escriture, et le nom de Raphaël qui est en l’histoire de Tobie Tob. 12, semblent avis par la signification qu’ils emportent, avoir esté imposez aux Anges à cause de nostre infirmité : combien que de cela j’aime mieux n’en rien définir. Quant est du nombre, nous oyons bien de la bouche de Jésus-Christ qu’il y en a plusieurs légions : Daniel en nomme beaucoup de millions : le serviteur d’Elisée veit plusieurs chariots, et ce qui est dit au Pseaume, qu’ils campent à l’entour des fidèles, démonstre une grande multitude Matth. 26.53 ; Dan.7.10 ; 2Rois 6.17 ; Ps. 34.7. Il est bien vray que les esprits n’ont point de forme comme les corps : toutesfois l’Escriture, pour nostre petite capacité et rudesse, non sans cause nous peind les Anges avec des ailes sous les tiltres de Chérubin et Séraphin : à ce que nous ne doutions point qu’ils seront tousjours prests à nous secourir avec une hastiveté incroyable, si tost que la chose le requerra : comme nous voyons que les esclairs volent parmy le ciel et par-dessus toute appréhension. Si on en veut sçavoir d’avantage, cela est enquérir sur les secrets dont la plene révélation, est différée au dernier jour. Pourtant, qu’il nous souviene que nous avons à nous garder en cest endroit tant d’une curiosité superflue à enquérir des choses qu’il ne nous appartient point de sçavoir, que d’une audace à parler de ce que nous ne sçavons point.

1.14.9

Toutesfois ce point qu’aucuns escervelez mettent en doute nous doit estre tout résolu, que les Anges sont esprits servans à Dieu, lesquels il employe à la protection des siens, et par lesquels il dispense ses bénéfices envers les hommes, et fait ses autres œuvres Héb. 1.14 ; Actes 23.8. Les Sadducéens ont bien eu autrefois ceste opinion, que par ce mot d’Anges il n’estoit signifié autre chose que le mouvement que Dieu inspire aux hommes, ou les vertus qu’il démonstre en ses œuvres : mais il y a tant de tesmoignages de l’Escriture qui contredisent à ceste resverie, que c’est merveille qu’il y ait peu avoir une telle ignorance au peuple d’Israël. Car sans aller plus loin, les passages que j’ay alléguez cy-dessus, sont bien suffisans pour en oster toute difficulté, asçavoir quand il est dit qu’il y a des légions et des millions d’Anges, quand il est dit qu’ils se resjouissent, quand il est récité qu’ils soustienent les fidèles entre leurs mains, qu’ils portent leurs armes en repos, qu’ils voyent la face de Dieu : car par cela il est bien démonstré qu’ils ont une nature ou une essence. Mais encores outre cela, ce que disent sainct Paul et sainct Estiene, que la Loy a esté donnée par la main des Anges, et ce que dit nostre Seigneur Jésus, que les esleus seront semblables aux Anges après la résurrection : item, que le dernier jour est incognu mesmes aux Anges : item, qu’il viendra avec les saincts Anges, ne se peut destourner en autre sens Actes 7.53 ; Gal. 3.19 ; Matth. 22.30 ; 24.36 ; 25.31 ; Luc 9.26. Semblablement quand sainct Paul adjure Timothée devant Jésus-Christ et ses Anges esleus, il ne dénote point quelques qualitez ou inspirations : et ne peuvent autrement consister les sentences qui sont en l’Epistre aux Hébrieux, que Jésus-Christ, a esté exalté par-dessus les Anges : item, qu’à iceux n’a point esté assujeti le monde : item, que Christ n’a point pris leur nature, mais celle des hommes : sinon que ce soyent vrays esprits, qui ayent leur substance propre 1Tim. 5.21 ; Héb. 1.4 ; 2.5, 7. Et l’Apostre se déclaire puis après, en comprenant les Anges avec les âmes des fidèles, et les mettant en un mesme rang. Outreplus nous avons desjà allégué que les Anges des petis enfans voyent tousjours la face de Dieu, que nous sommes défendus par leur secours, qu’ils s’esjouissent de nostre salut, qu’ils s’esmerveillent de la grâce infinie de Dieu qui se voit en l’Eglise, qu’ils sont sous un mesme chef que nous, asçavoir Christ, qu’ils sont si souvent apparus aux saincts Prophètes en forme d’hommes, ont parlé à eux, et ont logé en leurs maisons : monstre bien qu’ils ne sont pas vents et fumée. Mesmes Jésus-Christ à cause de la primauté qu’il a en la personne de Médiateur est nommé Ange. Il m’a semblé bon d’attoucher en brief ce point, pour armer et prémunir les simples à l’encontre des sottes opinions et fantastiques, que le diable a esmeues dés le commencement en l’Eglise, et que maintenant il réveille.

1.14.10

Il reste d’obvier à la superstition laquelle entre volontiers en la fantasie des hommes, quand on dit, que les anges nous sont ministres et dispensateurs de tous biens. Car incontinent nostre raison décline là, qu’il n’y a honneur qu’il ne leur fale attribuer : de là il advient que nous leur transférons ce qui appartient seulement à Dieu et à Jésus-Christ. Voylà comment la gloire de Christ a esté longtemps obscurcie par cy-devant, d’autant qu’on magnifioit les anges outre mesure, en leur attribuant ce que la Parole de Dieu ne porte point. Et entre les vices que nous reprenons aujourd’huy, à grand’peine y en a-il un plus ancien. Car nous voyons que sainct Paul mesme a eu à combatre contre d’aucuns qui exaltoyent tellement les anges, que Jésus-Christ estoit abaissé quasi à estre d’une mesme condition. C’est la cause pourquoy il maintient tant fort en l’Epistre aux Colossiens, que Jésus-Christ non-seulement doit estre préféré aux anges, mais que c’est de luy aussi qu’ils reçoivent tous biens Col. 1.16, 20 : afin que nous ne soyons point si mal advisez de nous destourner de luy pour nous addresser à eux, d’autant qu’ils n’ont point suffisance en eux mesmes, mais qu’ils puisent d’une mesme fontaine que nous. Certes en tant que la gloire de Dieu reluit si clairement en eux, il n’y a rien plus aisé que de nous faire transporter en une stupidité pour les adorer, et de leur attribuer les choses qui ne sont deues qu’à un seul Dieu. Ce que sainct Jehan confesse en l’Apocalypse luy estre advenu : mais il dit quant et quant que l’ange luy respondit : Garde-toi de faire cela, je suis serviteur comme toy : adore Dieu Apoc. 22.9.

1.14.11

Or, nous éviterons très-bien ce danger, si nous considérons pourquoy c’est que Dieu se sert d’eux, en déclairant sa puissance pour procurer le salut des fidèles, et leur communiquer ses bénéfices, plustost que de faire le tout par soy-mesme. Certes il ne fait point cela par nécessité, comme s’il ne s’en pouvoit passer ; car toutesfois et quantes qu’il luy plaist, il fait bien son œuvre sans les appeler en aide, usant de son seul commandement : tant s’en faut qu’il ait mestier de les appeler à son secours. Il fait doncques cela pour le soulagement de nostre imbécillité, afin que rien ne nous défalle de tout ce qui nous peut donner bonne espérance et asseurer nos cœurs. Cela nous devroit bien estre plus qu’assez, quand Dieu nous promet d’estre nostre protecteur. Mais quand nous voyons que nous sommes assiégez de tant de dangers, de tant de nuisances, de tant de diverses espèces d’ennemis, selon que nous sommes fresles et débiles, il nous peut advenir quelquesfois que nous soyons préoccupez de frayeur, ou que nous perdions courage, sinon que Dieu nous face sentir la présence de sa grâce selon nostre petite mesure et rudesse. Pour ceste raison, il nous promet non-seulement qu’il aura le soin de nous, mais qu’il a des serviteurs infinis, ausquels il a enjoint de procurer nostre salut, nous disant que ce pendant que nous serons en sa sauvegarde, en quelque danger que nous venions, nous serons tousjours à seureté. Je confesse bien que c’est une perversité à nous, qu’ayans receu la simple promesse de la protection de Dieu, nous regardons encores comment et de quel costé il nous aidera ; mais puis que Dieu, selon sa bonté et humanité infinie veut encores subvenir à une telle foiblesse qui est en nous, il ne nous faut pas mespriser la grâce qu’il nous fait. Nous avons un bel exemple de cela au serviteur d’Elisée, lequel voyant la montagne en laquelle il estoit avec son maistre, estre assiégée par les Syriens, pensoit estre perdu. Adoncques Elisée pria Dieu qu’il luy ouvrist les yeux, et ainsi il vit que la montagne estoit plene de la gendarmerie céleste, asçavoir des anges que Dieu avoit là envoyez pour garder le Prophète avec sa compagnie 2Rois 6.17. Le serviteur doncques estant contenue par ceste vision, reprint courage, et ne tint plus conte des ennemis : lesquels de première face l’avoyent tant effrayé.

1.14.12

Pourtant il nous faut réduire à ceste fin tout ce qui est dit du ministère des Anges, que nostre foy en soit plus establie en Dieu. Car c’est la cause pourquoy Dieu envoyé ses Anges comme en garnison pour nous défendre afin que nous ne soyons point estonnez de la multitude des ennemis, comme s’il n’estoit point le plus fort : mais que nous recourions tousjours à ceste sentence d’Elisée, qu’il y en a plus qui sont pour nous que contre nous. Quelle perversité est-ce doncques si les Anges nous retirent de Dieu, veu qu’ils sont ordonnez à cela, que nous sentions son aide nous estre d’autant plus prochaine qu’il la nous déclaire selon nostre infirmité ? Or ils nous retirent de Dieu, sinon qu’ils nous meinent droict à luy comme par la main, afin que nous le regardions et l’invoquions luy seul à nostre aide, recognoissans que tout bien vient de lui : sinon aussi que nous les considérions estre comme ses mains, lesquelles ne se meuvent point à rien faire, que par son vouloir et disposition : sinon finalement qu’ils nous conduisent à Jésus-Christ, et nous entretienent en luy, afin que nous le tenions pour seul Médiateur, dépendans du tout de luy, et ayans nostre repos en luy seul. Car nous devons avoir ce qui est escrit en la vision de Jacob imprimé en nostre mémoire, c’est que les Anges descendent en terre aux hommes, et des hommes remontent au ciel par l’eschelle sur laquelle est appuyé le Seigneur des armées Gen. 28.12. En quoy il est signifié, que c’est par la seule intercession de Jésus-Christ, que les Anges communiquent avec nous : comme aussi il testifie en disant, Vous verrez d’oresenavant les cieux ouvers, et les Anges descendans au Fils de l’homme Jean 1.51. Pourtant le serviteur d’Abraham estant recommandé à la garde de l’Ange, ne l’invoque pas néantmoins afin qu’il luy assiste, mais s’addresse à Dieu, luy demandant qu’il face miséricorde à Abraham son maistre Gen. 24.7, 27. Car comme Dieu en faisant les Anges ministres de sa bonté et puissance ne partit point sa gloire avec eux, aussi ils ne nous promettent point de nous aider par leur ministère, afin que nous partissions nostre fiance entre eux et luy. Parquoy il nous faut rejetter ceste philosophie de Platon, laquelle enseigne de venir à Dieu par le moyen des Anges, et de les honorer, afin qu’ils soyent plus enclins à nous y donner accès[i]. Car c’est une opinion fausse et meschante, combien qu’aucuns superstitieux l’ayent voulu du commencement introduire en l’Eglise chrestienne, comme il y en a aujourd’huy d’aucuns qui la voudroyent remettre dessus.

[i] Vide Plat., in Epinomide et in Cratylo.

1.14.13

Tout ce que l’Escriture enseigne des diables, revient à ce but, que nous soyons sur nos gardes pour résister à leurs tentations, et n’estre point surprins de leurs embusches, et que nous regardions de nous munir d’armes qui soyent suffisantes pour repousser des ennemis fort puissans. Car quand Satan est nommé le Dieu et prince de ce monde : item, un Fort armé : item, un Lyon bruyant : item, un Esprit qui domine en l’air : toutes ces descriptions revienent là, que nous soyons vigilans à faire le guet et nous apprestions à combatre : ce qui est mesmes quelquesfois exprimé 2Cor. 4.4 ; Jean 12.31 ; Luc 11.21. Car sainct Pierre, après avoir dit que le diable circuit comme un Lyon bruyant, cherchant à nous dévorer, adjouste incontinent une exhortation, que nous soyons fermes en foy pour lui résister 1Pi. 5.8. Et sainct Paul, après nous avoir advertis que nous avons la guerre, non point contre la chair et le sang, mais contre les princes de l’air, les puissances des ténèbres, les esprits malins : tantost après il nous commande de vestir les armes qui nous puissent défendre en une bataille si périlleuse Eph. 6.12. Parquoy apprenons aussi de réduire le tout à ceste fin, qu’estans advertis que nous avons l’ennemy près de nous, voire ennemy prompt en audace, robuste en force, rusé en cautèles, garny de toutes machinations, expert en science de batailler, et ne se lassant en nulle poursuite, ne soyons point endormis en nonchalance, tellement qu’il nous puisse oppresser : mais au contraire, que nous tenions tousjours bon et soyons prests à luy résister. Et d’autant que ceste bataille n’a point de fin jusques à la mort, que nous soyons fermes et constans en persévérance. Sur tout qu’en cognoissant nostre foiblesse et défaut nous invoquions Dieu, n’attentans rien sinon en la fiance de son aide, d’autant que c’est à luy seul de nous donner conseil, force et courage, et nous armer.

1.14.14

D’avantage, l’Escriture, afin de nous inciter plus à diligence, nous dénonce qu’il n’y a pas un seul diable qui nous face la guerre, ou un petit nombre, mais une grande multitude. Car il est dit, que Marie Magdalene avoit esté délivrée de sept diables qui la possédoyent Marc 16.9. Et Jésus-Christ tesmoigne qu’il advient ordinairement, que si après qu’un diable est sorty de nous, il trouve encores accès pour y rentrer, il en ameine sept autres plus meschans. Qui plus est, il est dit qu’un seul homme estoit possédé d’une légion Luc 8.30. Par cela doncques nous sommes enseignez que nous avons à guerroyer avec une multitude infinie d’ennemis, afin de ne venir nonchalans, comme si nous avions quelque relasche pour nous reposer. Touchant qu’il est souvent parlé du diable et de Satan au nombre singulier, en cela est dénotée la primauté d’injustice qui est contraire au règne de justice. Car comme l’Eglise et la compagnie des Saints a Jésus-Christ pour Chef, aussi la bande des meschans, et l’impiété mesmes nous est descrite avec son prince, qui exerce là son empire et seigneurie. A quoy se rapporte ceste sentence, Allez, maudits, au feu éternel, lequel est préparé au diable et à ses anges Matth. 25.41.

1.14.15

Cela aussi nous doit aiguiser à combatre incessamment contre le diable, qu’il est nommé par tout Adversaire de Dieu et le nostre. Car si nous avons la gloire de Dieu en recommandation comme nous devons, c’est bien raison d’employer toutes nos forces à résister à celuy qui machine de l’esteindre. Si nous sommes affectionnez comme il appartient à maintenir le règne de Christ, il est nécessaire que nous ayons une guerre perpétuelle avec celuy qui s’efforce de le ruiner. D’autre part, si nous avons soin de nostre salut, nous ne devons avoir ne paix ne trêves avec celuy qui est sans fin et sans cesse après pour y contredire. Selon ceste raison il est monstré au troisième de Genèse comme il a fait révolter l’homme de l’obéissance de Dieu, afin que Dieu fust privé de l’honneur qui luy appartenoit et que l’homme aussi fust précipité en ruine. Et les Evangélistes nous le descrivent avec une telle nature, en l’appelant Ennemy Matth. 13.23 : ce que porte aussi le mot de Satan, et disans qu’il sème des zizanies pour corrompre la semence de la vie éternelle. En somme nous expérimentons en toutes ses œuvres ce que Jésus-Christ tesmoigne de luy, asçavoir qu’il a esté dés le commencement homicide et menteur Jean 8.44. Par ses mensonges il assaut la vérité de Dieu, il obscurcit la lumière par ses ténèbres, il séduit en erreur les esprits des hommes : d’autre part, il suscite haines et enflambe contentions et noises : le tout afin de renverser le règne de Dieu et de plonger les hommes en damnation éternelle. Dont il appert, que de nature il est pervers, meschant et malin. Car il faut bien qu’il y ait une extrême perversité en une nature, laquelle s’adonne du tout à anéantir la gloire de Dieu et le salut des hommes. C’est ce que dit sainct Jehan en son épistre, que dés le commencement il pèche 1Jean 3.8. Car par cela il entend qu’il est autheur, capitaine et inventeur de toute malice et iniquité.

1.14.16

Néantmoins d’autant que le diable est créé de Dieu, si nous faut-il noter qu’il n’a point la malice que nous disons luy estre naturelle, de sa création, mais entant qu’il a esté dépravé. Car tout ce qu’il a de damnable, il le s’est acquis en se destournant de Dieu. De laquelle chose l’Escriture nous advertit, afin que nous ne pensions point que l’iniquité procède de Dieu, laquelle luy est du tout contraire. Pour ceste cause, nostre Seigneur Jésus dit que Satan parle de son propre quand il parle mensonge Jean 8.44 : et adjouste la raison, D’autant qu’il n’est point demeuré en la vérité. Quand il dit qu’il n’a point persisté en la vérité, il signifie que quelquesfois il a esté en icelle : et quand il le nomme père de mensonge, il luy oste toute excuse à ce qu’il ne puisse imputer à Dieu son mal, dont luy-mesme en est cause. Or combien que ces choses soyent touchées en brief et obscurément, toutesfois elles suffisent pour fermer la bouche aux blasphémateurs de Dieu. Et qu’est-ce qu’il nous chaut de cognoistre rien plus du diable, ou en autre fin ? Aucuns se mescontentent que l’Escriture ne raconte point au long et distinctement la cheute. des diables, la cause d’icelle, la façon, le temps et l’espèce, voire mesmes par plusieurs fois : mais pource que ces choses ne nous appartienent de rien, ou bien peu, le meilleur a esté de n’en dire mot ou de le toucher bien légèrement. Car il ne convenoit point au sainct Esprit de satisfaire à nostre curiosité en nous récitant des histoires vaines et sans fruit. Et nous voyons que nostre Seigneur a regardé de ne nous rien enseigner, sinon ce qui nous pouvoit estre en édification. Parquoy afin que nous-mesmes aussi ne nous arrestions à choses superflues, qu’il nous suffise de sçavoir, touchant de la nature des diables, qu’en leur première création ils ont esté Anges de Dieu : mais en déclinant de leur origine, ils se sont ruinez et ont esté faits instrumens de perdition aux autres. Pource que ce point estoit utile à cognoistre, il nous est clairement monstré par sainct Pierre et par sainct Jude, quand ils disent que Dieu n’a point espargné ses Anges qui ont péché, et n’ont point gardé leur origine, mais ont abandonné leur lieu 2Pi. 2.4 ; Jude 1.6. Et sainct Paul faisant mention des Anges esleus, leur oppose sans doute les réprouvez 1Tim. 5.21.

1.14.17

Quant est du combat et discord que nous avons dit que Satan a contre Dieu, il le faut entendre en sorte, que ce pendant nous sçachions qu’il ne peut rien faire sinon par le vouloir et congé de Dieu. Car nous lisons en l’histoire de Job, qu’il se présente devant Dieu pour ouyr ce qu’il luy commandera et qu’il n’ose rien entreprendre sans avoir premier demandé licence Job 1.6 ; 2.1. Semblablement quand Achab méritoit d’estre déceu, il se représenta à Dieu pour estre esprit de mensonge en la bouche de tous les prophètes : et estant envoyé, fit ce qui luy fut ordonné 1Rois 22.20. Selon ceste raison, l’esprit qui tormentoit Saül est nommé l’esprit mauvais de Dieu, d’autant que Dieu en usoit comme d’un fléau pour corriger Saül 1Sam. 16.14 ; 18.10. Et en un autre passage il est dit, que Dieu a frappé de playes les Egyptiens par ses mauvais anges Ps. 78.49. Semblablement suivant ces exemples particuliers, saint Paul dit généralement que l’aveuglement des meschans est une œuvre de Dieu, après l’avoir attribué à Satan 2Thess. 2.9. Il appert doncques que Satan est sous la puissance de Dieu, et qu’il est tellement gouverné par son congé, qu’il est contraint de luy rendre obéissance. Or quand nous disons que Satan résiste à Dieu, et que ses œuvres sont contraires à celles de Dieu, nous entendons que telle répugnance ne se fait pas sans la permission de Dieu. Je ne parle point yci de la volonté mauvaise de Satan, ne de ce qu’il machine, mais seulement de ses effects, Car entant que le diable est pervers de nature, il n’a garde d’estre enclin à obéira la volonté de Dieu, mais se met du tout à rébellion et résistance. Il a doncques cela de soy-mesme et de sa perversité, que de tout son désir et propos il répugne à Dieu. Par ceste perversité il est induit et incité à s’efforcer à faire les choses lesquelles il pense estre contraires à Dieu. Mais d’autant que Dieu le tient lié et serré des cordes de sa puissance, il ne luy permet de rien exécuter sinon ce qu’il luy plaist. Voylà doncques comme le diable bon gré maugré qu’il en ait sert à son Créateur, d’autant qu’il est contraint de s’employer là où le bon plaisir de Dieu le pousse.

1.14.18

Or d’autant que Dieu conduit çà et là les esprits immondes comme bon luy semble, il ordonne et modère en telle sorte ce gouvernement, qu’ils molestent fort les fidèles, leur facent beaucoup d’embusches, les tormentent de divers assauts, les pressent quelquesfois de près, et les lassent souventesfois, les troublent et les estonnent, mesmes jusques à les navrer : mais le tout pour les exercer, et non point pour les oppresser ne vaincre : au contraire, qu’ils ayent les infidèles en leur sujétion, qu’ils exercent une tyrannie en leurs âmes et en leurs corps, les traînans où bon leur semble, comme esclaves à toutes énormitez. Quant est des fidèles, d’autant qu’ils ont affaire à tels ennemis, ces exhortations leur sont faites : Ne donnez point lieu au diable. Item, le diable vostre ennemy circuit comme un lyon bruyant, cherchant à dévorer : auquel résistez en fermeté de foy Eph. 4.27 ; 1Pi. 5.8 : et autres semblables. Mesmes sainct Paul confesse qu’il n’a point esté exempt d’une telle bataille, quand il dit que l’ange de Satan luy avoit esté donné pour l’humilier, afin qu’il ne s’enorgueillist pas 2Cor. 12.7. C’est doncques un exercice commun à tous les enfants de Dieu : toutesfois d’autant que ceste promesse de briser la teste de Satan, appartient en commun à Jésus-Christ et à tous ses membres Gen. 3.15 : je dy que les fidèles ne peuvent estre vaincus ny oppressez par Satan. Ils sont espovantez souventesfois, mais ils ne sont pas tellement esperdus, qu’ils ne reprenent courage. Ils sont bien abatus de quelques coups, mais ils se relèvent. Ils sont bien navrez, mais non pas à mort. Finalement ils travaillent toute leur vie, en sorte qu’en la fin ils obtienent victoire. Ce que je ne restrein point à chacun acte particulièrement. Car nous sçavons que David par une juste punition de Dieu fut pour un temps laissé à Satan pour estre poussé de luy à faire les monstres du peuple 2Sam. 24.1 : et ce n’est pas en vain que sainct Paul laisse espoir de pardon à ceux qui auront esté entortillez aux filets du diable 2Tim. 2.26. Pourquoy sainct Paul démonstre que ceste promesse n’est sinon commencée en nous durant la vie présente, pource que c’est le temps de la bataille : mais qu’elle sera accomplie quand la bataille sera cessée. Le Dieu de paix, dit-il, brisera en brief Satan dessous vos pieds Rom. 16.20. Quant à nostre Chef, il a tousjours eu plenement ceste victoire. Car le prince de ce monde n’a rien trouvé en luy : mais en nous qui sommes ses membres, elle n’apparoist encores qu’en partie : et ne sera parfaite jusques à ce qu’estant despouillez de nostre chair, laquelle nous rend sujets à infirmitez, nous soyons du tout remplis de la vertu du sainct Esprit. En ceste manière quand le règne de Jésus-Christ est dressé, Satan avec sa puissance est abatu, comme porte la sentence de Jésus-Christ : Je voyoye Satan tomber du ciel comme la foudre Luc 10.18. Car par cela il conferme le rapport que luy avoyent fait ses Apostres du fruit de leur prédication. Item, quand le prince de ce monde tient son portail, tout ce qu’il possède est paisible : mais s’il y survient un plus fort, il est débouté Luc.11.21. A ceste fin, comme dit l’Apostre, Jésus-Christ en mourant a vaincu Satan, qui avoit l’empire de mort Héb. 2.14 et a triomphé de tous ses appareils, tellement qu’il ne peut nuire à l’Eglise, autrement il la ruineroit à chacune minute. Car selon que nous sommes fragiles, et qu’en sa force il est transporté d’une si terrible rage, comment pourrions-nous tenir bon tant peu que ce soit, contre les alarmes continuelles qu’il nous dresse, si nous n’estions maintenus par la victoire de nostre Capitaine ? Dieu doncques ne permet point le règne à Satan sur les âmes des fidèles : mais luy abandonne seulement les meschans et incrédules lesquels il ne recognoist point de son troupeau. Car il est dit que Satan a le monde en sa possession sans contredit, jusques à ce qu’il en soit déjeté par Christ. Item, qu’il aveugle tous ceux qui ne croyent point à l’Evangile 2Cor. 4.4. Item, qu’il parfait son œuvre en tous les rebelles : ce qui se fait à bon droict, d’autant que les meschans sont instrumens de l’ire de Dieu Eph. 2.2. Pourtant c’est bien raison qu’il les livre entre les mains d’iceluy, qui est ministre de sa vengence. Finalement il est dit de tous les réprouvez, qu’ils ont le diable pour père Jean 8.44 ; 1Jean 3.8. Car comme les fidèles sont cognus pour enfans de Dieu, entant qu’ils portent son image, iceux aussi portans l’image de Satan, sont à bon droict réputez ses enfans.

1.14.19

Or comme cy-dessus nous avons réfuté ceste folle et perverse imagination qu’ont aucuns, de dire que les saincts Anges ne sont sinon bonnes inspirations ou mouvemens que Dieu donne aux hommes : ainsi maintenant nous faut-il réprouver l’erreur de ceux qui resvent que les diables ne sont sinon affections mauvaises, lesquelles nous sont suggérées de nostre chair. Or il sera facile de ce faire, et briefvement, pource que nous en avons beaucoup de tesmoignages de l’Escriture évidens et certains. Premièrement, quand ils sont nommez Esprits immondes et Anges apostats, qui ont décliné de leur nature première Luc 11.24 ; 2Pi. 2.4 ; Jude 1.6 : ces noms-là expriment assez que ce ne sont pas mouvemens ny affections des cœurs, mais plustost esprits ayans intelligence. Semblablement quand Jésus-Christ et sainct Jehan comparent les enfans de Dieu avec les enfans du diable : ce seroit une comparaison inepte, si le nom de diable ne signifioit que des inspirations mauvaises Jean 8.44 ; 1Jean 3.10. Sainct Jehan parle encore plus clairement, quand il dit que le diable dés le commencement pèche 1Jean.3.8. Pareillement quand sainct Jude dit que Michel Archange débatoit avec le diable, du corps de Moyse Jude 1.9 : tout ainsi qu’il met d’un costé un bon Ange, ainsi de l’autre il en met un mauvais. A quoy est semblable ce que nous lisons en l’histoire de Job, que Satan comparut devant Dieu avec les Anges saincts Job 1.6 ; 2.1. Toutesfois il n’y a rien plus clair, que les sentences qui font mention de la peine que les diables commencent desjà d’endurer, et qu’ils endureront beaucoup plus au jour de la résurrection : comme sont celles qui s’ensuivent, Fils de David, pourquoy es-tu venu pour nous tormenter devant le temps Matth. 8.29 ? Item, Allez, maudits, au feu éternel, qui est appresté au diable et à ses anges Matth. 25.41. Item, S’il n’a point espargné ses Anges propres, mais les a mis en prison obscure, et les a attachez de chaînes, pour les réserver à leur damnation éternelle 2Pi. 2.4, etc. Ce seroyent des formes de parler trop mal propres, de dire que le jugement de Dieu doit venir sur les diables, que le feu éternel leur est appareillé, qu’ils sont desjà en prison, attendans leur sentence dernière, et que Jésus-Christ les a tormentez à sa venue, s’il n’y avoit du tout nuls diables. Mais pource que ceste matière n’a point mestier de longue dispute entre ceux qui adjoustent foy à la Parole de Dieu : au contraire, qu’envers ces fantastiques, ausquels rien ne plaist que nouveauté, les tesmoignages de l’Escriture ne proufitent point beaucoup, il m’est advis que j’ay fait ce que je prétendoye, asçavoir d’armer les consciences fidèles à l’encontre de ces resveries, desquelles ces esprits volages troublent et eux et les autres. Toutesfois il estoit mestier d’en toucher quelque chose, afin d’advertir les simples qu’ils ont des ennemis, contre lesquels il leur est mestier de batailler, afin que par leur nonchalance ils ne soyent surprins.

1.14.20

Cependant ne soyons pas si desdaigneux, de nous fascher de prendre plaisir aux œuvres de Dieu qui se présentent devant nos yeux en ce beau et excellent théâtre du monde. Car, comme nous avons dit au commencement de ce livre, ceste est la première instruction de nostre foy, selon l’ordre de nature, combien que ce ne soit point la principale, de recognoistre que toutes les choses que nous voyons sont œuvres de Dieu, et de réputer avec révérence et crainte à quelle fin il les a créées. Pourtant afin que nous appréhendions par vraye foy ce qui est expédient de cognoistre de Dieu, il nous est besoin de sçavoir l’histoire de la création du monde, selon qu’elle a esté briefvement exposée par Moyse Gen.1.3 : et puis plus amplement traittée par les saincts docteurs de l’Eglise, principalement par Basile et Ambroise : de là nous apprendrons que Dieu par la vertu de sa Parole et de son Esprit a créé de rien le ciel et la terre, et que d’iceux il a produit tout genre tant d’animaux que de créatures sans âme : et qu’il a distingué par un ordre admirable ceste variété infinie des choses que nous voyons : qu’il a assigné à chacune espèce sa nature, qu’il leur a ordonné leurs offices, qu’il leur a déterminé leurs places et demeures. Et comme ainsi soit qu’elles soyent toutes sujettes à corruption, néantmoins qu’il a mis ordre par sa providence qu’elles s’entretienent jusques au dernier jour : pour ce faire qu’il en conserve d’aucunes par façons secrettes et à nous cachées, leur donnant d’heure en heure, nouvelle vigueur : aux autres il a donné la vertu de se multiplier par génération, afin que quand les unes meurent, les autres revienent au lieu. Et ainsi, qu’il a ordonné le ciel et la terre d’une parfaite abondance, variété et beauté de toutes choses, tout ainsi qu’un grand palais et magnifique, bien et richement meublé de tout ce qui luy faudroit. Finalement, qu’en créant l’homme il a fait un chef-d’œuvre d’une plus excellente perfection que tout le reste, à cause des grâces qu’il luy a données. Mais d’autant que mon intention n’est pas de raconter yci au long la création du monde, et que desjà j’en ay entamé quelque propos, il suffira d’en avoir touché cela comme en passant. Car il vaut mieux (comme j’ay desjà dit) que celuy qui en voudra estre instruit lise Moyse et les autres qui ont déduit cest argument comme il faloit. Je renvoye doncques là les lecteurs.

1.14.21

Or il n’est jà besoin de déduire yci plus au long, à quelle fin doit tendre la considération des œuvres de Dieu, et à quel but il la faut dresser, veu que ceste question desjà pour la plus pari a esté décidée, et qu’elle se peut en peu de paroles despescher, entant qu’il est de besoin pour le passage que nous traittons à présent. Il est bien vray que si quelqu’un vouloit expliquer combien est inestimable la sagesse, puissance, justice et bonté de Dieu, laquelle reluit en la création du monde, il n’y auroit langue humaine qui fust suffisante à exprimer une telle excellence, voire seulement pour la centième partie. Et n’y a nulle doute que Dieu ne nous vueille occuper continuellement en ceste sainte méditation : asçavoir que quand nous contemplons les richesses infinies de sa justice, sagesse, bonté et puissance, en toutes ses créatures, comme en des miroirs, non-seulement nous les regardions légèrement, pour en perdre incontinent la mémoire, mais plustost nous arrestions longuement à y penser et ruminer à bon escient, et en ayons continuelle souvenance. Mais d’autant que ce livre est fait pour enseigner en brief, je n’entreray point en propos qui requière longue déduction. Pourtant afin d’avoir un brief sommaire, sçachons que lors nous aurons entendu que signifie ce tiltre de Dieu, quand il est nommé Créateur du ciel et de la terre, si premièrement nous suivons ceste reigle universelle, de ne point passer à la légère par oubly ou nonchalance, les vertus de Dieu qui nous apparoissent en ses créatures : secondement, si nous appliquons à nous la considération de ses œuvres, afin d’en estre touchez et esmeus au vif en nos cœurs. Je déclaireray le premier point par exemples. Nous recognoissons les vertus de Dieu en ses créatures, quand nous réputons combien il a esté grand ouvrier et excellent lors qu’il a situé et disposé au ciel une telle multitude d’estoilles qu’on ne sauroit souhaitter chose plus délectable à veoir : qu’il a assigné à d’aucunes, comme aux estoilles du firmament, leurs demeures arrestées, en sorte qu’elles ne se peuvent bouger d’un certain lieu : aux autres, comme aux planètes, qu’il leur a permis d’aller çà et là, néantmoins en sorte qu’envaguant elles n’outrepassent point leurs limites : qu’il a tellement distribué le mouvement et le cours d’une chacune, qu’elles mesurent les temps pour diviser le jour et la nuict, les ans et leurs saisons : mesmes que ceste inéqualité des jours que nous voyons, il l’a si bien rangée en bon ordre, qu’elle ne peut engendrer confusion. Semblablement, quand nous considérons la puissance qu’il démonstre en soustenant une si grosse masse qu’est celle du monde universel, et en faisant tourner le ciel si légèrement, qu’il achève son cours en vingt-quatre heures, et autres choses semblables. Ces exemples déclairent assez que c’est de recognoistre les vertus de Dieu en la création du monde. Car si nous voulions traitter cest argument selon qu’il mérite, il n’y auroit nulle fin, comme j’ay desjà dit. Car autant qu’il y a d’espèces de créatures au monde, ou plustost autant qu’il y a de choses grandes ou petites, autant y a-il de miracles de sa puissance, d’approbations de sa bonté, et enseignemens de sa sagesse.

1.14.22

Le second point qui appartient plus proprement à la foy, est de comprendre que Dieu a ordonné toutes choses à nostre proufit et salut : et mesmes de contempler sa puissance et sa grâce en nous-mesmes et aux bénéfices qu’il nous a faits, afin de nous inciter par cela à nous fier en luy, à l’invoquer, à le louer et aimer. Or qu’il ait créé toutes choses pour l’homme, il l’a démonstré en l’ordre qu’il a tenu, comme j’en ay adverty n’aguères. Car ce n’est point sans cause qu’il a divisé la création du monde en six jours Gen. 1.31 : comme ainsi soit qu’il peust aussi facilement parfaire le tout en une minute de temps, que d’y procéder ainsi petit à petit. Mais en cela il nous a voulu monstrer sa providence, et le soin paternel qu’il a de nous, que devant qu’avoir créé l’homme, il luy a appresté tout ce qu’il prévoyoit luy devoir estre utile et salutaire. Or quelle ingratitude seroit-ce maintenant de douter si un si bon Père a le soin de nous, quand nous voyons qu’il a pensé de nous pourvoir, mesmes devant que nous fussions naiz ? Quelle meschanceté seroit-ce de trembler de desfiance, en craignant que sa largesse ne nous défalle en la nécessité, quand nous voyons qu’elle a esté espandue sur nous si abondamment devant que nous fussions ? D’avantage, nous oyons de la bouche de Moyse, que toutes créatures du monde nous sont assujeties par la bonté d’iceluy Gen. 1.28 ; 9.2. Il est certain qu’il n’a point fait cela pour se mocquer de nous par un tiltre frivole de donation, laquelle soit nulle. Il ne faut doncques craindre que rien nous défalle, entant qu’il sera expédient pour nostre salut. Finalement, pour faire briefve conclusion, toutesfois et quantes que nous appelons Dieu, Créateur du ciel et de la terre, qu’il nous viene aussi en pensée, qu’il est en sa main et en sa puissance de disposer de toutes les choses qu’il a faites, et que nous sommes ses enfans, lesquels il a prins en sa charge pour nourrir et gouverner : tellement que nous attendions tout bien de luy, et que nous espérions pour certain que jamais il ne permettra que nous ayons faute des choses qui nous sont nécessaires à salut, et que nostre espérance ne dépende point d’ailleurs : et quelque chose que nous désirions, que nous la demandions de luy : et quelques biens aussi que nous ayons, que nous luy en facions recognoissance avec action de grâces ; qu’estans incitez par une si grande libéralité qu’il nous monstre, nous soyons induits à l’aimer et honorer de tout nostre cœur.

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