Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE I
Qui est de connoistre Dieu en tiltre et qualité de Créateur et souverain Gouverneur du monde.

Chapitre XVII
Quel est le but de ceste doctrine pour en bien faire nostre proufit.

1.17.1

Or (comme les esprits humains sont enclins à subtilitez frivoles), à grand’peine se peut-il faire que tous ceux qui ne comprenent point le droict usage de ceste doctrine, ne s’enveloppent en beaucoup de filets. Parquoy il sera expédient de toucher yci en brief à quelle fin l’Escriture enseigne que tout ce qui se fait est ordonné de Dieu. Et en premier lieu il est à noter que la providence de Dieu doit estre considérée tant pour le passé que pour l’advenir : puis après qu’elle modère et addresse tellement toutes choses, qu’elle besongne quelquesfois par moyens interposez, quelquesfois sans moyens, quelquesfois contre tous moyens : finalement qu’elle tend à ce but, qu’on cognoisse quel soin Dieu a du genre humain : surtout combien il veille songneusement pour son Eglise, laquelle il regarde de plus près. Il faut aussi adjouster un autre point, c’est combien que la faveur de Dieu et sa bonté, ou la rigueur de ses jugemens reluisent le plus souvent en tout le cours de sa providence : que néantmoins quelquesfois les causes de ce qui advient sont cachées, tellement que ceste pensée nous entre au cerveau, que les affaires humains tournent et virent à la volée, comme sur une roue ? où nostre chair nous solicite à gronder contre Dieu, comme si Dieu se jouoit des hommes en les démenant çà et là comme des pelotes. Vray est que si nous avons les esprits quois et rassis, pour apprendre à loisir, l’issue finale monstre assez que Dieu a tousjours bonne raison en son conseil de faire ce qu’il fait, soit pour instruire les siens à patience, ou pour corriger leurs affections perverses, ou pour dompter la gayeté trop grande de leurs appétis, pour les matter à ce qu’ils renoncent à eux-mesmes, ou pour esveiller leur paresse : soit à l’opposite pour abatre les orgueilleux, anéantir les ruses et cautèles des meschans, ou dissiper leurs machinations. Au reste, combien que les causes outrepassent nostre entendement, ou en soyent eslongnées, si faut-il tenir pour certain qu’elles ne laissent point d’estre cachées en Dieu : parquoy il reste de nous escrier avec David, Dieu, que tes merveilles sont grandes Ps. 40.5 ! Il n’est pas possible de digérer tes pensées sur nous : elles surmontent ce que j’en veux dire. Car combien que tousjours en nos adversitez nos péchez nous doivent venir devant les yeux, afin que la peine que nous endurons nous solicite à repentance, nous voyons toutesfois que Jésus-Christ donne plus d’authorité à Dieu son Père en affligeant les hommes, que de luy imposer loy de chastier par éguale mesure un chacun selon qu’il a déservy. Car il dit de celuy qui estoit nay aveugle, Ce n’est pas qu’il ait péché, ne luy, ne son père, ne sa mère, mais afin que la gloire de Dieu soit manifestée en luy Jean 9.3. Car quand un enfant desjà au ventre de sa mère, devant que naistre, est batu de si dures verges, nostre sens est piqué à gergonner contre Dieu, comme s’il ne se portoit pas humainement envers les innocens qu’il afflige ainsi : tant y a que Jésus-Christ afferme que la gloire de son Père reluit en tels spectacles, moyennant que nous ayons les yeux purs. Mais il nous faut garder ceste modestie, de ne vouloir attirer Dieu à nous rendre conte, mais porter telle révérence à ses jugemens secrets, que sa volonté nous soit pour cause très-juste de tout ce qu’il fait. Quand le ciel est brouillé de grosses nuées et espesses, et qu’il se dresse quelque tempeste violente, pource qu’il n’y a qu’obscurité devant nos yeux, et le tonnerre bruit en nos aureilles, en sorte que tous nos sens sont estourdis de frayeur, il nous semble que tout est meslé et confus : toutesfois au ciel tout demeure paisible en son estat. Ainsi nous faut-il estre résolus, quand les choses estans troublées au monde nous ostent le jugement, que Dieu estant séparé loin de nous en la clairté de sa justice et sagesse, sçait bien modérer telles confusions pour les amener par bon ordre à droicte fin. Et de faict, c’est une horrible forcenerie et monstrueuse, que plusieurs se donnent plus de licence à oser contreroller les œuvres de Dieu, sonder et esplucher ses conseils secrets, mesmes se précipiter à en donner leur sentence, que s’ils avoyent à juger des faits d’un homme mortel. Y a-il rien plus pervers et desbordé, que d’user de ceste modestie envers nos pareils, c’est d’aimer mieux suspendre nostre jugement, que d’estre taxez de témérité : et cependant insulter avec une audace desbordée aux jugemens de Dieu, qui nous sont incognus lesquels nous devions avoir en révérence et admiration ?

1.17.2

Nul doncques ne pourra deuement et à son proufit recognoistre la providence de Dieu, sinon qu’en réputant qu’il a affaire avec son Créateur et celuy qui a basty tout le monde, il se dispose et abbaisse d’une telle humilité qu’il appartient. De là vient que tant de chiens aujourd’huy assaillent ceste doctrine par leurs morsures venimeuses, ou pour le moins abbayent après : c’est qu’ils ne veulent point que rien soit licite à Dieu, sinon ce qu’ils pensent en leur cerveau estre raisonnable. Ils desgorgent aussi toutes les vilenies qu’ils peuvent contre nous, pensans avoir belle couleur de nous blasmer, en ce que n’estans point contens des préceptes de la Loy, où la volonté de Dieu est comprinse, nous disons aussi que le monde est gouverné par un conseil secret de Dieu. Voire ! comme si ce que nous enseignons estoit une resverie forgée en nos cerveaux, et que ce ne fust pas une doctrine du sainct Esprit claire et patente, de laquelle il y a tesmoignages infinis. Mais pource qu’ils sont retenus de quelque honte pour n’oser desgorger leurs blasphèmes contre le ciel : afin de faire plus hardiment les enragez, ils font semblant de s’attacher à nous. Mais s’ils ne veulent confesser que tout ce qui advient au monde est dressé. par le conseil incompréhensible de Dieu, qu’ils me respondent à quel propos l’Escriture dit que les jugemens d’iceluy sont un abysme profond. Car puisque Moyse déclaire que la volonté de Dieu, n’est point lointaine de nous, et qu’il ne la faut point chercher par-dessus les nuées ny aux abysmes, pource qu’elle nous est familièrement exprimée en la Loy Ps. 36.6 ; Deut. 30.11 : il s’ensuit que c’est une autre volonté cachée, laquelle est accomparée à un abysme profond, de laquelle aussi sainct Paul parle, disant, hautesse profonde des richesses et de la sagesse et cognoissance de Dieu Rom. 11.33 ! que ses jugemens sont incompréhensibles, et ses voyes impossibles à trouver ! Car qui est-ce qui cognoist les pensées de Dieu, ou qui a esté son conseiller ? Vray est qu’il y a aussi des mystères contenus en la Loy et en l’Evangile, lesquels surmontent de beaucoup nostre capacité. Mais pource que Dieu illumine ses esleus de l’Esprit d’intelligence pour comprendre les mystères qu’il a voulu révéler par sa Parole, il n’y a là nul abysme, mais c’est une voye en laquelle on peut cheminer seurement, une lampe pour guider nos pieds, une clairté de vie : brief c’est une eschole ouverte de la vérité patente. Mais la façon admirable de régir le monde est à bon droict nommée Abysme profond : pource qu’il nous la faut révéremment adorer quand elle nous est cachée. Moyse a très-bien exprimé les deux en peu de mots : Les secrets, dit-il, sont réservez à nostre Dieu, mais ce qui est yci escrit appartient à vous et à vos enfans Deut.29.29. Nous voyons qu’il nous commande non-seulement d’appliquer nostre estude à méditer la Loy de Dieu, mais aussi d’eslever nos sens en haut pour adorer la providence de Dieu. Ceste hautesse nous est aussi bien preschée au livre de Job, pour humilier nos esprits. Car après que l’autheur a magnifié tant qu’il a peu les œuvres de Dieu, et en faisant ses discours haut et bas par la machine du monde, a traitté combien elles sont merveilleuses : il adjouste finalement, Voycy, ce sont les bords ou extrémitez de ses voyes : et combien est-ce peu ce que nous oyons de luy ? et qui comprendra le bruit de ses forces Job 26.14 ? Suivant cela en un autre lieu il distingue entre la sagesse qui demeure en Dieu, et la façon qu’il a establie aux hommes pour estre sages. Car après avoir devisé des secrets de nature, il dit que la sagesse est cognue à Dieu seul, et n’apparoist point aux yeux de nul vivant : et néantmoins tantost après il adjouste, qu’elle se publie pour estre cherchée, d’autant qu’il est dit à l’homme, Voycy la crainte de Dieu, c’est la sagesse[d] Job 28.12. A quoy se rapporte le dire de sainct Augustin, C’est pource que nous ne sçavons pas tout ce que Dieu fait de nous par un très-bon ordre, que nous faisons selon sa Loy, quand nous sommes conduits de bonne volonté : mais quant au reste, que nous sommes menez de la providence de Dieu, laquelle est une loy immuable. Puis doncques que Dieu s’attribue une authorité de gouverner le monde, à nous incognue, c’est la droicte reigle de sobriété et de modestie : nous submettre à son Empire souverain : et que sa volonté nous soit le patron unique de toute justice, et cause très-juste de tout ce qui se fait. Je n’enten pas ceste volonté absolue de laquelle les Sophistes babillent, faisans un divorce exécrable entre sa justice et sa puissance, comme s’il pouvoit faire cecy ou cela contre toute équité : mais j’enten sa providence dont il gouverne le monde, de laquelle rien ne procède que bon et droict, combien que les raisons nous en soyent incognues.

[d] Quæstion., lib LXXXIII, cap. XXVII.

1.17.3

Tous ceux qui seront rangez à telle modestie, ne s’escarmoucheront point pour le temps passé contre Dieu, pour les adversitez qu’ils auront souffertes : et ne rejetteront point sur luy la coulpe de leurs péchez : comme le roi Agamennon dit en Homère, Ce ne suis-je pas qui en suis cause, mais Jupiter et la déesse de nécessité. Ils ne se jetteront point aussi à l’abandon par désespoir, ainsi qu’un jeune homme nous est introduit par un Poëte ancien, disant, La condition des hommes n’a point d’arrest, la nécessité les pousse et transporte : parquoy je m’en iray rompre ma navire contre le rocher, et perdray mon bien avec ma vie. Ils ne feront point aussi couverture du nom de Dieu, pour ensevelir leur honte, comme le mesme Poëte introduit un jeune homme parlant de ses amours, Dieu m’y a poussé, je croy que les dieux l’ont voulu : car s’ils ne le vouloyent, je say qu’il ne se feroit point. Mais plustost ils s’enquerront en l’Escriture, et apprendront que c’est qui plaist à Dieu, pour s’efforcer d’y tendre, ayans le sainct Esprit pour guide. Ce pendant aussi estans appareillez de suivre où Dieu les appellera, monstreront par effect qu’il n’est rien plus utile que ceste doctrine, laquelle est injustement blasmée par les malins, d’autant qu’aucuns la prattiquent mal. Car ce sont propos trop esgarez que tienent beaucoup de gens profanes, s’escarmouchans comme s’ils vouloyent mesler le ciel et la terre, comme l’on dit, quand ils allèguent que si Dieu a marqué le point de nostre mort, nous ne le pouvons eschapper : ce sera doncques en vain que nous travaillerons à estre sur nos gardes. Ainsi, ce qu’aucuns ne s’osent pas mettre en chemin, quand ils oyent dire qu’il y a danger de peur d’estre meurtris des brigans : les uns appellent les médecins et s’aident des apoticaires en maladies : les autres s’abstienent de grosses viandes pour se contregarder : les autres craignent d’habiter en maisons ruineuses, et tous généralement cherchent moyens pour parvenir à leurs intentions : toutes ces choses sont remèdes frivoles qu’on cherche pour corriger la volonté de Dieu : ou bien ce n’est point par sa volonté et ordonnance que toutes choses advienent. Car ce sont choses incompatibles, de dire que la vie et la mort, santé et maladie, paix et guerre, richesses et povreté vienent de Dieu : et que les hommes par leur industrie les évitent ou obtienent, selon qu’ils les hayssent ou appètent. D’avantage, ils disent que les oraisons des fidèles non-seulement seront superflues, mais aussi perverses : par lesquelles ils demandent que Dieu pourvoye à ce qu’il a délibéré éternellement. En somme, ils ostent toute délibération qu’on fait des choses futures, comme répugnantes à la providence de Dieu : laquelle sans nous appeler au conseil a une fois déterminé ce qu’elle vouloit estre fait. D’avantage, tout ce qui advient, ils l’imputent tellement à la providence de Dieu, qu’ils n’ont point d’esgard à l’homme qui aura fait ce dont il est question. Si quelque ruffien a tué un homme de bien, ils disent qu’il a exécuté le conseil de Dieu. Si quelqu’un a desrobé ou paillarde, pource qu’il a fait ce que Dieu avoit préveu, ils disent qu’il est le ministre de sa providence. Si l’enfant a laissé mourir son père sans le secourir, Il ne pouvoit, disent-ils, résister à Dieu, qui l’avoit ainsi ordonné. Ainsi ils font de tous vices vertu, pource qu’ils servent à l’ordonnance de Dieu.

1.17.4

Quant est des choses à advenir, Salomon accorde facilement avec la providence de Dieu les consultations qu’on en prend. Car comme il se mocque de l’outrecuidance de ceux qui entreprenent hardiment sans Dieu tout ce qui leur vient en fantasie, comme s’ils n’estoyent point régis de sa main, aussi en un autre lieu il parle ainsi, Le cœur de l’homme doit penser à sa voye : et le Seigneur gouvernera ses pas Prov. 16.9. En quoy il signifie que le décret éternel de Dieu ne nous empesche point que nous ne prouvoyons à nous sous sa bonne volonté, et mettions ordre à nos affaires. La raison est manifeste : car celuy qui a limité nostre vie, nous a aussi commis la solicitude d’icelle : et nous a donné les moyens pour la conserver : et nous a fait prévoir les périls, à ce qu’ils ne nous peussent surprendre, nous donnant les remèdes au contraire, pour y obvier. Maintenant il appert quel est nostre devoir. Si le Seigneur nous a baillé nostre vie en garde, que nous la conservions : s’il nous donne les moyens de ce faire, que nous en usions : s’il nous monstre les dangers, que nous ne nous y jettions point follement et sans propos : s’il nous offre les remèdes, que nous ne les mesprisions point. Mais nul péril ne peut nuire, dira quelqu’un, s’il n’est ordonné qu’il nous nuise. Et si ainsi est, on ne peut venir à l’encontre par aucun remède. Mais au contraire, que sera-ce si les dangers ne sont pas invincibles, d’autant que le Seigneur nous a assigné les remèdes pour les surmonter ? Regarde quelle convenance il y a entre ton argument et l’ordre de la providence divine. Tu infères qu’il ne nous faut donner garde des dangers, pource que nous en pourrions eschapper sans nous en garder, moyennant qu’ils ne soyent pas invincibles : le Seigneur au contraire te commande de t’en garder, pource qu’il veut que tu en eschappes. Ces enragez ne considèrent point ce qu’on voit à l’œil, que l’industrie de consulter et se garder a esté inspirée de Dieu aux hommes, par laquelle ils servissent à sa providence, en conservant leur vie : comme au contraire par nonchalance et mespris ils acquièrent les misères qu’il leur veut imposer. Car dont est-ce qu’il advient qu’un homme prudent, en mettant ordre à ses affaires destourne le mal qui luy estoit prochain, et un fol par sa témérité périt ? Qu’est-ce autre chose, sinon que folie et prudence sont instrumens de la dispensation de Dieu, en une partie et en l’autre ? Pourtant le Seigneur a voulu toutes choses futures nous estre cachées, afin que nous venions au-devant ; ne sçachans point ce qui en doit estre, et que nous ne cessions point d’user des remèdes qu’il nous donne contre les dangers, jusques à ce que nous en soyons venus à bout, ou qu’ils nous ayent surmontez. Parquoy j’ay dit que nous ne devons pas contempler la providence de Dieu nue, mais avec les moyens que Dieu luy a conjoincts, comme s’il la revestoit pour nous apparoir en son estat.

1.17.5

Quant est des choses advenues et passées, ces fantastiques considèrent mal et perversement la providence de Dieu. Nous disons que toutes choses dépendent d’icelle, comme de leur fondement : et pourtant qu’il ne se fait ne larrecin, ne paillardise, ny homicide, que la volonté de Dieu n’entreviene. Sur cela ils demandent, Pourquoy doncques sera puny un larron qui a puny celuy que Dieu vouloit estre chastié par povreté ? Pourquoy sera puny un meurtrier qui a tué celuy auquel Dieu avoit finy la vie ? Brief, si toutes telles manières de gens servent à la volonté de Dieu, pourquoy les punira-on ? Mais je nie qu’ils y servent. Car nous ne dirons pas que celuy qui est mené d’un mauvais cœur s’adonne à servir à Dieu, veu qu’il veut seulement complaire à sa meschante cupidité. Cestuy-là obtempère à Dieu, qui estant enseigné de sa volonté, va où elle l’appelle. Or où est-ce que Dieu nous enseigne de sa volonté, sinon en sa Parole ? Pourtant en tout ce que nous avons à faire il nous faut contempler la volonté de Dieu, telle qu’il nous l’a déclairée en icelle Parole. Dieu requiert de nous ce qu’il commande. Si nous faisons rien contre son précepte, ce n’est pas obéissance, mais plustost contumace et transgression. Ils répliquent, que nous ne le ferions pas s’il ne le vouloit. Je le confesse : mais le faisons-nous afin de luy complaire ? Or il ne nous le commande pas : mais nous entreprenons le mal, ne pensans point à ce que Dieu demande, ains estans tellement transportez de la rage de nostre intempérance, que de propos délibéré nous taschons de lui contrevenir. En ceste manière nous servons bien à sa juste ordonnance en mal faisant : pource que par la grandeur infinie de sa sapience, il se fait droictement aider de mauvais instrumens à bien faire. Mais regardons combien leur argument est inepte, et sot. Ils veulent que les crimes demeurent impunis, et soyent libres à ceux qui les font, pource qu’ils ne se commettent point sans la disposition de Dieu. Je dy d’avantage, que les larrons et meurtriers et autres malfaiteurs sont instrumens de la providence de Dieu, desquels le Seigneur use à exécuter les jugemens qu’il a décrétez : mais je nie que pour cela ils puissent prendre excuse aucune. Car quoy ? envelopperont-ils Dieu en une mesme iniquité avec eux ? ou bien, couvriront-ils leur perversité par sa justice ? Ils ne peuvent ne l’un ne l’autre : et leur conscience les rédargue tellement qu’ils ne se peuvent purger. De taxer Dieu, ils ne peuvent, veu qu’ils trouvent en eux tout le mal : en luy, rien sinon un usage bon et légitime de leur malice. Néantmoins il besongne par eux, dira quelqu’un. Et dont vient la puanteur en une charongne, après qu’elle est ouverte et pourrie ? Chacun voit bien que cela vient des rais du Soleil : et toutesfois personne ne dira qu’ils puent pourtant. Ainsi, puis que la matière, et faute du mal consiste en un mauvais homme, pourquoy Dieu en tirera-il quelque macule et ordure, s’il en use selon sa volonté ? Pourtant chassons ceste pétulance de chien, laquelle peut bien abbayer de loin la justice de Dieu, mais ne la peut attoucher

1.17.6

Toutesfois si nous sçavons que c’est de bien et sainctement méditer la providence de Dieu selon la reigle de piété, cela nous suffira pour abolir telles fantasies extravagantes, et recevrons très-bon fruit et savoureux de ce que les phrénétiques tirent à leur perdition. Pourtant le cœur de l’homme chrestien, veu qu’il a cela tout résolu, qu’il n’advient rien à l’adventure, mais que toutes choses se font par la providence de Dieu, regardera tousjours à luy, comme à la principale cause de tout ce qui se fait : mais ce pendant il ne laissera point de contempler les causes inférieures en leur degré. D’avantage, il ne doutera pas que la providence de Dieu ne veille pour sa conservation : et qu’elle ne permettra rien advenir, qui ne soit pour son bien et salut. Or pource qu’il a affaire premièrement aux hommes, secondement aux autres créatures, il s’asseurera que la providence de Dieu règne par tout. Quant est des hommes, soit qu’ils soyent bons ou mauvais, il recognoistra que leurs conseils, volontez et forces, puissances et entreprises sont sous la main de Dieu, tellement qu’il est en luy de les fleschir où bon luy semble, et les réprimer toutesfois et quantes que bon luy semble. Il y a plusieurs promesses évidentes, lesquelles testifient, que la providence de Dieu d’un soin spécial veille et fait quasi le guet pour maintenir le salut des fidèles. Comme quand il est dit, Jette ta solicitude sur le Seigneur, et il te nourrira : car il a soin de nous. Item, Qui habite en la garde du haut Dieu, sera maintenu par sa protection. Item, Quiconque vous touche, touche la prunelle de mon œil. Item, Je te seray pour bouclier et mur d’airain, et batailleray contre tes ennemis. Item, Quand la mère oublieroit ses enfans, encore ne t’oubliray-je jamais Ps. 55.22 ; 1Pi. 5.7 ; Ps. 91.1-2 ; Zach. 1.8 ; Esaïe 26.1 ; 49.15. Mesmes c’est le principal but des histoires de la Bible, de monstrer que Dieu garde si songneusement ses serviteurs qu’il ne les laissera pas achopper à une pierre. Comme à bon droict j’ay cy-dessus réprouvé l’opinion de ceux qui imaginent une providence de Dieu universelle, laquelle ne descende point jusques à avoir spécialement soin d’une chacune créature : aussi il nous faut sur toute chose recognoistre ceste solicitude spéciale envers nous. Pour laquelle cause Christ après avoir dit, que le plus vil passereau de l’air ne tombe pas sans la volonté de Dieu Matth. 10.29, il applique là incontinent ceste sentence, à ce que nous soyons certains, que d’autant que nous luy sommes plus précieux que petis oiseaux, il veille plus songneusement sur nous que sur eux, jusques à en avoir telle solicitude, qu’un cheveu de nostre teste ne tombera point sans qu’il le permette. Que demandons-nous d’avantage, si un cheveu ne nous peut tomber sans la volonté de Dieu ? Je ne parle pas seulement du genre humain, mais pource que Dieu a esleu son Eglise pour son domicile, il n’y a doute qu’il ne vueille monstrer par exemples singuliers le soin paternel qu’il en a.

1.17.7

Pourtant le serviteur de Dieu estant confermé par toutes ces promesses et les exemples correspondans, conjoindra aussi les tesmoignages, où il est dit, que tous hommes sont sous la puissance de Dieu, soit qu’il falle incliner leurs cœurs à nous aimer, ou réprimer leur malice à ce qu’elle ne nous nuise. Car c’est le Seigneur qui a donné grâce à son peuple, non-seulement envers ceux qui autrement lui estoyent amis, mais envers les Egyptiens Ex. 3.21. Quant est de la fureur de nos ennemis, il la sait bien rompre en diverses manières. Aucunesfois il leur oste l’entendement à ce qu’ils ne puissent prendre bon conseil : ainsi qu’il fit à Achab, luy envoyant le diable pour luy prophétiser mensonge par la bouche de tous les prophètes 1Rois 22.22, afin de le décevoir : comme il fit aussi à Roboam, l’aveuglant par le fol conseil des jeunes, pour le despouiller de son royaume par sa folie 1Rois 12.10, 15. Aucunesfois en leur donnant entendement pour voir et entendre ce qui est expédient, il leur abat tellement le cœur, et les estonne, qu’ils n’osent nullement entreprendre ce qu’ils ont conceu. Aucunesfois en leur permettant de s’efforcer à exécuter ce que porte leur rage, il vient au-devant à leur impétuosité, et ne souffre point qu’ils vienent à bout de leur intention. En telle manière il dissipa devant le temps le conseil d’Achitophel, lequel eust esté pernicieux à David 2Sam. 17.7, 14. En ceste manière il a le soin de modérer et conduire toutes créatures pour le salut des siens, voire mesme le diable, lequel nous voyons n’avoir osé rien attenter contre Job sans son ottroy et commandement Job 1.12. Quand nous aurons ceste cognoissance, il s’ensuivra nécessairement tant une action de grâce envers la bonté de Dieu en toute prospérité, que patience en adversité : et d’avantage une singulière asseurance pour l’advenir. Parquoy quelque chose qu’il adviene selon nostre vouloir, nous l’attribuerons à Dieu : soit que nous sentions sa bénéficence par le moyen des hommes, ou qu’il nous aide par ses autres créatures. Car nous réputerons ainsi en nostre cœur, Certes c’est Dieu, qui a tourné le cœur de ceux-cy à m’aimer, et a fait qu’ils me fussent instrumens de sa bénignité. En fertilité, nous estimerons que c’est le Seigneur qui a commandé au ciel de plouvoir sur la terre, afin qu’elle fructifiast. En tout autre genre de prospérité, nous ne douterons pas que c’est la seule bénédiction de Dieu, qui en est cause. Ces admonitions ne nous souffriront point d’estre ingrats.

1.17.8

Au contraire, s’il nous advient quelque adversité, nous eslèverons incontinent nostre cœur à Dieu, lequel seul le pourra former à patience et tranquillité. Si Joseph se fust arresté à méditer la desloyauté de ses frères, et le lasche tour qu’ils luy avoyent fait, jamais il n’eust eu courage fraternel envers eux. Mais pource qu’il convertit sa pensée à Dieu, oubliant leur injure, il fut fleschy à mansuétude et douceur, jusques à les consoler luy-mesme, en disant, Ce n’estes-vous point, qui m’avez vendu pour estre amené en Egypte : mais par la volonté du Seigneur j’ay esté envoyé devant vous, pour vostre proufit. Vous aviez fait une mauvaise machination contre moy : mais le Seigneur l’a convertie en bien Gen. 45.8 ; 50.20. Si Job eust regardé les Chaldéens qui l’avoyent outragé, il eust esté enflambé de cupidité de vengence : mais pource qu’il recognoist pareillement l’œuvre de Dieu, il se console de ceste belle sentence, Le Seigneur l’avoit donné, le Seigneur l’a osté : que le nom du Seigneur soit bénit Job 1.21. David aussi bien, s’il se fust amusé du tout à considérer la malice de Séméi, lequel le persécutoit d’injures et à coups de pierres, il eust incité les siens à se venger : mais pource qu’il entend qu’il ne fait pas cela sans le mouvement de Dieu, il les appaise au lieu de les irriter : Laissez-le, dit-il, car Dieu luy a commandé de mesdire de moy 2Sam. 16.10. Et il réprime aussi bien ailleurs par ceste mesme bride l’intempérance de sa douleur : Je me suis teu, dit-il, et suis devenu comme un muet : car c’est toy, ô Dieu, qui m’affliges Ps. 39.9. S’il n’y a nul meilleur remède contre ire et impatience, ce ne sera pas mal proufité à nous, quand nous aurons tellement apprins de méditer la providence de Dieu en cest endroit, que nous puissions tousjours réduire nostre cogitation à ce point, Le Seigneur l’a voulu, il faut doncques prendre en patience : non pas seulement pource qu’il n’est pas loisible de résister, mais pource qu’il ne veut rien qui ne soit juste et expédient. La somme revient là, qu’estans injustement grevez par les hommes, nous laissions là leur malice, laquelle ne feroit qu’aigrir nostre courroux, et aiguiser nos affections à vengence : et qu’il nous souviene de nous eslever à Dieu, et nous tenir certains que c’est par son juste décret et pourvoyance, que tout ce que nos ennemis attentent contre nous est permis, voire ordonné. Sainct Paul nous voulant retirer d’affection de nous venger, nous admoneste prudemment que nous n’avons pas à combatre contre la chair et le sang, mais contre le diable nostre ennemy spirituel, afin de nous munir contre luy Eph. 6.12. Mais ceste admonition va encores par-dessus, pour appaiser toutes impétuositez et passions de cholère : c’est que Dieu arme au combat tant le diable que tous iniques, et préside au milieu comme un maistre de lices pour exercer nostre patience. Mais si les fascheries que nous endurons nous vienent d’autre costé que des hommes, pensons à ce qui est dit en la Loy : c’est que toutes prospériez nous descoulent de la source de la bénédiction de Dieu, et que toutes calamitez sont autant de malédictions venantes aussi de luy Deut. 28.1. Mesmes que ceste horrible menace nous face peur : Si vous cheminez contre moy à l’estourdie, je chemineray aussi à l’estourdie contre vous Lév. 26.21, 24. Car par ces mots il pique nostre stupidité, entant que selon nostre sens charnel, nous estimons fortuit tout ce qui advient soit bien ou mal, et ne sommes point incitez par les bénéfices de Dieu à le servir, ny aiguillonnez par ses verges à venir à repentance. C’est la raison aussi pourquoy Jérémie se complaind tant asprement, et aussi Amos, de ce que les Juifs ne pensoient point que le bien et le mal veinssent du commandement de Dieu La. 3.38 ; Amos 3.6. A quoy se rapporte le propos d’Isaïe, Je suis le Dieu créant la clairté et formant les ténèbres, faisant paix et créant le mal : ce suis-je moy qui fay toutes ces choses Esaïe 45.7.

1.17.9

Ce pendant toutesfois, si ne fermerons-nous point les yeux que nous ne considérions les causes inférieures. Car combien que nous estimions ceux desquels nous recevons quelque bien, estre ministres de la libéralité de Dieu, si ne les mespriserons-nous pas, comme s’ils n’avoyent mérité nulle grâce envers nous par leur humanité : mais plustost nous nous recognoistrons estre obligez à eux, et le confesserons volontiers, et nous efforcerons de rendre la pareille selon nostre pouvoir, quand l’opportunité sera. Brief nous porterons cest honneur à Dieu de le recognoistre principal autheur de tout bien : mais nous honorerons aussi bien les hommes, comme les ministres et dispensateurs de ses bénéfices, et penserons qu’il nous a voulu obliger à eux, puis qu’il s’est monstré nostre bienfaiteur par leurs mains. Si nous endurons quelque dommage, ou pour nostre négligence, ou pour nostre nonchalance, nous penserons bien que cela s’est fait par le vouloir de Dieu, mais nous ne laisserons point de nous en imputer la faute. Si quelqu’un de nos parens ou amis, duquel nous devions avoir le soin, trespassesans estre bien pensé, combien que nous n’ignorerons pas qu’il estoit venu au terme lequel il ne pouvoit passer, toutesfois nous n’amoindrirons point par cela nostre péché : mais d’autant que nous n’aurons point fait nostre devoir, nous prendrons sa mort comme estant advenue de nostre faute. Par plus forte raison doncques, s’il y a eu fraude ou malice délibérée en commettant homicide ou larrecin, nous ne devrons pas excuser ces crimes sous couleur de la providence de Dieu : mais en un mesme fait nous contemplerons la justice de Dieu et l’iniquité de l’homme, comme l’un et l’autre se monstre évidemment. Quant est des choses futures, nous prendrons pied principalement à ces causes inférieures dont nous avons parlé. Car nous réputerons que ce sera une bénédiction de Dieu, s’il nous donne les moyens humains pour nous entretenir et conserver : et pourtant nous consulterons de ce que nous avons à faire selon nostre faculté : et ne serons point paresseux d’implorer l’aide de ceux lesquels nous verrons estre propres pour nous aider. Plustost estimans que c’est Dieu qui nous présente à la main toutes créatures, lesquelles nous peuvent porter proufit, nous les appliquerons en usage, comme instrumens légitimes de sa providence. Et pource que nous sommes incertains quelle issue nous aurons de ce que nous entreprenons (sinon que nous avons bonne fiance en Dieu qu’il pourvoira en tout et par tout à nostre bien) nous tendrons à ce que nous penserons nous estre proufitable, d’autant que nostre intelligence se peut estendre. Néantmoins en prenant nos conseils, nous ne suivrons pas nostre sens propre, mais nous nous recommanderons et permettrons à la sagesse de Dieu, a ce qu’elle nous conduise droictement. Finalement nostre fiance ne sera pas tellement appuyée sur les aides et moyens terrestres, que nous y acquiescions quand nous les aurons en main, ou quand ils nous défaudront, que nous perdions courage. Car nous aurons l’entendement fiché en la seule providence de Dieu, et ne nous laisserons point distraire du regard d’icelle par la considération des choses présentes. En telle sorte Joab, combien qu’il cognoisse que l’issue de la bataille où il entroit dépendue du bon plaisir de Dieu, et estoit en sa main, ne s’annonchalit point qu’il ne regardast à exécuter ce qui estoit de sa vocation, résignant à Dieu le gouvernement de tout. Nous tiendrons bon, dit-il, pour nostre peuple, et pour les villes de nostre Dieu. Le Seigneur face ce que bon luy semblera 2Sam. 10.12. Telle pensée aussi nous despouillera de témérité et présomption, pour nous inciter à invoquer Dieu continuellement : et d’autre part elle soustiendra nos cœurs en bon espoir, afin que nous ne doutions point de mespriser hardiment et avec magnanimité les dangers qui nous environnent.

1.17.10

Or en cest endroit on peut veoir une singulière félicité des fidèles. La vie humaine est environnée, et quasi assiégée de misères infinies. Sans aller plus loin, puis que nostre corps est un réceptacle de mille maladies, et mesme nourrit en soy les causes, quelque part où aille l’homme il porte plusieurs espèces de mort avec soy, tellement qu’il traîne sa vie quasi enveloppée avec la mort. Car que dirons-nous autre chose, quand on ne peut avoir froid ne suer sans danger ? D’avantage, de quelque costé que nous nous tournions, tout ce qui est à l’entour de nous non-seulement est suspect, mais nous menace quasi apertement, comme s’il nous vouloit intenter la mort. Montons en un basteau : il n’y a qu’un pied à dire entre la mort et nous. Que nous soyons sur un cheval : il ne faut sinon qu’il choppe d’un pied pour nous faire rompre le col. Allons par les rues : autant qu’il y a de tuiles sur les toits, autant sont-ce de dangers sur nous. Tenons une espée, ou que quelqu’un auprès de nous en tiene : il ne faut rien pour nous en blesser. Autant que nous voyons de bestes, ou sauvages, ou rebelles, ou difficiles à gouverner, elles sont toutes armées contre nous. Enfermons-nous en un beau jardin, où il n’y ait que tout plaisir : un serpent y sera quelquesfois caché. Les maisons où nous habitons, comme elles sont assiduellement sujettes à brusler, de jour nous menacent de nous apovrir, de nuict de nous accabler. Quelques possessions que nous ayons, entant qu’elles sont sujettes à gresles, gelées, seicheresse, et autres tempestes, elles nous dénoncent stérilité, et par conséquent famine. Je laisse là les empoisonnemens, les embusches, les violences desquelles la vie de l’homme est partie menacée en la maison, partie accompagnée aux champs. Entre telles perplexitez ne faudroit-il pas qu’un homme fust plus que misérable ? asçavoir, d’autant qu’en vivant il n’est qu’à demy en vie : s’entretenant à grand’peine en langueur et destresse, tout comme s’il se voyoit le cousteau à la gorge à chacune heure. Quelqu’un dira que ces choses advienent peu souvent, ou pour le moins qu’elles n’advienent pas tousjours, ny à tout le monde : d’autre part, qu’elles ne peuvent advenir jamais toutes en un coup. Je le confesse : mais pource que par l’exemple des autres nous sommes advertis qu’elles nous peuvent advenir, et que nostre vie ne doit estre exemptée de nulles d’icelles, il ne se peut faire que nous ne les craignions comme si elles nous devoyent advenir. Quelle misère pourroit-on imaginer plus grande, que d’estre tousjours en tel tremblement et angoisse ? D’avantage, cela ne seroit point sans l’opprobre de Dieu, de dire qu’il eust abandonné l’homme, la plus noble de ses créatures, à la témérité de fortune. Mais mon intention n’est yci que de parler de la misère de l’homme, en laquelle il seroit, s’il vivoit comme à l’adventure.

1.17.11

Au contraire, si la providence de Dieu reluit au cœur fidèle, non-seulement il sera délivré de la crainte et destresse de laquelle il estoit pressé au paravant, mais sera relevé de toute doute. Car comme à bon droict nous craignons la fortune, aussi nous avons bonne raison de nous oser hardiment permettre à Dieu. Ce nous est doncques un soulagement merveilleux, d’entendre que le Seigneur tient tellement toutes choses en sa puissance, gouverne par son vouloir, et modère par sa sapience, que rien ne vient sinon comme il l’a destiné. D’avantage, qu’il nous a receus en sa sauve garde, et nous a commis en la charge de ses Anges, à ce qu’il n’y ait ny eau, ne feu, ne glaive, ne rien qui nous puisse nuire : sinon d’autant que son bon plaisir le portera. Car il est ainsi dit au Pseaume, Il te délivrera des empiéges du chasseur et de peste nuisante. Il te gardera sous son aile, et seras. à seureté sous ses plumes. Sa vérité te sera pour bouclier, tu ne craindras point les tumultes de nuict, ne la flesche quand elle sera tirée en plein jour, ne nuisances qui passent en ténèbres, ne le mal qu’on te voudra faire en la clairté du jour Ps. 91.3-6, etc. De là vient la fiance qu’ont les Saincts de se glorifier, Le Seigneur est mon adjuteur, je ne craindray pas tout ce que la chair me pourroit faire. Le Seigneur est mon protecteur, qu’est-ce que je craindroye ? Si un camp est dressé contre moy, si je chemine en l’obscurité de mort, je ne laisseray point de bien espérer Ps. 118.5-7 ; 27.3 ; 56.4. Dont est-ce qu’aurait l’homme fidèle une telle asseurance, laquelle ne peut estre jamais ostée, sinon que là où il semble advis que le monde soit témérairement tourné dessus et dessous, il répute que Dieu y besongne à le conduire, duquel il espère que toutes les œuvres luy sont salutaires ? S’il se voit assailly ou molesté du diable, ou des meschans, n’a-il pas lors bon mestier de se confermer, en réduisant en mémoire la providence de Dieu, sans laquelle recordation il ne pourroit que se désespérer ? Au contraire, quand il recognoist que le diable et toute la compagnie des meschans est tenue serrée de la main de Dieu, comme d’une bride, tellement qu’ils ne peuvent concevoir mal aucun : ne quand ils l’auront conceu, machiner à le faire : ne quand ils machineront, l’exécuter, ne mesmes lever le petit doigt, sinon d’autant que Dieu leur commande : mesmes que non-seulement ils sont tenus en ses pièges ou manettes, mais qu’ils sont contraints par le frein de sa bride à luy obéir : en cela il a suffisamment à se consoler. Car comme il est en Dieu seul d’armer leur fureur, la tourner et convertir où bon luy semble : aussi est-il en son pouvoir de les restreindre à ce qu’ils ne facent pas tout selon leur intempérance. Suivant laquelle persuasion sainct Paul ayant dit en un lieu, que son voyage estoit empesché par Satan, en un autre il le remet au bon plaisir de Dieu, et à ce qu’il permettra 1Thess. 2.18 ; 1Cor. 16.7. S’il eust dit seulement que Satan avoit mis l’obstacle, on eust pensé qu’il luy donnoit trop d’authorité, comme s’il eust peu renverser les conseils de Dieu : mais quand il constitue Dieu gouverneur par-dessus, confessant que tous voyages dépendent de sa permission, en cela il monstre que Satan ne peut rien, sinon entant que la licence luy est donnée. Par mesme raison David, à cause des révolutions dont la vie humaine est tournée et virée dessus et dessous, a son refuge à ceste doctrine, que les temps sont en la main de Dieu Ps. 31.15. Il pouvoit mettre le cours ou le temps de sa vie en nombre singulier : mais il a voulu mieux exprimer combien que la condition de l’homme n’ait nulle fermeté, mais qu’elle change du jour au lendemain, voire plus souvent : toutesfois quelque variété qui adviene, que le tout est gouverné de Dieu Esaïe 7.4. Pour laquelle cause il est dit que Rasim et le Roy d’Israël, combien qu’ayans conspiré à destruire le pais de Judée, semblassent advis fallots ardens pour enflamber toute la terre, n’estoyent néantmoins que tisons fumans, dont il ne pouvoit sortir qu’un peu de fumée. En ce mesme sens Pharaon, lequel estonnoit tout le monde par son équipage et par la multitude de sa gendarmerie, est accomparé à une baleine, et ses gendarmes à des poissons Ezéch. 29.4. Ainsi Dieu dit qu’il prendra avec son hameçon et le capitaine et les soldats, et qu’il les tirera à son plaisir. En somme, afin de ne demeurer plus longuement sur ce propos, je dy que c’est la plus grande misère que puisse avoir l’homme, d’ignorer la providence de Dieu : et d’autre part, que ce luy est une singulière béatitude de la bien cognoistre.

1.17.12

Nous aurions assez parlé de la providence de Dieu, entant que mestier est pour l’instruction et ferme consolation des fidèles (car jamais on n’en auroit assez dit pour rassasier la curiosité des hommes fols et vains, et ne s’en faut jà mettre en peine) n’estoit qu’il y a aucuns passages en l’Escriture qui semblent advis signifier que le conseil de Dieu n’est pas ferme et immuable comme dit a esté, mais qu’il se change selon la disposition des choses inférieures. Premièrement, il est fait quelquefois mention de la repentance de Dieu : comme quand il est dit qu’il s’est repenty d’avoir créé l’homme : item, d’avoir eslevé Saül à la couronne : et qu’il se repentira du mal qu’il avoit proposé d’envoyer à son peuple, quand il y verra quelque amendement Gen. 6.6 ; 1Sam. 15.11 ; Jér.18.8. D’avantage, nous lisons qu’il a aboly et cassé ce qu’il avoit déterminé. Il avoit dénoncé aux Ninivites par Jonas, que leur ville périroit après quarante jours : puis par leur conversion il a esté fléchy à clémence. Il avoit aussi bien dénoncé la mort à Ezéchias par la bouche d’Isaïe, laquelle il diffère néantmoins estant esmeu par ses larmes et prières Jon. 3.4 ; Esaïe 38.1, 5 ; 2Rois 20.1, 5. De ces passages plusieurs arguent que Dieu n’a point constitué d’un décret éternel ce qu’il devroit faire envers les hommes, mais qu’il ordonne chacun jour et chacune heure ce qu’il cognoist estre bon et raisonnable, et comme les mérites d’un chacun le requièrent. Quant est du mot de Pénitence, il nous en faut tenir ceste résolution : que repentance ne peut convenir à Dieu, non plus qu’ignorance, ou erreur, ou imbécillité. Car si nul ne se met de son propre sceu et vouloir en nécessité de se repentir, nous ne dirons point que Dieu se repente, que nous ne confessions ou qu’il a ignoré ce qui devoit advenir, ou qu’il ne l’a peu éviter, ou qu’il a précipité son conseil inconsidérément. Or cela est si loing du sens du sainct Esprit, qu’en faisant mention d’une telle repentance de Dieu, il nie qu’il se puisse repentir, d’autant qu’il n’est pas homme. Et faut noter qu’en un mesme chapitre les deux sont conjoincts en telle sorte, qu’en comparant l’un à l’autre on peut aisément accorder ce qu’on y trouve de répugnance de prime face. Après que Dieu a dit qu’il se repentoit d’avoir créé Saül pour Roy, il est adjousté, La force d’Israël ne mentira point, et ne fleschira point pour se repentir : car il n’est pas homme, pour estre muable 1Sam. 15.29. Or par ces mots nous voyons que Dieu en soy ne varie point, mais que ce qu’il fait comme nouveau, il l’avoit au paravant estably. Il est doncques certain que le gouvernement de Dieu sur les choses humaines est constant, perpétuel et exempt de toute repentance. Et mesme afin que sa constance ne peust venir en doute, ses adversaires ont esté contraints de luy rendre tesmoignage. Balaam vousist-il ou non, ne se peut tenir de dire que Dieu n’est pas semblable aux hommes, pour mentir : ny aux enfans d’Adam, pour changer propos : et pourtant qu’il ne se peut faire que tout ce qu’il a dit ne soit accomply Nombres 23.19.

1.17.13

Que signifie doncques ce mot de Repentance ? dira quelqu’un. Je respon qu’il a un mesme sens que toutes les autres formes de parler, lesquelles nous descrivent Dieu humainement. Car pource que nostre infirmité n’attouche point à sa hautesse, la description qui nous en est baillée se doit submettre à nostre capacité, pour estre entendue de nous. Or le moyen est, qu’il se figure, non pas tel qu’il est en soy, mais tel que nous le sentons. Combien qu’il soit exempt de toute perturbation, il se dit estre courroucé contre les pécheurs. Pourtant comme quand nous oyons que Dieu est courroucé, nous ne devons pas imaginer qu’il y ait quelque commotion en luy, mais plustost que ceste locution est prinse de nostre sentiment pource qu’il monstre apparence d’une personne courroucée, quand il exerce la rigueur de son jugement : ainsi sous le vocable de Pénitence, nous ne devons concevoir sinon une mutation de ses œuvres, pource que les hommes en changeant leurs œuvres tesmoignent qu’elles leur desplaisent. Pourtant comme tout changement entre les hommes est correction de ce qui desplaist, et la correction vient de pénitence : pour ceste cause le changement que fait Dieu en ses œuvres, est signifié par ce mot de Pénitence. Combien que ce pendant son conseil ne soit point renversé, ne sa volonté tournée, ne son affection changée : mais ce qu’il avoit de toute éternité pourveu, approuvé, décrété, il le poursuit constamment sans varier, combien qu’il y apparoisse au regard des hommes une diversité subite.

1.17.14

Parquoy l’Escriture en récitant que la calamité que Jonas avoit dénoncée aux Ninivites, leur a esté remise : et que la vie a esté prolongée à Ezéchias Jon.3.10 ; Esaïe 38.5, depuis qu’il eut receu le message de mort, en cela elle ne monstre point que Dieu ait abrogué ses décrets. Ceux qui pensent ainsi, s’abusent aux menaces : lesquelles combien qu’elles soyent simplement couchées, contienent néantmoins une condition tacite, comme il se peut entendre de la fin où elles tendoyent. Car pourquoy est-ce que Dieu envoyoit Jonas aux Ninivites, pour leur prédire la ruine de leur ville ? Pourquoy dénonçoit-il la mort par Isaïe à Ezéchias ? Car il les pouvoit bien perdre sans leur envoyer message. Il a doncques regardé à autre fin, que de leur vouloir faire prévoir de loin leur ruine venir : c’est qu’il n’a pas voulu qu’ils périssent, mais plustost qu’ils s’amendassent, afin de ne point périr. Parquoy ce que Jonas prophétisoit que la ville de Ninive devoit estre destruite après quarante jours, cela se faisoit afin qu’elle ne le fust point. Ce que l’espérance de plus longuement vivre est ostée à Ezéchias, c’est afin qu’il impètre plus longue vie. Qui est-ce qui ne voit maintenant que Dieu a voulu par telles menaces esmouvoir à repentance ceux qu’il menaçoit, afin qu’ils évitassent le jugement qu’ils avoyent mérité par leurs péchez ? Si cela est vray, l’ordre naturel nous meine là, que nous suppléons une condition tacite : combien qu’elle ne soit point exprimée en ces menaces. Ce que nous pouvons mesme confermer par exemples semblables. Le Seigneur reprenant le roy Abimélec, de ce qu’il avoit ravy la femme d’Abraham, use de ces paroles, Voycy, tu mourras pour la femme que tu as prise : car elle avoit mary Gen. 20.3. Après qu’Abimélec s’est excusé, il luy respond ainsi, Rend doncques la femme à son mary, et il priera pour toy afin que tu vives : autrement, sache que tu mourras de mort, toy et tout ce que tu possèdes. Voyons-nous pas bien comme en la première sentence il use d’une plus grande véhémence, pour effrayer son cœur, afin de le mieux induire à taire son devoir : puis après qu’il explique clairement son intention ? Puis que les autres passages ont une mesme intelligence, on ne peut pas d’iceux inférer que Dieu ait rien dérogué à son premier conseil, en cassant ce qu’il avoit au paravant publié. Car plustost au contraire il fait voye à son conseil et ordonnance éternelle, quand il induit à repentance ceux ausquels il veut pardonner, en leur dénonçant les peines qui leur adviendroyent s’ils persévéroyent en leurs vices, tant s’en faut qu’il varie de volonté, voire mesmes de parole, sinon qu’il n’explique point syllabe à syllabe son intention, laquelle néantmoins est aisée à entendre. Il faut doncques que ceste sentence d’Isaïe demeure ferme : Le Seigneur des armées a décrété cela : et qui est-ce qui le pourra rompre ? Sa main est eslevée : et qui est-ce qui la pourra destourner Esaïe 14.27 ?

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