Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE III
Qui est de la manière de participer à la grâce de Jésus-Christ, des fruits qui nous en revienent et des effects qui s’en ensuyvent.

Chapitre I
Que les choses qui ont esté dites ci-dessus de Jésus-Christ, nous proufitent par l’opération secrette du sainct Esprit.

3.1.1

Nous avons maintenant à veoir comment les biens que Dieu le Père a mis en son Fils parvienent à nous : veu que le Fils ne les a pas receus pour son utilité privée, mais pour en subvenir aux povres et indigens. Premièrement il est à noter, ce pendant que nous sommes hors de Christ Eph. 4.15, et séparez d’avec luy, que tout ce qu’il a fait ou souffert pour le salut du genre humain, nous est inutile et de nulle importance. Il faut doncques, pour nous communiquer les biens desquels le Père l’a enrichi et rempli, qu’il soit fait nostre et habite en nous. Pour ceste cause il est nommé Nostre chef, et Premier-nay entre plusieurs frères : et il est dit aussi d’autre part, que nous sommes entez en luy et le vestons Rom. 8.28 ; 13.14 ; Gal. 3.27 : pource que rien de ce qu’il possède ne nous appartient, comme nous avons dit, jusques à ce que nous soyons faits un avec luy. Or combien que nous obtenons cela par foy, néantmoins puis que nous voyons que tous indifféremment n’embrassent pas ceste communication de Jésus-Christ, laquelle est offerte par l’Evangile : la raison nous induit à monter plus haut, pour nous enquérir de la vertu et opération secrète du sainct Esprit, laquelle est cause que nous jouissons de Christ et de tous ses biens : J’ai traitté assez amplement ci-dessus de la déité et essence éternelle du sainct Esprit : ainsi que les lecteurs se contentent d’avoir cest article suivant déclairé pour ceste heure : c’est que Jésus-Christ est tellement venu en eau et en sang, que l’Esprit aussi testifie quant et quant de luy, afin que le salut qu’il nous a acquis ne s’escoule point pour ne nous proufiter de rien. Car comme sainct Jehan nous allègue trois tesmoins au ciel, le Père, la Parole, et l’Esprit : aussi il en produit trois en terre, l’eau, le sang, et l’Esprit 1Jean 5.7-8. Et ce n’est point en vain que le tesmoignage de l’Esprit est réitéré, lequel nous sentons estre engravé en nos cœurs au lieu de seau : voire pour sceller le lavement et le sacrifice qui sont à la mort du Fils de Dieu. Pour laquelle raison aussi sainct Pierre dit, que les fidèles sont esleus parla sanctification de l’Esprit, en l’obéissance et aspersion du sang de Christ 1Pierre 1.2. Par lesquels mots il nous déclaire que nos âmes sont purgées par l’arrousement incompréhensible de l’Esprit, du sacré sang qui a esté espandu une fois : afin que cela n’ait esté fait en vain. Et c’est aussi pourquoy sainct Paul, traittant de nostre purgation et justice, dit que nous obtenons tous les deux au nom de Jésus-Christ et en l’Esprit de nostre Dieu. La somme revient là, que le sainct Esprit est comme le lien par lequel le Fils de Dieu nous unit à soy avec efficace. A quoy se rapporte tout ce que nous avons déduit au livre précédent, de son onction.

3.1.2

Mais afin que ceci, selon qu’il est singulièrement digne d’estre cognu soit mieux liquidé, sçachons que Jésus-Christ est venu rempli du sainct Esprit d’une façon spéciale : asçavoir pour nous séparer du monde, et nous recueillir en l’espérance de l’héritage éternel. Et c’est pourquoy il est nommé l’Esprit de sanctification : pource que non-seulement il nous donne vigueur, et nous entretient de sa vertu générale qu’on apperçoit tant en tout le genre humain qu’aux autres animaux : mais il nous est racine et semence de la vie céleste. Et pourtant les Prophètes magnifient le règne de Jésus-Christ par ce tiltre, qu’il devoit apporter une plus grande et ample largesse du sainct Esprit. Le passage de Joël est notable par-dessus les autres : J’espandray en ce jour-là de mon Esprit sur toute chair, dit le Seigneur Joël 2.28, etc. Car combien qu’il semble restreindre les dons de l’Esprit à l’office de prophétie, si est-ce que sous figure il signifie que Dieu par la clairté de son Esprit se formera des disciples, de ceux qui estoyent au paravant idiots, et n’ayans nul goust ne saveur de la doctrine céleste. Or pource que Dieu le Père nous eslargit de son Esprit en faveur de son Fils, et néantmoins en a mis en luy toute la plénitude, afin de le faire ministre et dispensateur de sa libéralité envers nous : pour ces deux raisons l’Esprit est appelé maintenant du Père, maintenant du Fils. Vous n’estes plus en chair (dit sainct Paul) mais en esprit : d’autant que l’Esprit de Dieu habite en vous Rom. 8.9. Or celuy qui n’a point l’Esprit de Christ, n’est point à luy. Et en nous voulant asseurer de nostre plenier renouvellement, il dit que celuy qui a ressuscité Jésus-Christ des morts : vivifiera nos corps mortels à cause de son Esprit qui habite en nous Rom. 8.11. Car il n’y a nulle absurdité, d’attribuer au Père la louange de ses dons, desquels il est autheur : et cependant dire le semblable de Jésus-Christ, puis que ces mesmes dons luy ont esté commis en dépost, pour en eslargir aux siens comme il luy plaira. Voylà pourquoy il convie à soy tous ceux qui ont soif, afin qu’ils boyvent Jean 7.37. Et sainct Paul dit que l’Esprit est distribué à chacun des membres selon la mesure de la donation de Christ Eph. 4.7. D’avantage il est à noter, qu’il est nommé Esprit de Christ : non pas entant que le Fils éternel de Dieu en son essence divine est conjoinct en un mesme Esprit avec le Père, mais aussi quant à la personne de Médiateur ; pource que sa venue seroit fustratoire, s’il n’estoit descendu à nous muni de telle vertu. En ce sens il est nommé le second Adam, estant procédé du ciel en Esprit vivifiant 1Cor. 15.45. Car sainct Paul compare la vie spéciale, que Jésus-Christ inspire à ses fidèles, pour les unir à soy, avec la vie sensuelle, qui est aussi bien commune aux réprouvez. Semblablement quand il prie que la charité de Dieu, et la grâce de Christ soit sur les fidèles, il adjouste la communication de l’Esprit, sans laquelle jamais nul ne goustera ni la faveur paternelle de Dieu, ni les bénéfices de Christ. Comme nous lisons en l’autre passage, que la charité de Dieu est espandue en nos cœurs, par le sainct Esprit qui nous est donné Rom. 5.5.

3.1.3

Il nous servira yci de noter quels tiltres l’Escriture attribue à l’Esprit, quand il est question du commencement et de tout le cours de la restauration de nostre salut. Premièrement il est nommé Esprit d’adoption, pource qu’il nous est tesmoin de la bénévolence gratuite en laquelle le Père céleste nous reçoit en faveur de son Fils : et en nous testifiant que nous sommes enfans de Dieu, il nous donne fiance et courage à prier : mesmes il nous met les Paroles en la bouche, à ce que nous puissions hardiment crier, Abba, Père. Par une mesme raison il est appelé l’arre et le sceau de nostre héritage Gal. 4.6 ; 2Cor. 1.22, pour ce qu’il nous vivifie du ciel, combien que nous soyons pèlerins en ce monde, et semblables à povres trespassez : et nous certifie que nostre salut estant en la garde de Dieu, est bien asseuré de tout danger. De là mesmes vient l’autre tiltre, qu’il est nommé Vie, à cause de la justice Rom. 8.10. Or pource qu’en nous arrousant de sa grâce invisible il nous rend fertiles à produire fruits de justice, comme la pluye engraisse la terre de son humeur, voylà pourquoy il est souvent nommé Eau : comme en Isaïe, Vous tous qui avez soif, venez aux eaux. Item, J’espandray de mon Esprit, sur celle qui a soif, et feray couler les rivières sur la terre seiche Esaïe 55.1 ; 44.3. A quoy respond la sentence de Jésus-Christ, que j’ay n’aguères alléguée, Si quelqu’un a soif, qu’il viene à moy Jean 7.37. Combien qu’il est aucunesfois marqué de ce nom, pour la force qu’il a de purger et nettoyer : comme en Ezéchiel, où Dieu promet des eaux pures pour laver toutes les souilleures de son peuple Ezéch. 36.25. Or pource qu’en nous arrousant de la liqueur de sa grâce, il nous restaure en vigueur et nous refocille : de cest effect aussi le nom d’Huile et d’Onction luy est donné 1Jean 2.20, 27. D’autre part, pource qu’en nous recuisant, et bruslant nos concupiscences vicieuses, qui sont comme superfluitez et ordures, il enflambe nos cœurs en l’amour de Dieu, et en affection de le servir : pour ceste raison il est à bon droict intitulé Feu Luc 3.16. En somme, il nous est proposé comme la seule fontaine dont toutes richesses célestes descoulent sur nous, ou bien comme la main de Dieu par laquelle il exerce sa Vertu Jean 4.14. Car c’est par son inspiration que nous sommes régénérez en vie céleste, afin de n’estre plus poussez ou conduits de nous, mais estre gouvernez par son mouvement et opération : tellement que s’il y a quelque bien en nous, ce n’est seulement que du fruit de sa grâce : et sans luy tout le beau lustre de vertu que nous avons n’est rien, pource qu’il n’y a qu’aveuglement d’esprit et perversité de cœur. Cela a bien esté desjà clairement exposé, que Jésus-Christ nous est comme oisif, juscques à ce que nous le conjoignions avec son Esprit pour nous y addresser : pource que sans ce bien nous ne faisons que regarder Jésus-Christ de loin et hors nous, voire d’une froide spéculation. Or nous sçavons qu’il ne proufite sinon à ceux desquels il est chef et frère premier-nay, mesmes qui sont vestus de luy Eph. 4.15 ; Rom. 8.29 ; Gal. 3.27. Ceste seule conjonction fait qu’il ne soit point venu vain et inutile, quant à nous, avec le nom de Sauveur. A ce mesme but tend le mariage sacré, par lequel nous sommes faits chair de sa chair et os de ses os, voire un avec luy Eph. 5.30. Or il ne s’unit avec nous que par son Esprit, et par la grâce et vertu d’iceluy il nous fait ses membres, pour nous retenir à soy, et pour estre mutuellement possédé de nous.

3.1.4

Mais pource que la foy est son principal chef-d’œuvre, la pluspart de ce que nous lisons en l’Escriture touchant sa vertu et opération, se rapporte à icelle foy, par laquelle il nous ameine à la clairté de l’Evangile : comme dit sainct Jehan, que ceste dignité est donnée à tous ceux qui croyent en Christ, d’estre faits enfans de Dieu, lesquels ne sont point nais de chair et de sang, mais de Dieu Jean 1.13. Car en opposant Dieu à la chair et au sang, il monstre que c’est un don céleste et supernaturel, que les esleus reçoyvent Jésus-Christ par foy, lesquels autrement demeureroyent adonnez à leur incrédulité. La response que fit Jésus-Christ à Pierre, convient à ceci : La chair et le sang ne le t’ont point révélé, mais mon Père qui est au ciel Matt. 16.17. J’attouche briefvement ces choses, pource qu’elles ont esté déduites ailleurs tout au long. Le dire aussi de sainct Paul s’accorde très-bien à ce propos : c’est que les fidèles sont scellez ou cachetez du sainct Esprit de la promesse Eph. 1.13. Car il signifie qu’il est le maistre intérieur, par le moyen duquel la promesse de salut entre en nous, et transperce nos âmes : et qu’autrement elle ne feroit que batre l’air, ou sonner à nos aureilles. Pareillement quand il dit que les Thessaloniciens ont esté esleus de Dieu en sanctification de l’Esprit, et en la foy de la vérité 2Thess. 2.13 : par un tel fil et conjonction il nous advertit que la foy ne peut provenir d’ailleurs que de l’Esprit ; ce que sainct Jehan explique ailleurs plus ouvertement, parlant ainsi : Nous sçavons qu’il demeure en nous par l’Esprit qu’il nous a donné. Item, Voyci dont nous sçavons que nous demeurons en luy, et luy en nous : c’est qu’il nous a donné de son Esprit 1Jean 3.24 ; 4.13. Parquoy le Seigneur Jésus pour rendre ses disciples capables de la sagesse céleste, leur promet l’Esprit de vérité, lequel le monde ne peut comprendre Jean 14.17 : et luy attribue cest office comme propre, de leur suggérer et faire cognoistre ce qu’il leur avoit desjà enseigné : comme aussi de faict la clairté se présenteroit en vain aux aveugles, si cest Esprit d’intelligence n’ouvroit les yeux de l’entendement : en sorte qu’à juste cause on le peut appeler La clef, par laquelle les thrésors du royaume des cieux nous sont ouverts : et son illumination peut estre nommée La veue de nos âmes. Voylà pourquoy sainct Paul magnifie tant le ministère de l’Esprit 2Cor. 3.6-8 : ce qui vaut autant à dire comme la prédication ayant avec soy la vivacité spirituelle : pource que les docteurs ne proufiteroyent rien à crier, si Jésus-Christ le souverain maistre ne besongnoit au dedans, pour attirer ceux qui luy sont donnez du Père. Parquoy, comme nous avons dit que toute perfection de salut se trouve en Jésus-Christ, aussi luy, afin de nous en faire participans, nous baptise au sainct Esprit et en feu Luc 3.16, nous illuminant en la foy de son Evangile, et nous régénérant, tellement que nous soyons nouvelles créatures : finalement nous purgeant de toutes nos pollutions et ordures, pour estre consacrez de Dieu en saincts temples.

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