Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE III
Qui est de la manière de participer à la grâce de Jésus-Christ, des fruits qui nous en revienent et des effects qui s’en ensuyvent.

Chapitre XX
D’oraison : laquelle est le principal exercice de foy, et par laquelle nous recevons journellement les bénéfices de Dieu.

3.20.1

De ce qui a esté traitté par ci-devant, nous voyons clairement combien l’homme est desnué et despourveu de tout bien, et comment tout ce qui appartient à son salut luy défaut. Parquoy s’il veut avoir de quoy se subvenir en sa nécessité, il faut qu’il sorte hors de soy, et qu’il cherche ailleurs son secours. D’avantage il nous a esté expliqué, que nostre Seigneur se présente libéralement à nous en son Fils Jésus-Christ, nous offrant par luy au lieu de nostre misère toute félicité : au lieu de nostre povreté, toute abondance : et nous ouvrant en luy tous ses thrésors et richesses célestes, afin que toute nostre foy regarde ce Fils bien-aimé, toute nostre attente soit de luy, et toute nostre espérance se repose en luy. C’est bien une secrette philosophie et cachée que ceste-ci, laquelle ne se peut entendre par syllogismes : mais ceux-là la comprenent ausquels nostre Seigneur a ouvert les yeux pour veoir clair en sa lumière. Puis que nous sommes enseignez par foy de cognoistre que tout le bien qui nous est nécessaire et nous défaut en nous-mesmes, est en Dieu et en son Fils nostre Seigneur Jésus-Christ, auquel le Père a constitué toute plénitude de ses bénédictions et largesses, afin que de là, comme d’une fontaine très-plene, nous en puisions tous, il reste que nous cherchions en luy, et par prières et oraisons demandions de luy ce que nous avons apprins y estre. Car autrement, connoistre Dieu pour maistre, autheur et distributeur de tous biens, qui nous convie à les requérir de luy, et ne s’addresser point à luy, ne rien luy demander, tellement ne nous proufiteroit de rien, que mesmes ce seroit comme si quelqu’un mesprisoit et laissoit estre enseveli et caché sous terre un thrésor qui luy auroit esté enseigné. Pourtant l’Apostre voulant monstrer que la vraye foy ne peut estre que l’invocation ne s’ensuyve d’icelle, met cest ordre, que comme la foy procède de l’Evangile, aussi que par icelle nous sommes instruits à prier Dieu Rom. 10.14. Et c’est ce qu’il avoit dit un peu au paravant, que l’Esprit d’adoption, lequel scelle le tesmoignage de l’Evangile en nos cœurs, nous donne courage et hardiesse d’exposer nos désirs à Dieu, esmouvant en nous gémissemens inénarrables, et criant Abba, Père Rom.8.1. Il nous faut doncques maintenant plus amplement traitter ce point, duquel nous n’avions par ci-devant parlé, sinon incidemment et comme en passant.

3.20.2

C’est doncques par le moyen d’oraison que nous avons entrée aux richesses lesquelles nous avons en Dieu. Car elle est comme une communication des hommes avec Dieu, par laquelle estans introduits en son vray Temple, qui est le ciel, ils l’admonestent et quasi le somment présentement de ses promesses : afin que par expérience il leur monstre quand la nécessité le requiert, que ce qu’ils ont creu à sa simple parole estre vray, n’a pas esté mensonge ne chose vaine. Pourtant nous ne voyons point que Dieu nous propose aucune chose à espérer de soy, que pareillement il ne nous commande de la demander par prières. Tellement est véritable ce que nous avons dit, que par oraison nous cherchons et trouvons les thrésors, lescquels sont monstrez et enseignez à nostre foy en l’Evangile. Or combien l’exercice de prier est nécessaire, et en combien de manières il nous est utile, on ne le pourroit assez expliquer par paroles. Ce n’est pas certes sans cause que le Père céleste tesmoigne que toute l’asseurance de nostre salut consiste en l’invocation de son nom Joël 2.32 : veu que par icelle nous requérons et obtenons la présence : tant de sa providence, par laquelle il se monstre vigilant à penser de nous : que de sa vertu, par laquelle il nous défende, et soulage nostre imbécillité et défaut : qu’aussi de sa bonté, par laquelle il nous reçoyve en grâce, nonobstant que nous soyons chargez de péchez et pour brief parler, veu que par icelle nous l’appelons, afin qu’il se déclaire entièrement nous estre présent. De là revient un singulier repos à nos consciences. Car après avoir exposé au Seigneur la nécessité qui nous serroit de près nous avons suffisamment où nous reposer : entant que nous entendons que rien n’est caché de nostre misère, à celuy duquel la bonne volonté envers nous nous est certaine, et le pouvoir de nous aider, indubitable.

3.20.3

Toutesfois quelqu’un pourra objecter, asçavoir s’il ne cognoist point assez sans advertissement, et en quel endroict nous sommes pressez, et ce qui nous est expédient. Dont il sembleroit que ce fust chose superflue de le soliciter par prières : veu que nous avons accoustumé de soliciter ceux qui ne pensent point à nostre affaire, et qui sont endormis. Mais ceux qui arguent en ceste manière, ne voyent point à quelle fin nostre Seigneur a institué les siens à prier. Car il n’a pas ordonné cela à cause de soy, mais au regard de nous. Il veut bien que son droict luy soit rendu, comme aussi il est équitable, quand les hommes recognoissent que tout ce qui leur est proufitable et qu’ils peuvent désirer, vient de luy, et qu’ils protestent cela par prières : mais l’utilité de ce sacrifice par lequel Dieu est honoré, revient à nous. Parquoy les saincts Pères, d’autant plus qu’ils se tenoyent asseurez des bénéfices de Dieu tant envers eux que les autres, ont esté tant plus vivement incitez à le prier. J’amèneray seulement l’exemple d’Elie, lequel estant certain du conseil de Dieu, promet hardiment la pluye au roy Achab : et toutesfois ne laisse pas de prier songneusement et en grande destresse, et d’envoyer par sept fois son serviteur pour contempler si la pluye venoit 1Rois 18.41-43, non pas qu’il doute de la promesse dont il avoit esté messager, mais pource qu’il sçait que son devoir est de recourir en toute humilité à Dieu : afin que sa foy ne s’endorme point en paresse. Parquoy combien qu’il veille et face le guet pour nous conserver, mesmes quand nous sommes si estourdis, que nous ne sentons point les maux qui sont à l’entour de nous : combien aussi qu’il nous secoure aucunes fois devant qu’estre invoqué : néantmoins il nous est très-nécessaire de l’implorer assiduellement. Premièrement, afin que nostre cœur soit enflambé d’un véhément et ardent désir de le tousjours chercher, aimer et honorer, en ce que nous nous accoustumons d’avoir en luy nostre refuge en toutes nos nécessitez, comme au port unique de salut. En après afin que nostre cœur ne soit esmeu d’aucun désir, duquel nous ne l’osions faire incontinent tesmoin : comme nous le faisons en exposant devant ses yeux toute nostre affection : et par manière de dire, desployant tout nostre cœur devant luy. D’avantage, afin que nous soyons apprestez à recevoir ses bénéfices avec vraye recognoissance et action de grâces : comme par la prière nous sommes advertis qu’ils nous vienent de sa main. Outreplus, afin qu’ayans obtenu ce que nous demandions, nous réputions qu’il a exaucé nos désirs : et que par cela soyons plus ardemment incitez à méditer sa bénignité : et afin aussi que nous prenions plus grand plaisir de la jouisance des biens qu’il nous fait, entendans que nous les avons impétrez par nos prières. Finalement, afin que sa providence soit confermée et approuvée en nos cœurs, par ce que nous expérimentons de faict, selon nostre petite capacité : entant que nous voyons que non-seulement il nous promet de ne nous jamais abandonner, et qu’il nous donne entrée à le chercher et implorer en la nécessité : mais aussi qu’il a la main tousjours estendue pour aider les siens, et qu’il ne les allaite point de vaines paroles, mais les maintient comme il en est besoin. Pour toutes ces raisons le Père plein de clémence, combien que jamais il ne dorme ne cesse, toutesfois monstre souventesfois signe de dormir et cesser : afin que par cela nous soyons incitez à le prier et requérir : comme il est expédient à nostre paresse et oubliance. C’est doncques trop perversement argué, pour nous retirer de faire oraison, d’alléguer que c’est chose superflue de soliciter par nos demandes la providence de Dieu : laquelle sans estre solicitée veille à conserver toutes choses : veu au contraire, que le Seigneur ne tesmoigne point en vain qu’il sera prochain à tous ceux qui invoqueront son nom en vérité Ps. 145.18. C’est une aussi grande folie, d’alléguer qu’il n’y a nulle raison de demander les choses que le Seigneur volontairement est prest de nous eslargir, veu qu’il veut que nous réputions les bénéfices qui nous prouvienent de sa libéralité gratuite, avoir esté ottroyez à nos prières. Ce que tesmoigne ceste sentence mémorable du Pseaume, avec plusieurs autres, Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses aureilles sont attentives à leurs prières Ps. 34.15. Car il est là monstré que Dieu prouvoit tellement de son bon gré au salut des fidèles, que ce pendant il veut qu’ils exercent leur foy à le requérir, et que par ce moyen ils s’esveillent de toute nonchalance pour n’estre point comme eslourdis. Ainsi les yeux de Dieu veillent bien pour subvenir à la nécessité des aveugles : mais si veut-il aussi mutuellement nos gémissemens, pour approuver son amour envers nous. Parquoy tous les deux sont vrays, que le gardien d’Israël ne dort et ne sommeille point Ps. 121.4 ? et toutesfois qu’il se retire comme nous ayant oubliez, quand il nous voit paresseux et muets.

3.20.4

Or que la première loy pour bien et deuement instituer l’oraison soit telle : que nous ne soyons point autrement disposez d’entendement et découragé, qu’il convient à ceux qui entrent en propos avec Dieu. Ce qui se fera quant à nostre entendement, si iceluy estant desveloppé de toutes solicitudes et cogitations charnelles, par lesquelles il peut estre destourné ou empesché de regarder droictement et purement Dieu, non-seulement du tout s’applique à l’intention de prier, mais aussi entant que faire se peut, est eslevé par-dessus soy. Néantmoins je ne requier point qu’il soit tellement à délivre, que nulle solicitude ne le poigne, ou fasche et moleste : veu que plustost au contraire, il est besoin que l’ardeur de prier soit enflambée en nous par angoisse et grande destresse. Comme nous voyons que les saincts serviteurs de Dieu se démonstrent estre en merveilleux torment, et par plus forte raison en solicitude, en disant qu’ils eslèvent leurs voix au Seigneur, de la profondité des abysmes et du gouffre de la mort Ps. 130.1. Mais j’enten qu’il faut rejetter loing toutes cures estranges, par lesquelles l’entendement soit transporté çà et là : et estant retiré du ciel, soit déprimé et abbaissé en terre. D’avantage en ce que je di qu’il doit estre eslevé par-dessus soy, je veux signifier qu’il ne doit rien apporter devant la face du Seigneur, de ce que nostre raison folle et aveuglée a accoustumé de songer : et ne se doit contenir et restreindre en sa vanité, mais s’eslever à une pureté digne de Dieu, et telle qu’il la demande.

3.20.5

Ces deux choses méritent bien d’estre singulièrement observées : c’est en premier lieu, que celuy qui s’appreste à prier, applique là tous ses sens et estudes, et ne soit point distrait, comme on a accoustumé, de pensées volages. Car il n’y a rien plus contraire à la révérence que nous devons à Dieu, que telle légèreté : laquelle procède d’une licence que nous prenons de nous jouer et esgayer, comme si Dieu ne nous estoit quasi rien, et tant plus nous faut-il travailler à ceci, quand nous expérimentons combien il est difficile de nous retenir. Car nul n’est si bien adonné à prier, qu’il ne luy surviene quelques fantasies à la traverse, lesquelles rompent le cours de la prière, ou bien le retardent en esgarant l’esprit. Or yci nous avons à penser combien c’est une chose vilene et inexcusable, quand Dieu nous appelle et reçoit à parler familièrement à luy, que nous abusions d’une si grande humanité, en meslant le ciel avec la terre : en sorte qu’il ne peut tenir nos esprits liez à soy, mais comme si nous avions à faire à quelque homme de néant, nous luy rompons propos en le priant, et voltigeons çà et là. Sçachons doncques que nul n’est jamais deuement appresté et disposé comme il convient à prier, sinon qu’il soit touché de la majesté de Dieu, pour se présenter à icelle estant despestré de toutes pensées et affections terrestres. A quoy tend la cérémonie d’eslever les mains en haut : afin que les hommes pensent qu’ils sont fort eslongnez de Dieu, s’ils n’eslèvent leurs sens au ciel pour approcher de luy. Comme aussi il est dit au Pseaume, J’ay eslevé mon âme à toy. Et l’Escriture use souvent de ceste façon de parler, d’Eslever l’oraison Ps. 25.1 ; Esaïe 37.4 ; afin que ceux qui désirent d’estre exaucez de Dieu, ne croupissent point en leurs lies. La somme est, d’autant plus que Dieu se monstre libéral envers nous, et nous convie gracieusement à ce que nous deschargions nos fascheries en son giron : que tant moins sommes-nous à excuser, si un bénéfice si digne et incomparable ne surmonte toutes autres choses en nos cœurs, pour nous ravir du tout à soy, à ce que nous appliquions à bon escient nos estudes et nos sens à prier. Ce qui ne se peut faire, si l’entendement ne résiste fort et ferme à tous les empeschemens qui le retienent, jusques à ce qu’il soit venu au-dessus. L’autre point que nous avons touché est, que nous ne demandions non plus que Dieu nous permet : car combien qu’il nous commande d’espandre nos cœurs devant luy Ps. 72.9 ; 145.18, si ne lasche-il point la bride indifféremment à nos affections folles et inconsidérées, voire perverses. Quand aussi il promet de faire selon le désir des fidèles, il n’estend pas tant son indulgence et humanité, qu’il s’assujetisse à leur appétit. En quoy on pèche communément bien fort : car plusieurs non-seulement osent importuner Dieu de toutes leurs folies, sans aucune révérence ny honte, et produire devant son throne tout ce qu’en songeant ils auront trouvé bon. Mais ils sont occupez d’une telle outrecuidance ou stupidité, qu’ils ne font nul scrupule de requérir à Dieu qu’il complaise à leurs cupiditez, desquelles ils n’oseroyent faire les hommes tesmoins. Les escrivains profanes se sont mocquez d’une telle audace, mesmes l’ont détestée : mais le vice a régné de tout temps. Et de là est advenu qu’entre les Payens les ambitieux ont esleu Jupiter pour leur patron : les avaricieux, Mercure : les gens convoiteux de sçavoir, Apollon et Minerve : les gens de guerre ont eu Mars : et les paillards, Vénus, comme aujourd’huy encores les hommes se donnent plus de licence en leurs souhaits extravagans et énormes, quand il est question de prier Dieu, que s’ils estoyent avec leurs pareils et compagnons pour plaisanter à la volée. Or Dieu ne peut souffrir que sa douceur et débonnaireté soit exposée à mocquerie : mais en retenant son droict de supériorité, il assujetit nos souhaits à son vouloir : pour les réprimer comme d’une bride. Parquoy il nous convient garder ceste reigle de sainct Jehan : Nostre fiance est, qu’en tout ce que nous luy demanderons selon sa volonté, il nous orra 1Jean 5.14. Au reste, pource que toutes nos facultez sont trop débiles pour venir à telle perfection, il nous convient chercher remède convenable pour y subvenir. Comme l’entendement doit regarder attentivement à Dieu, aussi est-il requis que l’affection du cœur suyve. Or tous les deux croupissent ici-bas, ou pour mieux dire défaillent, ou sont destournez au rebours. Parquoy Dieu pour subvenir à telle débilité, nous donne son Esprit pour maistre : lequel nous enseigne et dicte ce qui nous est licite de demander, et lequel aussi gouverne nos affections. Car pource que nous ne sçavons comment, il faut prier ne quoy, il vient au secours et intercède pour nous par gémissemens inénarrables Rom. 8.26-27. Non pas que luy, à parler proprement, prie ne gémisse, mais entant qu’il nous eslève en fiance, et nous pousse à toutes bonnes et sainctes requestes, et esmeut en nous les souspirs qui font valoir l’oraison : à quoy toutes les forces de nostre nature ne suffiroyent point. Et non sans cause sainct Paul appelle les gémissemens que les fidèles apportent devant Dieu par la conduite du sainct Esprit, Inénarrables. Car ceux qui sont vrayement exercez en prières, n’ignorent pas qu’ils se trouvent souvent estreints en telles perplexitez et angoisses, qu’ils ne sçavent par quel bout commencer. Mesmes quand ils s’efforcent de bégayer, encores sont-ils si confus et enveloppez, qu’ils ne peuvent passer outre ; dont il s’ensuyt que le don de prier est singulier. Ces choses ne doyvent estre prinses à ce que nous résignions l’office de prier au sainct Esprit, et nous flattions en nostre paresse, à laquelle nous ne sommes que trop enclins : comme beaucoup de gaudisseurs diront, qu’il faut attendre que Dieu attire à soy nos esprits, puis qu’il les voit ainsi extravagans : mais c’est afin qu’en nous desplaisant en nostre nonchalance et stupidité, nous désirions d’estre secourus. Et de faict, quand sainct Paul nous commande de prier en esprit, il ne laisse point de nous exhorter à soin et vigilance 1Cor. 14.15 ; Eph. 6.18 : signifiant que le sainct Esprit exerce tellement sa vigueur en nous duisant à prier, qu’il n’empesche point ou retarde les efforts que nous avons à faire de nostre costé : pource que Dieu veut expérimenter combien la foy incite vertueusement nos cœurs.

3.20.6

La seconde loy doit estre, qu’en priant nous sentions tousjours nostre indigence et défaut, et qu’estans persuadez à bon escient que nous avons besoin de tout ce que nous demandons, nous conjoignions une ardente affection à nos requestes. Car plusieurs barbotent leurs prières par acquit, ou les lisent de leurs livres comme s’ils faisoyent corvées à Dieu ; et combien qu’ils confessent que la façon de prier doit provenir d’un désir cordial, pource que ce leur seroit un grand malheur d’estre destituez de l’aide de Dieu, laquelle ils implorent, toutesfois il appert qu’ils s’en acquittent comme par coustume, veu que cependant ils sont froids en leur cœur comme glace, et ne pensent point à ce qu’ils demandent. Vray est qu’ils sont poussez à prier par un sentiment général et confus de leur nécessité, mais il ne les solicite point jusques-là, qu’ils soyent arrestez à chercher allégement de leur povreté. Or à grand’peine pourra-on trouver chose plus détestable à Dieu, que ceste feintise, quand celuy qui demande pardon de ses péchez, pense ce pendant n’estre point pécheur, ou bien ne pense pas qu’il est pécheur : car Dieu par ce moyen est plenement mocqué. Or tout le monde, comme j’ay dit n’aguères, est rempli de ceste perversité, que chacun demande à Dieu par acquit ce qu’il pense avoir d’ailleurs que de luy, ou qu’il pense desjà tenir en sa main. Il semble que la faute que je diray tantost soit plus légère : mais elle n’est pas non plus tolérable ; c’est que plusieurs sans estre touchez d’une vive méditation, barbotent aussi leurs prières, pource qu’ils ne sont point enseignez plus avant, que de sacrifier à Dieu par tel moyen. Or il faut que les fidèles se gardent bien de jamais se présenter devant la face de Dieu pour rien demander, sinon qu’ils le désirent ardemment, voire et qu’ils désirent l’obtenir de luy. Qui plus est, combien qu’il ne semble pas de prime face que les choses concernantes la gloire de Dieu nous servent pour pourvoir à nos nécessitez, si ne faut-il pas que nous les demandions d’une moindre ardeur et véhémence. Comme quand nous supplions que le nom de Dieu soit sanctifié Matt. 6.9 ; Luc 11.2, nous devons par manière de dire avoir faim et soif de ceste sanctification.

3.20.7

Si quelqu’un objecte que nous ne sommes pas tousjours pressez et contraints de nécessité égale, je le confesse. Et ceste distinction a esté très-bien notée par sainct Jaques, quand il dit, Y a-il quelqu’un triste entre vous ? qu’il prie. Que celuy qui est joyeux, chante louange à Dieu Jacq. 5.13. Parquoy le sens humain nous monstre, d’autant que nous sommes par trop lasches, que Dieu nous esguillonne à prier selon qu’il en est besoin et que la chose le requiert. Et c’est le temps opportun dont parle David Ps. 32.6 ; 94.19. Car comme il enseigne en plusieurs autres lieux, d’autant plus que les fascheries, incommoditez, craintes et autres espèces de tentations nous molestent, l’accès nous est plus libre à Dieu, comme s’il nous y appeloit nommément. Toutesfois ce que dit sainct Paul ne laisse point ce pendant d’estre aussi vray, qu’il nous faut prier en tout temps Eph. 6.18 ; 1Thess. 5.17. Car encores que nous ayons toute prospérité à souhait, et que nous soyons comme environnez çà et là de matière de joye, toutesfois il ne se passe point une minute de temps que nostre povreté ne nous incite à prier. Si quelqu’un a grande provision de blé et de vin, puis qu’il ne peut jouir d’un morceau de pain que la bénédiction de Dieu ne continue envers luy, ses greniers et ses caves n’empescheront point qu’il ne prie pour son pain quotidien. Et si nous considérons bien le nombre infini des dangers qui nous sont sur la teste, et sans fin et sans cesse nous menacent, la crainte et l’estonnement ne nous souffrira point d’estre nonchalans, mais nous enseignera qu’il y a occasion de prier à chacune heure. Combien que cela se peut mieux cognoistre par les povretez spirituelles. Car quand sera-ce que tant de péchez, desquels chacun se sent coulpable, nous laisseront à repos, que nous ne priions pour en obtenir pardon ? Quelles trêves les tentations nous donneront-elles, que nous n’ayons tousjours mestier de courir à l’aide ? D’avantage, l’affection de veoir le Royaume de Dieu advancé, et son nom glorifié, nous doit tellement ravir en foy, non pas par intervalles, mais assiduellement, que l’opportunité nous soit tousjours présente d’en faire prières et oraisons. Ce n’est pas doncques sans cause que tant souvent il nous est commandé d’estre assiduels en prières. Je ne parle pas encores de la persévérance, de laquelle il sera tantost fait mention. Mais l’Escriture en nous admonestant de prier continuellement, rédargue nostre eslourdissement, en ce que nous ne sentons pas combien un tel soin et diligence nous est nécessaire. Par ceste reigle la porte est fermée à toute hypocrisie, et à toutes les astuces et sophisteries que les hommes controuvent pour mentir à Dieu : telles gens, di-je, sont repoussez bien loing du privilège d’invoquer Dieu, lequel promet qu’il sera prochain à tous ceux qui l’invoqueront en vérité : et prononce que ceux qui le chercheront de tout leur cœur, le trouveront Ps. 145.18 ; Jean 9.31. Or ceux qui se plaisent en leurs ordures n’aspirent nullement là. Parquoy l’oraison bien reiglée requiert pénitence ; comme c’est une doctrine fort commune en l’Escriture, que Dieu n’exauce point les injustes : mais que leurs prières sont exécrables devant luy, ainsi que leurs sacrifices. Et de faict, c’est bien raison que ceux qui ferment leurs cœurs, trouvent les aureilles de Dieu closes, et que ceux qui provoquent sa rigueur par leur dureté, le sentent inexorable. Il menace par son prophète Isaïe les hypocrites, disant, quoyqu’ils multiplient leurs prières, qu’il ne les exaucera pas : pource que leurs mains sont plenes de sang Esaïe 1.15. Item en Jérémie, J’ay crié, et ils ont refusé d’ouyr : ils crieront à leur tour, et je ne les orray point Jér. 11.7-8, 11. Car il prend cela à grande injure, que les meschans qui polluent en toute leur vie son sacré nom, en facent couverture, pour se vanter d’estre des siens. Dont il se complaind par Isaïe, que les Juifs approchent de luy de lèvres, et que leurs cœurs en sont bien eslongnez Esaïe 29.13. Il ne restreint point cela aux prières seules : mais tant y a qu’il monstre que toute fiction, en quelque partie que ce soit de son service, luy est abominable. A quoy revient le dire de sainct Jaques, Vous priez, et n’impétrez rien : pource que vous priez mal, afin de vous desborder en voluptez Jacq. 4.3. Vray est que les prières des saincts ne sont pas fondées ny appuyées sur leur dignité, (comme nous verrons encores tantost) toutesfois l’advertissement de sainct Jehan n’est point superflu, c’est que nous sommes certains de recevoir de luy ce que nous demanderons, pource que nous gardons ses commandemens 1Jean 3.22 : voire pource que la mauvaise conscience nous ferme la. porte. Dont il s’ensuyt que nul ne prie Dieu deuement, et ne peut estre exaucé de luy, sinon qu’il le serve en pureté et droicture. Pourtant quiconques se dispose à prier, qu’il se desplaise en ses vices et qu’il prene l’affection et la personne d’un povre mendiant : ce qui ne se peut faire sans repentance.

3.20.8

Que la troisième reigle soit conjoincte avec ces deux : c’est que tous ceux qui se présentent à Dieu pour faire oraison, se démettent de toute fantasie de leur propre gloire, et se despouillent de toute opinion de leur dignité : brief, qu’ils quittent toute fiance d’eux-mesmes, donnans entière gloire à Dieu en leur humilité, de peur qu’en présumant le moins du monde d’eux-mesmes, ils ne trébuschent devant la face de Dieu avec leur vaine enfleure. Nous avons plusieurs exemples de ceste modestie à s’abbaisser ; laquelle abat toute hautesse aux serviteurs de Dieu, entre lesquels celuy qui est le plus sainct, d’autant plus est abbaissé et humilié quand il faut comparoistre devant le Seigneur. En telle manière Daniel, qui a si grand tesmoignage de la bouche de Dieu, prie néantmoins comme il s’ensuyt : Ce n’est point en nos justices que nous présentons nos prières devant toy, mais en tes grandes miséricordes. Exauce-nous, Seigneur : Seigneur, sois-nous propice. Exauce-nous, et fay ce que nous requérons pour l’amour de toy-mesme, entant que ton Nom est invoqué sur ton peuple et sur ton sainct lieu Dan. 9.18-19. Il ne faut pas dire que selon la coustume vulgaire il se mesle parmi les autres comme membre du peuple : mais plustost il se confesse pécheur à part, et a son refuge à la merci de Dieu. Car il parle ainsi notamment, Après avoir confessé mes péchez et ceux de mon peuple. David aussi nous donne semblable exemple d’humilité, Seigneur, n’entre point en conte avec ton serviteur : car nul vivant ne sera justifié devant toy Ps. 143.2. De telle forme prie Esaïe en la personne du peuple, Voyci, tu es courroucé à nous, pource que nous avons péché. Le siècle est fondé sur tes voyes : et nous avons tous esté remplis de souilleure, et toutes nos justices ont esté comme un drap plein de vilenie et de pollution, et sommes desseichez tous comme la fueille de l’arbre, et nos iniquitez nous ont espars comme lèvent. Et n’y a nul qui invocque ton Nom, qui s’esveille pour retourner à toy. Car tu as caché la face de nous, et nous as laissez pourrir en la servitude de nos péchez. Maintenant doncques, Seigneur, tu es nostre Père, nous ne sommes que terre : tu es nostre formateur, et nous sommes l’ouvrage de ta main : ne te courrouce point, Seigneur, et qu’il ne te souviene point à tousjours de nostre iniquité : aye esgard plustost que nous sommes ton peuple Esaïe 64.5-9. Yci peut-on appercevoir comment ils ne se reposent sur aucune fiance, sinon en ceste seule, que se pensans estre à Dieu, ils ne désespèrent point qu’il ne les reçoyve en sa garde. Jérémie n’en use pas autrement quand il dit, Si nos iniquitez testifient contre nous, vueille nous faire merci à cause de ton nom Jér. 14.7. Pourtant ce qui est escrit en la prophétie qu’on attribue à Baruch, combien que l’autheur soit incertain, est très-sainctement dit : asçavoir, que l’âme triste et désolée de la grandeur de son mal, l’âme courbée, débile et affamée et les yeux défaillans te donnent gloire. Seigneur, nous ne présentons point nos prières devant tes yeux selon les justices de nos Pères : et ne demandons point pour icelles ta miséricorde : mais d’autant que tu es miséricordieux aye pitié de nous, puis que nous avons péché devant toy Baruch 2.18-20 ?

3.20.9

En somme, le commencement et la préparation de bien prier est, de requérir merci avec humble et franche confession de nos fautes. Car il ne faut point espérer que le plus sainct du monde impètre rien de Dieu, jusques à ce qu’il soit gratuitement réconcilié à luy. Et ne se peut faire que Dieu soit propice, sinon à ceux ausquels il pardonne leurs offenses. Parquoy ce n’est point merveille si les saincts s’ouvrent la porte à prier, de ceste clef. Ce qui appert par plusieurs passages des Pseaumes. Car David demandant autre chose que la rémission de ses péchez, dit néantmoins. Oublie les fautes de ma jeunesse : ô Dieu qu’il ne te souviene de mes transgressions : aye mémoire de moy selon ta miséricorde, à cause de ta bonté. Item, Regarde mon affliction et mon travail, et me pardonne mes fautes Ps. 25.6-7, 18. En quoy aussi nous voyons qu’il ne suffit point de nous appeler à conte chacun jour pour les péchez freschement commis, si nous ne réduisons en mémoire ceux qui pourroyent estre mis en oubli par la longue traitte de temps. Car le mesme Prophète en un autre passage ayant confessé un grand forfait, est induit par ceste occasion à venir jusques au ventre de sa mère auquel jà il estoit entaché de la contagion générale Ps. 51.7 : non pas pour amoindrir sa coulpe sous ombre que tous hommes sont corrompus en Adam, mais pour amasser les péchez de toute sa vie, afin qu’estant sévère à se condamner, il trouve Dieu plus facile à pardonner. Or combien que les Saincts ne demandent pas tousjours pardon de leurs fautes par mots exprès, toutesfois si nous poisons diligemment leurs prières que l’Escriture récite, nous appercevrons incontinent ce que je di estre vray, c’est qu’ils ont prins courage de prier, en la seule miséricorde de Dieu : et ainsi qu’ils ont tousjours commencé par ce bout, c’est d’appointer avec luy et appaiser son ire. Car si chacun interrogue sa conscience, tant s’en faut qu’il ose se descharger privément envers Dieu de ses passions et désirs, qu’il aura horreur d’approcher de luy, sinon qu’il se confie d’estre receu à merci de pure miséricorde. Il y a bien une autre confession spéciale, c’est qu’en demandant que Dieu retire sa main pour ne les point punir, ils recognoissent le chastiment qu’ils ont mérité : pource que ce seroit renverser tout ordre, de vouloir que l’effect fust osté en laissant la cause. Car il nous faut garder d’ensuyvre les fols malades, lesquels ne pensans point à la racine de leur maladie, se soucient seulement de guairir les accidens qui les faschent. Ils voudront qu’on leur oste le mal de teste et des reins, et seront contens qu’on ne touche point à la fièvre. Plustost il nous faut mettre peine que Dieu nous soit propice, que de requérir qu’il déclaire sa faveur par signes externes : pource que luy veut tenir cest ordre. Et aussi il nous proufiteroit bien peu de sentir sa libéralité, si nostre conscience ne la sentoit appaisé et favorable envers nous, pour le nous rendre amiable. Ce qui nous est démonstré par la sentence de Jésus-Christ ; car en voulant guairir le paralytique il dit, Tes péchez te sont remis Matt. 9.2. En parlant ainsi il eslève les cœurs à désirer ce qui est le principal, c’est que Dieu nous reçoyve en grâce : et puis qu’il déclaire le fruit de telle réconciliation, en nous aidant. Au reste, outre la confession spéciale que font les fidèles des vices dont ils se sentent présentement coulpables, pour en obtenir pardon, la préface générale en laquelle ils se recognoissent estre pécheurs, et laquelle rend l’oraison favorable, ne doit jamais estre omise : pource que jamais les prières ne seront exaucées, si elles n’ont leur fondement en la miséricorde gratuite de Dieu. A quoy se peut rapporter le dire de sainct Jehan, Si nous confessons nos péchez, il est fidèle et juste pour les nous remettre, et nous purger de toute iniquité 1Jean 1.9. Et voylà pourquoy en la Loy les prières ont esté consacrées par effusion de sang pour estre agréables, afin que le peuple fust adverty qu’il n’estoit pas digne d’un privilège tant honorable que d’invoquer Dieu, jusques à ce qu’il fust purgé de ses souilleures, pour mettre toute sa fiance en la bonté et merci de Dieu.

3.20.10

Il est bien vray qu’il semble advis qu’aucunesfois les Saincts allèguent leurs justices en aide, afin d’obtenir plus facilement de Dieu ce qu’ils requièrent ; comme quand David dit, Garde mon âme, d’autant que je suis bon Ps. 86.2. Item Ezéchias, Qu’il te souviene, ô Seigneur, que j’ay cheminé devant toy en vérité, et ay fait ce qui estoit bon devant tes yeux Esaïe 38.3 ; 2Rois 20.4. Neantmoins par telle manière de parler ils ne veulent autre chose entendre, que de testifier par la régénération qu’ils sont enfans de Dieu, ausquels il a promis d’estre propice. Il enseigne par son Prophète, comme nous avons veu, que ses yeux sont sur les justes, et ses oreilles attentives à leurs requestes Ps. 34.15. Pareillement par l’Apostre sainct Jean, que nous obtiendrons ce que nous demanderons, en observant ses commandemens 1Jean 3.22. Par lesquelles sentences il ne signifie pas que les oraisons seront prisées, selon le mérite des œuvres: mais en ceste manière il veut establir la confiance de ceux qui sentent leurs consciences pures et entières et sans hypocrisie : ce qui doit estre universellement en tous fidèles. Car ce que dit, en sainct Jean, l’aveugle auquel la veue avoit esté rendue, est prins de la pure vérité: c’est que Dieu n’exauce point les pécheurs Jean 9.31 : moyennant que par les pécheurs nous entendions ceux qui sans aucun désir de bien faire sont du tout endormis en leurs péchez : veu que jamais le courage ne se pourra adonner à vrayement invoquer Dieu, que quant et quant il n’aspire et tende à l’honnorer et servir. Ces protestations donc que font les Saincts, ausquelles ils réduisent en mémoire leur pureté ou innocence, respondent à telles promesses, afin que les choses que doyvent attendre tous serviteurs de Dieu, leur soyent ottroyées. Outreplus ou trouvera qu’ils ont quasi usé de ceste façon de prier, quand ils faisoyent comparaison d’eux avec leurs ennemis, prians à Dieu qu’il les delivrast de leur malice. Or ce n’est point de merveilles si en ceste comparaison ils ont allégué leurs justices et la sincérité de leur cœur, pour esmouvoir Dieu davantage par l’équité de leurs causes à les aider et supporter. Nous n’ostons pas donc ce bien à l’âme fidèle, qu’elle ne puisse avoir la jouissance de sa bonne conscience devant Dieu, et que de cela elle ne se conferme és promesses desquelles le Seigneur console ses vrais serviteurs: mais nous enseignons que toute la fiance d’impétrer de Dieu ce que nous luy demandons, est appuyée seulement sur sa saincte clémence, sans aucune considérations de nostre mérite.

3.20.11

La quatrième reigle sera, qu’estans ainsi abatus et mattez en vraye humilité, néantmoins nous prenions courage à prier, espérans pour certain d’estre exaucez. Ce sont bien choses contraires de prime face, de conjoindre avec le sentiment de l’ire de Dieu, une certaine fiance de sa faveur. Et toutesfois elles s’accordent bien ensemble, si estans opprimez par nos propres vices, nous sommes relevez par la seule bonté de Dieu. Car comme nous avons enseigné ci-dessus, que la foy et pénitence sont compagnes conjoinctes d’un lien inséparable, desquelles toutesfois l’une nous effraye, et l’autre nous resjouit : aussi faut-il qu’elles se rencontrent en nos prières. Cest accord de crainte et asseurance est exprimé par David en peu de mots, quand il dit au Pseaume cinquième, J’entreray en ton sanctuaire en la multitude de ta bonté : j’y adoreray avec crainte Ps. 5.7. Sous ce mot de la bonté de Dieu, il comprend la foy : mais il n’exclud point la crainte, pource que non-seulement sa majesté nous induit et contraint à luy porter révérence, mais nostre indignité nous fait oublier toute présomption et audace, pour nous tenir en crainte. Or il ne nous faut imaginer une fiance, laquelle amadoue l’âme, et luy donne un repos souef pour l’endormir, la délivrant de toute inquiétude et perplexité. Car de se baigner ainsi en ses aises, c’est à faire à ceux qui ayans tout à souhait ne sont touchez de nul soin, ne sont touchez de nul désir, ne troublez de nulle crainte. Or c’est un très-bon aiguillon aux saincts pour les faire invoquer Dieu, quand par l’oppresse qu’ils endurent de leur nécessité, ils sont agitez en leurs fascheries, voire quasi jusques à défaillir en eux-mesmes, jusques à ce que la foy leur subvient au besoin. Car entre telles destresses la bonté de Dieu leur reluit, tellement qu’estans lassez et courbez sous la pesanteur de leurs maux, ils gémissent, et mesmes tremblent, estans en peine et en souci pour l’advenir. Toutesfois se remettans à ceste bonté dont ils sont esclairez, ils se soulagent et récréent, pour estre patiens en toutes difficultez, et espèrent bonne issue et délivrance. Parquoy il est requis que l’oraison du fidèle procède de ceste double affection, et qu’elle contiene l’une et l’autre, et les représente : c’est qu’il gémisse de ses maux présens, qu’il soit angoissé par ceux qui luy peuvent advenir : toutesfois que ce pendant il ait son recours à Dieu, ne doutant point qu’il ne soit prest d’estendre sa main pour le secourir. Car on ne sçauroit assez exprimer combien Dieu est irrité par nostre desfiance, si nous luy demandons les biens que nous n’attendons point de luy. Parquoy il n’y a rien plus convenable à la nature des prières, que de leur imposer ceste loy, qu’elles ne volent point à l’adventure, mais qu’elles suyvent la foy comme guide. Et à ce principe nous ameine Jésus-Christ, en disant. Quelques choses que vous demandiez, croyez que vous les recevrez, et elles vous seront données Matt. 21.22. Ce qu’il conferme en l’autre passage, Tout ce que vous demanderez en croyant, vous sera ottroyé Marc. 11.24. Suyvant cela sainct Jaques aussi dit, Si quelqu’un a faute de sagesse, qu’il la demande à celuy qui donne à tous simplement sans reproche : mais qu’il la demande en foy sans hésiter Jacq. 1.5-6. Car en opposant la Foy au mot d’Hésiter, qui signifie autant que perplexité et doute, il exprime fort bien ce que la foy emporte. Ce qu’il adjouste n’est pas moins à noter : c’est que ceux qui prient Dieu estans en bransle et variété, et ne se peuvent résoudre en leurs cœurs s’ils seront exaucez ou non, ne proufitent rien. Parquoy il les accompare à des flots de mer qui sont branslez çà et là, et portez par le vent. Et voylà pourquoy ailleurs il nomme l’Oraison de foy, celle qui est bien reiglée pour estre receue de Dieu Jacq. 5.15. Et de faict, quand Dieu prononce si souvent qu’il donnera à chacun selon sa foy Matt. 8.13 ; 9.29, il signifie assez que nous ne sommes pas dignes de rien obtenir sans icelle. Brief, c’est la foy laquelle impètre tout ce qui est donné à nos oraisons. Et c’est ce que veut dire ceste belle sentence de sainct Paul, laquelle n’est pas considérée de beaucoup de gens eslourdis comme elle mérite : Comment invoquera-on celuy auquel on n’a point creu ? Et qui est-ce qui croira, sinon qu’il ait ouy ? La foy doncques est de l’ouye, et l’ouye de la Parole de Dieu Rom. 10.14, 17. En déduisant de la foy le commencement de prier, comme d’un degré à l’autre, il monstre assez clairement que Dieu ne peut estre de personne purement invoqué, sinon de ceux ausquels sa clémence et humanité aura esté cognue par la prédication de l’Evangile, voire familièrement exposée.

3.20.12

Nos adversaires ne pensent guères à ceste nécessité. Et pourtant quand nous enseignons les fidèles de prier Dieu avec certaine asseurance, ayans cela pour résolu, qu’il les aime et les veut exaucer : il semble advis à tous Papistes que nous disons une chose la plus desraisonnable du monde. Or s’ils avoyent quelque vraye expérience et usage, pour sçavoir que c’est que prier Dieu, ils cognoistroyent qu’on ne le peut point prier droictement, sans estre certain de son amour et de sa bonté. Or comme ainsi soit que nul ne puisse comprendre la vertu de foy, sinon celuy qui en a la practique en son cœur, je ne proufiteroye de rien à disputer contre eux, veu qu’ils monstrent que jamais n’en ont eu qu’une vaine imagination. Car l’invocation de Dieu est celle qui nous démonstre principalement que c’est que vaut ceste certitude, et combien elle est nécessaire. Quiconques ne voit point cela, il descouvre qu’il a sa conscience merveilleusement stupide. Nous doncques laissans là ces aveugles, demeurons fermes en la sentence de sainct Paul, qui dit que nul ne peut invoquer Dieu sinon celuy qui a cognu sa miséricorde par l’Evangile, et est asseuré de la trouver tousjours preste quand il la cherche. Car quelle oraison seroit-ce de dire ainsi ? Seigneur il est vray que je doute si tu me veux exaucer : mais pource que je suis en destresse j’ay mon recours à toy afin que tu me subvienes si j’en suis digne. Les saincts dont nous lisons les oraisons en l’Escriture, n’ont pas ainsi fait. Le sainct Esprit aussi ne nous enseigne pas d’ainsi faire, quand il nous commande par l’Apostre d’aller au throne céleste de Dieu avec fiance, pour obtenir grâce Héb. 4.16 : et en un autre passage, quand il dit que nous avons audace et entrée envers Dieu, avec fiance par la foy de Christ Ephés. 3.12. Pourtant si nous voulons prier avec fruit, il nous faut tenir ferme comme à deux mains ceste asseurance d’impétrer ce que nous demandons, laquelle Dieu nous commande d’avoir, et à laquelle tous les Saincts nous exhortent par leur exemple. Car il n’y a autre oraison agréable à Dieu que celle qui procède d’une telle présomption de foy, et qui est fondée en une telle certitude d’espérance. Il pouvoit bien se contenter, comme il semble, du simple nom de Foy. Or non-seulement il adjouste fiance, mais il la munit de liberté ou hardiesse, afin de nous discerner par ceste marque d’avec les incrédules, lesquels prient Dieu pesle-mesle avec nous : mais à l’adventure. Pour ceste raison il est dit au nom de toute l’Eglise, Que ta miséricorde soit sur nous, selon que nous avons espéré en toy Ps. 33.22. Le Prophète aussi met en un autre passage la mesme condition : Je sçay que le Seigneur sera avec moy au jour que je crieray à luy Ps. 66.9. Item, Le matin je me rangeray à toy, et feray le guet Ps. 5.3. Il apparoist de ces mots, que les prières sont jettées frustratoirement en l’air, si l’espérance n’y est conjoincte, laquelle nous soit comme une haute tour dont nous attendions Dieu paisiblement. A quoy tend l’ordre qu’on doit bien observer en l’exhortation de sainct Paul. Car devant que soliciter les fidèles à prier en esprit en tout temps avec vigilance et assiduité, il les advertit de prendre le bouclier de foy, le heaume de salut, et le glaive spirituel, qui est la Parole de Dieu Eph. 6.16-18. Ce pendant que les lecteurs se souvienent que la foy n’est pas ne renversée ny esbranlée, estant meslée parmi l’appréhension de nos misères, povretez et bourbiers. Car combien que les fidèles se sentent quasi accablez du grand amas de leurs péchez, et que non-seulement ils se cognoissent estre vuides de tous biens qui leur pourroyent acquérir faveur envers Dieu : mais aussi chargez de plusieurs mesfaits, pour lesquels à bon droict il leur pourroit estre espovantable : néantmoins ils ne laissent pas de s’offrir à luy : et ce sentiment ne les effarouche point, qu’ils n’y ayent leur retraite, veu mesmes que c’est la seule entrée pour y parvenir. Car l’oraison n’est pas ordonnée pour nous faire glorifier arrogamment devant Dieu, ou priser rien du nostre, mais pour confesser nos fautes, et en passer condamnation, et déplorer nos misères : comme les fils se complaignent familièrement envers leurs pères, comme s’ils se vouloyent descharger en leur giron. Qui plus est, le fardeau de nos péchez, selon qu’il nous est insupportable, doit estre plein d’aiguillon pour nous inciter à prier Dieu. Comme aussi le Prophète nous enseigne par son exemple, Guairi mon âme, d’autant que j’ay péché contre toi Ps. 41.4. Je confesse que les pointes de tels aiguillons seroyent mortelles si Dieu ne venoit au-devant : mais ce bon Père, selon sa clémence et douceur infinie, nous a donné un remède bien propre et opportun pour appaiser tous nos troubles, adoucir nos soucis, et oster nos craintes, en nous alléchant à soy. Par lequel moyen non-seulement il a osté tous obstacles, mais nous a délivrez de tout scrupule, pour nous faire le chemin aisé.

3.20.13

En premier lieu, nous commandant de prier, par cela il nous argue d’une vilene contumace, si nous ne lui obtempérons. Il ne pouvoit donner commandement plus exprès ni précis, que celuy qui est au Pseaume, Invoque-moy au jour d’affliction Ps. 50.15. Mais pource qu’en tout ce qui concerne la religion et service de Dieu, il n’y a rien qui nous soit plus souvent recommandé en l’Escriture, je ne m’y arresteray pas fort longuement. Demandez, dit le Maistre céleste, et vous recevrez : cherchez, et vous trouverez : Heurtez, et la porte vous sera ouverte Matt. 7.7 ; combien qu’yci outre le commandement la promesse est aussi adjoustée, comme il est nécessaire. Car combien que tous confessent qu’il fale obéir à ce que Dieu ordonne, toutesfois la plus grand’part reculeroit quand il les appelle, s’il ne leur promettoit de leur estre exorable, et mesmes de venir au-devant pour les recevoir. Quoy qu’il en soit, il est certain que tous ceux qui tergiversent pour ne point venir droict à Dieu, non-seulement sont rebelles et sauvages, mais aussi convaincus d’incrédulité, puis qu’il se desfient de ses promesses. Ce qui est d’autant plus notable, pource que les hypocrites sous couverture d’humilité et modestie mesprisent fièrement le précepte de Dieu, et n’adjoustent nulle foy à son dire quand il les convie tant humainement : qui plus est, ils le fraudent de la principale partie de son service. Car après avoir répudié les sacrifices, ausquels il sembloit bien que toute saincteté pour lors fust située, il prononce, que cestuy-ci est le souverain et précieux par-dessus les autres, c’est d’invoquer son Nom au jour de la nécessité. Parquoy quand il requiert de nous ce qui luy appartient, et nous incite à obéir d’un franc courage, il n’y a nulles si belles couleurs de douter qui nous excusent. Par ainsi autant de tesmoignages que nous lisons en l’Escriture, où il nous est commandé de prier Dieu, sont autant de bannières dressées devant nous, pour nous inspirer la fiance de ce faire. Ce seroit bien témérité de nous advancer devant la face de Dieu, si luy ne prévenoit en nous appelant. Parquoy il nous ouvre et applanit la voye par sa voix, selon qu’il proteste par son Prophète : Je leur diray, Vous estes mon peuple, et ils me respondront, Tu es nostre Dieu Zach. 13.9. Nous voyons comment il vient au-devant de son peuple, et qu’il veut estre suyvi : et pourtant qu’il ne faut pas craindre que la mélodie que luy-mesme dicte, ne luy soit douce et plaisante. Principalement que ce tiltre notable et solennel que luy attribue le Pseaume, nous viene en mémoire, lequel nous fera aisément surmonter tous obstacles : asçavoir, Tu es le Dieu qui exauce les prières, toute chair viendra jusques à toy Ps. 65.2. Car nous ne pouvons souhaiter rien plus gracieux ni amiable, que quand Dieu est vestu et paré de ce tiltre, qu’il nous certifie qu’il n’y a rien plus propre à sa nature, que de gratifier aux requestes de ceux qui le supplient. Et aussi le Prophète conclud de là, que le chemin est ouvert et patent, non-seulement à un petit nombre de gens, mais à toutes créatures mortelles. Comme aussi il addresse ceste voix à tout le genre humain, Invoque-moy au jour d’affliction : je te délivreray, et tu me glorifieras Ps. 50.15. Selon ceste reigle, David pour impétrer ce qu’il demande, allègue à Dieu la promesse qu’il luy avoit donnée : Toy Seigneur, as déclairé ton vouloir en l’aureille de ton serviteur, pourtant il a trouvé son cœur pour te prier 2Sam. 7.27. Dont nous avons à recueillir qu’il estoit perplex et comme espave, sinon d’autant que la promesse l’asseuroit. C’est à une mesme fin qu’il use ailleurs de ceste doctrine générale : que Dieu fera la volonté de ceux qui le craignent Ps. 145.19. Mesmes on peut appercevoir par tous les Pseaumes, que le fil du texte sera comme rompu pour faire quelques discours touchant la puissance de Dieu, ou sa bonté, ou bien la fermeté de ses promesses. Il sembleroit que David entrelaçant telles sentences coupast et trenchast mal à propos ses requestes : mais les fidèles cognoissent assez par expérience, que leur ardeur se refroidirait bien tost, s’ils n’attisoyent le feu, cherchans à se confermer. Parquoy ce n’est pas chose superflue en priant Dieu, que nous méditions tant sa nature que sa Parole : mesmes ne desdaignions point à l’exemple de David, d’entrelacer tout ce qui peut donner vigueur aux esprits débiles, voire languissans.

3.20.14

Or c’est merveilles qu’une si grande douceur de promesses ne nous touche que froidement et bien peu, ou du tout ne nous esmeuve point: mais que la plus grande part aime mieux en tracassant par ses circuits, délaisser la fontaine d’eaux vives, pour se fouyr des cisternes seiches, que de recevoir la libéralité de Dieu quand elle s’offre de soy-mesme Jer. 2.13. C’est une forteresse invincible que le nom de Dieu, dit Salomon: le juste y aura son recours, et sera sauvé Prov. 18.10. Joël aussi après avoir prophétisé de l’horrible désolation qui estoit prochaine, adjouste ceste promesse digne de mémoire, Quiconque invoquera le nom de l’Eternel sera sauvé Joël 2.32 : laquelle, tesmoin sainct Pierre, s’estend à tout le cours de l’Evangile Actes 2.21. Or à grande peine en trouvera-on de cent l’un, qui soit incité par cela d’approcher de Dieu. Luy-mesme crie par Isaïe, Vous m’invoquerez, et je vous exauceray : mesme devant que vous priez, je vous respondray Esaïe 58.9 ; 65.24. En un autre passage, il fait un pareil honneur à toute son Eglise en commun : comme ce qu’il dit appartient à tous les membres de Jésus-Christ, Il crie à moy, et je l’exauce : je suis avec luy en ses adversitez pour l’en délivrer Ps. 91.15. Toutesfois comme j’ay desjà protesté, mon intention n’est pas d’amasser icy tous les passages concernans ceste matière : mais élire les plus notables, pour nous faire bien gouster de quelle humanité Dieu nous convie à soy, et combien nostre ingratitude est tenue estroitement serrée sans trouver nulle eschappatoire, quand nostre paresse nous fait encore délayer après que nous avons esté si vivement picquez. Pourtant que ces sentences nous retentissent tousjours aux oreilles. Dieu est prochain à ceux qui l’invoquent, voire qui l’invoquent en vérité Ps. 145.18 : et celles que nous avons alléguées d’Isaïe et de Joël, où Dieu asseure qu’il sera attentif à ouyr nos prières, mesmes qu’il se délecte comme d’un sacrifice de souefve odeur, quand nous luy remettons toutes nos charges, et rejettons sur luy nos solicitudes. C’est un fruict singulier et inestimable des promesses de Dieu, que de luy pouvoir dresser requestes, non point en doute ou en tremblement: mais qu’estans munis et armez de sa parole nous l’osons invoquer Père, puis qu’il nous suggère ce nom tant amiable, sans la saveur duquel sa majesté nous estonneroit. Il reste qu’estans garnis de telles semonces, nous soyons tout persuadez que nous avons assez de matière de là pour trouver Dieu exorable et débonnaire: veu que nos prières ne sont appuyées sur nul mérite, mais que toute leur dignité et fiance d’impétrer est fondée aux promesses de Dieu, et en dépend, en sorte qu’elle n’a besoin d’autre appuy pour sa fermeté, ny de regarder çà et là. Ainsi nous avons à nous résoudre, combien que nous ne soyons pas excellens en telle et pareille saincteté que celle qui est louée aux saincts Pères, Prophètes et Apostres : toutesfois pource que le commandement de prier nous est commun avec eux, et que la foy aussi nous est commune si nous acquiesçons à la parole de Dieu, que néantmoins nous leur sommes compagnons eu ce droict et privilège. Car, comme nous avons desjà veu, Dieu en prononçant qu’il sera propice et humain envers tous, donne certain espoir aux plus misérables du monde, qu’ils impétreront ce qu’ils demandent. Parquoy nous avons bien à noter ces formes générales, ausquelles nul n’est exclus depuis le plus grand jusques au plus petit. Seulement apportons une sincérité de cœur, une desplaisance et haine de nous-mesmes, humilité et foy, à ce que nostre hypocrisie ne profane le nom de Dieu par une invocation feinte et fardée. Il est certain que ce bon Père ne rejettera point, et ne desdaignera ceux lesquels non-seulement il exhorte de venir à luy, mais les y solicite tant que possible est par tous moyens. Voylà dont a prins David ceste façon de prier que j’ay récitée n’aguères : Voyci, Seigneur, tu as parlé en l’aureille de ton serviteur : pourtant il a trouvé son cœur pour avoir de quoy te prier. Maintenant doncques, Seigneur, tu es Dieu, et tes paroles seront véritables. Tu as rendu tesmoignage à ton serviteur de ces bienfaits que je te demande : commence doncques, et fay 2Sam. 7.27-28. A quoy aussi s’accorde ce qu’il dit ailleurs, Accomply envers ton serviteur ce que ta Parole porte Ps. 119.76 ; 79.9. Mesmes tout le peuple d’Israël en général faisant bouclier en ses prières de la mémoire de l’alliance de Dieu, a déclairé qu’il ne faut point prier craintivement, quand il nous est commandé de Dieu. Et en cela ils ont ensuyvi l’exemple de leurs saincts Pères, et spécialement de Jacob : lequel après avoir confessé qu’il estoit beaucoup inférieur à tant de grâces qu’il avoit desjà receues de la main de Dieu, toutesfois il dit qu’il s’enhardit à en demander d’avantage, pource que Dieu luy avoit promis de l’exaucer Gen. 32.10-12. Or quelques belles couleurs que prétendent les incrédules, il est certain qu’en n’ayant point leur refuge en luy, quand la nécessité les presse, ne le cherchant point et n’implorant point son aide, ils le fraudent de l’honneur qui luy est deu, autant que s’ils se forgeoyent des Dieux estranges et des idoles : car en ce faisant ils nient que Dieu soit autheur de tous biens. Au contraire, il n’y a rien de plus grande efficace pour despescher les fidèles de tous scrupules, que de s’armer de ceste pensée-ci : c’est, puis qu’en priant ils obtempèrent au commandement de Dieu, lequel prononce qu’il n’a rien plus agréable que l’obéissance, que rien ne les doit retarder qu’ils ne courent alaigrement. Et yci derechef est encores mieux esclarci ce que j’ay dit au paravant, que la hardiesse indubitable que nous donne la foy à prier, s’accorde bien avec la crainte, révérence et solicitude que produit en nous la majesté de Dieu. Comme de faict on ne doit trouver estrange, s’il relève ceux qui sont abatus. Par ce moyen il est aisé d’accorder quelques passages qui sembleroyent estre répugnans. Jérémie et Daniel disent qu’ils mettent bas leurs prières devant Dieu Jér. 42.9 ; Dan. 9.18. Et Jérémie en un autre lieu, Que nostre oraison tombe devant la face de Dieu, à ce qu’il ait pitié du résidu de son peuple Jer. 12.2. A l’opposite, il est souvent dit que les fidèles eslevent leur oraison. Ezechias parle ainsi, en priant le Prophète Isaïe d’intercéder pour la ville de Jérusalem 2Rois 19.4. David pareillement supplie que son oraison monte en haut tout ainsi comme un perfum Ps. 141.2. La raison de ceste diversité est, que les fidèles, combien qu’estans persuadez de l’amour paternelle de Dieu, ils viennent franchement à luy, ne doutans point d’implorer le secours qu’il leur promet de son bon gré: toutesfois ils ne sont point poussez d’une asseurance qui les rende nonchalans ou présomptueux, ou leur face perdre honte : mais approchent tellement de Dieu par les degrez de ses promesses, qu’ils demeurent tousjours abbaissez dessous luy en humilité.

3.20.15

Yci sourdent plusieurs questions. Car l’Escriture récite que Dieu a quelquesfois gratifié à des requestes lesquelles toutesfois n’estoyent point procédées d’un cœur paisible ne bien rangé. Vray est que Joathan avoit juste cause de maudire les habilans de Sichem, et désirer qu’ils fussent exterminez Jug. 9.20 : mais d’autant qu’il estoit esmeu de colère et d’un appétit de vengence, il semble que Dieu en luy ottroyant ce qu’il demande, approuve les passions impétueuses et désordonnées. Il n’y a doute que Samson ne fust transporté d’une mesme ardeur, en disant, Dieu, fortifie-moy, à ce que je me venge de ces incirconcis Jug. 16.28. Car combien qu’en ce désir il y eust quelque portion de bon zèle, toutesfois il y avoit une cupidité vicieuse et excessive qui dominoit. Dieu luy accorde ce qu’il a requis. Il semble qu’on puisse recueillir de là, que combien que les prières ne soyent pas formées à la reigle de la parole de Dieu, toutesfois qu’elles obtienent leur effect. Je respon que la loy permanente qui a esté donnée à tous siècles, ne doit point estre abolie par quelques exemples singuliers. D’avantage, que Dieu a quelquesfois inspiré à d’aucuns des mouvemens particuliers, dont advient ceste diversité, pourtant qu’il les a parce moyen exemptez du rang commun. Car nous devons bien noter la response que donna Jésus-Christ à ses disciples, quand ils affectoyent d’ensuyvre inconsidérément le zèle d’Hélie : c’est qu’ils ne sçavoyent de quel esprit ils estoyent menez Luc 9.55 ; mais il est requis de passer plus outre : asçavoir que les souhaits que Dieu ottroye, ne luy plaisent point tousjours : mais d’autant qu’il est propre pour l’instruction de tous, que ce que dit l’Escriture leur soit approuvé par expérience : c’est qu’il subvient aux povres, et exauce les gémissemens de ceux qui sont injustement affligez, et ont leur recours à luy : pour ceste cause qu’il exécute ses jugemens, quand les povres oppressez luy addressent leurs complaintes, quelques indignes qu’elles soyent de rien obtenir. Car combien de fois en punissant la cruauté des iniques, leur rapine, violence, excès, et autres forfaits : en rabatant l’audace, fureur et puissance tyrannique des grans du monde, a-il déclairé par effect qu’il vouloit secourir à ceux qui estoyent uniquement foulez et outragez, combien qu’ils fassent povres aveugles, qui ne faisoyent que batre l’air en priant ? Mesmes sur tout on peut clairement veoir au Pseaume CVII, que les prières qui ne parvienent point par foy jusques au ciel, ne sont pas néantmoins sans effect et vertu. Car il assemble les prières lesquelles la nécessité arrache aux incrédules d’un sentiment naturel aussi bien qu’aux fidèles, ausquelles toutesfois Dieu se monstre favorable, comme il appert par l’issue Ps. 107.6, 13, 19. Or Dieu en leur ottroyant leurs requestes semblables à hurlemens, déclaire-il par telle facilité qu’elles lui soyent agréables ? Mais plustost c’est pour donner plus grand lustre à sa miséricorde par ceste circonstance, quand les incrédules ne sont point refusez, ains qu’il leur accorde leurs requestes, combien qu’il ne leur soit point propice. Secondement, il veut stimuler tant mieux ses vrays serviteurs il prier, quand ils voyent que les cris et brayemens des gens profanes ne sont pas quelquesfois sans proufit. Néantmoins il ne faut point que pour cela les fidèles se destournent de la loy qui leur est donnée, ou qu’ils portent envie à ceux qui sont exaucez en telle façon, comme s’ils avoyent beaucoup gaigné d’avoir obtenu leur désir. Nous avons déclairé ailleurs, que Dieu en telle sorte exauça la pénitence feinte du Roy Achab 1Rois 21.29, pour monstrer combien plus il sera facile à estre appaisé envers ses esleus, quand ils viendront pour se reconcilier à luy avec une droite conversion. Et pourtant il se complaind des Juifs, d’autant qu’après l’avoir requis en leur affliction avec belle mine, et l’avoir expérimenté facile à leur pardonner, ils sont tantost retournez à leur malice et rébellion Ps. 106.43. Ce qui appert plus clairement par l’histoire des Juges : c’est que quand ce peuple-là souventesfois estant oppressé a pleuré, combien qu’il n’y eust qu’hypocrisie et mensonge en ses larmes, toutesfois il a esté délivré de la main de ses ennemis Juges 2.18 ; 3.9, 12, 15. En somme, comme Dieu fait luyre son soleil indifféremment sur les bons et les mauvais Matth. 5.45, aussi il ne mesprise pas les gémissemens de ceux qui ont juste cause, et desquels les afflictions sont dignes de secours, combien que leurs cœurs ne soyent point droicts. Cependant il ne les exauce non plus pour leur salut, qu’il se monstre sauveur des contempteurs de sa bonté, quand il les nourrit. Il se peut mouvoir une question plus difficile d’Abraham et de Samuel, desquels l’un n’estant garny d’aucune parole de Dieu, prie pour les Sodomites, l’autre pour Saul, contre défense et inhibition expresse Gen. 18.23 ; 1Sam. 15.11, 35 ; 16.1. Il y a une mesme raison en Jérémie, lequel a voulu destourner par oraison la ruine de Jérusalem. Car combien qu’ils ayent esté reboutez, il semble dur et estrange de les priver de foy. Mais j’espère que ceste solution satisfera à tous esprits paisibles : c’est qu’en s’appuyant sur ce principe gênerai, que Dieu commande d’avoir pitié de ceux mesmes qui en sont indignes, ils n’ont pas esté du tout desprouveus de foy à cause de telle compassion : combien qu’en la particularité ils ayent esté abusez en leurs sens. Sainct Augustin parle prudemment à ce propos : Comment, dit-il, les Saints prient-ils en foy, pour requérir de Dieu contre ce qu’il a décrété ? c’est pource qu’ils prient selon sa volonté : non pas celle qui est cachée et immuable : mais celle qu’il leur inspire pour les exaucer d’une autre façon : comme il sçait bien distinguer en sa sagesse[a] : C’est une sentence bien couchée : car selon son conseil incompréhensible il modère tellement tout ce qui advient au monde, que les prières des Saincts, combien qu’il y ait quelque meslinge d’inadvertance et erreur avec la foy, ne soyent pas vaines ne sans fruit. Toutesfois cela ne se doit non plus tirer en exemple pour estre ensuyvy, comme il n’excuse point les Saincts, lesquels ont excédé mesure en cest endroict. Parquoy, où il n’y a nulle promesse asseurée, nous avons à prier Dieu sous si et condition. De quoy nous sommes advertis par David, quand il prie ainsi : Esveille-toy, Seigneur, pour maintenir le droict que tu m’as ordonné Ps. 7.6. Car il monstre qu’il est muny d’une promesse spéciale pour demander le bénéfice temporel, duquel il n’eust pas autrement esté asseuré.

[a] De civitate Dei, lib. XXII, cap. II.

3.20.16

Nous avons maintenant aussi à observer, que ce que nous avons ci-devant déduit des quatre reigles de bien prier, ne doit pas estre prins en telle rigueur, comme si Dieu rejettoit toutes oraisons où il ne trouve point perfection de foy et pénitence avec un zèle ardent, et une modération telle à former les requestes, qu’il n’y ait que redire. Nous avons dit, combien que Dieu nous donne liberté en le priant d’user de privauté avec luy, toutesfois que nous avons tousjours à garder ceste révérence et modestie, de ne point lascher la bride à tous souhaits, quels qu’ils soyent, et ne point désirer plus qu’il nous est licite par sa permission. D’avantage, afin que la majesté de Dieu ne viene à mespris, que nous avons à eslever nos esprits en haut, afin qu’estans desveloppez du monde, ils soyent disposez à le révérer purement. Jamais nul n’a accompli cela en telle intégrité qu’il est requis. Car en laissant le vulgaire à part, combien y a-il de complaintes de David, lesquelles sentent leur excès, et quelque desbordement ? Non pas que de propos délibéré il ait voulu plaider ou rioter avec Dieu, ou murmurer contre ses jugemens : mais pource qu’en défaillant en son infirmité, il n’a trouvé meilleur allégement, que de se descharger ainsi de ses douleurs et fascheries. Et mesmes telle façon de bégayer est supportée de Dieu, et pardonne aussi à nostre rudesse et sottise, quand il nous eschappe inconsidérément quelque souhait : comme de faict il n’y aurait nulle liberté de prier, sans telle indulgence. Au reste, combien que David fust bien résolu de s’assujetir du tout au plaisir de Dieu, et qu’il ait prié avec aussi grande patience, qu’affection d’impétrer ce qu’il demandoit : néantmoins il luy advient de jetter quelquesfois, voire avec bouillons, des passions troublées, lesquelles sont fort loin de la reigle première que nous avons mise. Principalement il appert de la fin du Pseaume XXXIX, de quelle véhémence de tristesse ce sainct Prophète a esté transporté jusques à ne se pouvoir retenir en quelque mesure, Retire-toy, dit-il à Dieu, jusques à ce que j’esvanouisse, et que je ne soye plus Ps. 39.13. On diroit que c’est un homme désespéré, qui ne désire autre chose que de pourrir en son mal, moyennant qu’il n’apperçoyve point la main de Dieu. Non pas que d’un cœur félon ou endurcy il se jette en telle furie, ou bien qu’il vueille chasser Dieu, comme les réprouvez s’efforcent de ce faire : mais seulement il se complaind que l’ire de Dieu luy est insupportable. Souvent en telles tentations il eschappe aux fidèles des souhaits qui ne sont pas bien compassez à la reigle de la Parole de Dieu : d’autant qu’estans effarouchez, ils ne prisent point assez ce qui est licite et expédient. Vray est que toutes prières estans entachées de tels vices, méritent bien d’estre réprouvées : mais tant y a que Dieu espargne ses saincts, et ensevelit tels défauts : moyennant qu’ils en gémissent, qu’ils se rédarguent, et qu’ils retournent incontinent à eux. Ils pèchent aussi contre la seconde reigle, pource qu’ils ont à combatre contre leur froidure, et que leur indigence et misère ne les poinct pas assez asprement pour les faire prier comme il seroit requis. D’avantage, il leur adviendra d’extravaguer tellement, que leurs esprits soyent esgarez. Il est doncques besoin que Dieu leur pardonne aussi bien en cest endroict, afin que leurs prières, qui sont ou languissantes, ou à demi formées, ou rompues, ou esgarées, ne laissent point d’estre receues et avoir lieu. Dieu a imprimé naturellement ce principe aux cœurs des hommes, que les prières ne sont pas droictes, ne telles qu’elles doyvent, si les esprits ne sont eslevez en haut. Et de là vient la cérémonie d’eslever les mains, comme nous avons dit, laquelle a esté accoustumée en tout temps et à toutes nations, comme encores aujourd’huy elle dure. Mais combien en trouvera-on qui ce pendant ne soyent convaincus de leur pesanteur et lascheté, veuque leurs âmes croupissent en terre ? Quant à demander pardon des péchez, combien que nui des fidèles n’oublie cest article en priant Dieu : toutesfois ceux qui sont vrayement exercez à prier, cognoissent qu’ils n’offrent pas la dixième partie du sacrifice dont parle David, c’est que le sacrifice plaisant à Dieu est un esprit abatu : Seigneur, tu ne mespriseras point un cœur contrit et humilié Ps. 51.17. Ainsi ils ont tousjours à demander double pardon : c’est qu’en se sentant coulpables de plusieurs péchez, dont ils ne sont point touchez tant au vif, pour s’y desplaire autant que besoin seroit, ils supplient que telle tardiveté ne viene point en conte au jugement de Dieu : et puis, selon qu’ils ont proufité en pénitence et crainte de Dieu, qu’estans navrez de tristesse de ce qu’ils ont offensé Dieu, ils demandent d’estre receus à merci. Sur tout la débilité de foy, ou l’imperfection des fidèles souille et corrompt les prières, si la bonté de Dieu ne venoit au-devant. Mais ce n’est point de merveilles si Dieu supporte un tel défaut, veu qu’il les esprouve quelquesfois tant asprement, et leur livre des alarmes si rudes, comme si de propos délibéré il vouloit abolir leur foy. C’est une tentation bien dure, quand les fidèles sont contraints de s’escrier, Seigneur, jusques à quand te despiteras-tu contre l’oraison de ton serviteur Ps. 80.4 ? comme si en le priant ils ne faisoyent que l’irriter d’avantage. Ainsi, quand Jérémie dit, Dieu a fermé la porte à ma prière Lam. 3.8 : il n’y a doute qu’il ne fust esbranlé d’une perturbation fort violente. Il y a beaucoup de semblables exemples en l’Escriture, dont il appert que la foy des saincts a esté souvent meslée parmi quelques doutes et perplexitez, et agitée en telle sorte : qu’en croyant et en espérant ils ont descouvert qu’il y avoit de l’incrédulité en eux. Or quand ils ne parvienent point où il seroit à désirer, tant plus se doyvent-ils efforcer à corriger leurs vices, afin d’approcher de plus près à la reigle parfaite de prier : et ce pendant recognoistre à bon escient en quelle profondité de maux ils sont plongez, veu qu’en cherchant les remèdes ils attirent nouvelles maladies : veu qu’il n’y a nulle oraison laquelle Dieu ne desdaigne à bon droict, s’il ne ferme les yeux à tant de macules dont elles sont souillées. Je ne récite point ces choses, à ce que les fidèles soyent hardis à se pardonner tant peu que ce soit : mais afin qu’en se rédarguant en sévérité, ils s’efforcent de surmonter ces obstacles. Et combien que Satan s’efforce de leur boucher toute voye pour les forclorre de prier, néantmoins qu’ils passent outre : estans certainement persuadez qu’encores qu’ils soyent retardez de beaucoup d’empeschemens, leur affection et estude ne laisse pas de plaire à Dieu, ne leurs requestes d’estre approuvées, moyennant qu’ils s’efforcent de s’advancer au but auquel ils ne parvienent point si tost.

3.20.17

Mais pource que tout homme est indigne de s’addresser à Dieu, et de se représenter devant sa face, afin de nous relever de ceste confusion que nous avons, ou devons avoir en nous-mesmes, le Père céleste nous a donné son Fils nostre Seigneur Jésus-Christ, pour estre nostre Médiateur et Advocat envers luy 1Tim. 2.5 ; 1Jean. 2.1, par la conduite duquel nous puissions franchement approcher de luy : estans asseurez en ce qu’avons tel intercesseur, lequel ne peut en rien estre refusé du Père, que rien aussi ne nous sera desnié de tout ce que nous demanderons en son Nom. Et à ceci se doit rapporter tout ce que nous avons enseigné ci-dessus de la foy. Car comme la promesse nous assigne Jésus-Christ pour Médiateur : si l’espérance d’impétrer ce que nous demandons ne s’appuye sur luy, elle se prive de ce bien de prier. Et de faict, quand l’horrible majesté de Dieu nous vient en pensée, il est impossible que nous ne soyons espovantez, et que le sentiment de nostre indignité ne nous effarouche et déchasse bien loing, jusques à ce que Jésus-Christ viene en avant, et se rencontre au milieu pour changer le throne de gloire espovantable en throne de grâce : comme l’Apostre nous exhorte d’y oser comparoistre avec toute fiance, pour obtenir miséricorde et trouver grâce, afin d’estre aidez au besoin Héb. 4.16. Pourtant, comme il nous est commandé d’invoquer Dieu, et la promesse donnée à ceux qui l’invoqueront, qu’ils seront exaucez : aussi expressément il nous est commandé d’invoquer Dieu au nom de nostre Seigneur Jésus-Christ : et avons la promesse que nous serons exaucez de tout ce que nous demanderons en son Nom. Jusques yci, dit-il, vous n’avez rien demandé en mon Nom : demandez, et vous recevrez. D’oresenavant vous demanderez en mon Nom : et ce que vous demanderez, je le feray : afin que le Père soit glorifié en son Fils Jean 4.13 ; 16.24. De ce sans aucune doute il appert très-clairement, que tous ceux qui invoquent Dieu en autre nom que celuy de Jésus-Christ, désobéissent au commandement de Dieu, et contrevienent à son vouloir : aussi qu’ils n’ont nulle promesse de Dieu d’obtenir rien qui soit : puis que (comme dit sainct Paul) en Jésus-Christ toutes les promesses qui vienent de Dieu sont faites Ouy, et par Jésus sont faites Amen 2Cor. 1.20 : c’est-à-dire, que toutes les promesses de Dieu sont en Jésus-Christ asseurées, fermes et certaines, et sont accomplies.

3.20.18

Il convient diligemment noter la circonstance du temps : c’est que Jésus-Christ commande à ses disciples d’avoir leur refuge à son intercession, après qu’il sera monté au ciel. A ceste heure là, dit-il, vous demanderez en mon Nom Jean 16.26. Il est bien certain que dès le commencement, quiconque a prié n’a pas esté exaucé que par la grâce du Médiateur. Pour ceste cause Dieu avoit ordonné en la Loy que le Sacrificateur seul, auquel il estoit licite d’entrer au sanctuaire, portast sur ses espaules les noms des douze lignées d’Israël, et autant de pierres précieuses devant sa poictrine Exo. 28.9-12, 21, et que le peuple se teinst loing pour dresser ses requestes par la bouche du Sacrificateur. Mesmes les sacrifices estoyent conjoincts pour ratifier les prières, et leur donner effect. Parquoy ceste cérémonie et ombre a servi à monstrer que nous sommes tous forclos de la face de Dieu : et ainsi, que nous avons besoin d’un Médiateur qui apparoisse en nostre nom, et nous porte en ses espaules, et nous tiene liez en sa poictrine, afin que nous soyons exaucez en sa personne. D’avantage, que les prières, qui ne sont jamais sans quelque souilleure, sont nettoyées par aspersion de sang. Nous voyons aussi comme les saincts pour obtenir leurs demandes, ont fondé leur espérance sur les sacrifices lesquels ils sçavoyent estre establis pour leur faire octroyer toutes leurs requestes. Comme quand David dit, Qu’il souviene à Dieu de ton oblation, et qu’il rende gras ton holocauste Ps. 20.3. Dont il appert que Dieu, dès le commencement, a esté appaisé par l’intercession de Jésus-Christ, pour exaucer les désirs des fidèles. Pourquoy doncques (afin de revenir au propos ci-dessus entamé) Jésus-Christ assigne-il une nouvelle heure en laquelle les disciples commenceront de prier en son Nom, n’estoit que ceste grâce, selon qu’elle est aujourd’huy plus manifeste, mérite bien d’estre tant plus recommandée ? Comme un peu au paravant il avoit dit en un mesme sens, Jusques yci vous n’avez rien demandé en mon Nom : demandez Jean 16.24. Non pas qu’ils fussent du tout ignorans, ou n’eussent jamais ouy parler de l’office de Médiateur, veu que tous les Juifs estoyent embus de ce principe : mais pource qu’ils n’avoyent pas encores cognu apertement, que Jésus-Christ estant monté au ciel devoit estre Advocat d’une façon plus privée qu’au paravant. Afin doncques d’adoucir la tristesse qu’ils avoyent conceue pour son absence, il leur en déclaire le faict en s’attribuant l’office d’intercesseur, pour les advenir que jusques alors ils avoyent esté privez d’un singulier bénéfice, duquel ils jouiroyent quand ils auroyent plus plene liberté d’invoquer Dieu, d’autant que leur Advocat seroit au ciel : comme l’Apostre dit, que par le sang d’iceluy la voye nous a esté dédiée fresche Héb. 10.19-20. Et d’autant nostre perversité est-elle moins excusable, si nous n’embrassons fort et ferme ce bénéfice inestimable qui nous est proprement destiné.

3.20.19

Et veu qu’il est la voye unique, et la seule entrée que nous avons à Dieu : quand ils ne le prenent pour voye et entrée, ils n’ont rien qui les puisse faire approcher de Dieu, et ne pourroyent trouver en son throne qu’ire, terreur et jugement. Et aussi veu que Dieu l’a signé et marqué singulièrement pour estre nostre chef et nostre conduite, ceux qui se destournent de luy, ou déclinent tant peu que ce soit, s’efforcent entant qu’en eux est d’effacer la marque de Dieu. En ceste manière Jésus-Christ est constitué pour Médiateur unique, par l’intercession duquel le Père nous soit rendu propice et exorable. Combien que ce pendant nous laissons aux Saincts leurs intercessions, par lesquelles ils recommandent à Dieu mutuellement le salut les uns des autres, comme sainct Paul en fait mention 1Tim. 2.1 : toutesfois nous requérons qu’elles soyent telles, que tousjours elles dépendent de ceste seule de Jésus-Christ : tant s’en faut qu’elles soyent diminutions d’icelle. Car comme elles procèdent de l’affection de charité, en laquelle nous sommes ensemble liez comme membres : aussi elle se rapporte à l’unité de nostre Chef. Puis doncques qu’elles sont faites au nom de Christ, ne tesmoignent-elles pas que nul ne peut estre aidé ne secouru par aucunes prières des autres, sinon au moyen que Jésus-Christ est l’intercesseur ? Et comme Jésus-Christ par son intercession n’empesche point que nous ne subvenions en l’Eglise par prières l’un à l’autre : aussi il faut que cela demeure résolu, que toutes les intercessions de l’Eglise se doyvent diriger et rapporter à icelle seule. Mesmes nous avons bien à nous garder d’ingratitude en cest endroict : puis que Dieu supportant nostre indignité, non-seulement donne licence à chacun de prier pour soy-mesme, mais nous reçoit et admet à supplier les uns pour les autres. Car quel orgueil seroit-ce, quand Dieu nous fait cest honneur de nous constituer procureurs de son Eglise, voire qui méritons bien d’estre rejettez en priant pour nous, que ce pendant nous abusions de telle libéralité en obscurcissant l’honneur de Jésus-Christ ?

3.20.20

Ce n’est doncques que pur mensonge ce que babillent les Sophistes de maintenant, que Christ est Médiateur de la rédemption, les fidèles, de l’intercession. Comme si Christ s’estant acquitté d’une médiation temporelle, avoit remis l’office éternel et à jamais perdurable sur ses serviteurs. C’est un bel honneur qu’ils luy font, de luy départir une si petite portion de l’honneur qui luy est deu. Mais l’Escriture y va bien autrement, à la simplicité de laquelle se doit arrester le fidèle, en laissant là ces trompeurs. Car quand sainct Jehan dit, que si quelqu’un a péché, nous avons un Advocat envers le Père, asçavoir Jésus-Christ 1Jean 2.1-2 : il n’entend pas qu’il nous ait esté jadis Advocat, mais il luy assigne office d’Intercesseur perpétuel. Et mesmes sainct Paul afferme, qu’estant assis à la dextre du Père, il intercède encores pour nous Rom. 8.34. Et quand en un autre passage il le nomme Médiateur unique de Dieu et des hommes 1Tim. 2.5, ne regarde-il point aux prières dont il avoit fait menntion au paravant ? Car ayant prédit qu’il faut supplier Dieu pour tous hommes : pour confermer ceste sentence, il dit conséquemment qu’il y a un Dieu, et un Médiateur pour donner approche à tous hommes envers luy. Et de faict, sainct Augustin ne le prend pas autrement, disant[a], Les Chrestiens se recommandent à Dieu l’un l’autre en leurs oraisons : mais celuy qui prie pour tous, sans que nul prie pour luy, iceluy est le vray seul Médiateur Héb. 10.19, Paul, combien qu’il fust un des principaux membres, toutesfois d’autant qu’il estoit membre, sçachant que le Seigneur Jésus vray Sacrificateur, pour toute l’Eglise estoit entré au Sanctuaire de Dieu non point par figure ny image, mais en vérité : il se recommande aux oraisons des fidèles, et ne se fait point médiateur entre Dieu et les hommes : mais requiert que tous les membres du corps prient aussi bien pour luy comme il prie pour les autres, selon que tous doyvent avoir solicitude et compassion mutuelle Rom. 15.30 ; Eph. 6.19 ; Col. 4.3 ; 1Cor. 12.25. En ceste manière les oraisons mutuelles de tous les membres qui travaillent encores en terre, doyvent monter au Chef qui est précédé au ciel, auquel nous avons rémission de nos péchez : car si sainct Paul estoit médiateur, les autres Apostres le seroyent semblablement : et ainsi il y auroit plusieurs médiateurs : ce qui ne conviendroit point à ce qu’il dit en un autre passage, qu’il y a un Médiateur de Dieu et des hommes 1Tim. 2.5 : auquel aussi nous sommes un, si nous gardons unité de foy par le lien de paix Eph. 4.3. Ce passage est prins du second livre contre Parménien. Suyvant ce propos il dit aussi sur le Pseaume XCIV : Si tu cherches ton Médiateur pour t’introduire à Dieu, il est au ciel, et prie là pour toy, comme il est mort pour toy en la terre[b]. Il est bien vray que nous n’imaginons pas, qu’estant à genoux il face humble supplication : mais nous entendons avec l’Apostre, qu’il comparoist tellement devant la face de Dieu, que la vertu de sa mort est vallable à intercession perpétuelle. Et avec ce, que luy estant entré au Sanctuaire du ciel, peut seul présenter les prières du peuple, lequel n’a point prochain accès avec Dieu.

[a] Contra Parmenian., lib. II, cap. VIII.
[b] August., In Psalm. XCIV.

3.20.21

Quant est des Saincts qui estans décédez de ce monde, vivent avec Christ : si nous leur attribuons quelque oraison, ne songeons point qu’ils ayent autre voye de prier, que Christ qui est seul la voye : ou que leurs requestes soyent acceptées de Dieu en autre nom. Puis doncques que l’Escriture nous retirant de tous autres, nous rappelle à un seul Christ : puis que le Père céleste veut que toutes choses soyent recueillies en luy, c’a esté une trop grande bestise, voire mesmes rage, de prétendre tellement avoir accès par eux, que nous soyons distraits de luy. Or que cela ait esté fait par ci-devant, et qu’il se face encores aujourd’huy où la Papauté a lieu, qui est-ce qui le niera ? Pour avoir Dieu propice on allègue le mérite des saincts, on invoque Dieu en leur nom, laissant le plus souvent Jésus-Christ derrière. Qu’est cela autre chose, sinon leur transférer l’office d’intercession unique, laquelle nous avons ci-dessus maintenue à Christ ? D’avantage, qui est ou l’Ange ou le Diable qui a jamais révélé une syllabe aux hommes de l’intercession des Saincts, ainsi qu’on l’a forgée ? Car il n’y en a rien en l’Escriture. Quelle raison doncques y avoit-il de la controuver ? Certes quand l’Esprit humain cherche telles secondes aides, lesquelles ne luy sont point baillées par la Parole de Dieu, il démonstre évidemment sa desfiance. Et si on appelle en tesmoin la conscience de ceux qui s’arrestent en l’intercession des Saincts, on trouvera que cela ne vient d’autre chose, sinon qu’ils sont en perplexité, comme si Christ leur défailloit, ou bien s’il estoit trop rigoureux. En laquelle doute ils font grand déshonneur à Christ, et le despouillent du tiltre de seul Médiateur : lequel comme il luy a esté donné du Père en singulière prérogative, ne se doit ailleurs transférer. Et en ce faisant obscurcissent la gloire de sa nativité, anéantissent sa croix, renversent la louange de tout ce qu’il a fait et souffert, veu que le tout ne tend à autre fin, sinon à ce qu’il soit recognu seul Médiateur. Pareillement ils rejettent la bénévolence de Dieu, qui se déclairoit envers eux pour Père. Car il ne leur sera point Père, sinon qu’ils réputent Jésus-Christ leur estre frère. Ce qu’ils renoncent plenement, s’ils ne l’estiment avoir envers eux fraternelle affection, laquelle est aussi tendre et douce qu’il y en ait au monde. Parquoy l’Escriture le nous présente singulièrement, elle nous envoye à luy, et veut qu’en luy nous nous arrestions. Il est, dit sainct Ambroise, nostre bouche, par laquelle nous parlons au Père : nostre œil, par lequel nous voyons le Père : nostre main dextre, par laquelle nous nous offrons au Père : sans lequel Moyenneur il n’y a nulle approche avec Dieu, ny à nous, ny à tous les saincts[c]. S’ils allèguent pour excuse, que la conclusion de toutes leurs prières solennelles aux temples est, qu’elles soyent agréables à Dieu par Jésus-Christ, c’est un subterfuge frivole : veu que l’intercession de Jésus-Christ n’est pas moins profanée quand on la mesle parmi les prières et mérites des saincts trespassez, que si on le laissoit là du tout, et qu’on ne feist mention que d’iceux. D’avantage, en toutes leurs letanies, hymnes et proses, où ils magnifient les saincts jusques au bout, il n’est nulle nouvelle de Jésus-Christ.

[c] Lib. De Isaac et anima.

3.20.22

Or la folie s’est desbordée jusques-là en cest endroict, que nous y pouvons contempler au vif la nature de superstition : laquelle après avoir une fois jetté la bride, ne cesse d’extravaguer sans mesure. Car depuis qu’on a commencé d’addresser sa pensée aux saincts comme intercesseurs, petit à petit on a attribué à un chacun sa charge particulière : tellement que, selon la diversité des affaires, maintenant l’un, maintenant l’autre ont esté implorez pour advocats. Outreplus, un chacun a choisi son sainct particulier, se mettant en la sauvegarde d’iceluy, comme en la protection de Dieu. Et est advenu non-seulement (ce que le Prophète reprochoit aux Israélites) que les dieux ayent esté dressez selon le nombre des villes : mais selon la multitude des personnes, d’autant qu’un chacun a eu le sien. Or si ainsi est qu’ils ayent leur affection fichée en la volonté de Dieu, qu’ils regardent en icelle, et y rapportent tous leurs désirs : quiconques leur assigne autre oraison que de souhaiter l’advénement du royaume de Dieu, il a une estime d’eux trop rude et trop charnelle, et mesmes leur fait injure, Dont on peut juger comment doit estre prinse la fantasie commune, qui est de penser les saincts estre enclins envers un chacun, selon qu’on leur porte honneur. Finalement, plusieurs ne se sont contenus d’un horrible sacrilège, les invoquans non point comme patrons ou advocats, mais comme gouverneurs de leur salut. Voylà où trébuschent les misérables hommes, quand une fois ils s’esgarent de leurs limites : c’est-à-dire de la Parole de Dieu. Je laisse d’autres monstres d’impiété plus lourds et énormes, ausquels combien que les Papistes soyent détestables à Dieu, aux Anges et aux hommes : toutesfois il ne leur en chaut, et n’en ont nulle honte. Se jettans à genoux devant l’image de saincte Barbe, saincte Caterine, et semblables saincts forgez à leur poste, ils barbotent Pater noster. Tant s’en faut que ceste furie soit corrigée ou réprimée par ceux qui se disent prélats, curez ou prescheurs, que plustost ils y applaudissent, d’autant qu’ils y flairent du gain. Mais encores qu’ils taschent de laver leurs mains d’un si vilein sacrilège, d’autant qu’il ne se commet point en leurs messes ny en leurs vespres : sous quelle couleur défendront-ils ces blasphèmes qu’ils lisent à plene gorge, où ils prient sainct Eloy, ou sainct Médard, de regarder du ciel leurs serviteurs pour les aider ? mesmes où ils supplient la vierge Marie de commander à son Fils qu’il leur ottroye leurs requestes ? Il a bien esté jadis défendu au concile de Carthage, qu’aucune prière qui se feroit à l’autel ne s’addressast aux Saincts. Et est vray-semblable que les bons Evesques de ce temps-là, pource qu’ils ne pouvoyent du tout retenir et brider l’impétuosité du fol populaire, ont cherché pour le moins ce remède qui n’estoit qu’à demi, c’est que les prières publiques ne fussent pas infectées des folles dévotions que les bigots avoyent introduites : comme de dire, Sancta Maria, ou Sancte Petre, ora pro nobis Mais les autres se sont desbordez encores plus, voire avec une importunité diabolique, ne doutans point d’attribuer à cestuy-ci et à cestuy-là ce qui est propre à Dieu et à Jésus-Christ.

3.20.23

Ce qu’aucuns s’efforcent de monstrer que telle intercession puisse estre veue fondée en l’Escriture, en cela ils perdent leur peine. Il est fait souvent mention, disent-ils, des oraisons des Anges : et non-seulement ce, mais il y a tesmoignages que les prières des fidèles sont portées par leurs mains jusques devant la face de Dieu. Je leur concède : mais s’il leur semble bon de comparer les Saincts trespassez aux Anges, ils ont à prouver qu’ils sont esprits députez pour procurer nostre salut Héb. 1.14 et qu’ils ont la charge et commission de nous guider en toutes nos voyes Ps. 91.11 : qu’ils sont à l’entour de nous, qu’ils nous admonestent et consolent, et veillent tousjours pour nous conserver Ps. 34.7. Car toutes ces choses sont attribuées aux Anges, et non pas aux Saincts. Or il appert par les offices divers dont l’Escriture distingue les Anges d’avec les hommes, que c’est bien sauter du coq à l’asne, de parler des uns et des autres en confus et sans discrétion. Nul n’osera faire office d’advocat en siège présidial devant un juge terrien, s’il n’est receu et accepté : d’où vient doncques une si grande licence à ces vers ou crapaux, d’establir patrons et advocats devant Dieu, ceux ausquels la grâce n’en a jamais esté donnée ? Dieu a voulu assigner le soin de nostre salut aux Anges, et de là vient qu’ils sont aux assemblées publiques, et que l’Eglise leur est un théâtre auquel ils contemplent avec admiration la sagesse grande et diverse de Dieu. Ceux qui transfèrent à d’autres ce qui est particulier aux Anges, pervertissent et confondent l’ordre mis de Dieu, lequel devoit estre inviolable. Ils appliquent d’aussi bonne grâce les autres tesmoignages à ce propos. Ils allèguent ce que disoit le Seigneur à Jérémie, Si Moyse et Samuel estoyent devant moy pour me supplier, mon cœur ne s’adonne point à ce peuple Jér. 15.1. Et de cela ils forment leur argument ainsi : N’eust esté que Dieu eust voulu signifier que les morts prient pour les vivans, comment eust-il ainsi parlé de Moyse et Samuel, qui estoyent desjà morts ? Au contraire, j’argue en ceste sorte, Puis qu’il appert que Moyse et Samuel ne prioyent point lors pour le peuple d’Israël, que les morts ne font nulle prière pour les vivans. Car qui penserons-nous estre celuy d’entre les Saincts qui eust la solicitude pour le peuple, si Moyse ne s’en soucioit point : lequel a surmonté tous autres en humanité, bonté et solicitude paternelle ? Or on peut par les paroles du Prophète inférer, que lors il ne faisoit nulle requeste. Parquoy s’ils cherchent ces petites subtilitez, de conclurre que les morts prient pour les vivans, puis que Dieu a dit. Si Moyse et Samuel prioyent, j’auray une raison plus apparente, que Moyse ne prioit point en l’extrême nécessité du peuple : duquel il est dit, S’il prioit, qu’il ne seroit point exaucé. Dont il est vraysemblable que nul autre ne prie, veu que Moyse surmonte tous autres en bonté et clémence, Voylà qu’ils proufitent en leurs cavillations d’estre navrez du glaive dont ils se pensoyent bien munis. Néantmoins c’est une mocquerie, de forcer ainsi ceste sentence outre son simple sens, veu que nostre Seigneur ne signifie autre chose, sinon qu’il ne pardonnera point à ce peuple, quand mesmes ils auroyent quelque Moyse pour advocat, ou quelque Samuel : pour les prières desquels il avoit jadis tant fait. Lequel sens se peut clairement déduire d’un autre semblable passage d’Ezéchiel : Si certes ces trois personnages, dit le Seigneur, Noé, Daniel et Job estoyent en la cité, ils ne délivreroyent ne fils ne fille par leur justice : mais leurs âmes tant seulement Ezéch. 14.14, 16. Où sans doute il a voulu dire, Si les deux estoyent ressuscitez, et vivoyent en la cité. Car le troisième, asçavoir Daniel, estoit encores survivant : et on sçait bien que lors estant encores en la fleur de son jeune aage, il estoit un exemple singulier de vraye piété. Laissons doncques à part ceux desquels l’Escriture tesmoigne ouvertement qu’ils ont achevé leurs cours. Pourtant sainct Paul parlant de David, ne dit pas qu’il aide ses successeurs par prières, mais seulement qu’il a servi à son aage Actes 13.36.

3.20.24

Ils répliquent derechef, en demandant si je veux leur oster toute affection d’amour : veu qu’en toute leur vie ils ont esté si ardens en dilection et piété. A cela je respon, que comme je ne veux point esplucher curieusement que c’est qu’ils font, ou à quoy ils pensent : aussi il n’est point vray-semblable qu’ils soyent agitez çà et là de divers désirs : mais est probable que d’une volonté arrestée ils cherchent le Royaume de Dieu, qui ne consiste point moins en la confusion des iniques qu’au salut des fidèles. Si cela est vray, il n’y a nulle doute que leur charité ne soit aussi enclose en la communion du corps de Christ, et qu’elle ne s’estend point plus loing que la nature d’icelle communion le porte. D’avantage, jà soit que nous concédions qu’ils prient en telle sorte pour nous : néantmoins il ne s’ensuyvra pas ne qu’ils quittent leur repos pour se distraire çà et là ; ayans soin des choses terrestres : et tant moins qu’ils doyvent estre pourtant invoquez. Et ne se peut déduire cela, de ce que les hommes vivans sur la terre se recommandent aux oraisons les uns des autres : Car cela sert à entretenir la charité entre eux, quand ils se départissent ensemble leurs nécessitez, et les reçoyvent mutuellement sur eux. Ce qu’ils font mesmes du commandement de Dieu et ne sont point destituez des promesses, qui sont les deux points principaux en oraison. Toutes ces raisons défaillent aux morts : avec lesquels le Seigneur ne nous a laissé nulle communication, quand il les a retirez de nostre compagnie : ny à eux aussi envers nous, entant qu’il est possible d’en conjecturer Ecc. 9.5-6. Et si quelqu’un prétend estre impossible qu’ils ne retienent une mesme charité qu’ils ont eue en leur vivant, comme ils sont conjoincts d’une foy avec nous : je demanderay d’avantage, qui nous a révélé qu’ils ayent si longues aureilles, qu’elles s’estendent jusques à nos paroles ? qu’ils ayent des yeux si aigus, qu’ils puissent considérer nos nécessitez ? Bien est vray que les Sophistes babillent je ne sçay quoy en leurs escholes, que la lumière de la face de Dieu est si grande, qu’en la contemplation d’icelle, comme en un miroir, les saincts peuvent contempler ce qui se fait yci-bas : mais d’affermer cela, et principalement en telle hardiesse qu’ils y vont, qu’est ce autre chose que de vouloir entrer par nos songes estourdis, aux secrets jugemens de Dieu sans sa Parole, et mettre sous le pied l’Escriture, laquelle tant de fois prononce la prudence de nostre chair estre ennemie de la sagesse de Dieu Rom. 8.7, condamnant universellement la vanité de nostre sens, et mettant bas toute nostre raison, pour nous amener à la seule volonté de Dieu ?

3.20.25

Les autres tesmoignages qu’ils ameinent pour soustenir leurs mensonges, sont par eux perversement corrompus. Jacob, disent-ils, a demandé en l’article de la mort, que son nom et le nom de ses pères Abraham et Isaac fust invoqué sur ses successeurs Gen. 48.16. Premièrement, voyons quelle est ceste forme d’invocation entre les Israélites. Car ils n’appellent pas leurs Pères en leur aide : mais seulement requièrent à Dieu qu’il ait mémoire de ses serviteurs Abraham, Isaac et Jacob. Leur exemple doncques ne sert de rien à ceux qui addressent leurs paroles aux saincts. Mais pource que ces troncs de bois-ci ne considèrent point, comme ils sont lourds et insensez, que c’est d’invoquer le nom de Jacob, ou à quelle fin il se doit invoquer : ce n’est pas de merveille si en la manière ils faillent tant sottement. afin que nous l’entendions, il faut noter que ceste locution est en un autre passage de l’Escriture. Car Isaïe dit que le nom des hommes est invoqué sur les femmes, quand elles les recognoissent pour leurs maris, estans en leur tutelle et sujétion Esaïe 4.1. L’invocation doncques du nom d’Abraham sur les Israélites, gist en ce que l’ayans pour autheur de leur lignée, ils retienent la mémoire de son nom solennelle, comme de leur père. Et Jacob ne fait point cela, qu’il se soucie beaucoup d’entretenir sa renommée, mais entant qu’il répute que tout le bonheur de sa postérité est en ce point estably, qu’elle jouisse comme par succession, de l’alliance que Dieu avoit faite avec luy : il leur désire ce qu’il cognoist estre leur principal bien, qu’ils soyent réputez du nombre de ses enfans, et recognu pour son lignage. Car cela n’est autre chose, que leur bailler de main en main la succession d’icelle alliance. Les successeurs d’autre part, faisans en leurs prières telle mémoire, n’ont pas leur refuge aux intercessions des morts, mais allèguent au Seigneur la souvenance de la promesse, en lacquelle il a testifié qu’il leur seroit propice et libéral, à cause d’Abraham, Isaac, et Jacob. Au reste que les fidèles ne se soyent guères reposez sur les mérites de leurs Pères, nous en avons suffisante déclaration au Prophète, parlant au nom commun de toute l’Eglise en ceste forme. Seigneur Dieu, tu es nostre Père : et Abraham ne nous a pas cognus : et Israël nous a ignorez. Tu es, Seigneur, nostre Père et Rédempteur. Néantmoins parlant ainsi, il adjouste pareillement : Seigneur, converty ta bonté vers nous, pour l’amour de tes serviteurs Esaïe 63.16-17. Non pas qu’ils imaginent quelque intercession : mais c’est qu’ils réduisent en mémoire le bénéfice de l’alliance. Or maintenant puis que nous avons le Seigneur Jésus, en la main duquel l’alliance éternelle de miséricorde non-seulement a esté faite, mais aussi confermée : duquel prétendrions-nous plustost le nom en nos prières ? Pourtant que ces vénérables docteurs voudroyent sous ombre de ces mots, qui les croiroit, faire les Saincts intercesseurs : je leur demande pourquoy en si grande troupe, et quasi en une formilière de Saincts, ils n’ont pas laissé un petit coing à Abraham père de toute l’Eglise. C’est chose trop notoire de quel bourbier, ou de quelle racaille ils tirent leurs saincts. Qu’ils me respondent si c’est chose décente qu’Abraham, lequel Dieu a préféré à tous, et lequel il a exalté en degré souverain d’honneur, soit oublié et mis sous le pied. Mais voyci que c’est : pource que chacun sçait bien que telle coustume n’a jamais esté à l’Eglise ancienne, ces rustres pour cacher la nouveauté se sont teus des Saincts qui avoyent vescu sous la Loy : comme si en introduisant diversité de noms, ils estoyent à excuser, en ingérant une façon nouvelle et bastarde. Ce qu’aucuns allèguent du Pseaume, là où les fidèles prient Dieu d’avoir pitié d’eux en faveur de David Ps. 132.1, 10, tant s’en faut qu’il aide à l’intercession des Saincts, qu’il n’y a rien plus propre à la mettre bas. Car si nous considérons quel degré a tenu David, nous verrons qu’en cest endroict il est séparé de toute la compagnie des Saincts, afin que Dieu ratifie la paction faite avec luy. Parquoy le sainct Esprit a regard à la promesse, plustost qu’à la personne de l’homme : et quant et quant insinue sous ceste figure l’intercession de Jésus-Christ. Car ce qui a esté singulier à David, entant qu’il estoit image de Jésus-Christ, il est certain qu’il ne peut compéter aux autres.

3.20.26

Mais aucuns sont meus de ceste raison, que les oraisons des saincts ont esté souvent exaucées. Pourquoy ? Certes pourtant qu’ils ont prié. Ils ont espéré en toy, dit le Prophète, et ils ont esté conservez : ils ont crié, et n’ont point esté confus Ps. 22.5-6. Prions doncques aussi à leur exemple, afin que nous soyons, comme eux, exaucez. Mais c’est arguer contre tout ordre raisonnable, de dire (comme font nos adversaires) qu’il n’y en aura nul exaucé, sinon ceux qui l’ont desjà esté. Combien est meilleur l’argument de sainct Jaques ? Elie, dit-il, estoit homme semblable à nous : et pria qu’il ne pleust point, et par trois ans et demi n’y eust nulle pluye sur la terre : derechef il pria, et le ciel donna sa pluye, et la terre rendit son fruit Jacq. 5.17-18. Quoy doncques ? infère-il qu’Elie ait quelque singulière prérogative, à laquelle nous devions recourir ? Non : mais au contraire, il démonstre la vertu perpétuelle de pure et saincte oraison, pour nous exhorter à semblablement prier. Car nous recognoissons trop maigrement la promptitude et bénignité de Dieu à exaucer les siens, sinon que par l’expérience des Saincts, qui ont esté exaucez, nous soyons confermez en plus certaine fiance de ses promesses : esquelles il ne dit pas que ses aureilles seront enclines à en ouyr un ou deux, ou petit nombre : mais tous ceux qui invoqueront son nom. Leur ignorance est d’autant moins excusable, en ce qu’il semble que de propos délibéré ils mesprisent tant d’advertissemens de l’Escriture. David a esté souvent délivré par la puissance de Dieu : a-ce esté pour l’attirer à soy, ou que nous soyons aujourd’huy secourus par ses suffrages ? Il en parle bien autrement : Les justes, dit-il, ont l’œil sur moy pour veoir quand tu m’exauceras Ps. 142.7. Les justes le verront et se resjouiront, et espéreront au Seigneur Ps. 52.8 ; 40.3. Voyci, le povre a crié à Dieu, et il luy a respondu Ps. 34.6. Il y a beaucoup de pareilles sentences, où il induit Dieu à l’exaucer par ceste raison. Que les fidèles ne seront point confus : mais que par tel exemple ils prendront courage à bien espérer. Il nous suffira d’un pour ceste heure. Pour ceste cause, dit-il, tout sainct te priera en temps opportun Ps. 32.6. Lequel lieu j’allègue tant plus volontiers, pource que ces caffars, qui ont leur langue à loage pour maintenir par leur babil effronté la tyrannie du Pape, n’ont point eu honte d’en faire bouclier pour prouver l’intercession des Saincts. Or David n’a voulu autre chose, sinon monstrer le fruit qui devoit provenir de la clémence et humanité de Dieu, quand il luy auroit ottroyé sa demande. Nous avons à noter en général, que l’expérience de la grâce de Dieu, tant envers nous qu’envers les autres, est une aide non petite pour confermer la fidélité de sa Parole. Je ne réciteray point plusieurs passages, esquels David se propose les bénéfices de Dieu qu’il avoit jà receus, pour matière de fiance à l’advenir ; car en lisant les Pseaumes, on les rencontrera par tout. Et il tenoit cela du Patriarche Jacob, qui en avoit jadis donné l’exemple : Seigneur, je suis bien par-dessous tes miséricordes, et la vérité que tu as accomplie envers ton serviteur Gen. 32.10, etc. Il allègue bien la promesse, mais non pas seule : car il conjoinct l’effet quant et quant, afin d’estre mieux encouragé, pour se fier que Dieu sera tousjours tel envers luy, comme il avoit desjà senti : veu qu’il n’est point semblable aux hommes mortels, qui se faschent d’avoir esté trop larges, ou qui voyent leurs facultez s’espuiser : mais il veut estre estimé selon sa propre nature : comme David le sçait bien faire, Tu m’as racheté, dit-il, Dieu de vérité Ps. 31.5. Après avoir attribué à Dieu la louange de son salut, il adjouste qu’il est véritable : pource que s’il n’estoit tousjours semblable à soy, on ne pourroit pas recueillir de ses bénéfices, argument assez ferme pour le prier en fiance. Mais quand nous sçavons que toutesfois et quantes qu’il nous aide et nous subvient, il donne approbation de sa clémence et fidélité, il ne faut pas craindre qu’il nous vueille frustrer, ou que nostre attente soit confuse, quand nous viendrons à luy.

3.20.27

La somme totale revient là : Puis que l’Escriture nous enseigne que c’est une principale partie du service de Dieu que de l’invoquer, (comme aussi il prise plus cest hommage que nous luy faisons que tous sacrifices) que c’est un sacrilège tout manifeste d’addresser oraison à nul autre. Parquoy il est dit au Pseaume, Si nous avons espandu nos mains à nuls dieux estranges, le Seigneur ne s’enquestera-il point d’un tel forfait Ps. 44.21-22 ? D’avantage, puis que Dieu ne veut estre invoqué qu’avec foy, et que notamment il nous commande de former nos oraisons à la reigle de sa Parole : finalement, puis que la foy estant fondée en icelle, est la vraye mère d’oraison, si tost qu’on se destourne de la Parole, l’oraison est quant et quant abastardie. Or il a esté monstre que par toute l’Escriture cest honneur est réservé à un seul Dieu. Quant est de l’intercession, nous avons aussi veu que l’office en est particulier à Jésus-Christ : et qu’il n’y a nulle oraison agréable à Dieu, si ce Médiateur ne la sanctifie. Nous avons plus outre monstré, combien que les fidèles facent requeste et supplications mutuellement les uns pour les autres, que cela ne dérogue rien à l’intercession de Jésus-Christ. Car tous depuis le premier jusques au dernier s’appuyent sur icelle, pour recommander à Dieu tant eux que leurs frères. Ce pendant, nous avons adverty que cela est sottement et sans propos tiré aux trespassez, ausquels nous ne lisons pas qu’il ait jamais esté commandé de prier pour nous. L’Escriture nous exhorte souvent à rendre ce devoir les uns envers les autres : quant aux morts il ne s’en trouve point une syllabe. Mesmes sainct Jaques conjoignant ces deux, que nous confessions nos péchez entre nous, et que nous priions mutuellement les uns pour les autres Jacq. 5.16, exclud tacitement ceux qui ne conversent plus au monde. Par ainsi ceste seule raison doit suffire pour condamner l’erreur d’invoquer les Saincts, ou les requérir pour patrons : c’est que la préface de bien et deuement prier, procède de la foy, laquelle est de l’ouye de la Parole de Dieu Rom. 10.17, en laquelle il n’est nulle part fait mention que les Saincts soyent intercesseurs. Car c’a esté une pure superstition de leur avoir assigné cest estat et office, qui ne leur estoit point donné de Dieu. Car combien que l’Escriture soit plene de beaucoup de formes de prier, on n’y trouvera point un seul exemple que jamais les fidèles ayent cherché des advocats d’entre les morts : et toutesfois on ne pense point en la Papauté que les oraisons vaillent rien sans cela. D’avantage, il est tout notoire que telle superstition a esté engendrée de pure incrédulité, pource qu’on ne s’est point contenté de Jésus-Christ pour Médiateur, ou qu’on l’a du tout despouillé de ceste louange. Ce qui se peut aisément monstrer par leur impudence : pource qu’ils n’ont nul argument plus ferme à maintenir leur resverie de l’intercession des Saincts : qu’en alléguant que nous sommes indignes d’approcher familièrement de Dieu. Ce que nous confessons estre très-vray : mais de là nous concluons qu’ils ne laissent rien qui soit à Jésus-Christ, veu qu’ils tienent pour rien qu’il soit nostre Médiateur et Advocat, et ne daignent pas le mettre en conte, s’arrestans plustost à sainct George, sainct Hippolite, et pareilles masques.

3.20.28

Or combien que l’oraison, à parler proprement, ne comprene que les requestes et supplications, toutesfois il y a telle affinité entre la demande et action de grâces, qu’il n’y a point d’inconvénient de conjoindre les deux ensemble. Au reste, les espèces que sainct Paul récite à Timothée, se rapportent à la première partie, qui est de supplier et requérir Dieu. En quoy faisant nous espandons nos désirs devant luy, pour demander tant ce qui sert à magnifier son nom et avancer sa gloire, que les biens qui sont pour nostre usage et proufit. En rendant grâces, nous luy faisons l’hommage qui est deu à ses bénéfices, protestans avec louange que tout ce que nous avons de bien, nous vient de sa libéralité. David a comprins ces deux parties en disant, Invoque-moy au jour de la nécessité : je te délivreray, et tu me glorifieras Ps. 50.15. L’Escriture non sans cause nous advertit de nous exercer incessamment en tous les deux. Car, comme nous avons dit ailleurs, et l’expérience le monstre par trop, nostre indigence est si grande, et nous sommes de tous costez si fort contraints et pressez en plusieurs destroits, que tous ont assez de raison de souspirer assiduellement devant luy, et le supplier qu’il les aide. Car encores qu’aucuns ne soyent point batus d’adversitez, si est-ce que les plus saincts doyvent bien estre aiguillonnez par leurs péchez à prier. Et puis les alarmes innumérables qui leur sont dressées à chacune heure, les y doyvent pousser au double. Quant au sacrifice de louange et action de grâces, nous n’y pouvons faire interruption sans grand forfait : veu que Dieu ne cesse d’amasser bienfaits les uns sur les autres, pour nous contraindre à luy en faire recognoissance, quelque paresseux et tardifs que nous soyons. Brief, les largesses de ses bienfaits qui redondent sur nous, sont si amples et continuelles, et les miracles de ses œuvres, quelque part qu’on puisse regarder, apparoissent si grans, si excellens et infinis, que jamais ne nous défaut cause et matière de le louer, glorifier et exalter, et de luy rendre grâces en tout et par tout. Et afin que ceci soit mieux expliqué, puisque toute nostre espérance et tout nostre bien gist tellement en Dieu, comme il a par ci-devant assez esté monstre, que ne nous, ne tout ce qui est nostre, et qui nous concerne, ne pouvons aucunement prospérer que par sa bénédiction : il faut bien que continuellement nous luy recommandions et nous, et tout ce qui est nostre. D’avantage, que tout ce que nous proposons, disons et faisons, soit proposé, dit et fait sous sa main et volonté, et en l’espérance de son aide. Car nostre Seigneur maudit tous ceux qui en fiance d’eux-mesmes, ou d’autruy, proposent et délibèrent leur conseil et font aucune entreprinse, et veulent commencer quelque chose hors de sa volonté, et sans l’invoquer n’implorer son aide Jacq. 4.13-14 ; Esaïe 30.1 ; 31.1. Et puis qu’il a esté desjà dit quelquesfois, qu’on ne luy rend pas l’honneur qu’on luy doit, sinon qu’il soit recognu autheur de tout bien, il s’ensuyt que nous devons tout prendre comme de sa main, avec continuelle action de grâces : et qu’il n’y a nul bon moyen d’aucunement user de ses bienfaits, qui nous sont continuellement eslargis de luy, si nous ne sommes aussi continuels à le louer et remercier. Car quand sainct Paul dit tous les biens de Dieu nous estre sanctifiez par la Parole et oraison 2Tim. 4.5 par ce il démonstre aussi, que sans la Parole et oraison ils ne nous sont pas sanctifiez. Par la Parole il entend la foy, laquelle a correspondance à icelle Parole, à laquelle il faut avoir foy. Ainsi sans oraison et sans la foy, nuls biens de Dieu ne nous sont sanctifiez. Pourtant David nous baille un bon enseignement, quand en ce qu’il a receu un nouveau bénéfice de Dieu, il dit qu’un nouveau cantique luy a esté donné en la bouche Ps. 40.3. En quoy il dénote que nostre silence n’est pas sans ingratitude, si nous passons aucunes de ses grâces sans louange : veu que toutes fois et quantes qu’il nous fait du bien, il nous donne matière de le bénir. Comme aussi Isaïe publiant une grâce singulière de Dieu, exhorte les fidèles à chanter cantique nouveau et non accoustumé Esaïe 42.10. En quel sens se doit prendre ce que David dit aussi ailleurs : Seigneur, tu ouvriras mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange Ps. 51.15. Semblablement Ezéchias et Jonas protestent que la fin de leur délivrance sera de célébrer la bonté de Dieu au temple Esaïe 38.20 ; Jean 2.10 : Laquelle reigle est généralement donnée à tous fidèles par David, Que rendray-je, dit-il, au Seigneur pour tout ce qu’il m’a eslargi ? Je prendray le calice de salut, et invoqueray le nom de Dieu Ps. 116.13-14. Et aussi toute l’Eglise l’a suyvy, comme nous voyons en l’autre Pseaume, Seigneur, sauve-nous, afin que nous louions ton Nom, et nous glorifiions en ta louange Ps. 106.47. Item, Il a regardé aux prières du désolé, et n’a point mesprisé leurs requestes. Ceci sera escrit pour la postérité, et le peuple estant créé de nouveau, bénira le Seigneur : à ce que son Nom soit presché en Sion, et sa louange en Jérusalem Ps. 102.17-18, 21. Mesmes toutes fois et quantes que les fidèles supplient Dieu qu’il leur subviene à cause de son Nom : en protestant qu’ils sont indignes de rien obtenir en leur nom propre, ils s’obligent à luy en rendre grâces, et promettent d’user purement et droictement des bénéfices de Dieu, en les publiant à haute voix. En ceste façon Osée, parlant de la rédemption advenir de l’Eglise ; Dieu, dit-il, oste l’iniquité, et mets le bien au-dessus, et nous te rendrons les veaux de nos lèvres Osée 14.2. Et de faict, les bénéfices de Dieu non-seulement requièrent que nous l’honorions de bouche, mais naturellement nous induisent à l’aimer. J’aime le Seigneur, dit David, pource qu’il a ouy la voix de ma prière Ps. 116.1. En un autre lieu racontant les secours qu’il avoit sentis, Je t’aimeray, ô Dieu ma force Ps. 18.1-2. Car jamais aussi nulles louanges ne plairont à Dieu, si elles ne sourdent de ceste fontaine d’amour. Qui plus est, nous avons à observer ceste reigle de sainct Paul, que toutes requestes lesquelles ne tirent point avec elles action de grâces, sont perverses et vicieuses. Car voyci comme il parle : Que vos désirs soyent manifestez à Dieu en toute oraison et supplication avec action de grâces Phil. 4.5. Car pource que plusieurs estans poussez et saisis de chagrin, fascherie, impatience, amertume de douleur et crainte, murmurent en priant et se despitent, notamment il advertit les fidèles de réfréner tellement leurs passions, que devant qu’avoir obtenu ce qu’ils demandent, ils ne laissent point de bénir Dieu d’un cœur alaigre. Or si les prières et actions de grâces doyvent estre ainsi accomplies, combien plus y devons-nous estre adonnez, quand Dieu nous donne à jouir de nos désirs ? Au reste, comme nous avons enseigné que nos prières, qui seroyent autrement pollues, sont consacrées par l’intercession de Jésus-Christ, aussi l’Apostre en commandant d’offrir sacrifices de louange par Jésus-Christ Héb. 13.15, nous advertit que nous n’avons point bouche assez nette ne digne pour célébrer le nom de Dieu, que moyennant la sacrificature de Jésus-Christ. Dont je conclu que les hommes ont esté horriblement ensorcelez en la Papauté, où la plus grand’part s’esbahit quand Jésus-Christ est nommé Advocat. C’est la raison pourquoy sainct Paul commande de prier et rendre grâces sans intermission 1Thess. 5.17-18. C’est, di-je, afin que nos désirs soyent eslevez à Dieu en toutes choses et en tous affaires, en tout temps et en tous lieux, avec la plus grande assiduité qu’il nous sera possible, pour attendre tout bien de luy, et luy en faire hommage : comme il nous donne argument continuel de le prier et louer.

3.20.29

Or de prier ainsi continuellement, combien qu’il s’entende principalement d’un chacun en son particulier, toutesfois il appartient aussi aucunement aux oraisons publiques : combien qu’elles ne puissent estre continuelles, et qu’elles ne se peuvent ou doyvent faire que selon la police ordonnée du commun consentement de l’Eglise, comme on voit qu’il est bon de s’assembler. Et pourtant il y a heures certaines constituées, qui sont indifférentes quant à Dieu, mais nécessaires quant à l’usage des hommes : afin qu’on ait esgard à la commodité de tous : et que, comme dit sainct Paul, tout se face en l’Eglise en bon ordre et concorde 1Cor. 14.40. Toutesfois cela n’empesche point qu’une chacune Eglise ne se doyve tousjours inciter à plus fréquent usage de prier, et singulièrement quand elle se voit pressée de quelque nécessité. Touchant de la persévérance, laquelle est aucunement prochaine à la continuation, nous aurons opportunité d’en dire en la fin. Or cela ne sert de rien pour maintenir la superstitieuse prolongation et répétition des prières, laquelle nous est défendue de nostre Seigneur Matt. 6.7. Car il ne défend pas de persister en prières, ne d’y retourner, et longuement et souvent, et avec affection véhémente : mais il nous enseigne de ne nous point confier que nous contraignons Dieu à nous accorder nos demandes, en l’importunant par vaine loquacité, comme s’il se pouvoit fleschir par babil, à la façon des hommes. Car nous sçavons que les hypocrites, ne pensans point en eux-mesmes que c’est à Dieu qu’ils ont affaire, font leurs pompes aussi bien en priant qu’en quelque triomphe. Comme le Pharisien qui remercioit Dieu qu’il n’estoit point semblable aux autres, s’applaudissoit à la veue des hommes, comme s’il vouloit acquérir réputation de saincteté en se confessant redevable à Dieu. Ceste longueur de prier a aujourd’huy sa vogue en la Papauté, et procède de ceste mesme source : c’est que les uns en barbotant force Ave Maria, et réitérant cent fois un chapelet, perdent une partie du temps, les autres, comme les chanoines et caffars, en abbayant le parchemin jour et nuit, et barbotant leur bréviaire vendent leurs coquilles au peuple. Puis qu’une telle garrulité est pour se jouer avec Dieu comme avec un petit enfant, il ne nous faut esbahir si Jésus- Christ luy ferme la porte, à ce qu’elle n’ait point d’entrée en son Eglise, où il ne se doit ouyr autres prières que cordiales, et d’une droicte intégrité. Il y a un second abus prochain à cestuy-là, lequel aussi Jésus-Christ condamne : asçavoir que les hypocrites pour mieux faire leurs monstres cherchent plusieurs tesmoins, et plustost se viendront planter en plein marché, que de ne se faire valoir en leurs prières afin d’en estre louez du monde. Puis que la fin d’oraison est, comme desjà devant a esté dit, que nos esprits soyent eslevez et tendus à Dieu, pour souhaiter sa gloire et confesser ses louanges, et pour luy demander secours en nos nécessitez, de ce nous pouvons cognoistre que le principal de l’oraison gist au cœur et en l’esprit, ou mesmes plustost, qu’oraison proprement n’est que ce désir intérieur, se convertissant et addressant à Dieu, qui cognoist les secrets des cœurs. Pourtant nostre Seigneur Jésus-Christ, quand il nous a voulu bailler une bonne reigle de faire oraison, il nous a commandé d’entrer en nostre chambre, et l’huis fermé, de prier là en secret nostre Père céleste : afin que luy, qui voit et pénètre tous les secrets, nous exauce Matt. 6.6. Car après nous avoir retiré de l’exemple des hypocrites, qui par une monstre ambitieuse de prières cherchent d’estre glorifiez et favorisez du peuple, il adjouste et enseigne conséquemment ce qu’il faut faire : c’est asçavoir, entrer en la chambre, et y prier à porte fermée. Par lesquelles paroles, comme je l’enten, il nous instruit de chercher telle retraitte, qui nous aide d’entrer en nostre cœur de toute nostre pensée ; nous promettant qu’à telles intérieures affections de nostre cœur nous aurons Dieu prochain, duquel nos corps doyvent estre les vrays temples. Car par cela il n’a pas voulu nier qu’il ne soit loisible et ne fale prier en autres lieux : mais seulement a voulu déclairer qu’oraison est une chose secrette, et qui gist principalement au cœur et en l’esprit, duquel elle recquiert la tranquillité, hors toutes affections charnelles, et tous troubles de solicitudes terriennes. Ce n’est pas doncques sans cause que le Seigneur Jésus mesme voulant du tout s’adonner à prier, se retiroit hors du bruit des hommes Matt. 14.23 ; Luc 5.16 : mais plustost il le faisoit pour nous admonester par son exemple de ne point contemner telles aides, par lesquelles nostre courage soit plus fort eslevé en affection de bien prier, selon qu’il est par trop fragile de soy-mesme à s’escouler. Cependant néantmoins, comme il ne laissoit point de prier au milieu de la multitude, si l’opportunité s’y adonnoit, aussi nous, que nous ne facions point difficulté d’eslever les mains au ciel en tout lieu, toutesfois et quantes que mestier en sera 1Tim. 2.8. Mesmes il nous faut résoudre en ceci, que celuy qui refuse de prier en l’assemblée des fidèles, ne sçait que c’est de prier à part, ou en lieu escarté, ou en la maison : aussi à l’opposite, que celuy qui ne tient conte de prier à son privé et estant seul, quoy qu’il fréquente les assemblées publiques, n’y sçauroit faire prières que frivoles et plenes de vent : veu qu’il s’adonne plus à l’opinion des hommes, qu’au jugement secret de Dieu. Ce pendant à ce que les prières communes de l’Eglise ne fussent en mespris, Dieu les a ornées de tiltres excellens : surtout quand il a nommé son temple Maison d’oraison Esaïe 56.7. En quoy il a monstré que la prière est le principal de son service : et qu’il avoit en commandant d’édifier le temple, dressé une bannière pour assembler les fidèles à luy faire cest hommage d’un commun accord. Il y a aussi la promesse notable adjoustée : Seigneur, la louange t’attend en Sion, et le vœu t’y sera rendu Ps. 65.1. Car par ces mots le Prophète signifie que jamais les prières de l’Eglise ne sont vaines ne sans fruit, d’autant que Dieu donne tousjours matière aux siens de luy sacrifier et chanter avec joye. Or combien que les ombres de la Loy ayent prins fin, toutesfois pource que Dieu a aussi bien voulu par telle cérémonie nourrir entre nous l’unité de la foy, il n’y a doute que ceste promesse ne nous appartiene, laquelle de faict Jésus-Christ a ratifiée par sa bouche, et sainct Paul enseigne qu’elle sera tousjours en vigueur.

3.20.30

Or comme Dieu ordonne à tout son peuple de faire prières en commun, aussi il est requis que pour ce faire il y ait des temples assignez, ausquels tous ceux qui refusent de communicquer avec le peuple de Dieu en oraison, ne se peuvent excuser par ceste couverture, de dire qu’ils entrent en leurs chambres pour obéir au commandement de Dieu. Car celuy qui promet de faire tout ce que deux ou trois estans congrégez en son nom, demanderont Mat. 18.19, testifie assez qu’il ne rejette point les prières manifestes, mais que toute ambition et cupidité de gloire en soit hors : et au contraire, qu’il y ait vraye et pure affection au profond du cœur. Si tel est l’usage légitime des temples (comme il est certain qu’il est) il nous faut donner garde de les estimer propres habitacles de Dieu (comme on a fait par longues années) et dont nostre Seigneur nous preste l’aureille de plus près : ou que nous leur attribuyons quelque saincteté secrette, laquelle rende nostre oraison meilleure devant Dieu. Car si nous sommes les vrays temples de Dieu, il faut que nous le priions en nous, si nous le voulons invoquer en son vray temple. Et quant à ceste opinion rude et charnelle, laissons-la aux Juifs ou aux Gentils : puis que nous avons le commandement d’invoquer en esprit et vérité le Seigneur, sans différence de place Jean 4.23. Bien est vray que le Temple estoit anciennement dédié par le commandement de Dieu, pour offrir prières et sacrifices : mais cela estoit pour le temps que la vérité estoit figurée sous telles ombres : laquelle nous estant déclairée maintenant au vif, ne permet point que nous nous arrestions à aucun temple matériel. Et mesmes le Temple n’estoit pas recommandé aux Juifs à ceste condition, qu’ils deussent enclorre la présence de Dieu dedans les murailles d’iceluy, mais pour les exercer à contempler l’effigie et image du vray Temple. Parquoy, ceux qui aucunement estimoyent que Dieu habitast aux temples construits de mains d’hommes, furent griefvement reprins par sainct Estiene, comme avoyent esté leurs prédécesseurs par Isaïe Actes 7.48 ; Esaïe 66.1.

3.20.31

Pareillement de ce il est très-manifeste, que le parler et le chanter, si on en use en oraison, ne sont rien estimez devant Dieu, et ne proufitent de rien envers luy, s’ils ne vienent de l’affection et du profond du cœur ; mais plustost au contraire, ils l’irritent et provoquent son ire contre nous, s’ils ne procèdent et ne sortent seulement que de la bouche : pource que c’est abuser de son très-sacré Nom, et avoir en mocquerie sa majesté, comme il le déclaire par son Prophète. Car combien qu’il parle en général de toutes fictions, il comprend cest abus avec le reste. Ce peuple, dit-il, approche de moy par sa bouche, et en ses lèvres me glorifie : mais leur cœur est loing de moy. Ils m’ont craint par le mandement et les doctrines des hommes. Pourtant je feray à ce peuple une grand’merveille, et un miracle grand et espovantable. Car la sapience de tous leurs sages périra : et l’entendement de leurs prudens et anciens sera anéanty Esaïe 29.13-14 ; Matth. 15.8. Nous ne disons pas toutesfois que la parole ou le chant ne soyent bons, ains les prisons très-bien, moyennant qu’ils suyvent l’affection du cœur et servent à icelle. Car en ce faisant ils aident l’intention de l’homme, autrement fragile et facile à divertir, si elle n’est en toutes sortes confermée : et la retienent en la cogitation de Dieu. D’avantage, d’autant que tous nos membres, chacun en son endroict, doyvent glorifier Dieu, il est bon que mesmement la langue, qui est spécialement créée de Dieu pour annoncer et magnifier son Nom, soit employée à ce faire, soit en parlant ou en chantant. Et principalement elle est requise aux oraisons qui se font publiquement aux assemblées des Chrestiens, ausquelles il nous faut monstrer que comme nous honorons Dieu d’un mesme esprit et d’une mesme foy, aussi nous le louons d’une commune et mesme parole, et quasi d’une mesme bouche Rom. 15.6 : et ce devant les hommes : afin qu’un chacun oye manifestement la confession de la foy qu’a son frère : et soit édifié et incité à l’imitation d’icelle.

3.20.32

Quant à la façon de chanter aux Eglises j’en diray en passant un mot, que non-seulement elle est fort ancienne, mais que les Apostres mesmes en ont usé, comme on peut déduire de ces paroles de sainct Paul : Je chanteray de bouche, et je chanteray d’intelligence 1Cor. 14.15. Item aux Colossiens, Vous enseignans et exhortans l’un l’autre entre vous par Hymnes, Pseaumes et Cantiques spirituels, chantans en vos cœurs au Seigneur avec grâce Col. 3.16. Car au premier passage il monstre qu’on doit chanter de cœur et de langue : au second il loue les chansons spirituelles, par lesquelles les fidèles s’édifient entre eux. Toutesfois nous voyons par ce que dit sainct Augustin, que cela n’a point esté tousjours universel. Car il raconte qu’on commença de chanter à Milan du temps de sainct Ambroise, lorsque Justine mère de l’Empereur Valentinien persécutoit les Chrestiens, et que la coustume de chanter veint de là aux Eglises occidentales[d]. Or il avoit dit un peu au paravant, que ceste façon estoit venue des parties d’Orient, où on en avoit tousjours usé. Il démonstre aussi au second livre des Rétractations, que l’usage en fut receu en Aphrique de son temps. Et certes si le chant est accomodé à telle gravité qu’il convient avoir devant Dieu et devant ses Anges, c’est un ornement pour donner plus de grâce et dignité aux louanges de Dieu : et est un bon moyen pour inciter les cœurs, et les enflamber à plus grande ardeur de prier : mais il se faut tousjours donner garde que les aureilles ne soyent plus attentives à l’harmonie du chant, que les esprits au sens spirituel des paroles. Ce que sainct Augustin confesse en un autre passage avoir craint, disant qu’il eust désiré qu’on eust observé partout la façon de chanter qu’avoit Athanaise : asçavoir, laquelle ressemble mieux à lecture qu’à chant : mais il adjouste d’autre part, que quand il se souvenoit du fruit et de l’édification qu’il avoit receue en oyant chanter à l’Eglise, il enclinoit plus à la partie contraire, c’est d’approuver le chant[e]. Quand doncques on usera de telle modération, il n’y a nulle doute que ce ne soit une façon très-saincte et utile : comme au contraire, les chants et mélodies qui sont composées au plaisir des aureilles seulement, comme sont tous les fringots et fredons de la Papisterie, et tout ce qu’ils appellent musique rompue et chose faite, et chants à quatre parties, ne convienent nullement à la majesté de l’Eglise, et ne se peut faire qu’ils ne desplaisent grandement à Dieu.

[d] Confess., lib. IX, cap. VII.
[e] Confess., lib. X, cap. XXXIII.

3.20.33

Dont aussi il appert que les oraisons publiques ne se doyvent faire ny en langage grec entre les Latins, ny en latin entre François ou Anglois (comme la coustume a esté par tout ci-devant) mais en langage commun du pays, qui se puisse entendre de toute l’assemblée, puis qu’elles doyvent estre faites à l’édification de toute l’Eglise, à laquelle ne revient aucun fruit d’un bruit non entendu. Encores ceux qui n’avoyent aucun esgard ny à charité ny à humanité, se devoyent pour le moins esmouvoir un petit de l’authorité de sainct Paul, duquel les paroles sont assez évidentes. Si tu rens grâces de son non entendu, celuy qui tient le lieu d’un ignorant, comment dira-il Amen à ta bénédiction, veu qu’il n’entend point ce que tu dis ? Car tu rens bien grâces : mais un autre n’en est point édifiez 1Cor. 14.1. Qui est-ce doncques qui se pourra assez esmerveiller d’une audace tant effrénée qu’ont eue les Papistes et ont encores, qui contre la défense de l’Apostre, chantent et brayent de langue estrange et incognue, en laquelle le plus souvent ils n’entendent pas eux-mesmes une syllabe, et ne veulent que les autres y entendent ? Or sainct Paul nous monstre que nous devons tenir un autre chemin. Que feray-je doncques ? dit-il. Je prieray de voix, je prieray d’entendement. Je chanteray de voix, je chanteray d’intelligence. Auquel passage il use de ce mot d’Esprit au lieu que nous avons mis Voix, signifiant le don des langues, dont plusieurs se voulans magnifier abusoyent, le séparans d’avec intelligence. Toutesfois il nous faut tousjours penser qu’il ne se peut faire que la langue sans le cœur, soit en oraison particulière ou publique, ne soit fort desplaisante à Dieu. D’avantage, que l’ardeur et véhémence du vouloir doit estre si grande, qu’elle outrepasse tout ce que peut exprimer la langue. Finalement, qu’en l’oraison particulière la langue mesme n’est point nécessaire, sinon d’autant que l’entendement n’est point suffisant à s’esmouvoir soy-mesme : ou bien que par esmotion véhémente il pousse la langue, et la contraind de se mettre en œuvre. Car combien qu’aucunesfois les meilleures oraisons se facent sans parler, néantmoins souvent il advient que l’affection du cœur est si ardente, qu’elle pousse et la langue et les autres membres, sans aucune affectation ambitieuse. De là venoit qu’Anne mère de Samuel murmuroit entre ses lèvres 1Sam. 1.13, voulant prier. Et les fidèles expérimentent journellement en eux le semblable, quand en leurs prières ils jettent des voix et souspirs sans y avoir pensé. Quant aux maintiens et façons extérieures du corps, qu’on a coustume d’observer (comme de s’agenouiller et de se desfuler) ce sont exercices par lesquels nous nous efforçons de nous appareiller à plus grande révérence de Dieu.

3.20.34

Maintenant d’avantage, il nous faut apprendre non-seulement la façon de faire oraison, mais le style mesme et formulaire que nostre Père céleste nous a donné par son très-cher Fils nostre Seigneur Jésus-Christ Matth. 6.9 ; Luc 11.2. En quoy nous pouvons cognoistre une bonté et douceur incompréhensible. Car outre ce qu’il nous admoneste et exhorte de nous retourner à luy en toutes nos nécessitez, comme enfans ont leur recours à leur Père, toutes fois et quantes que le besoin les presse, cognoissant que nous ne pouvons assez entendre combien grande est nostre povreté et misère, ny comprendre ce qui est bon à luy demander, et ce qui est utile et proufitable, il a voulu subvenir à nostre ignorance, et suppléer de soy-mesme le défaut de nostre esprit. C’est qu’il nous a baillé un formulaire d’oraison, auquel comme en un tableau, il nous a mis en évidence tout ce qui est licite de souhaiter et désirer de luy : tout ce qui nous peut servir et proufiter, et tout ce qui nous est besoin et nécessaire de luy demander. De ceste bénignité et mansuétude nous pouvons prendre une singulière consolation. Car nous voyons et sommes asseurez que nous ne luy faisons requeste qui soit illicite, importune ny estrange devant luy, et ne demandons chose qui ne luy soit agréable, quand ainsi ensuyvans sa reigle, nous prions quasi par sa bouche. Platon voyant l’ignorance des hommes en leurs désirs et souhaits qu’ils font à Dieu, lesquels souvent ne leur peuvent estre concédez sinon à leur grand dommage, déclaire que la meilleure manière de prier est celle qu’a baillée un Poëte ancien, de requérir Dieu de nous faire le bien, soit que nous le demandions ou ne le demandions pas : et vouloir destourner le mal de nous, mesmes quand nous désirerions qu’il nous adveinst[f]. En quoy il a bonne opinion, comme peut avoir un homme payen, d’autant qu’il voit combien il est dangereux de requérir à Dieu ce que nostre cupidité nous enseigne. Et pareillement monstre assez nostre malheur, en ce que nous ne pouvons pas sans danger ouvrir la bouche pour rien demander à Dieu, sinon que le sainct Esprit nous conduise à la droicte forme de bien prier Rom. 8.26. Et d’autant plus ce privilège mérite-il d’estre prisé de nous, que le Fils de Dieu nous suggère quasi les paroles en la bouche, lesquelles délivrent nos esprits de tous scrupules et doutes.

[f] In Alcib. II, vel De voto.

3.20.35

Ceste oraison ou reigle de prier contient six requestes. Car j’ay raison de n’accorder point avec ceux qui la divisent en sept articles, d’autant que l’Evangéliste parlant en ceste forme, Ne nous induy point en tentation, mais délivre-nous du malin : de ces deux membres ensemble, pour en faire une seule demande. Comme s’il disoit. Ne permets point que soyons vaincus de tentation, ains plustost donne secours à nostre fragilité, et délivre-nous, de peur que nous ne succombions. Et de faict, les anciens Docteurs accordent à ceste exposition[g]. Dont il est facile de juger que ce qui est adjousté en sainct Matthieu, et qu’aucuns ont prins pour une septième requeste, n’est qu’une explication de la sixième, et se doit à icelle rapporter. Or combien que l’oraison soit telle, qu’en chacune partie d’icelle nous devons regarder l’honneur de Dieu principalement : derechef, combien qu’il nous soit expédient que tout ce qui est contenu adviene comme nous le demandons, néantmoins les trois premières requestes sont spécialement destinées pour désirer la gloire de Dieu, laquelle seule en icelles nous devons considérer, sans avoir aucun esgard à nous-mesmes. Les trois autres contienent spécialement les choses que nous devons demander pour nos nécessitez. Comme quand nous prions que le Nom de Dieu soit sanctifié, pource que Dieu veut essayer si nous l’aimons et honorons gratuitement ou comme mercenaires, nous le devons faire pour aucun esgard qu’ayons à nostre proufit, mais seulement pour considération de sa gloire, sans avoir ny autre affection, ny autre fin ou intention : et toutesfois cela mesmes nous tourne à nostre grande utilité et proufit. Car quand le nom de Dieu est, ainsi que nous prions, sanctifié, il est pareillement fait nostre sanctification. Mais, comme dit est, nous ne devons pas pourtant avoir aucun esgard à ce proufit : tellement qu’encores que tout proufit en deust estre pour nous exclud, et qu’il ne nous en deust rien revenir, nous ne laissions toutesfois de souhaiter et requérir par prière ceste sanctification du Nom de Dieu, et les autres semblables choses qui appartienent à sa gloire. Comme on voit en l’exemple de Moyse et de sainct Paul, ausquels il n’a point fait mal en destournant leur affection d’eux-mesmes, de désirer par un zèle véhément et enflambé leur perdition, afin que mesmes avec leur dommage, si besoin estoit, la gloire de Dieu fust exaltée, et son règne multiplié Exo. 32.32 ; Rom. 9.3. D’autre part, quand nous demandons nostre pain quotidien nous estre donné, combien que nous demandions chose concernante nous et nostre proufit, toutesfois nous devons premièrement en cela chercher la gloire de Dieu : tellement que si cela ne devoit tourner à icelle gloire, nous n’en voulussions faire requeste, ne le désirer ou vouloir avoir. Maintenant commençons à exposer l’Oraison.

[g] Aug., Enchirid. ad Laurent., cap. CXVI ; Chrysost. auth. Oper. imperf.

Nostre Père qui es és cieux.

3.20.36

Premièrement yci au commencement de ceste oraison apparoist ce que devant nous avons dit, qu’il faut que toutes nos oraisons soyent de nous présentées et addressées à Dieu au nom de Jésus-Christ : ainsi comme nulles ne luy peuvent estre acceptables par autre nom. Car en ce que nous appelons Dieu nostre Père, nous nous addressons à luy au nom de Jésus-Christ, d’autant que nous ne pouvons nommer Dieu nostre Père, et seroit arrogance et témérité d’usurper le nom de ses enfans, si nous n’estions faits tels de sa grâce en Jésus-Christ. Lequel estant son vray, naturel et propre Fils, nous est donné de luy pour frère : afin que ce que de nature il a propre, soit fait nostre par don et adoption, si en certaine foy nous acceptons celle grande bénéficence. Comme dit sainct Jehan, que Dieu le Père a donné à tous ceux qui croyent en son Fils unique, ceste grande excellence et privilège d’estre faits enfans de Dieu Jean 1.12. Dont il s’appelle nostre Père, et veut estre de nous ainsi appelé, nous délivrant de toute desfiance, par la grande douceur qui est comprinse en ce Nom. Car il ne se peut trouver nulle telle affection d’amour, que d’amour paternelle. Pourtant il ne nous pouvoit testifier par argumens plus certains sa charité infinie envers nous, qu’en ce qu’il a voulu que nous soyons renommez pour ses enfans 1Jean 3.1. Et encores est son amour plus grande envers nous, que toute celle des pères terriens envers leurs enfans : d’autant qu’il est parfait par-dessus tous les hommes en toute bonté et miséricorde. Tellement que s’il se pouvoit faire, que tout tant qu’il y a de pères en terre vinssent à perdre toute amour et affection paternelle, et à délaisser et abandonner leurs enfans, toutesfois si ne nous pourrait jamais faillir, entant qu’il ne se peut nier soy-mesme Ps. 27.10 ; Esaïe 63.16 ; 2Tim. 2.13. Car nous avons sa promesse, laquelle il nous a donnée par son Fils nostre Rédempteur, disant, Si vous qui estes mauvais, avez accoustumé de bien faire à vos enfans, combien plus vostre Père céleste qui est tout bon ? Item, par le Prophète, La mère pourroit-elle oublier ses enfans ? Et encores jà soit qu’elle les oubliast, si ne vous oublieray-je jamais Mat. 7.11 ; Esa. 49.15. Et si nous sommes ses enfans : comme un enfant ne se peut retirer en la sauvegarde d’un estranger, sinon en démonstrant ou la rudesse et inhumanité, ou la povreté et foiblesse de son père : aussi nous ne pouvons chercher secours d’ailleurs que de nostre Père céleste, sans le déshonorer, ou comme povre et impuissant, ou comme rude et cruel.

3.20.37

Et ne devons alléguer que nos péchez nous doyvent rendre craintifs de nous addresser à luy : pource que quelque bénin et débonnaire qu’il soit, toutesfois par nos offenses nous l’avons irrité contre nous. Car si entre les hommes le fils ne sçauroit avoir meilleur advocat envers son père lequel il a offensé, que soy-mesme, quand en humilité et obéissance recognoissant son forfait il luy vient requérir merci, d’autant que lors un cœur paternel ne peut mentir, qu’il ne se fleschisse et esmeuve par telles prières : que fera ce Père de miséricorde et Dieu de toute consolation 2Cor. 1.3 ? N’exaucera-il point les pleurs et gémissemens de ses enfans le prians pour eux-mesmes, mesmement puis qu’il les y convie et exhorte, plustost qu’il ne fera toutes les requestes que sçauroyent faire pour eux tous autres, au refuge desquels ils se retirassent, en se desfiant et doutant de sa bonté et démence ? Il nous fait entendre ceste grande miséricorde paternelle par la parabole, où nous est représenté le père qui n’attend point que pardon luy soit demandé par son fils, lequel s’estoit aliéné de luy, avoit prodigalement dissipé sa substance, et commis envers luy très-grande offense : mais il le prévient, le recognoist de loing : quand il le voit revenir par devers soy, luy accourt au-devant, l’embrasse, le console, et le reçoit en grâce Luc 15.20. Car en nous proposant en un homme l’exemple de si grande clémence et douceur, il nous a voulu enseigner combien plus de grâce, douceur et bénignité nous devons attendre et espérer de luy, qui non-seulement est Père, mais sur tous les pères très-bon et très-pitoyable, si nous venons nous rendre à sa miséricorde : encores que nous luy ayons esté ingrats, rebelles et mauvais enfans. Et afin de nous donner plus de certitude que c’est à nous, si nous sommes Chrestiens, qu’il est tel Père, il n’a pas voulu seulement estre appelé de nous Père, mais il a voulu nommément que nous l’appelions Nostre. Comme si nous luy disions, Père qui es si doux à tes enfans, et si bon à leur pardonner, nous tes enfans te requérons, estans asseurez que tu es nostre Père, qui n’as envers nous affection et volonté que paternelle : quoy que soyons indignes d’un tel Père, quelque mauvaistie qu’ayons eue, ou quelque imperfection ou povreté qui soit en nous. Mais pource que nostre cœur est trop estroit pour comprendre une telle infinité de sa faveur, non-seulement Jésus-Christ nous a esté donné de luy pour gage et arre de nostre adoption, mais aussi il nous en a fait son sainct Esprit tesmoin, lequel nous donne liberté de crier haut et clair à plene voix, Abba, Père Gal. 4.6. Ainsi, toutes fois et quantes que nostre lascheté nous retardera, souviene-nous de le supplier qu’en ayant corrigé nostre foiblesse qui nous rend craintifs, il nous guide et pousse à prier hardiment par cest Esprit de magnanimité.

3.20.38

Or ce qu’il nous est point yci baillé doctrine que chacun particulièrement l’appelle son Père, mais que plustost tous en commun l’appelions nostre Père : en cela nous sommes admonestez combien doit estre fraternelle l’affection des uns envers les autres qui sommes tous enfans d’un mesme Père, et par un mesme droict et tiltre de sa pure libéralité. Car puis que celuy nous est à tous Père en commun, duquel vient tout le bien que nous pouvons avoir Matt. 23.9 : nous ne devons rien avoir tellement séparé et divisé entre nous, que ne soyons prests de bon courage et en toute libéralité de cœur, de le communiquer mutuellement les uns aux autres, d’autant que mestier en est. Or si nous sommes prests ainsi que nous devons estre, de nous subvenir et aider les uns aux autres, il n’y a rien en quoy nous puissions plus proufiter à nos frères, que si nous les recommandons à ce très-bon Père : lequel quand il nous est propice, rien ne nous défaut. Et certes nous devons aussi cela à ce Père-ci. Car comme celuy qui vrayement et de bon cœur aime et désire le bien et honneur d’un père de famille, pareillement il aime et procure le bien de toute sa maison : en ceste manière si nous avons bonne affection à ce Père céleste, c’est bien raison que la monstrions envers son peuple, sa maison, et son héritage qu’il a tant honoré, qu’il l’appelle la plénitude de son Fils unique. Dont l’oraison du Chrestien doit estre ainsi reiglée et compassée, qu’elle soit commune, et comprene tous ceux qui luy sont frères en Jésus-Christ Eph. 1.23 : et non-seulement ceux qu’il voit et cognoist aujourd’huy estre tels, mais tous les hommes qui vivent sur la terre, desquels nous ne sçavons point ce que nostre Seigneur a déterminé de faire : mais seulement leur devons désirer tout bien, et en espérer pour le mieux. Combien que nous devons avoir en singulière recommandation et affection sur tous les autres, les domestiques de la foy : lesquels en toutes choses sainct Paul spécialement nous recommande. Et ce sont ceux que cognoissons, d’autant qu’en pouvons juger, estre présentement des vrais fidèles et serviteurs de Dieu Gal. 6.10. En somme, toutes nos oraisons doyvent estre tellement communes, qu’elles regardent tousjours la communauté que nostre Seigneur a mise en son règne et en sa maison.

3.20.39

Et toutesfois cela n’empesche que ne puissions particulièrement prier et pour nous et pour autres, moyennant que nostre affection ne s’escarte et destourne de la considération du proufit et conservation de ceste communauté, mais s’y rapporte entièrement. Car combien qu’en soy telles oraisons soyent formées particulièrement : toutesfois pource qu’elles tendent à ce but, elles ne laissent d’estre communes. Tout ceci facilement se peut entendre par une similitude : Le commandement de Dieu de subvenir à l’indigence de tous povres, est général : et toutesfois ceux qui à ceste fin font miséricorde, et eslargissent de leur bien à ceux qu’ils voyent ou sçavent en avoir nécessité, y obéissent : nonobstant qu’ils ne donnent pas à tous ceux qui n’en ont pas moindre besoin, ou pource qu’ils ne les peuvent tous cognoistre, ou pource qu’ils ne peuvent suffire à tous. En ceste manière, ceux ne contrevienent point à la volonté de Dieu, qui regardans et pensans à ceste commune société de l’Eglise, usent de telles particulières oraisons, par lesquelles en particulières paroles, mais de courage publique et commune affection, ils recommandent à Dieu ou eux ou autres, desquels il leur a voulu de plus près donner à cognoistre la nécessité. Combien que tout ne soit semblable en oraison et en aumosne. Car nous ne pouvons subvenir de nos biens sinon à ceux desquels nous sçavons la povreté : mais nous pouvons et devons aider par oraison ceux mesmes desquels nous n’avons point la cognoissance, et qui sont eslongnez de nous par quelque distance et intervalle que ce soit. Ce qui se fait par la généralité des oraisons, en laquelle sont comprins tous les enfans de Dieu, au nombre desquels aussi ceux-là sont. A quoy on peut rapporter ce que sainct Paul exhorte les fidèles de son temps de lever les mains pures au ciel 1Tim. 2.8. Car en les advertissant que la porte seroit fermée à leurs prières par divorce, il leur commande de se conjoindre et unir en vray accord.

3.20.40

Après il est dit, Qui es es cieux. De quoy nous ne devons entendre ne penser qu’il soit enclos ou contenu au circuit du ciel. Car Salomon confesse que les cieux ne le peuvent comprendre 1Rois 8.27. Et luy par son Prophète dit, que le ciel est son siège, et la terre son marchepied Esaïe 66.1 ; Actes 7.49 ; 17.24. En quoy il déclaire et donne à cognoistre qu’il n’est point contenu en quelque certain lieu, ains qu’il est partout, et remplit toutes choses. Mais pour autant que nostre ignorance et imbécillité d’esprit ne peut autrement comprendre ne concevoir sa gloire, puissance, sublimité et hautesse, il nous la signifie par le ciel, qui est la chose la plus haute et plene de gloire et majesté que nous pouvons contempler. Parquoy, à cause que par tout où nos sens ont appréhendé quelque chose, ils ont accoustumé de la tenir comme liée : Dieu nous est colloqué par-dessus tout lieu, afin que quand nous le voulons chercher nous nous eslevions par-dessus tout le sens de nostre âme et de nostre corps. D’avantage, par ceste manière de parler, il est exempté de toute corruption ou mutation. Finalement, il nous est signifié qu’il contient et modère tout le monde par sa puissance. Parquoy, Qui es es cieux, est autant à dire, comme s’il estoit nommé de grandeur et hautesse infinie, d’essence incompréhensible, de puissance inénarrable, d’immortalité éternelle. A ceste cause ce mot nous doit esmouvoir à eslever nos cœurs et nos esprits quand nous pensons à Dieu, pour ne rien imaginer de luy charnel ou terrien, et ne le vouloir reigler selon nostre raison mondaine, ni assujetir à nos affections. Semblablement il nous doit servir à confermer en luy nostre fiance, entant qu’il nous signifie qu’il gouverne par sa providence le ciel et la terre. La somme est, que sous le nom de Père, ce Dieu qui nous est apparu en l’image de son Fils, nous est mis en avant, afin que nous l’invoquions en certitude de foy : et que non-seulement ce nom de Père, selon qu’il est familier, doit servir à confermer nostre fiance, mais aussi à retenir nos esprits, afin qu’ils ne soyent point distraits à aucuns dieux incognus ou controuvez : mais plustost qu’estans conduits par le Fils unique ils montent tout droit à celuy qui est seul Père des Anges et des hommes. Secondement, quand son throne luy est establi au ciel, nous sommes advertis puis qu’il gouverne le monde, que nous ne venons pas à luy en vain, veu que de son bon gré il a soin de ses créatures. Ceux qui se présentent à luy, dit l’Apostre, doyvent croire qu’il est Dieu : et puis, qu’il est rémunérateur à tous ceux qui le cherchent Héb. 11.6. Jésus-Christ approprie yci l’un et l’autre à son Père, afin que nostre foy soit arrestée en luy : et secondement, que nous soyons persuadez qu’il ne met pas en oubli nostre salut : veu qu’il daigne bien estendre sa providence jusques à nous. Ce sont les principes par lesquels sainct Paul nous dispose à bien prier. Car devant que nous exhorter de descouvrir nos requestes à Dieu, il met ceste préface, Ne soyez en souci de rien, le Seigneur est prochain Phil. 4.5-6. Dont il appert que ceux qui n’ont point cest article bien résolu, que l’œil de Dieu est sur les justes Ps. 33.18, ne font qu’entortiller leurs prières en eux-mesmes, estans en doute et perplexité.

3.20.41

La première requeste est, Que le nom de Dieu soit sanctifié : la nécessité de laquelle nous doit bien faire grand’honte. Car que sçauroit-on penser plus vilein, que de veoir la grâce de Dieu estre obscurcie, partie par nostre ingratitude, partie par nostre malice ? qui pis est, que par nostre orgueil et furies desbordées elle soit abolie, entant qu’en nous est ? Vray est que la saincteté du nom de Dieu reluit en despit des iniques, voire et deussent-ils crever avec leurs desbordemens pleins de sacrilèges. Et ce n’est point sans cause que le Prophète s’escrie, Dieu, selon que ton nom est cognu, aussi la louange est estendue sur toutes les fins de la terre Ps. 48.10 ! Car par tout où Dieu se manifeste, il est impossible que ses vertus ne vienent en avant : asçavoir, puissance bonté, sagesse, justice, miséricorde, vérité, lesquelles nous ravissent en admiration, et incitent à célébrer sa louange. Parquoy, d’autant qu’on ravit ainsi outrageusement à Dieu sa saincteté en terre, si nous ne la pouvons maintenir comme il seroit à désirer, c’est pour le moins que nous ayons soin de prier Dieu qu’il la maintiene. La somme est, que nous demandions que l’honneur soit rendu à Dieu tel qu’il en est digne, que les hommes ne parlent et ne pensent jamais de luy qu’avec une singulière révérence : à laquelle s’oppose le mespris, qui emporte profanation : lequel vice a tousjours esté par trop commun au monde, comme encores aujourd’huy il a trop la vogue. Et c’est dont vient la nécessité de faire ceste requeste : laquelle seroit superflue s’il y avoit en nous quelque piété. Or si le nom de Dieu est deuement sanctifié, lors qu’estant séparé de tous les autres il est exalté en gloire : non-seulement il nous est yci commandé de prier Dieu qu’il le conserve entier de toute ignominie et mespris, mais qu’il donte et abaisse tout le monde à l’honorer et vénérer comme il appartient. Car comme ainsi soit que Dieu se déclaire à nous, partie en sa Parole, partie en ses œuvres, il n’est pas deuement sanctifié de nous, si nous ne luy rendons en tous les deux ce qui est sien : et ainsi, que nous embrassions tout ce qui procède de luy, et que sa rigueur ne soit pas moins prisée et louée entre nous que sa clémence : veu qu’en la diversité de ses œuvres il a par tout imprimé certaines marques de sa gloire, lesquelles à bon droict doyvent tirer louange de toutes langues. En ce faisant l’Escriture obtiendra plene authorité envers nous : et quoy qu’il adviene, rien n’empeschera que Dieu ne soit bénit comme il mérite, en tout le cours du gouvernement du monde. La requeste aussi tend à ce but, que toute impiété laquelle pollue ce sainct et sacré Nom, périsse : que toutes détractions et murmures, et aussi les mocqueries qui obscurcissent ou diminuent ceste sanctification, soyent exterminées : et que Dieu, en réprimant et met tant sous le pied tels sacrilèges, face que sa majesté croisse journellement en plus grand lustre.

3.20.42

La seconde requeste est, Que le Royaume de Dieu adviene : laquelle combien qu’elle ne contiene rien de nouveau ou séparé d’avec la première, toutesfois elle n’en est pas distinguée sans raison. Car si nous pensons bien à nostre tardiveté et rudesse, il est besoin que nous ayons les aureilles batues souvent, de ce qui nous doit estre tant et plus notoire. Après doncques qu’il nous a esté ordonné de prier Dieu qu’il abate, et finalement destruise tout ce qui souille son sacré Nom, une seconde demande pareille et du tout conforme est adjoustée, Que son règne adviene. Or combien que nous ayons exposé ailleurs et défini la nature de ce royaume, je répéteray yci en brief que Dieu est tenu pour Roy, quand les hommes renonçans à eux-mesmes, et mesprisans le monde et ceste vie terrestre, s’adonnent à la justice de Dieu pour aspirer à la vie céleste. Ainsi il y a deux parties de ce règne : c’est que Dieu corrige et abate par la vertu de son Esprit toutes cupiditez de la chair, lesquelles se dressent à grand foulle pour batailler contre luy. Secondement, qu’il plie et forme tous nos sens, pour les assujetir à son empire. Pourtant, quiconques veut tenir bon ordre en ceste requeste, il faut qu’il commence par soy, désirant d’estre purgé de toutes corruptions qui troublent en son cœur l’estat paisible du règne de Dieu, et en infectent la pureté. Au reste, pource que la Parole de Dieu est comme son sceptre royal, il nous est yci ordonné de prier qu’il assujetisse les esprits et les cœurs de tous à une obéissance volontaire d’icelle. Ce qui se fait, quand il les touche et esmeut d’une inspiration secrette, pour leur faire cognoistre quelle est la vertu de sa Parole, afin qu’elle ait sa prééminence, et soit tenue en tel degré d’honneur qu’elle mérite. Après, nous pourrons descendre aux meschans qui résistent à son empire avec obstination et fureur désespérée. Dieu doncques dresse son Royaume en abbaissant tout le monde, mais en diverses sortes : c’est qu’il donte les appétis désordonnez des uns, et rompt et brise l’orgueil des autres, d’autant qu’il est indontable. Nous avons à désirer que cela se face chacun jour, afin que Dieu recueille des Eglises de toutes les parties du monde, qu’il les multiplie en nombre, qu’il les enrichisse de ses dons, qu’il y establisse bon ordre : et à l’opposite, qu’il renverse tous les ennemis de sa pure doctrine, qu’il dissipe leurs conseils, et abate leurs efforts. Dont il appert que non sans cause il nous est commandé d’avoir en recommandation l’accroissement continuel du règne de Dieu : veu que jamais l’estat des hommes ne va si bien, que toutes souilleures de vices soyent bien purgées entre eux, et qu’il y florisse plene intégrité. Or la perfection s’estend au dernier advénement de Jésus-Christ, auquel Dieu sera tout en toutes choses, comme dit sainct Paul 1Cor. 15.28. Ainsi ceste prière nous doit retirer de toutes les corruptions du monde, lesquelles nous séparent de Dieu, à ce que son règne n’ait sa vertu et vigueur en nous. Elle doit aussi enflamber en nous un désir et effort de mortifier nostre chair : finalement nous instruire à porter patiemment la croix : veu que Dieu veut que son Royaume soit advancé par tels moyens. Et ne nous doit fascher que l’homme extérieur soit corrompu, moyennant que l’intérieur soit renouvelé. Car la condition du Royaume de Dieu est telle, qu’en nous voyant assujetis à sa justice, il nous face participans de sa gloire. Cela se fait quand il donne journellement lustre à sa vérité, pour deschasser et faire esvanouir, voire abolir du tout les mensonges et ténèbres de Satan et de son règne : et puis quand il garde les siens, les addresse en toute droicture par son sainct Esprit, et les conferme à persévérer en bien : à l’opposite, quand il ruine les meschantes conspirations de ses ennemis, escarte leurs embusches et fraudes, prévient leur malice et abat leur rébellion, jusques à ce qu’il desface du tout par l’Esprit de sa bouche l’Antechrist, et qu’il extermine toute impiété par la clairté de son advénement.

3.20.43

La troisième requeste est, que la volonté de Dieu soit faite en la terre comme au ciel ; ce qui dépend bien de son règne, et n’en peut estre séparé : toutesfois si n’est-il pas adjousté en vain, à cause de nostre rudesse, laquelle n’appréhende pas aisément ne si tost, qu’emporte ce mot, que Dieu règne au monde. Parquoy il n’y aura point de mal de prendre ceci comme par forme d’exposition, que lors Dieu sera Roy du monde, quand tous seront rangez sous sa volonté. Or il n’est pas icy question de sa volonté secrette, par laquelle il dispose toutes choses, et les ameine à telle fin que bon luy semble. Car quoy que Satan et les iniques s’escarmouchent et se dressent impétueusement contre luy, toutesfois il a son conseil incompréhensible, par lequel non-seulement il sçait destourner tous leurs efforts, mais les amener au joug, et faire par eux ce qu’il a décrété. Or yci il nous faut entendre une autre volonté de Dieu : asçavoir celle qui nous appelle à une obéissance volontaire. Pourtant le ciel est notamment accomparé à la terre, pource que les Anges servent de leur bon gré à Dieu, et sont attentifs à exécuter ses commandemens, selon qu’il est dit au Pseaume Ps. 103.20. Il nous est doncques commandé de prier, que comme il ne se fait rien au ciel sinon ce que Dieu a ordonné, et que les Anges se reiglent paisiblement à toute droicture, aussi que la terre soit mattée, et que toute contumace et perversité y soit abatue, à ce qu’elle soit sujette à l’empire de Dieu. En demandant ceci nous avons à renoncer à tous désirs de nostre chair : car quiconques ne résigne et submet du tout ses affections à Dieu, il s’oppose entant qu’en luy est, à la volonté d’iceluy, veu que tout ce qui procède de nous est vicieux. Ainsi par ceste prière nous sommes induits à renoncer à nous-mesmes, à ce que Dieu nous gouverne selon son bon plaisir. Et non-seulement cela, mais aussi qu’en réduisant à néant nostre naturel pervers, il crée en nous esprits et courages nouveaux, à ce que nous ne sentions nul mouvement de cupidité qui luy soit rebelle, mais que nous ayons un consentement entier avec sa volonté. En somme, que nous ne vueillons rien de nous-mesmes : mais que son esprit conduise nos cœurs, et qu’il nous enseigne au dedans d’aymer ce qui luy plaist, et hayr ce qui luy desplaist : dont il s’ensuyt aussi, qu’il casse et anéantisse tous appétis qui répugnent à sa volonté. Voylà les trois premiers articles de l’Oraison, ausquels il nous convient avoir la seule gloire de Dieu devant les yeux, oublians tout regard de nous-mesmes, et ne pensans point à nostre proufit, lequel nous en revient très-ample : mais si ne le faut-il point chercher. Or combien que toutes ces choses adviendront indubitablement en leur temps, encores que nous n’y pensions point, et que ne les désirions ne demandions, si nous les faut-il toutesfois souhaiter et requérir. Et il nous est grand besoin d’en faire ainsi pour déclairer et attester par ce moyen que nous sommes serviteurs à Dieu, servans à son honneur comme de nostre Maistre et Père, entant qu’en nous est, et y estans adonnez. Parquoy tous ceux qui ne sont point touchez d’une telle affection d’advancer la gloire de Dieu, pour prier que son Nom soit sanctifié, que son Règne adviene, et sa volonté soit faite, ne méritent pas d’estre tenus du nombre des enfans et serviteurs de Dieu. Et comme ces choses adviendront maugré qu’ils en ayent, aussi ce sera à leur ruine et confusion.

3.20.44

S’ensuyt la seconde partie de l’Oraison, en laquelle nous descendons à ce qui nous est utile ; non pas qu’en laissant la gloire de Dieu à part, ou la mettant sous le pied (à laquelle, tesmoin sainct Paul nous devons rapporter nostre boire et manger 1Cor. 10.31) nous demandions seulement ce qui nous est proufitable : mais selon que desjà nous avons adverty, la diversité est telle, qu’aux trois premières requestes il nous ravit du tout à soy, pour mieux esprouver l’honneur que nous luy portons : puis il nous ottroye de penser aussi à ce qui nous est expédient : toutesfois avec tel si, que nous ne désirions rien sinon afin qu’en tous les bénéfices qu’il nous eslargit, sa gloire soit tant mieux esclarcie : veu qu’il n’y a rien plus équitable que de vivre et mourir à luy. Au reste, en ceste requeste nous demandons à Dieu les choses qui nous concernent, et qui subvienent à nos nécessitez. Et par icelles nous demandons de Dieu généralement, tout ce dont nostre corps a besoin pour son usage, sous les élémens de ce monde. Non pas ce seulement dont nous soyons nourris et vestus, mais tout entièrement ce que Dieu sçait et cognoist nous estre bon et utile, afin que nous puissions user des biens qu’il nous donne, en bonne paix et tranquillité. En somme par ceste pétition nous nous baillons à luy comme en charge, et nous mettons en sa providence, pour estre de luy nourris, entretenus et conservez. Car ce très-bon Père n’a point en desdain de prendre mesmes nostre corps en sa protection et sauvegarde : afin d’exercer nostre foy en ces basses et petites choses, quand nous attendons de luy tout ce qu’il nous faut, jusques à une miette de pain, et une goutte d’eau. Certes nostre perversité est telle, que nous nous soucions tousjours beaucoup plus de nostre corps que de nostre âme. Et pourtant, plusieurs qui s’osent bien fier à Dieu pour leur âme, ne laissent point d’avoir solicitude pour leur corps, et tousjours doutent de quoy ils vivront, et de quoy ils seront vestus, et s’ils n’ont tousjours en main abondance de blé, de vin, et d’autre provision, ils tremblent de peur d’avoir faute. C’est ce que nous avons dit, que ceste ombre de nostre vie corruptible nous est en beaucoup plus grande estime que l’immortalité éternelle. D’autre part ceux qui par certaine fiance en Dieu, se sont desmis de toute solicitude de leurs corps, pareillement ils attendent de luy en asseurance les choses plus grandes, mesmes salut et vie éternelle. Ce n’est pas doncques une légère exercitation et de petite importance pour nostre foy, qu’espérer de Dieu les choses qui ont accoustumé de nous faire tant soucier et tormenter. Et avons beaucoup proufité, quand nous sommes délivrez de ceste infidélité, laquelle est quasi enracinée jusques aux os de tous les hommes. Ce qu’aucuns transfèrent ceci au pain supersubstanciel, il ne me semble pas fort convenable à la sentence de Jésus-Christ : et mesmes si en ceste vie fragile et caduque nous n’attribuyons à Dieu office de Père nourricier, l’oraison manqueroit et seroit comme rompue en partie. La raison qu’ils ameinent est trop profane : c’est qu’il n’est point convenable que les enfans de Dieu, qui doyvent estre spirituels, non-seulement appliquent leurs désirs aux choses terrestres, mais y enveloppent aussi Dieu avec eux. Voire, comme si sa bénédiction et faveur paternelle ne reluisoit pas mesmes au boire et manger, qu’il nous donne : ou qu’il fust escrit en vain, que le service que nous luy rendons, a les promesses tant de la vie présente que de celle qui est à venir 1Tim. 4.8. Or combien que la rémission des péchez soit plus précieuse que la nourriture des corps, toutesfois Jésus-Christ a mis en premier lieu ce qui estoit le moindre, pour nous eslever petit à petit aux deux requestes suyvantes, lesquelles sont spéciales pour la vie céleste. En quoy il a supporté nostre tardiveté. Or il nous ordonne de prier pour nostre pain quotidien, afin que nous soyons contens de la portion que le Père céleste distribue à chacun : et que nous ne pourchassions nul gain par artifices ou finesses illicites. Cependant, nous avons à noter que le pain est fait nostre par tiltre de donation : veu qu’il n’y a ny industrie, ne labeur (comme dit Moyse) qui nous puisse rien acquérir, si la bénédiction de Dieu ne s’eslargit sur nous Lév. 26.20 : mesmes que nulle quantité de vivres ne nous proufiteroit rien, si elle ne nous estoit tournée en aliment par la bonté de Dieu. Dont il s’ensuyt que ceste siene libéralité n’est pas moins nécessaire aux riches qu’aux povres : veu qu’ayans leurs greniers et caves bien remplies, ils défaudroyent comme secs et vuides, si sa grâce ne leur donnoit à jouir de leur pain. Ce mot d’Aujourd’huy ou Journellement (comme il est en l’autre Evangéliste) item, ce mot de Quotidien, doyvent servir à brider toute cupidité désordonnée des choses transitoires, à laquelle nous sommes trop bouillans : et surtout d’autant qu’elle attire d’autres maux avec soy ; c’est que si nous avons abondance, nous la jetions à l’abandon en volupté, délices, parades, et autres espèces de superfluité et dissolution. Parquoy il nous est ordonné de requérir seulement ce qui suffit à nostre nécessité, comme au jour la journée : et avec telle fiance que quand le Père céleste nous aura aujourd’huy nourris, il ne nous oubliera non plus demain. Parquoy, quelque affluence de biens, ou grande provision et félicité que nous ayons, encores que tous nos greniers et celliers soyent pleins, il nous faut tousjours néantmoins demander nostre pain quotidien, pensans et estans plenement persuadez que toute substance n’est rien, sinon d’autant que nostre Seigneur la rend fertile et vertueuse en espandant sa bénédiction dessus : et que celle mesme qui est en nostre main, n’est point nostre, sinon d’autant qu’il plaist à Dieu d’heure en heure nous en départir et donner l’usage. Et pource que l’arrogance des hommes ne se laisse point aisément persuader cela, le Seigneur tesmoigne qu’il en a baillé un exemple notable pour tout jamais, en repaissant au désert son peuple de la Manne, afin de nous advertir que l’homme ne vit pas du pain seulement, mais plustost de la parole sortant de sa bouche Deut. 8.3 ; Matt. 4.4. Par laquelle sentence il signifie que c’est sa seule vertu, par laquelle sont soustenues et la vie, et les forces : combien qu’icelle nous soit dispensée sous élémens corporels. Comme aussi par le contraire il nous le démonstre, quand il brise la force du pain, tellement que ceux qui mangent languissent de famine Lév. 26.26 : et oste la substance à l’eau, tellement que ceux qui boyvent desseichent de soif. Et ceux qui non contens de leur pain quotidien, mais ayans le cœur à cupidité et avarice, et désirans infinité, ou ceux qui se reposans en leur abondance, et se confians en leurs richesses, font néantmoins ceste demande à Dieu, ils ne font que se mocquer de luy. Car les premiers luy demandent ce qu’ils ne voudroyent point avoir obtenu, et qu’ils ont en abomination, c’est-à-dire leur pain quotidien seulement, et tant qu’ils peuvent ils luy cèdent et dissimulent leur avarice et convoitise, au lieu que la vraye oraison luy doit déclairer et ouvrir tout le cœur. Et les seconds luy demandent ce qu’ils n’attendent ny espèrent de luy : car ils le pensent avoir desjà chez eux. En ce que nous disons le pain Nostre, apparoist et se donne à cognoistre plus amplement la grâce et bénignité de Dieu : laquelle fait nostre ce qui ne nous estoit nullement deu. Combien que je ne répugne pas fort à ceux qui pensent que par ce mot est signifié le pain qui soit gaigné par nostre juste labeur, sans détriment d’autruy, et sans aucune fraude : pource que tout ce qui est acquis iniquement, n’est jamais nostre. En ce qu’il est dit. Donne-nous, c’est pour nous signifier, que de quelque part, ou par quelque moyen que nous l’ayons, c’est tousjours le pur et gratuit don de Dieu : combien qu’il nous soit advenu par le travail de nos mains, ou par nostre art et industrie, ou par quelconque autre forme que ce soit.

3.20.45

Il s’ensuyt : Quitte-nous nos offenses, ou nos debtes : en laquelle requeste et en la prochaine, Jésus-Christ a comprins tout ce qui concerne le salut de nos âmes ; comme aussi l’alliance spirituelle que Dieu a traittée avec son Eglise, consiste du tout en ces deux membres : c’est d’escrire sa Loy en nos cœurs : et d’estre propice à nos iniquitez Jér. 31.33 ; 33.8. Yci nostre Seigneur Jésus commence par le pardon : puis il adjoustera la seconde grâce, que Dieu nous défende par la vertu de son Esprit, et nous soustiene par le secours d’iceluy, à ce que nous persistions invincibles contre toutes tentations. Or en nommant les péchez Debtes, il signifie que nous en devons la peine : et nous seroit impossible d’en satisfaire, si nous n’en estions délivrez par ceste rémission, qui est un pardon de gratuité, en ce qu’il luy plaist libéralement effacer nos debtes, n’en recevant aucun payement, mais en se satisfaisant de sa propre miséricorde en Jésus-Christ, lequel s’est une fois livré pour nous en récompense de nos forfaits. Pourtant tous ceux qui se confient d’appaiser Dieu par leurs mérites, ou ceux qui cuident acquérir pardon d’ailleurs, et qui veulent se racheter par telles satisfactions, ne peuvent communiquer à ceste rémission gratuite Rom. 3.24 : et en priant en ceste façon ne font que soussigner à leur accusation, mesmes ratifier leur condamnation par leur tesmoignage propre. Ils se confessent estre debteurs s’ils ne sont acquittez par rémission gratuite : laquelle toutesfois ils n’acceptent pas, mais plustost la rejettent en ingérant leurs mérites et satisfactions, car en ce faisant, ils n’implorent pas sa miséricorde, mais se veulent acquitter en son jugement. Quant à ceux qui se forgent par songes une telle perfection, qui nous exempte de ceste nécessité de supplier pour obtenir pardon, qu’ils ayent tels disciples qu’ils voudront, moyennant qu’on sache qu’ils arrachent à Jésus-Christ tous ceux qu’ils acquièrent à eux : veu que luy en induisant les siens à confesser leur coulpe, ne reçoit ny advoue que les pécheurs ; non pas qu’il nourrisse les fautes par flatteries, mais pource qu’il sçait que les fidèles ne sont jamais tellement despouillez des infirmitez de leur chair, qu’ils ne soyent tousjours redevables au jugement de Dieu. Il est bien à souhaiter qu’en nous estant acquittez de tous devoirs, nous puissions vrayement nous congratuler devant Dieu, que nous sommes purs de toutes macules : et nous y faut travailler tant qu’il est possible. Mais puis qu’il plaist à Dieu de reformer petit à petit son image en nous, en sorte qu’il demeure tousjours quelque contagion en nostre chair, il n’a pas falu laisser ce remède. Or si Jésus-Christ, selon l’authorité à luy donnée, par le Père, nous commande d’avoir tout le cours de nostre vie refuge à demander pardon de nos défauts, qui est-ce qui pourra porter ces nouveaux docteurs et follets, qui sous ombre d’un fantosme de saincteté parfaite, s’efforcent d’esblouir les yeux des simples, leur faisans à croire qu’ils sont purs de toute offense ? ce qui n’est autre chose (tesmoin sainct Jehan) que faire Dieu menteur 1Jean 1.10. Ces brouillons par un mesme moyen deschirent par pièces l’alliance de Dieu, en laquelle nostre salut est contenu : car de deux articles ils en raclent l’un ; et en ce faisant la renversent du tout, estans non-seulement sacrilèges en ce qu’ils séparent des choses tant conjoinctes, mais aussi meschans et cruels, accablans les povres âmes de désespoir : qui plus est, estans desloyaux à eux-mesmes et à leurs semblables, d’autant qu’ils cherchent à s’endormir en une stupidité, laquelle contrarie directement à la miséricorde de Dieu. Quant à ce qu’ils objectent, qu’en désirant l’advénement du royaume de Dieu, nous requérons aussi l’abolition des péchez, c’est une sophisterie trop puérile : pource qu’en la première table de l’oraison nous sommes induits à chercher la perfection souveraine : yci nostre infirmité nous est proposée. Ainsi les deux s’accordent très-bien : c’est qu’en aspirant où nous prétendons, nous ne mesprisions point les remèdes que nécessité requiert. Et nous demandons finalement ceste rémission nous estre faite, comme nous remettons à nos debteurs : c’est-à-dire, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont fait aucun tort ou injure : et nous ont offensez ou en faits ou en dits. Non pas que nous pardonnions et remettions la coulpe du péché, ce qui appartient à Dieu seul Esaïe 43.25 : mais le pardon et la rémission qu’il nous faut faire, est d’oster volontairement de nostre cœur toute ire, haine, désir de vengence : et de mettre en oubli toute injure et offense qui nous ait esté faite, sans garder aucune malvueillance contre personne. Parquoy nous ne devons demander à Dieu rémission de nos péchez, si aussi de nostre part nous ne remettons, en la manière que dit a esté, à tous ceux qui nous ont offensez, ou qui nous offensent. Et si nous retenons quelque haine en nostre courage, gardons aucune affection de vengence, ou pensons comment nous pourrons nuire à nos ennemis, malfaiteurs ou malvueillans : et mesmes si nous ne nous efforçons de tout nostre pouvoir de revenir en grâce avec eux, nous réconcilier à eux, avoir paix, amour et charité avec eux, leur faire tout service et plaisir : nous requérons à Dieu en ceste prière, qu’il ne nous face point rémission de nos péchez. Car nous requérons qu’il nous la face, comme aussi nous la faisons aux autres. Et cela est demander qu’il ne la nous face point, si nous ne la faisons. Ceux doncques qui sont tels, qu’obtienent-ils par leur demande, sinon plus griefve damnation ? Finalement, il nous faut noter que ceste condition, Qu’il nous remette, comme nous remettons à nos debteurs, n’est pas mise et adjoustée, pourtant que par la rémission que nous faisons aux autres ; nous méritions aussi que nostre Seigneur nous remette : mais en ce mot il a seulement voulu soulager l’imbécillité de nostre foy. Car il a adjousté cela comme un signe, par lequel nous fussions confirmez, qu’aussi certainement de luy nous est faite rémission des péchez, comme nous sçavons certainement qu’elle est de nous faite aux autres, quand nostre cœur est entièrement vuide et purgé de toute haine, envie, malvueillance et vengence. Et d’avantage il a voulu monstrer par ce mot, qu’il rejette du nombre de ses enfans, ceux qui enclins à se venger et difficiles à pardonner, sont obstinez en leurs inimitiez : et qui gardans leur mauvais cœurs et indignation contre leur prochain, prient à Dieu qu’il vueille laisser et oublier la siene envers eux : afin que ceux-là ne soyent si hardis de l’invoquer pour leur Père. Comme aussi Jésus-Christ l’a notamment exprimé en sainct Luc.

3.20.46

La sixième requeste, comme nous avons dit, réspond à la promesse que Dieu nous a donnée et faite, d’imprimer sa Loy en nos cœurs. Mais pource que nous ne pouvons pas servir Dieu sans batailler continuellement, voire avec grans efforts et difficiles, nous requérons yci qu’il nous munisse d’armes fortes, et défende de son secours, à ce que nous soyons suffisans pour obtenir victoire. En quoy nous sommes advertis, que non-seulement nous avons besoin d’estre amollis, pliez et formez par la grâce du sainct Esprit à l’obéissance de Dieu, mais aussi d’estre fortifiez par son aide, pour estre rendus invincibles tant contre les embusches de Satan que contre ses alarmes. Or il y a plusieurs et diverses manières de tentations. Car toutes les mauvaises conceptions de nostre entendement, nous induisantes à transgresser la Loy, lesquelles ou nostre concupiscence nous suscite, ou le diable esmeut en nous, sont tentations. Et les choses qui de leur nature ne sont point mauvaises, toutesfois par l’astuce du diable nous sont faites tentations, quand elles nous sont mises devant les yeux, afin que par leur objet nous soyons retirez et déclinions de Dieu Jacq. 1.2, 14 ; Matt. 4.3 ; 1Thess. 3.5. Et de ces dernières tentations, les unes sont à dextre, les autres à senestre. A dextre, comme richesses, puissance, honneurs, et autres telles : lesquelles bien souvent par l’apparence du bien et clairté qu’elles se monstrent avoir, esblouissent la veue des hommes : et par leur douceur les enyvrent, pour leur faire oublier Dieu. A senestre, comme povreté, ignominie, mesprisement, afflictions, et autres semblables : pour la dureté et difficulté desquelles ils se desconfortent, perdent tout courage, laissent toute fiance et espérance, et finalement soyent du tout aliénez de Dieu. Or par ceste sixième demande, nous requérons à Dieu nostre Père, qu’il ne nous permette point succomber en ces tentations, lesquelles bataillent contre nous : tant celles que nostre concupiscence produit en nous, que celles qui nous sont proposées du diable : mais que plustost de sa main il nous soustiene et fortifie, afin qu’en sa vertu nous puissions estre fermes, et consister contre tous les assauts du malin ennemi, quelques pensées qu’il induise en nos entendemens : et que nous tournions à bien tout ce qu’il nous propose d’une part et d’autre : c’est-à-dire, que ne nous eslevions point pour aucune prospérité, et que ne nous desconfortions ne désespérions pour aucune adversité. Toutesfois nous ne prions pas yci que nous ne sentions aucunes tentations, desquelles il nous est grandement besoin que nous soyons plustost esveillez, picquez et stimulez, afin que ne soyons pas trop paresseux et endormis. Car David pour néant ne souhaitoit pas d’estre tenté de nostre Seigneur ; et nostre Seigneur ne tente pas tous les jours les siens sans cause, les chastiant pour leur enseignement, par ignominie, povreté, tribulations et antres espèces de croix Ps. 26.2 ; Gen. 22.1 ; Deut. 8.2 ; 13.3 ; 1Cor. 10.13. Mais Dieu tente en une sorte, et le diable en une autre. Car le diable tente pour perdre, pour damner, pour confondre, et pour abysmer : au contraire, Dieu tente pour prendre l’expérience de la sincérité de ses serviteurs, en les esprouvant : et pour augmenter leur force spirituelle, pour mortifier, purger et brusler leur chair en l’exerçant : laquelle si elle n’estoit en ceste manière réprimée, s’escarmoucheroit et se rebelleroit outre mesure. D’avantage, le diable assaut en trahison et au desprouveu, pour opprimer devant qu’on y pense ; mais Dieu ne nous laisse point tenter outre ce que nous pouvons : ains fait bonne issue avec la tentation, afin que nous puissions soustenir et porter tout ce qu’il nous envoyé. Il n’y a pas grand intérest, d’entendre par le nom du malin, le diable ou le péché : car Satan est l’adversaire qui machine nostre ruine : le péché est les armeures, desquelles il use pour nous opprimer et meurtrir 2Pi. 2.9 ; 1Pi. 5.8. Nostre requeste est doncques telle, que nous ne soyons point vaincus ni opprimez par aucunes tentations : mais que par la vertu de nostre Seigneur, nous consistions forts et fermes contre toutes puissances contraires, qui est ne succomber point aux tentations : afin qu’estans receus en sa sauvegarde et asseurez par sa protection et défense, nous soyons vainqueurs par-dessus le péché, la mort, les portes d’enfer, et tout le règne du diable, ce qui est estre délivré du malin. Parquoy il faut yci diligemment noter, qu’il n’est point en nostre puissance de venir en combat contre le diable, si fort et si grand batailleur, ne de soustenir ses assauts, et résister à sa violence. Car autrement en vain, ou par mocquerie nous demanderions à Dieu ce que nous aurions de nous-mesmes. Certes ceux qui en fiance d’eux-mesmes se préparent à batailler contre luy, n’entendent pas bien à quel ennemi ils ont affaire, ne combien il est fort et rusé à la guerre, ne comment il est bien armé de toutes pièces. Maintenant nous demandons estre délivrez de sa puissance, comme de la gueule d’un lion furieux et affamé, estans prests d’estre incontinent desmembrez par ses ongles et par ses dents, et finalement engloutis par luy, si nostre Seigneur est quelque peu eslongné de nous : estans néantmoins certains, que si le Seigneur est présent à nostre aide, et combat pour nous sans nostre force, en sa vertu nous ferons vertu Ps. 60.12. Que les autres se confient comme ils voudront de leur franc et libéral arbitre, et de la puissance qu’ils pensent avoir d’eux-mesmes : de nostre costé il nous doit bien sufifire que par la seule vertu de Dieu nous consistons, et pouvons tout ce que nous pouvons. En ceste requeste sont comprinses plus de choses qu’il ne semble en apparence. Car si l’Esprit de Dieu est nostre vertu pour batailler contre Satan, nous ne pourrons jamais obtenir victoire, que premièrement nous ne soyons à délivre de l’infirmité de nostre chair, estans remplis de la force d’iceluy. Parquoy en demandant d’estre délivrez de Satan et de péché, nous requérons que nouvelles grâces de Dieu nous soyent augmentées assiduellement jusques à ce qu’estans parvenus à la perfection, nous puissions triompher contre tout mal. Il semble à d’aucuns qu’il n’y ait nul propos de requérir à Dieu qu’il ne nous induise point en tentation, veu que c’est chose contraire à sa nature, tesmoin sainct Jaques, de tenter personne Jacq. 1.13 ; mais desjà la question a esté solue en partie : c’est qu’à proprement parler, nostre cupidité est cause de toutes tentations desquelles nous sommes vaincus : et pourtant que la coulpe nous en doit estre imputée. Et de faict saint Jaques ne veut autre chose, sinon monstrer que c’est en vain et injustement que nous taschons de rejetter sur Dieu les vices desquels nous nous sentons coulpables. Au reste, cela n’empesche pas que Dieu, quand bon luy semble, ne nous assujetisse à Satan, qui nous précipite en sens réprouvé et en cupiditez énormes, et par ce moyen nous pousse en tentation d’un jugement juste, mais occulte et caché : pource que souvent la cause de ce que Dieu fait, est incognue aux hommes, laquelle luy est certaine. Dont je conclu que ceste façon de parler n’est pas impropre, si nous sommes bien persuadez que ce ne sont pas menaces de petis enfans, quand il dénonce tant de fois qu’il exerce son ire et sa vengence sur les réprouvez, en les frappant d’aveuglement et de dureté de cœur.

3.20.47

Ces trois dernières requestes, par lesquelles nous recommandons à Dieu nous et toutes les choses qui nous concernent, monstrent évidemment ce que nous avons devant dit, que les oraisons des Chrestiens doyvent estre communes et tendantes à l’édification et proufit général de l’Eglise, et à l’advancement publique de la communion des fidèles. Car par icelles requestes nul ne demande qu’il luy soit donné à part : mais tous en commun nous requérons nostre pain, que nos péchez nous soyent remis, que ne soyons induits en tentation, mais que soyons délivrez du malin. Après toutes les requestes est adjoustée la cause dont procède si grande audace de demander, et fiance d’obtenir. Laquelle cause combien qu’elle ne soit point exprimée aux livres latins, néantmoins est tellement convenable à ce lieu, qu’elle ne doit point estre omise : c’est que le règne, la puissance et la gloire appartienent à Dieu es siècles des siècles, et en ceci nous avons un ferme et tranquille repos pour nostre foy. Car si nos oraisons devoyent estre recommandées à Dieu pour nostre dignité, qui seroit celuy qui oseroit seulement ouvrir la bouche devant luy ? Maintenant, combien que soyons plus que misérables, plus qu’indignes, et n’ayons du tout rien pour nous priser envers Dieu, toutesfois nous aurons tousjours cause de prier, et ne perdrons jamais nostre confiance, puis qu’à nostre Père ne peut estre osté le règne, la puissance et la gloire. Finalement pour conclurre l’oraison, est mis Amen. En quoy il est exprimé l’ardeur du désir que nous avons d’obtenir toutes les demandes qu’avons faites à Dieu. Et aussi est confermée nostre espérance, que tout ce que nous avons prié nous est accordé, et certainement sera parfait : car il nous est promis de Dieu, qui ne peut mentir en ses promesses. Et cela convient à ce que nous avons ci-dessus allégué : Seigneur, fay ce que nous demandons à cause de ton nom, et non pas pour l’amour de nous ou de nostre justice. Car les saincts parlans ainsi, non-seulement monstrent à quelle fin ils prient, mais aussi se confessent estre indignes de rien impétrer, si Dieu ne prenoit la raison d’y estre induit en soy-mesme : et pourtant que toute leur fiance est en la seule bonté de Dieu, laquelle il a de nature.

3.20.48

Nous voyons tout ce que nous devons, et qu’entièrement aussi nous pouvons demander à Dieu, estre descrit et contenu en ceste oraison, reigle et formulaire de prier qui nous a esté baillé par nostre bon maistre Jésus-Christ, lequel par le Père nous a esté ordonné Docteur : et lequel il veut estre seul escouté et obéy Matt. 17.5. Car il a tousjours esté sa sapience éternelle, entant qu’il est Dieu : et entant qu’il a esté fait homme, il a esté son grand ambassadeur et messager donné aux hommes. Et tellement est ceste oraison parfaite, que toute autre chose qu’on y adjouste, laquelle ne s’y peut rapporter, est contre Dieu, et ne nous sera jamais ottroyée de luy. Car yci il nous a déclairé tout ce qui luy est agréable, tout ce qui nous est nécessaire, et tout ce qu’il nous veut donner[a]. Parquoy tous ceux qui veulent aller plus avant, et qui présument de requérir autre chose à Dieu qui ne soit comprinse et entendue en ceste oraison, premièrement ils veulent adjouster du leur à la sapience de Dieu (qui est un grand blasphème :) secondement, ils ne se contentent point de la volonté de Dieu, et ne se contienent sous icelle. Tiercement, ils ne seront point exaucez, d’autant qu’ils ne prient point en foy. Or qu’ils ne puissent point ainsi prier en foy, il est très-certain ; car en cela ils n’ont nulle parole de Dieu pour eux, sur laquelle si la foy ne s’appuye, elle ne peut nullement estre. Or ceux qui en délaissant la reigle du Maistre, se donnent congé en leurs souhaits et prières d’ensuyvre ce que leur fantasie porte, non-seulement n’ont point de Parole de Dieu, mais tant qu’ils peuvent ils y contrevienent. Tertulian doncques a parlé bien vray et très-proprement, l’appelant l’Oraison légitime[b] : signifiant tacitement que toutes autres sont irrégulières et illicites.

[a] Vide August., De oration., ad Probam.
[b] De fuga in perfect.

3.20.49

Nous ne voulons pourtant ceci estre ainsi prins et entendu, comme si nous devions tellement estre astreints à ceste oraison et formulaire de prier, qu’il ne fust licite d’en changer une syllabe, ne d’user d’autres paroles en priant. Car nous avons beaucoup d’oraisons par tout en l’Escriture bien diverses en paroles de ceste-ci, escrites toutesfois d’un mesme esprit, et desquelles l’usage nous est grandement utile. Plusieurs aussi sont suggérées assiduellement aux fidèles par un mesme Esprit : lesquelles ne convienent pas du tout en similitude de paroles. Seulement nous voulons enseigner, qu’entièrement nul ne cherche, n’attende et ne requière autre chose, que ce qui est sommairement comprins en ceste-ci. Et combien qu’il face demande bien diverse en paroles, toutesfois que de sens elle ne varie nullement. Comme il est certain que toutes autres oraisons de l’Escriture, et celles dont usent les fidèles, se rapportent à ceste-ci. Vrayement il ne s’en peut trouver nulle autre, qu’on puisse non pas préférer, mais aussi équiparer à la perfection de ceste-ci. Car il n’y a rien esté laissé de tout ce qu’on peut penser pour les louanges de Dieu, ne de tout ce que l’homme doit désirer pour son proufit et commodité. Et tout ce y est si bien et si parfaitement comprins, qu’à tous toute espérance est bien ostée de pouvoir inventer autre meilleur formulaire d’oraison. En somme, ayons souvenance que ceste est la doctrine de la Sapience de Dieu, qui a enseigné ce qu’elle a voulu, et a voulu ce qui estoit besoin.

3.20.50

Et combien que (comme devant a esté dit) il nous faut tousjours souspirer et prier sans cesse, ayans nos cœurs eslevez à Dieu : pource toutesfois que nostre fragilité est telle, qu’elle a affaire de beaucoup d’aides, et que nostre paresse a grand besoin d’estre esveillée, il est bon qu’un chacun pour plus grand exercice de prier, se constitue en son particulier certaines heures, lesquelles ne passent point sans oraison, et qu’en icelles toute l’affection de nostre cœur y soit entièrement appliquée. Comme quand nous nous levons au matin, devant que commencer nostre ouvrage, et ce qu’avons à faire au jour : quand l’heure est de prendre nostre repas et réfection des biens de Dieu, et après que l’avons prinse, quand tout nostre ouvrage du jour fini, le temps est de prendre nostre repos. Pourveu aussi que ce ne soit point une superstitieuse observation des heures, et que comme nous estans acquittez en icelles de nostre devoir envers Dieu, nous pensions bien avoir satisfait pour tout le reste du temps : mais que ce soit pour une discipline et instruction de nostre imbécillité, laquelle en soit ainsi exercée et aiguillonnée le plus souvent qu’il sera possible. Principalement nous devons avoir une grande solicitude, que toutesfois et quantes que nous sommes affligez de quelque perplexité ou accident, ou que voyons qu’autres le sont, incontinent nous courions de cœur à Dieu, en invoquant son aide. Aussi que ne laissions passer nulle prospérité qui nous adviene, ou que sçachions estre advenue à autres, que par louange et action de grâces : ne nous déclairions recognoistre sa puissance et sa bonté. Finalement, en toute oraison il nous faut songneusement garder de ne vouloir assujetir ne lier Dieu à aucunes certaines circonstances, ne luy déterminer, constituer, ou limiter ne temps, ne lieu, ne façon ou manière de faire et accomplir ce que requérons. Comme en ceste oraison nous sommes enseignez de ne luy mettre aucune loy, ou imposer quelque condition mais de tout laisser et submettre à son bon plaisir, afin que ce qu’il fera soit fait par telle manière, en tel temps et en tel lieu qu’il luy semblera bon. Pour laquelle cause au paravant que luy faire aucune prière pour nous et nos nécessitez, nous luy requérons premièrement que sa volonté soit faite. En quoy desjà nous luy assujetissons la nostre : afin que comme par une bride estant arrestée et retenue, elle ne présume de le vouloir ranger sous soy : mais le constitue maistre et directeur de toutes ses affections.

3.20.51

Si ayans ainsi nos cœurs formez en ceste obéissance, nous permettons que soyons gouvernez par les loix de sa providence divine, facilement nous apprendrons de persévérer en oraison, et d’attendre en patience le Seigneur, en différant nos désirs à l’heure de sa volonté : estans de luy asseurez, qu’encores qu’il ne nous apparoisse, toutesfois il nous est tousjours présent, et qu’en son temps il déclairera qu’il n’aura jamais eu les aureilles sourdes à nos prières, qui sembloyent aux hommes estre de luy rejettées et mesprisées. Ce qui nous servira d’une merveilleuse consolation, afin que ne nous désolions et désespérions, encores que quelquesfois Dieu ne nous satisface pas à nos premiers souhaits, comme ont accoustumé de faire ceux lesquels estans transportez d’une ardeur véhémente, invoquent tellement Dieu, que si dés le premier coup il ne les visite et présentement ne leur donne aide, incontinent ils imaginent qu’il est courroucé et indigné contre eux : et ayans perdu toute espérance d’estre exaucez, cessent de l’invoquer : mais plustost qu’en différant nostre espérance par bonne modération, poursuyvions ceste persévérance, laquelle nous est tant recommandée en l’Escriture. Car on peut souvent veoir aux Pseaumes, que David et les autres fidèles, quand il semble qu’ils n’ayent fait que batre l’eau en priant, et que Dieu ait fait le sourd, ne désistent pas pour cela de prier Ps. 22.2. Et de faict on n’attribue point à la Parole de Dieu l’authorité qu’elle mérite : sinon qu’on y adjouste foy, encores que tout ce qu’on voit y soit contraire. D’avantage ce nous sera un bon remède pour nous garder de tenter Dieu, et de ne le provoquer et irriter contre nous par nostre impatience et importunité, comme font ceux qui ne veulent convenir avec luy, sinon en marchandant par certaines pactions et conditions et comme s’il estoit serf et sujet à leurs cupiditez, le voulant réduire sous les loix de leur demande : ausquelles si incontinent il n’obéit ils se courroucent, grondent, mesdisent, murmurent et tempestent : ausquels bien souvent en sa fureur et indignation il accorde et donne ce qu’en sa miséricorde et faveur il desnie et refuse aux autres. Nous en avons l’exemple aux enfans d’Israël, ausquels il eust esté beaucoup meilleur de n’estre point exaucez de Dieu, que d’avoir les chairs et volailles qu’il leur donna en son ire Nomb. 11.18, 33.

3.20.52

Et si en la fin mesme, encores après longue attente, nostre sens ne peut comprendre que nous aurons proufité en nos prières, et n’en sent point aucun émolument, ce néantmoins nostre foy nous certifiera ce que nostre sens n’aura peu appercevoir, c’est que nous aurons obtenu de Dieu tout ce que bon aura esté, veu que tant souvent nostre Seigneur promet d’avoir la solicitude de nos fascheries qui nous grèvent, après que nous les luy aurons une fois exposées : et ainsi fera que nous posséderons en povreté toute abondance : en affliction, toute consolation. Car encores que tout nous défaille, toutesfois le Seigneur Dieu jamais ne nous délaissera, d’autant qu’il ne peut point frustrer l’attente et patience des siens. Et il nous sera seul assez pour toutes choses : d’autant qu’en soy il contient tous biens, lesquels après il nous révélera au jour de son jugement, auquel il manifestera plenement son règne. Il y a outreplus à noter, encores que Dieu nous accorde du premier coup nos prières, que toutesfois il ne respond pas à la forme expresse : mais en nous tenant en suspens quant à l’apparence, il nous exauce d’une façon admirable, et monstre que nous ne l’avons pas requis en vain. Et c’est ce qu’a entendu sainct Jehan, en disant, Si nous cognoissons qu’il nous oit, quand nous luy avons demandé quelque chose, nous cognoissons que nous avons obtenu les requestes que nous luy avons demandées 1Jean 5.15. Il semble que ce soit une superfluité de paroles bien froide, mais c’est une déclaration bien utile pour nous advertir, encores que Dieu ne nous complaise et ne nous gratifie pas en nos souhaits, qu’il ne laisse pas de nous estre humain et propice : en sorte que nostre espérance s’appuyant sur sa parole, ne sera jamais frustrée. Il est tant besoin et nécessaire aux fidèles de se soustenir par ceste patience, que rien plus. Car ils ne dureroyent point, s’ils ne s’appuyoyent sur icelle. Car le Seigneur n’use point de légère expérience pour esprouver les siens : et non-seulement les exerce assez rudement, mais les rédige souventes fois en toutes extrêmes nécessitez : et les y laisse bien longuement, devant qu’il leur donne goust et saveur de sa douceur. Et comme dit Anne, devant que vivifier il mortifie : devant que mettre en vie, il déjette aux enfers 1Sam. 3.6. Que pourroyent-ils, estans ainsi affligez, désolez et desjà demi-morts, sinon perdre tout courage, et tomber en désespoir, n’estoit que ceste pensée les relevast : c’est qu’ils sont regardez de Dieu, et qu’ils auront bonne issue de tout ce que présentement ils souffrent et endurent ? Toutesfois combien qu’ils s’appuyent sur ceste asseurance, si ne laissent-ils point de prier : d’autant que s’il n’y a en nostre prière constance de persévérer, nostre oraison ne proufite de rien.

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