Traité de la composition d’un sermon

VIII
Des textes qui se peuvent traiter, par voie de propositions

A ces trois manières il en faut ajouter une quatrième, qui consiste à réduire son texte à quelques propositions, deux au moins, et trois ou quatre tout au plus, qui aient entre elles quelque dépendance et quelque subordination, et ensuite les traiter fortement, et faire toute son action sur cela.

Ainsi, si l’on avait à traiter ce texte Romains 8.13 : Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’Esprit vous mortifiez les faits du corps, vous vivrez. On pourrait sans s’arrêter à expliquer ces termes, la chair et l’Esprit, la mort et la vie ; et ces phrases, vivre selon la chair, et mortifier les faits du corps (ce qui se ferait dans la méthode ordinaire) sans faire toutes les observations qui se peuvent faire sur ces paroles, on pourrait, dis-je, réduire tout cela à deux propositions. L’une, que la damnation des méchants est inévitable. Et l’autre, qu’une vie bonne et sainte est la principale fin de l’Évangile, et le caractère inséparable du christianisme.

Quand on prend cette voie, on a beaucoup plus de liberté que dans les autres, et l’on se fait un champ plus étendu. Dans les autres, vous êtes restreints à votre propre texte, et vous ne pouvez, ni expliquer, ni appliquer que votre texte, ni faire d’autres observations, que celles précisément qui s’y rapportent. Mais ici, votre sujet c’est la matière contenue dans vos propositions. Vous les pouvez traiter à fond, et les pousser aussi loin qu’il vous plaira ; pourvu que vous ne choquiez pas les règles générales d’un sermon. Et il faut alors se proposer de traiter, non le texte, mais les choses que vous avez choisies entre toutes celles que le texte contient. Les voies d’explication sont plus propres à donner l’intelligence de l’Écriture, et celle de la théologie méthodique. La voie d’application regarde plus la pratique, que la théorie. Mais celle-ci, que nous pouvons appeler la voie des propositions, où la voie des points, est plus propre à donner la connaissance de la théologie méthodique, que celle de l’Écriture ; elle peut également servir à la théorie et à la pratique.

Pour donner un exemple de cette quatrième voie, prenons le texte que nous venons d’alléguer Romains 8.13 : Si vous vivez selon la chair vous mourrez ; mais si par l’Esprit vous mortifiez les faits du corps, vous vivrez. Après avoir dit en deux mots que par ceux qui vivent selon la chair, l’apôtre entend les méchants et les mondains, ceux qui se laissent gouverner à leurs intérêts et à leur passion ; et que par cette mort dont il les menace, il entend la damnation éternelle ; qu’au contraire par la vie il entend le salut éternel et la gloire céleste que l’Évangile nous promet ; et que par la mortification des faits du corps dont il parle, dont il dit que le Saint Esprit est l’auteur, il marque une vie sainte, qui se passe dans l’exercice des vertus et dans la pratique des bonnes œuvres ; après dis-je avoir fait cela brièvement, on réduira tout son discours à deux propositions qu’on a dessein de traiter. L’une, que la damnation des mondains et des méchants est une chose inévitable. Et l’autre, que la pratique des bonnes œuvres et une vie religieuse et sainte est la principale fin que l’Évangile se propose, et le principal caractère d’un vrai chrétien.

Quant à la première proposition, on la peut entamer par cette pensée, que c’est une chose déplorable que l’aveuglement où vivent la plupart des gens du monde, qui ne tournent presque jamais leurs yeux sur les peines de l’enfer, ni sur ce qui nous doit arriver après notre mort. On dira que c’est de cet aveuglement que vient cette insensibilité où ils sont pour la religion, et cet attachement extrême qu’ils ont pour les vanités du siècle. Car il ne serait pas possible, que s’ils se représentaient bien les tourments éternels qui attendent les pécheurs après cette vie, il ne songeassent à les éviter ; puisque la nature elle-même les conduirait là, et que l’amour-propre les y solliciterait. On dira ensuite que quelque grand que soit cet aveuglement il est pourtant affecté et volontaire, procédant plus de la malice du cœur, que des ténèbres de l’esprit. Car les passions détournent ces sortes d’objets qui ne leur sont pas agréables, et en substituent perpétuellement d’autres pour tenir l’esprit occupé. De là on conclura qu’il est donc d’une dernière importance de méditer sur cette matière, de laquelle dépend la justice ou l’injustice de notre vie, le bon ou le mauvais état de notre mort, et dans laquelle nous avons un intérêt éternel après notre mort.

Après avoir ainsi préparé les esprits, il faut entrer plus particulièrement en matière, et il faut avant toute chose établir la vérité et l’évidence de votre proposition, en faisant voir :

1. Que l’homme est une créature soumise à des lois ; que les lumières mêmes de la conscience nous font voir, qu’il y a une différence essentielle entre le vice et la vertu, les bonnes et les mauvaises actions ; que c’est de là que viennent les mouvements de la conscience, les jugements que nous faisons sur les actions d’autrui, soit en les approuvant, soit en les condamnant. Or cela marque nécessairement qu’il y a une règle commune, selon laquelle nous reconnaissons que tous les hommes doivent vivre. Et cette vérité est si naturelle à tous les hommes, que les plus scélérats qui tâchent de l’éluder dans l’application qui s’en peut faire à eux-mêmes, en reconnaissent pourtant la force quand on la leur propose en général, ou quand on l’applique sur d’autres sujets. Or de là il s’en suit nécessairement, qu’il y a une loi commune à tous les hommes, qu’il faut qu’il y ait un souverain Juge, devant le tribunal duquel ils sont obligés de comparaître pour y rendre compte de leurs actions. Et s’il y a un souverain tribunal qui les doit juger, il faut aussi nécessairement qu’il y ait des peines naturellement destinées au transgresseur de cette loi commune. La loi, le juge et la peine sont trois choses que la raison et la nature ont jointes ensemble d’un lien indissoluble. Une loi n’est plus loi, si elle ne suppose un jugement. Et le jugement n’est plus jugement, s’il ne suppose un châtiment. Mais si ces trois choses sont inséparables entre elles, elles le sont aussi d’une quatrième, à savoir, la nature de l’homme, et la dignité de sa condition qui est d’être raisonnable. La raison n’étant autre chose qu’un principe de bien ou de mal, ou si vous voulez, une puissance qui nous en rend capables, par opposition aux bêtes brutes que la nature n’a faites, ni pour le vice, ni pour la vertu. Il faut de toute nécessité confesser qu’elle nous soumet, pour cela même, à une loi, et la loi nous soumettant à un souverain juge, et le souverain juge ne pouvant être tel, qu’il n’ait la dispensation des peines et des châtiments. Ces quatre choses, la raison, la loi, le jugement et la peine sont quatre vérités d’une évidence incontestable, et l’on ne saurait en détruire l’une sans les renverser toutes également. Or de là paraît combien est pernicieux cet aveuglement volontaire, dans lequel nous avons dit que sont les mondains qui détournent leurs yeux de dessus les peines éternelles des enfers. Car c’est autant que s’ils se convertissaient eux-mêmes en bêtes brutes, et qu’ils fissent profession ouverte de nier leur propre raison. C’est autant que s’ils se dégradaient eux-mêmes de cette admirable dignité, où la nature les a élevés au-dessus des autres animaux.

2. Cela étant ainsi établi par le raisonnement, on peut l’établir aussi par le sentiment général de tous les peuples ; car dans les plus noires et épaisses ténèbres du paganisme, comme l’Écriture dit que Dieu avait laissé les nations cheminer dans leurs voies, on a toujours reconnu, que comme il y avait un prix et une récompense proposée à la justice et à la vertu, il y avait aussi des châtiments déterminés pour les injustes et les méchants. J’avoue que quand ils ont voulu philosopher sur la nature des peines, ils ont dit presque tous des choses fort chimériques et déraisonnables. Mais quoi qu’il en soit, ils ne se sont point éloignés de cette idée générale, qu’il faut nécessairement qu’il y ait une punition destinée pour le péché.

3. C’est encore ce qu’il faut prouver par le principe de toutes les religions. Car il n’y en a jamais eu, ni il n’y en peut avoir qui ne soit fondée sur cette proposition, que Dieu est notre souverain Juge, qu’il tient en ses mains notre vie et notre mort. A cause de quoi un profane a dit autrefois, que c’était la crainte qui avait fait les dieux, voulant dire que c’est de cette source que son procédées généralement toutes les religions.

4. Enfin il faut descendre jusqu’aux lumières du christianisme, et faire voir que la vraie religion a pris soin de mettre cette vérité dans une pleine évidence ; sur quoi l’on peut rapporter quelques principaux textes de l’Écriture qui établissent formellement l’enfer et la damnation des méchants ; et ces textes ne sont point difficiles à trouver.

La vérité de la peine étant ainsi fortement établie, il en faut faire voir ensuite le degré, car cela est très important pour faire une plus vive impression. On dira donc 1° qu’il faut que ce soit une peine, non de cette vie de seulement, mais après la mort. La raison en est évidente, à savoir que c’est une peine qui doit suivre le jugement ; or le jugement ne se peut faire qu’à la fin de la vie, puisqu’il faut avoir achevé la carrière devant que l’arrêt soit prononcé, ou en notre faveur, ou pour notre condamnation. Il ne faut donc pas s’imaginer que cette peine consiste simplement dans les afflictions de la vie présente.

2° Il faut que ce soit une peine qui appartienne également à l’âme et au corps. Car comme ces deux parties ont été jointes ensemble dans la pratique du vice, elles le doivent l’être aussi dans la souffrance de la peine ; d’où il s’ensuit que ce ne peut être, ni la mort temporelle à laquelle l’âme n’a point de part, ni simplement les inquiétudes et les agitations de la conscience qui ne se communiquent point au corps.

3° Il faut que ce soit une peine, c’est-à-dire une chose qui ait véritablement l’essence de peine, et qui ait du rapport à la justice divine. D’où il s’ensuit que ce ne peut pas être, comme le prétendent certains hérétiques, l’anéantissement du corps et de l’âme. Car la justice divine demande une peine éternelle qui la glorifie, et par conséquent une peine qui laisse subsister son sujet, pour servir de monument perpétuel de la haine que Dieu a pour le péché.

4° Il faut que ce soit une peine qui dans sa grandeur, aussi bien que dans sa durée, ait de la proportion avec la grandeur du Juge qui l’ordonne, et du tribunal sur lequel elle a été décernée, et de la main toute-puissante qui l’exécute. Sur quoi l’on peut faire une forte et pathétique description de la grandeur des peines des damnésa.

a – Claude n’a pas l’air de se poser la question de l’honnêteté de ce procédé, qui ne correspond à aucune expérience réelle de l’orateur quant à l’état des réprouvés après leur mort. Bien que le Seigneur Jésus ait plus d’une fois mis en garde contre le danger d’être livré au ver qui ne meurt point et au feu qui ne s’éteint point, ses paroles sont toujours restées sobres sur ce douloureux sujet, comparativement à ce que le prédicateur semble souhaiter ici.

Après avoir ainsi établi la vérité de notre proposition, et traité les degrés de la peine dont il s’agit, il faut passer aux vaines échappatoires dont les pécheurs se servent sur ce sujet.

1. Ils en détournent la pensée comme étant un sujet de chagrin, et se tournent d’un autre côté. Sur quoi il faut faire voir la folie de cette conduite, car leur condamnation n’en sera pas moins certaine, encore qu’il n’y pensent pas. Ils sont semblables à des prisonniers déjà chargés de fers et destinés pour le dernier supplice, qui pour étouffer le sentiment de leur malheur s’abîment dans la débauche ; semblables aux hommes du temps du déluge qui mangeaient et buvaient, donnaient et prenaient femmes comme dit l’Évangile ; et subitement lorsqu’ils y songeaient le moins, les eaux vinrent et les engloutirent. Ceux-ci perdent un temps qui ne se pourra plus racheter, ils disent : paix, paix ! pendant que la destruction s’avance à grands pas vers eux, et ils perdent les précieuses heures qu’il leur reste encore pour éviter leur malheur.

2. Quand les mondains ne peuvent pas entièrement éluder la pensée de la damnation, ce qui arrive assez souvent, car Dieu tonne quelquefois dans les consciences aussi bien que dans les airs, et le bruit de son tonnerre réveille les plus endormis, quand, dis-je, cela arrive, ils cherchent des faux-fuyants, comme est celui de la miséricorde de Dieu. Dieu disent-ils, est notre juge, il est vrai ; mais il est un juge de grâce, il a revêtu les compassions d’un père, et de telles choses semblables. Car quand le pécheur se veut flatter, il ne manque pas de faire l’éloge de la grâce, et de recueillir tout ce que l’Écriture et la religion enseigne de plus doux et de plus tendre, sur ce sujet. Mais c’est admirablement abuser de la miséricorde, pour en faire un bouclier contre la justice qu’ils ont attirée sur eux. Dieu est miséricordieux, il est vrai, mais il ne l’est que pour les pécheurs repentants, et non pour ceux qui persévèrent dans leur crime. La miséricorde au contraire s’arme pour poursuivre les impénitents, parce qu’elle en est cruellement outragée, puisqu’on la fait complice du crime, en s’imaginant qu’encore que l’on demeure toujours pécheur, la miséricorde ne laissera pas d’accorder l’impunité.

3. Les mondains ne manquent pas d’abuser aussi de la doctrine évangélique touchant le sang de Jésus-Christ. Le sang, disent-ils, de Jésus-Christ nous purge de tout péché etc. Mais c’est faire Jésus-Christ ministre du péché, et concevoir de lui la plus horrible de toutes les pensées, qui est qu’il soit venu au monde pour laisser les hommes dans l’abîme de leur corruption, et pour se faire une Église, un corps mystique composé de garnementsb et de scélérats. C’est pourtant ce qu’il faudrait dire, si l’illusion de ces misérables avait lieu, lorsque pour éluder leur repentance, ils opposent le sang de Jésus-Christ à la crainte de la damnation.

b – Ce qualificatif avait au XVIIe siècle un sens beaucoup plus grave que le mot plaisant par lequel nous désignons aujourd’hui un gamin indiscipliné ; le garnement était autrefois un vrai gibier de potence.

4. La plupart de ces gens ont aussi accoutumé, quand ils voient le glaive de la justice divine, de s’aller cacher dans la multitude de leurs semblables, et d’opposer le grand nombre aux naturels appétits de la vengeance céleste. Si Dieu, disent-ils, était si rigoureux que vous le représentez, il faudrait que le paradis fut désert, et que tous les hommes fussent précipités dans les enfers. Car combien peu y en a-t-il qui fassent ses commandements ? Combien peu qui se retirent des vices par une repentance telle qu’on nous la demande ? Mais Jésus-Christ a déjà pourvu à cette vaine objection. Il y a, dit-il Matthieu 20.16, beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Ésaïe et saint Paul y ont pourvu : Quand le nombre, disent-ils Ésaïe 10.22 ; Romains 9.27, des enfants d’Israël seraient comme le sablon de la mer, il n’y en aura pourtant que le seul résidu de sauvé. Mais quelque grand que soit le nombre de ceux qui périssent, ils n’en périssent pas moins. La mort des hommes qui furent engloutis par le déluge n’en fut pas moins cruelle, pour être générale ; et la consomption des cinq villes par le feu du ciel, n’en fut pas moins funeste à ces malheureux, pour n’y avoir eu que Lot et sa famille de sauvés.

5. Mais une des plus ordinaires échappatoires dont les mondains se servent pour éluder leur conversion, est de regarder la damnation comme une chose encore fort éloignée, et d’opposer à cette idée les avantages et les douceurs qu’ils trouvent dans le péché, comme des objets présents. Il faut, disent-ils jouir du temps présent que nous avons, et ne se mettre pas extrêmement en peine de l’avenir. J’avoue que quand on a Dieu de son côté, cette maxime de ne s’inquiéter pas de l’avenir est bonne et nécessaire pour conserver la tranquillité d’esprit. Mais elle n’est bonne, que parce qu’elle est sage, et elle n’est sage que par ce que nous remettons le soin de l’avenir à la providence d’un Père tout bon et tout-puissant qui veille pour ses fidèles, et qui empêchera que rien ne nous arrive de funeste. Mais il n’y a point de plus folle pensée que celle-là, de ne se mettre point en peine de l’avenir, quand nous avons Dieu qui nous est contraire. A la faveur de cette négligence nos peines grossissent, à la proportion de nos péchés. Romains 2.5 : Par ton cœur qui est sans repentance, dit l’apôtre, tu t’amasses l’ire, pour le jour de l’ire, et de la juste rétribution. Mondains ! vous seriez mille fois moins malheureux, si Dieu eût abrégé vos jours, et s’il vous eût fait grâce, afin que je parle ainsi, d’être étouffé dans votre berceau ; s’il ne vous eût épargné la peine qui suit la corruption générale de la nature, il vous eût au moins épargné les tourments que vous avez mérités, par tant de péchés actuels que vous avez commis. Et plus vous vivrez, et plus seront terribles les jugements de la justice divine ; car à mesure que vos jours augmentent, le nombre de vos péchés augmente aussi. Outre cela, qui vous a dit que votre damnation serait aussi loin que vous l’imaginez ? Dieu disait autrefois à Caïn, Genèse 4.7 : Si tu fais mal, le péché est à la porte. C’est ce que tout pécheur doit nécessairement s’appliquer, son crime est à la porte. La mort le suit pas à pas, elle marche à ses côtés en quelque lieu qu’il aille ; et qui l’assurera de 24 heures de vie ? « La conversion, disent-ils, est bonne pour des vieillards, mais elle n’est point propre pour de jeunes gens ; laissons passer nos beaux jours, sans nous embarrasser de ces scrupuleuses réflexions ; elles viendront dans leur saison. » Non, elles ne viendront jamais, car l’outrage que vous faites à la miséricorde de Dieu qui vous appelle, de la renvoyer fièrement à un autre temps, l’empêchera de se présenter à vous quand cette dernière saison sera venu. Vous lui voulez marquer son temps, et agir envers elle en souverain, vous voulez qu’elle s’en aille, quand vous dites « va-t-en », et qu’elle vienne, quand vous dites « viens » ; mais vous n’en êtes pas les maîtres. Vous pensez la tromper, et agir avec elle frauduleusement ; et quand il n’y aurait que cette injure de mauvaise foi, vous vous rendez éternellement indignes d’être convertis.

6. Les mondains ont encore accoutumé de se faire une autre illusion qui consiste à exténuer leurs péchés, et à n’en voir ni la grandeur, ni le nombre. « Nous ne sommes pas, disent-ils, si criminels qu’on se l’imagine, c’est la coutume des prédicateurs d’exagérer toutes choses, et d’outrer les matières qu’il traite ; nous aimons, il est vrai, le plaisir, nous travaillons à acquérir des biens, nous avons de la fierté et de l’ambition, nous voulons paraître dans le monde, et y faire une belle figure, mais qui a-t-il de plus naturel que tout cela, et où sont ces saints qui ne soient touchés des mêmes passions ? » Pauvres insensés ! que vous me faites pitié ! J’avoue que si vous aviez à rendre compte de vos actions devant moi, ou si vous voulez, devant le plus sévère et le plus clairvoyant de tous les hommes, je dirai plus, si vous aviez à rendre compte de votre vie à un ange du ciel, et à tous les anges ensemble, peut-être pourriez-vous mettre vos actions à couvert ; et je ne doute pas que vous n’eussiez assez d’habileté et assez d’art pour cacher à leurs yeux la moitié pour le moins de vos péchés, et diminuer considérablement l’énormité de l’autre moitié. Mais ce n’est ni à des hommes, ni à des anges que vous devez rendre compte. Vous devez comparaître devant le tribunal d’un Dieu qui voit tout, devant lequel il n’y a point de voile si épais qui ne se dissipe ; devant un Dieu, qui ne trouve pas même de pureté en ses cieux, ni de fermeté en ses anges. Psaumes 139.7-8 : Où fuirez-vous arrière de son Esprit, et où vous cacherez-vous arrière de sa face ? Si vous montez aux cieux, il y est. Si vous entrez dans le sépulcre, vous l’y trouvez. Si vous prenez les ailes de l’aube du jour pour vous loger derrière la mer, sa main vous y surprendra, et si vous dites, au moins les ténèbres nous couvriront, soyez assurés que les ténèbres ne vous cacheront pas de lui, car la nuit resplendit à son égard comme le jour, et autant lui sont les ténèbres que la lumière. C’est une chose facile que de se flatter et que de se déclarer juste, quand on se compare avec des scélérats et des voleurs de grand chemin ; mais quand on se compare avec la justice éternelle de Dieu, et que sa main immortelle nous applique à la règle de ses lois, le plus juste n’a qu’à s’anéantir et à dire : A toi, Seigneur, est la justice ; et à moi la honte et la confusion de face. Si tu prends garde aux iniquités, qui est-ce qui subsistera ? Mes justices ne sont devant toi, que comme un drapeau souillé. Et si le juste est difficilement sauvé, où comparaîtra le méchant ? (Daniel 9.7 ; Psaumes 133.3 ; Ésaïe 64.6 ; 1 Pierre 4.18) Mais pour dire les choses comme elles sont, tout cela ne sont que de vains prétextes dont les pécheurs eux-mêmes reconnaissent la fausseté. L’unique raison pour laquelle ils refusent de se convertir, c’est l’amour dans et l’attachement opiniâtre qu’ils ont au vice. C’en est là la véritable cause ; et s’ils veulent parler de bonne foi, tout le reste ne sont que des amusements.

L’avare n’ignore point que cette passion furieuse qu’il a pour les biens de la terre, ne soit odieuse à Dieu et aux hommes. L’ambitieux n’ignore point que l’Évangile de Jésus-Christ nous appelle à des dignités plus nobles que celles que le monde nous offre ; et il y a de l’incompatibilité entre son ambition et la médiocritéc chrétienne que la religion nous ordonne. Le voluptueux n’ignore point que ses débauches et ses excès sont directement contraires à la profession de l’Évangile. En général, tous les pécheurs savent fort bien qu’ils font mal, et ils savent aussi que par ce moyen ils attirent sur eux la colère et la malédiction de Dieu. Mais quelque expresse que soit la connaissance qu’ils ont de ces vérités, dès que l’idée des richesses se représente à l’avare, dès que celle des honneurs se représente à l’ambitieux, et celle des plaisirs au débauché, elle touche si fortement leur passion, qu’ils ne peuvent plus écouter d’autres voix. Toute leur raison se fond et s’évanouit à la présence de ces chers objets. L’esprit est pour l’un, le cœur est pour l’autre ; et dans ce combat de l’esprit et du cœur, le cœur en demeure toujours le maître. Mais cet amour que nous avons pour nos péchés, n’est-il pas la plus folle des passions ? Puisque d’un côté il nous rend indigne de nous posséder nous-mêmes et qu’il nous déshonore à nos propres yeux, nous faisant perdre un des plus doux et des plus précieux de tous nos biens, qui est la juste estime de nous-mêmes, la joie de nous pouvoir approuver, et d’être à nous-mêmes un objet agréable. D’autre côté cet amour déréglé nous perd ; car il attire sur nous la condamnation de Dieu, et nous fait marcher à grands pas vers les tourments éternels qu’il a préparés aux méchants.

c – Chacun comprendra que le mot médiocre signifiait au XVIIe s. moyen, ordinaire, modeste, et non qualité inférieure, résultant de la paresse ou de l’insouciance.

Passant ensuite à la seconde proposition, qui est que la pratique des bonnes œuvres et une vie religieuse et sainte est la principale fin que l’Évangile se propose, et le principal caractère d’un vrai chrétien, il faut d’abord l’établir par des principes solides tirés de l’Écriture. Sur quoi l’on peut mettre en avant ces passages, Tite 2.11-12 : La grâce de Dieu salutaire à tous les hommes, est clairement apparue. Et elle nous enseigne qu’en renonçant à l’impiété et aux convoitises mondaines, nous vivions en ce présent siècle, sobrement, justement, et religieusement. Tite 3.8 : Cette parole est certaine, et je veux que tu affirmes à ses choses, afin que ceux qui ont cru à Dieu, aient soin de s’appliquer principalement aux bonnes œuvres. Ailleurs le même apôtre, voulant marquer la différence qu’il y a entre les faux chrétiens et les véritables fidèles, dit Philippiens 3.18-20 : Il y en a plusieurs de qui je vous ai souvent dit, et maintenant je le dis encore en pleurant : ils sont ennemis de la croix de Christ. Desquels la fin est perdition, le dieu desquels est le ventre, et la gloire en leur confusion, qui ont leurs affections aux choses terrestres. Mais notre conversation est de bourgeois des cieux, d’où aussi nous attendons le Seigneur, à savoir le Seigneur Jésus-Christ. Éphésiens 2.10 : Nous sommes l’ouvrage de Dieu, car il nous a créés en Jésus-Christ à bonnes œuvres, lesquelles il a préparées, afin que nous cheminions en elles. C’est ce qui obligera à employer tout le sixième chapitre de l’Épître aux Romains, pour faire voir que la véritable fin de la doctrine de la grâce et la justification des hommes. Il faudrait rapporter ici presque tout le Nouveau Testament, si nous voulions représenter exactement tous les passages qui nous portent à la pratique des bonnes œuvres, car tout aboutit à cela. Il suffit de vous mettre en avant ces divines et admirables paroles de Jésus-Christ. Matthieu 9.16 : Que votre lumière, dit-il, luise devant les hommes, afin que les hommes, voyant votre lumière, glorifient votre Père qui est aux cieux.

En effet, si vous jetez les yeux en général sur la fin que Jésus-Christ s’est proposée quand il est venu au monde, vous verrez qu’il s’est proposé de détruire les œuvres du diable. Or les œuvres du diable sont principalement deux : le péché, et la peine qui suit le péché. Ne vous imaginez donc pas que Jésus-Christ soit venu au monde, pour ôter seulement la peine, et pour laisser le péché. Il est venu pour détruire l’un et l’autre ; et je dirai même avec confiance, qu’il est beaucoup plus venu pour détruire le péché, que la peine. La peine n’intéresse que la créature, mais le péché intéresse et la créature et le Créateur. Il déshonore l’une, et offense l’autre. La peine rend, à la vérité, l’homme malheureux, mais elle glorifie au moins la justice divine ; au lieu que le péché est également contraire, et à la gloire de Dieu et à celle de l’homme. Le principal but de la venue de Jésus-Christ sur la terre, a été de détruire le péché. Quelle apparence y a-t-il que Jésus-Christ ait quitté le séjour de sa gloire, et qu’il soit descendu du ciel sur terre pour venir acquérir l’impunité à des criminels, en les laissant, au reste, abîmés dans leur corruption ? Quelle apparence qu’il puisse donner sa communion à des rebelles et à des profanes ? et qu’il ait voulu joindre dans une même société, son Esprit avec notre chair, sa pureté avec nos souillures, sa sainteté avec nos dérèglements, c’est-à-dire deux choses qui ne sauraient s’allier ensemble, et que leur nature même a rendues incompatibles. Un des plus ardents ennemis de notre religion reprochait autrefois aux chrétiens, que leur Jésus était venu au monde pour faire la plus horrible et la plus épouvantable de toutes les sociétés. Car, disait-il, il appelle à la foi les pécheurs, et laisse là les justes. Ainsi le corps qu’il est venu assembler, est un corps de scélérats et de garnements, qu’il a séparé des gens de bien, parmi lesquels ils étaient auparavant mêlés. Il a rejeté tout ce qu’il y avait de bon au monde, il n’en a ramassé que le mauvais. Fausse et cruelle accusation ! qu’Origène repousse fortement au nom de toute l’Église. Il est vrai, dit-il, notre Jésus est venu pour appeler des pécheurs, mais c’est pour les appeler à la repentance ; il assemble les scélérats, mais c’est pour les convertir en de nouveaux hommes, ou si vous voulez, pour les changer en des anges. Nous venons à lui avares, il nous rend libéraux ; injustes et ravisseurs, et il nous fait équitables ; impudiques, et il nous fait chastes ; violents et emportés, et il nous fait débonnaires ; impies et profanes, et il nous fait religieux. C’est là le véritable effet que produit en nous la communion de Jésus-Christ : elle nous transforme à son image, et cette transformation en est un caractère si essentiel, que si elle ne paraît pas dans un homme, il faut nécessairement conclure qu’il n’est pas dans la communion de ce grand Sauveur.

Mais outre que la sainteté, la charité et la justice sont inséparables de la communion de Jésus-Christ, à considérer Jésus-Christ même, je dis qu’elles le sont encore, si l’on regarde la communion du Père céleste, à laquelle celle de Jésus-Christ son Fils aboutit. Comme il est venu dans le monde en qualité de médiateur, il n’a appelé les hommes à la foi que pour les unir à Dieu ; à cause de quoi, il dit lui-même, Jean 14.6 : Je suis la voie, la vérité et la vie ; et nul ne vient au Père sinon par moi. Et ailleurs, Jean 17.20-21 : Je te prie, disait-il au Père, pour tous ceux qui croiront en moi, afin qu’ils soient un, et que comme toi Père es en moi, et moi en toi, eux aussi soient un entre eux. Or comment serait-il possible que Dieu accordât sa communion à des pécheurs, demeurant pécheurs ? Tu n’es point, dit le prophète, un Dieu qui prenne plaisir à la méchanceté : le méchant ne séjournera point chez toi, les orgueilleux ne subsisteront pas devant toi, tu as toujours haï les ouvriers d’iniquité, tu feras périr ceux qui profèrent mensonge. L’Éternel a en abomination l’homme de sang et le trompeur. (Psaumes 5.4-6)

Il est donc évident que la religion de Jésus-Christ qui nous conduit à la communion de Dieu, nous conduit aussi par cela même à une véritable sainteté, sans laquelle cette communion avec Dieu n’est pas seulement concevable. Il est encore aussi peu concevable, que demeurant plongés dans la souillure et le crime nous puissions être la maison ou le temple du Saint Esprit, qui est le titre ou la qualité que la religion chrétienne donne à ses véritables fidèles. Car le Saint Esprit peut-il être dans un lieu, sans y produire ses effets et y déployer sa vertu ? Peut-il demeurer oisif dans un homme ? Peut-il posséder son cœur et ses affections, et laisser néanmoins ses affections soumises au péché ? Il en est du Saint Esprit comme d’un feu, qui ne saurait être en aucune part sans y répandre sa chaleur ; ou si vous voulez comme d’un soleil, qui ne saurait être sur un horizon sans y répandre sa lumière. Tout ce qui est né de la chair, est chair, dit le Sauveur, mais ce qui est né de l’Esprit, est esprit. (Jean 3.6) Et dans cette même vue l’apôtre dit Romains 8.5 : Ceux qui sont nés de la chair sont affectionnés aux choses de la chair ; ceux qui sont selon l’Esprit, sont affectionnés aux choses de l’Esprit. Il n’est donc pas possible d’être vrai chrétien, ni d’être de la communion de Jésus-Christ qu’on ne soit participant de son Esprit. Si quelqu’un, dit saint Paul, n’a point l’Esprit de Christ, celui-là n’est point à lui. (Romains 8.9) Ailleurs il dit, Galates 4.6 : Parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils en vos cœurs, criant Abba Père. Ce sont donc ici des conséquences inévitables : un homme n’est pas sanctifié, il n’a donc pas l’Esprit de Jésus-Christ ; il n’est donc pas de sa communion ; il n’appartient pas à son corps mystique, il n’est ni vrai fidèle, ni vrai chrétien. La sainteté est une suite inséparable et un effet nécessaire de l’Évangile ; elle en est aussi un caractère ou une marque infaillible.

Mais s’il est vrai que la sainteté soit une suite nécessaire de l’Évangile il n’est pas moins vrai que l’Évangile est une source abondante de motifs qui nous portent à la sainteté. Je laisse à part que dans les préceptes ou dans les règles de conduite qu’il nous donne, il représente à nos yeux l’idée de la sainteté d’une manière si belle, et si pleine d’attraits, qu’elle-même nous est un puissant motif pour le suivre. Je ne veux pas dire aussi que la nature du vice nous est si bien représentée dans l’Évangile, et son horreur si bien exprimée, qu’il faut nécessairement que nous en ayons de l’aversion ; il me suffit de vous faire remarquer, et si je le puis dire, de vous faire sentir par votre propre expérience, qu’il ne se peut rien concevoir de plus fort que les raisons par lesquelles la religion chrétienne nous porte à la pratique des bonnes œuvres. Tous ses mystères aboutissent là. Tout ce qu’elle nous enseigne de plus grand et de plus merveilleux ne regarde autre chose. Toutes ses vérités sont autant de liens, mais des liens très forts, dont elle attache nos cœurs pour les réduire dans la servitude de la justice, ou pour parler dans le style de saint Paul : se sont autant d’armes puissantes pour détruire nos forteresses et nos conseils, et pour amener toutes nos pensées prisonnières à l’obéissance de Jésus-Christ (2 Corinthiens 10.4-5). Elle consacre à cet usage les choses mêmes que la lumière de la droite raison nous dicte, comme : Que Dieu est notre Créateur qui nous a au commencement tirés du néant par sa puissance, et nous a faits ce que nous sommes. Qu’il est notre Conservateur qui par la force de sa perpétuelle influence nous soutient, et nous empêche de retomber dans l’abîme d’où sa création nous a retirés. Que c’est sa providence qui gouverne tout l’univers, et qui particulièrement a soin de nous, et nous fournit les choses que sa bonté et sa sagesse jugent nous être nécessaires. Qu’y a-t-il de plus puissant pour nous porter à faire notre devoir que ces importantes vérités, si nous les considérons bien ? Car quelle obligation n’avons-nous point à Dieu, puisqu’il est notre Créateur qui nous a donné l’être et la vie ? Peut-on ne devoir pas tout à celui de qui on a tout reçu ? Et si nous lui devons tout, ne serons-nous pas des monstres plutôt que des hommes, de déshonorer sa Création, d’outrager sa bonté, d’être rebelles à ses lois, et de n’avoir pas perpétuellement sa gloire et son service devant nos yeux ?

Mais sa Création, peut-être, vous paraîtra un fait bien éloigné, qui ne peut qu’il n’ait perdu beaucoup de son efficace par ce grand nombre de siècles qui se sont écoulés depuis le commencement du monde jusqu’à présent. Ou si vous voulez par ce grand nombre d’années qui se sont passées depuis votre naissance. Certes quand la chose serait ainsi, une grâce qui nous a tout donné, qui nous a fait tout ce que nous sommes, quelque vieille qu’elle soit, ne mérite pas d’être oubliée. Mais cela même n’est pas vrai, car celui qui nous a créés au commencement, celui qui nous a mis dans la lumière du jour, est le même qui nous conserve encore, et dont l’influence nous est si nécessaire pour subsister. Que s’il la suspendait un seul moment, nous ne serions plus. Chaque moment donc, chaque jour renouvelle le bienfait de Dieu ; ou pour mieux dire, chaque moment, chaque jour accroît le nombre de ses faveurs. David a dit, parlant du Messie, Psaumes 110.3 : Ta jeunesse sortira de la matrice de l’aube du jour. Et ailleurs sur un autre sujet, Psaumes 19.3 : Un jour dégorge propos à l’autre jour, une nuit montre science à une autre nuit. Mais nous pouvons dire sur le sujet de cette admirable conservation que Dieu fait de nous, que notre vie, notre mouvement, et notre être sortent tous les matins, non de la matrice de l’aube du jour, mais des sources immortelles de la bonté et de la puissance divines, et qu’une de ces faveurs dégorge propos à l’autre ; puisque les moments ne sont pas plus immédiatement joints que ses faveurs le sont.

Cependant, par-dessus tout cela, il ajoute les soins de sa providence, il songe à nous quand nous ne songeons pas à lui, il nous protège quand nous ne le voyons pas, il nourrit et revêt nos corps, il fournit de la matière à nos pensées et à nos actions, il compte même les cheveux de notre tête, et pas un d’eux ne tombe sans sa volonté. O puissants motifs de l’aimer et de le servir ! s’ils étaient bien considérés. Car sera-t-il dit, que Dieu conserve des ingrats et des mutins qui ne font autre chose que l’outrager ? Sera-t-il dit, que son soleil nous éclaire de la même manière qu’il éclaire les serpents et les vipères, et que son influence tombe sur nous comme sur des dragons envenimés ? Ne garderons-nous aucun de ses commandements, pendant qu’il gardera jusqu’au moindre de nos cheveux ? Et serons-nous assez misérables pour faire de ses bienfaits la matière de son déshonneur ?

Mais ces motifs, quelques grands et puissants qu’ils soient, ne sont rien au prix de ce que l’Évangile n’emprunte pas de la lumière de la raison, mais qu’il prend de son fonds propre ; je veux dire, qui sont tirés de la révélation surnaturelle. Ces motifs se trouvent presque tous renfermés dans Jésus-Christ, et dans les mystères de son économie. Et ils sont tels qu’il n’y a point d’âme qui n’en soit touchée, à moins que d’être je ne dis pas dure et insensible, mais morte entièrement ou possédée du démon. Car enfin, que Dieu après toutes nos rébellions et nos crimes se soit encore tourné de notre côté ; qu’il nous ait donné son Fils ; qu’il nous l’ait donné pour être fait chair et sang, comme nous ; qu’il nous l’ait donné pour être notre Chef, notre Frère, notre Exemple ; qu’il nous l’ait donné, pour mourir pour nous, de la mort la plus sanglante, la plus ignominieuse, et la plus cruelle qui se puisse concevoir ; n’est-ce pas un amour et une miséricorde dignes d’une éternelle reconnaissance ? Et quelle horrible ingratitude ne serait-ce pas, si après cela nous étions encore capables d’offenser de guet-apensa, un Dieu si bon, et de tenir pour profane le sang d’une si grande alliance ?

a – C’est-à-dire de manière délibérée ; guet-apens vient de guet à penser.

Après cela l’on peut tirer quelques conséquences morales de cette vérité qu’on vient d’éclaircir et l’on peut faire voir :

1. Combien la religion chrétienne est déshonorée, lorsque l’on joint à la profession extérieure de la religion, une vie mauvaise. Car cela marque le peu d’efficace que la religion a eu sur nous. Cela donne occasion aux profanes d’insulter contre la religion chrétienne, et de lui imputer les vices de ceux qui la suivent. Nos paroles, dit Tertullien, rougissent quand elles sont mises en comparaison avec nos pensées. Et saint Paul parle encore plus fortement que Tertullien : Le nom de Dieu, dit-il, est blasphémé à cause de vous entre les nations. (Romains 2.4)

2. Là on peut montrer aussi, combien se trompe ceux qui négligent la sanctification et les bonnes œuvres, quand avec tout cela ils s’imaginent qu’ils sont chrétiens. Ils ne le sont nullement, ils en portent scandaleusement le nom, que leur témérité leur fait usurper, mais il n’en ont point la vérité. Ce sont des enfants bâtards, ou pour mieux dire des enfants supposés, nés de la chair et du sang, et non de Dieu ; au lieu que les vrais chrétiens sont, au témoignage de saint Jean : nés de Dieu, et non de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme.

3. La plus vaine de toutes les espérances et de s’imaginer que l’on sera sauvé par la simple possession du christianisme, sans se mettre en peine de faire de bonnes œuvres. J’avoue que la religion chrétienne donne la vie, mais elle ne la donne qu’à ceux qui se sanctifient. Vous vivrez, dit l’apôtre, mais à quelle condition ? Si vous mortifiez les faits du corps. La seule profession extérieure, bien loin de sauver les hommes, ne fait qu’aggraver leur condamnation, selon la maxime inviolable de Jésus-Christ. Luc 12.47 : Le serviteur, dit-il, qui sait la volonté de son maître et ne la fait pas, sera battu de plus de coups. Et ailleurs, décrivant la forme de son jugement dernier, il dit que plusieurs se présenteront à lui, disant : Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en ton nom ? Mais il leur répondra, je ne vous connais point. Éloignez-vous de moi, vous qui faites le métier d’iniquité, allez au feu éternel qui est préparé au diable et à ses anges. (Matthieu 7.22)

Enfin l’on peut ajouter des censures et des exhortations.

Les quatre façons de traiter un texte peuvent être combinées.

Il ne faut pas penser que ces quatre manières de traiter les textes soit tellement séparées, qu’elles ne se puissent mêler l’une avec l’autre. Au contraire, il y a peu de textes où il ne faille se servir de deux ou trois de ces manières, et quelquefois même de toutes quatre. Car quand on a expliqué, il est très souvent nécessaire de faire aussi des observations ; et la matière quelquefois requiert que l’on en fasse une assez longue application. Quelquefois même, pour bien expliquer, il faut réduire la matière contenue dans le texte, en diverses propositions, comme nous l’avons fait voir sur ces paroles : Dieu produit en nous le vouloir et le parfaire, selon son bon plaisir. De même quand on traite par observations, il arrive très souvent qu’il y a quelque partie du texte qui demande d’être expliquée, et ainsi des autres. Il faut même distinguer ces quatre manières pour deux raisons. L’une, parce que ce sont quatre choses fort différentes entre elles, d’expliquer, de faire des observations, d’appliquer, et de réduire en propositions. Un homme qui compose ne les doit pas confondre, et il en doit au contraire, bien remarquer la différence, pour s’en pouvoir servir en temps et lieu. La raison est que l’on a accoutumé de donner à la tractation d’un texte le nom de la manière qui prévaut. On appelle voie d’explication celle où l’on explique beaucoup plus que l’on ne fait d’observations. On appelle voie d’observations, non simplement celle où l’on ne fait que des observations, mais celle où il y a plus d’observations, que d’explication, ou d’application. Il en est de même des deux autres manières.

Exemple de tractation par voie d’observations.

Pour rendre plus complète de cette partie touchant la tractation, il sera bon d’ajouter ici quelques exemples de textes que l’on peut traiter par voie d’observation, et par voie d’application. Et quant à ceux d’observation, nous prendrons, par exemple, ces paroles de saint Paul, 1 Thessaloniciens 4.7-8 : Dieu ne nous a point appelés à ordure, mais à sanctification ; c’est pourquoi qui rejette ceci, ne rejette point un homme, mais Dieu qui a aussi mis son saint Esprit en nous. Il faut diviser ce texte en deux parties, dont la première sera la doctrine de saint Paul touchant la sanctification, Dieu, dit-il, ne nous a point appelés à ordure, mais à sanctification. La seconde sera touchant la divinité inviolable de cette doctrine, c’est pourquoi qui rejette ceci, ne rejette point un homme, mais Dieu qui a aussi mis son saint Esprit en nous.

Quant au premier point, le sens des paroles de l’apôtre est clair, car il veut dire que quand Dieu nous a appelés à la communion de Jésus-Christ, et à l’espérance de son salut, il ne nous a point laissés dans la liberté de pécher, et de suivre les mouvements de notre convoitise, mais il nous a imposé la nécessité, ou l’obligation de faire de bonnes œuvres et de vivre saintement :

1. Ce ne n’est point ici seulement que saint Paul s’est déclaré sur ce sujet, c’est une doctrine qui se trouve répandue dans toutes ses épîtres. Ainsi dans celle qu’il adresse aux Romains, il emploie des chapitres entiers pour l’établir et pour la persuader, soit par la force de ses raisonnements et par la clarté de ses explications, soit par ses exhortations et par ses préceptes. Il en use de même partout ailleurs, et c’est à cela qu’il rapporte tout le fruit de la religion, et tout l’avantage que nous avons de connaître Dieu et ses mystères. Il suit en cela l’esprit général qui animait les évangélistes, et les autres premiers fondateurs du christianisme. Car de quelque côté que vous jetiez les yeux, vous ne trouverez dans ces divins hommes qu’un désir ardent et un dessein perpétuel d’abolir l’empire des vices, et de faire régner en leur place la piété et la sainteté. Lisez les évangélistes, les actes des apôtres, et leurs épîtres, en un mot tous les livres du Nouveau Testament, vous y verrez partout reluire ce caractère. Ces glorieux auteurs ont en cela comme en toute autre chose marché sur les traces de Jésus-Christ, leur souverain Maître, qui dans toute sa conversation sur la terre ne s’est jamais proposé autre chose, que d’inspirer l’horreur du crime et l’amour de la vertu à ceux qu’il daignait honorer de sa présence et de son commerce. C’est ce qui paraît dans toutes ses actions et dans tous ses discours, et particulièrement dans cet admirable sermon qu’il fit sur la montagne, et que saint Matthieu nous a rapporté aux chapitres cinq à sept de son Évangile. Là vous trouverez ces admirables paroles qui regardent en particulier tous les fidèles :

Vous êtes le sel de la terre, et si le sel perd sa saveur, de quoi le salera-t-on ? Il ne vaut plus rien, qu’à être jeté dehors, et foulé des hommes. Vous êtes la lumière du monde. La ville assise sur une montagne ne peut être cachée. Et on n’allume point la chandelle, pour la mettre sous un boisseau, mais sur le chandelier, et elle éclaire à tous ceux qui sont en la maison. Ainsi reluise votre lumière devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est aux cieux.

Vous y trouverez ces autres paroles qui sont d’un si grand poids, et si dignes d’être éternellement gravées dans notre mémoire : Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, je vous le dis, vous n’entrerez point au royaume des cieux. Il est certain que de toutes les diverses religions, qui ont eu jusqu’à présent quelque cours et quelque établissement dans le monde, il n’y en a jamais eu aucune qui ait été comparable à la chrétienne sur le sujet de la sainteté et de la piété. J’avoue qu’elles ont toutes fait profession d’y porter les hommes, mais quelques-unes sont allées jusqu’à corrompre les véritables idées que nous devons avoir du vice, en faisant passer pour vertu, ou du moins pour choses indifférentes, ce qui en effet et réellement est un crime. D’autres ont été courtes dans le dénombrement des vertus humaines. Quelques autres se sont contentées de régler les actions extérieures, sans se mettre fort en peine des actions intérieures, des mouvements, et des principes du cœur. Toutes ensemble ont eu ce défaut, de ne donner pour la pratique des bonnes œuvres, que de certaines règles froides et impuissantes, sans les accompagner des véritables motifs qui nous peuvent porter à l’amour de la sainteté, et à la haine du péché. Mais la religion chrétienne est admirable en toutes ses parties. Il n’y a point de vice, quel qu’il soit, qu’elle ne condamne, ni de vertu qu’elle n’ordonne. Elle ne règle pas seulement les actions du dehors, mais elle va jusqu’à purifier les sources du dedans. Elle nous donne des préceptes pour toutes les diverses conditions, et pour tous les différents états où les hommes se peuvent trouver. Elle soutient la force de ses préceptes, par les plus beaux exemples qui se puissent concevoir. Elle nous en donne en Jésus-Christ même, un modèle parfait, et elle accompagne tout cela d’un nombre infini de motifs, ou de raisons efficaces. C’est donc dans cet esprit général du christianisme que saint Paul a écrit ses excellentes paroles : Dieu ne nous a point appelés à ordure, mais à sanctification.

2. Mais outre ce que je viens de dire, je ne puis m’empêcher de remarquer que saint Paul ne se contente pas de suivre ou de proposer cette fin, que la religion chrétienne a sanctifié les hommes, il en fait une application particulière à ses Thessaloniciens, à qui il adresse son épître. Dieu, dit-il, ne nous a point appelés à ordure, mais à sanctification. Comme il aimait ardemment ce peuple, il ne se contentait pas de les instruire en général des maximes du christianisme, il voulait qu’ils s’en fissent une sainte application, et qu’ils les missent en pratique. Car autrement, les vérités de la religion sont inutiles, ou pour mieux dire elles sont plus nuisibles que profitables, selon ce que Jésus-Christ a dit, que le serviteur qui sait la volonté de son maître et ne la fait pas, sera battu de plus de coups (Luc 12.47). L’apôtre veut donc porter les Thessaloniciens à la pratique de la sainteté ; et pour le faire encore plus efficacement, il se joint lui-même avec eux, et il reconnaît qu’il est lui aussi, aussi bien que le peuple de Thessalonique, dans une même obligation. Dieu dit-il, ne nous a point appelés à ordure, mais à sanctification. Il n’y a dans l’Église personne d’exempt, c’est un devoir commun, une règle qui ne reçoit point d’exception, et contre laquelle il ne faut point alléguer de privilèges, ni dire : Je suis apôtre, ou je ne le suis pas ; je suis ministre, ou je ne le suis pas ; je tiens un rang relevé dans l’Église, ou dans le monde, ou je ne tiens nul rang ni dans l’un, ni dans l’autre ; je ne suis point proposé en exemple. Tous ces subterfuges sont vains. La loi de la sainteté est la loi de tous. Elle oblige les grands et les petits, les jeunes et les vieux, les pasteurs et les laïcs, les peuples et les magistrats ; tout sexe, tout âge, toutes conditions, nous sommes tous sous cette règle sans aucune distinction : Dieu ne nous a point appelés à ordure, mais à sanctification.

3. Au reste il faut entendre ces paroles de l’apôtre, de bonne foi et sans chicane. Car quelqu’un pourrait dire ici : « Il est vrai, Dieu ne nous a point appelés à ordure, c’est-à-dire, en nous appelant, il ne nous a point commandé de pécher, mais il ne s’ensuit pas qu’il nous l’ait absolument défendu ; car il y a des choses que Dieu ne commande pas, mais qu’il ne défend pas aussi, il les laisse en notre liberté, il nous les permet, et ne nous condamne pas quand vous les faisons. J’entends donc, que Dieu à la vérité ne nous a pas ordonné de suivre nos convoitises, mais qu’il permet pourtant que nous les suivions, et qu’il ne se fâchera pas quand nous aurons de la complaisance pour elles. » Mais c’est une échappatoire criminelle. Le vrai sens de l’apôtre est, que Dieu ne nous a point appelés à ordure, non simplement pour dire qu’il ne nous la commande pas, car qui en doute ? et qui pourrait s’imaginer une chose si contraire à l’idée que tous les hommes ont de Dieu ? mais pour dire qu’il nous la défend. Et ce qu’il ajoute : qu’il nous a appelé à sanctification, rend son sens clair et hors de toute contestation. Le péché et l’ordure sont incompatibles avec sa vocation parce qu’ils sont incompatibles avec sa communion, et que de leur nature ils nous privent des témoignages de son amour. Ses yeux, dit l’Écriture Hébreux 1.13, sont trop purs pour pouvoir souffrir le mal, et c’est pour cette raison qu’il s’écrie lui-même dans Ésaie : Soyez saints, car je suis saint. Nous sommes appelés pour être rendus conformes à l’image de son Fils. Or son Fils est juste, saint, innocent, sans macule, séparé des pécheurs. Nous sommes appelés pour être faits les temples du Saint Esprit, avec qui les souillures et les corruptions ne peuvent avoir aucune société.

J’avoue que les péchés que les fidèles commettent après leur vocation, ne les font pas entièrement déchoir de la grâce que Dieu leur a faite, ni du droit ou de l’espérance de leur salut, ni de la communion avec Jésus-Christ leur Rédempteur, ni de l’honneur d’être les temples du Saint Esprit. Si cela était, la condition des fidèles serait bien malheureuse. Mais il est certain que les péchés en général ébranlent extrêmement tous ces avantages, et en diminue beaucoup et le prix et le sentiment. Et plus les péchés sont grands et fréquents, et plus la communion de Dieu et celle de son Fils Jésus-Christ sont troublées et interrompues dans leurs effets. D’ailleurs il est certain que cet amour et cette tendresse que Dieu a pour le fidèle pendant le temps qu’il est dans l’état de la justice, se change en colère paternelle lorsqu’il tombe dans l’état de péché. Et c’est de là que viennent ces châtiments et ces grands coups de verges dont Dieu les visite, et ces frayeurs, ces inquiétudes de conscience, dont nous voyons quelquefois les fidèles agités. Enfin il est certain que ces petites étincelles d’amour et de bonté paternelle qui restent encore en Dieu pour un fidèle qui est tombé dans quelque faute énorme, et ces restes de communion qu’il a encore avec Jésus-Christ, ne subsistent que sur l’assurance de la repentance, et du retour de cet enfant rebelle. De sorte qu’il demeure toujours vrai, qu’il n’y a rien de plus opposé à la vocation divine que le péché, comme il n’y a rien de plus opposé à la vie de l’homme, et aux fonctions naturelles, que les ravages d’une fièvre ardente et maligne, qui d’elle-même tend à la mort, et qui en effet la produirait si les remèdes ne venaient pas au secours, ou si la nature elle-même, par d’extraordinaires efforts n’en demeurait victorieuse.

4. Cette considération que nous venons de faire nous en fournit une autre, qui va à condamner la folle illusion de la plupart des gens, qui s’imaginent qu’ils peuvent joindre ensemble l’ordure et la sanctification. C’est-à-dire que d’un côté, ils peuvent avoir de l’indulgence pour quelqu’une de leur passion, ou pour les plaisirs des sens, pourvu que de l’autre, ils fassent quelques bonnes œuvres. Ils prétendent même qu’il se fera quelque espèce de compensation de l’un avec l’autre, et que leurs aumônes, leurs jeûnes, et telles choses semblables sont d’un tel prix devant Dieu, qu’en leur faveur Dieu ne prendra pas garde à ces méchantes actions que d’ailleurs ils commettent. L’apôtre foudroie ici cette vaine et pernicieuse opinion, quand d’un côté il dit sans restriction, ni limitation, que Dieu ne nous a point appelés à ordure ; comme de l’autre, il oppose à l’ordure la sanctification, comme deux choses qui se détruisent l’une l’autre, et que l’on ne doit jamais associer ensemble. L’une, est le lieu où notre vocation nous prend, et d’où elle nous retire. L’autre, celui où elle nous conduit, et nous fait aboutir uniquement. L’une, est ce royaume de ténèbres où la voix divine nous vient chercher ; et l’autre, le royaume de la merveilleuse lumière, où elle nous introduit. Il n’y a point de compensation à espérer de la part de Dieu. Mille bonnes œuvres ne sauraient expier le moindre des péchés ; et un seul crime sera bien plus propre à anéantir l’effet de mille bonnes œuvres, que mille bonnes œuvres ne le feront, à arrêter la punition d’un seul crime. Mais, direz-vous, comment donc nous seront pardonnés les péchés que nous commettons après notre vocation ? Je réponds que si nous faisions bien notre devoir, nous n’en commettrions aucun ; parce qu’il n’y en a aucun, quel qu’il soit, qui ne soit contraire à notre vocation, et qui ne produisent de méchants effets en nous. Mais comme il n’est pas possible, que dans cette vie nous puissions atteindre à cette parfaite sanctification, à laquelle Dieu nous oblige, il n’y a qu’un seul remède pour nous faire pardonner les fautes, dans lesquelles nous tombons. Et ce remède ne consiste point à mettre des péchés, d’un côté, et des bonnes œuvres, de l’autre, ni à prétendre que Dieu usera de compensation. Il consiste uniquement à recourir par une vive foi au sang de Jésus-Christ, et à la miséricorde de Dieu son Père ; et en même temps à rompre le cours de nos péchés, et à les anéantir en nous-mêmes par les mouvements d’une sincère repentance. Car le péché qui a deux vies, l’une en Dieu et l’autre en nous, l’une dans le souvenir ou dans la colère de Dieu, et l’autre dans la complaisance que nous avons pour lui, ne saurait mourir en Dieu, si j’ose m’exprimer de la sorte, c’est-à-dire être éteint dans le souvenir de sa justice, que premièrement, il ne meure en nous, c’est-à-dire, que nous ne renoncions à cette injuste approbation que nous lui avons donnée, et que nous n’ayons de l’horreur pour lui.

5. Au reste, il faut ici remarquer sur le terme d’appeler, dont l’Écriture se sert si souvent, et que notre apôtre emploie dans ce verset, que la société chrétienne n’est point une assemblée fortuite, ou tumultuaire que le hasard ou le caprice des hommes ait faite. Ni une assemblée humaine que les simples lumières de la raison, l’instinct de la nature, ou les ordres des magistrats aient convoquée. C’est une assemblée divine, faite par les ordres et par l’autorité du souverain Monarque de tous les hommes, une assemblée, dont il est lui-même le fondateur et le premier auteur, soit parce qu’elle s’est faite selon ses projets éternels, soit parce qu’il en a lui-même dressé les lois, les conditions, et les règlements ; soit enfin, parce qu’il a lui-même posé les fondements et les appuis inviolables sur lesquels elle est établie. Elle s’est faite par la force de sa voix, ou de sa Parole, et par les instincts de son Saint Esprit, car il n’y a que ces principes à quoi il la faille rapporter. Ce que saint Paul exprime admirablement bien Romains 8.28-29, quand il dit que : Ceux que Dieu a préconnus, il les a prédestinés pour être rendus conformes à l’image de son Fils, et que ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés, justifiés, et glorifiés. Pour nous apprendre que cette société, dans ses commencements, dans ses progrès, et dans sa fin, est toute de Dieu. Cette vérité est non seulement d’une méditation fort agréable, mais elle est de plus fort importante et fort nécessaire. Car :

1° Elle nous oblige à reconnaître que tout ce que nous sommes, et tout ce que nous avons, nous le tenons de Dieu, et à avoir pour lui une parfaite reconnaissance.

2° Elle condamne cette domination absolue et souveraine que les hommes veulent prendre sur l’Église. Si sa vocation était naturelle ou humaine, je consentirai de bon cœur que les hommes en fussent les maîtres, et qu’ils établissent un empire aussi absolu qu’ils le pourraient. Mais puisque l’Église est une société de Dieu, et qu’il n’y a que lui qui l’ait appelée, il n’y en peut avoir d’autre que lui qui la gouverne souverainement. A cause de quoi saint Paul lui-même, tout grand apôtre qu’il était, proteste qu’il n’a point de domination sur la foi des chrétiens. Et ailleurs il ne saurait souffrir qu’ils disent, l’un, je suis de Paul, et l’autre, je suis de Céphas, et l’autre, je suis d’Apollos. De même saint Pierre parlant aux pasteurs, et leur ordonnant de paître le troupeau de Jésus-Christ, leur défend absolument de prétendre d’en être les maîtres. Non point, dit-il, comme ayant domination sur les héritages du Seigneur.

3° Cette considération nous est aussi un motif à la sainteté. Car puisque c’est Dieu lui-même qui nous a appelés ; puisqu’il nous a fait l’honneur de nous mettre dans le corps mystique de son Fils ; puisque nous vivons sous les lois divines, et sous l’inspection de ses yeux, quelle pureté ne devons-nous pas avoir dans toute notre conduite ?

4° Cette même vérité de notre vocation divine nous fournit une abondante matière de consolation dans nos afflictions, et d’assurance dans nos dangers. Je dis de consolation dans nos afflictions, puisque nous ne saurions jamais rien souffrir d’assez funeste, ou d’assez douloureux pour entrer en comparaison avec l’honneur de notre vocation, ni avec les biens éternels qui nous sont préparés. Je dis aussi d’assurance contre nos dangers puisque c’est Dieu lui-même qui nous a appelés, ce sera aussi lui-même qui nous soutiendra. Dans la nature, quand il a fait le monde, il a joint la qualité de Conservateur à celle de Créateur. Il en est de même dans la grâce. C’est pourquoi l’apôtre disait aux Corinthiens, 1 Corinthiens 1.9 : Dieu est fidèle, qui vous a appelés à la communion de son Fils. Où vous voyez que de la vocation que Dieu a faite de nous, il en conclut sa protection. Et dans cette belle chaîne de notre salut, que nous avons déjà alléguée, il joint d’un lien indissoluble la vocation avec la justification et la glorification : Ceux qu’il a appelés, il les a justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés.

6. L’apôtre Paul en nous mettant devant les yeux la nature de la vocation chrétienne, nous fait tacitement remarquer la différence qu’il y a entre les œuvres de Dieu, et celles du démon. Nous pouvons dire que presque en toutes choses le démon a été l’imitateur de Dieu, mais un imitateur à contresens. Dieu a eu son mystère, un mystère de piété : Le mystère de piété est grand, Dieu manifesté en chair (1 Timothée 5.16). Le démon a eu le sien, mais un mystère d’iniquité : Le mystère d’iniquité se met en train (2 Thessaloniciens 2.7). Dieu a jeté sa semence dans le champ. Le démon n’a pas manqué d’y jeter la sienne ; mais celle de Dieu était de bon froment, et celle du démon est de l’ivraie. Dieu parlait à nos pères dans le paradis terrestre. Le diable leur voulut parler aussi ; mais Dieu leur parlait pour les rendre heureux, et le démon leur parla pour les rendre misérables. Et pour nous approcher un peu plus près de notre matière, Dieu a fait une société, il a convoqué et rassemblé les hommes en un corps. Le démon en a fait aussi une ; car il a sa voix et sa vocation, son esprit et son efficace, ses lois et son empire, de même que Dieu ; mais avec cette différence que Dieu nous a appelée, non à ordure, mais à sanctification ; et le démon nous appelle, non à la sanctification, mais à ordure. L’un conduit les hommes des ténèbres à la lumière, du crime à la justice, de la souillure à la pureté. Et l’autre précipite de la lumière dans les ténèbres, et de l’innocence dans la corruption.

7. Avant que de quitter cette partie, je ne puis m’empêcher de donner ici une règle très assurée pour discerner les fausses religions, d’avec la véritable. Je ne veux pas dire que les fausses religions soient celles qui nous sollicitent ouvertement au péché ; car quelle religion trouverez-vous au monde, qui ne fasse profession de défendre le vice et de commander la vertu ? Mais je dis puisque toutes les fausses religions sont des productions du diable, et que le grand et ardent désir du diable est de conserver parmi les hommes le péché, il n’est pas possible qu’il y ait une fausse religion, qui par des voies sourdes et indirectes ne travaille à ruiner la véritable sanctification, et à laisser les hommes dans le péché. Et s’il en était autrement, il est certain que le diable aurait oublié l’art qu’il a pratiqué depuis la naissance du monde jusqu’à présent. Voulez-vous que je vous mette ceci devant les yeux tout doucement sans scandaliser personne ? Considérez je vous prie cette religion, qui sous le beau prétexte de mortification, de jeûnes, de haires et de cilices, remplit l’esprit des hommes d’orgueil et de présomption par la prétention de leurs mérites, les changeant en des pharisiens arrogants qui disent : Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de mes biens aux pauvres, et je ne suis pas comme ce misérable péager que voilà. Considérez cette religion, qui sous le voile admirable de bonnes œuvres et d’actes de dévotion, fait consister la plus grande partie de sa piété en des actions superstitieuses, vaines et ridicules, faisant en cela les deux maux que Dieu reprochait autrefois aux Juifs qu’il avaient faits, c’est-à-dire quittant la véritable source d’eau vive, et se détournant à des citernes rompues. N’est-ce pas ce que fait cette religion là ? Elle établit presque toute sa dévotion dans le choix des viandes, dans la célébration des fêtes, dans les pèlerinages, dans l’attouchement et la vénération des reliques, dans le roulement des chapelets, dans la visite des stations, et dans les autres choses de cette nature.

Considérez cette religion, qui sous prétexte d’humilité, et de crainte, défend aux hommes de s’assurer jamais de leur salut, et leur ordonne d’être dans une ignorance ou une inquiétude perpétuelle, si Dieu leur fera la grâce de les recevoir à l’heure de leur mort. N’est-ce pas renverser entièrement la sanctification, et en détruire le véritable principe ? Car le principe de la vraie sainteté, ou pour mieux dire, ce qui fait l’âme et l’essence de la sainteté n’est-ce pas l’amour filial que nous avons pour Dieu ? Mais comment cet amour filial peut-il subsister avec cette continuelle incertitude si Dieu est notre ami ou notre ennemi, s’il a résolu de nous sauver ou de nous damner ? Et avec ses cruelles perplexités qui accompagnent cette incertitude, quelque bien que je fasse, quelque justice que je trouve en moi, quelque abondante mesure de grâce que Dieu m’ait jusqu’à cette heure communiquée, je ne saurais pourtant m’assurer, ni de mon élection, ni de ma persévérance, et il peut être que Dieu m’a réprouvé pour me damner éternellement. Et que tout ce qu’il m’a fait et que tout ce qu’il m’a jusqu’ici communiqué de grâce, ni même la rémission de mes péchés qu’il m’a déjà accordée, ni la communion de Jésus-Christ où il m’a mis, ni son Saint Esprit qu’il m’a donné, n’empêchent pas qu’ils ne me haïsse dans le fond de son cœur, et qu’il ne m’ait haï éternellement. Et peut-être qu’après m’avoir donné si longtemps sa grâce, tout d’un coup il la retirera de moi, et m’abandonnera aux tristes effets de ma corruption et de sa vengeance. Dites-moi, je vous prie si c’est représenter un Dieu fort aimable ? Et si ce n’est pas renverser en effet la sanctification au lieu de la vouloir établir ?

Passons maintenant à la seconde partie de notre texte. Elle consiste dans l’assurance que l’apôtre donne, que la doctrine qu’il vient de nous proposer est entièrement divine et inviolable. C’est pourquoi, dit-il, qui rejette ceci, ne rejette point un homme, mais Dieu qui a aussi mis son Saint Esprit en nous. La première considération que nous devons faire sur ces paroles est, qu’il ne faut pas croire que par cette réjection de la doctrine de saint Paul, il entende simplement une réjection ouverte ou déclarée, telles que la font les infidèles, les païens et les Juifs qui blasphèment contre l’Évangile. Il y a peu d’apparence que saint Paul parle ici contre ces sortes de gens-là, qui ne reconnaissaient, ni ne voulaient en aucune manière reconnaître le christianisme ; il parle à des chrétiens qui avaient déjà été appelés extérieurement dans l’Église, et qui faisaient profession d’avoir embrassé la religion de Jésus-Christ. Il y a de plus très peu d’apparence, qu’entre ces personnes-là qui professaient le christianisme, il s’en trouva du temps de l’apôtre quelques-uns qui niassent hautement et ouvertement la nécessité de la sanctification et des bonnes œuvres. Il y eut à la vérité dans la suite, de certains hérétiques qu’on appelait gnostiques à qui on a imputé de très horribles maximes sur ce sujet ; mais outre qu’il est fort douteux, si ces gens-là tombèrent d’accord des maximes qu’on leur imputait, outre cela dis-je, je ne crois pas que cette secte fut encore née, lorsque saint Paul écrivait son épître aux Thessaloniciens ; ou si elle était née elle n’avait pas au moins encore éclaté, ni ne s’était fait connaître. Ainsi je suis persuadé que saint Paul parle ici d’une autre espèce de réjection. Celui, dit-il, qui rejette ceci, il veut dire celui qui le rejette dans la pratique, celui qui faisant profession d’être chrétien demeure plongé dans l’ordure, et ne s’adonne en aucune manière à la sanctification. C’est contre ces sortes de gens qu’il parle, et desquels il dit : Qui ne rejettent pas un homme, mais Dieu. Il a raison de s’en prendre particulièrement à ces personnes-là. Car il est certain que ce sont les plus cruels ennemis de la religion et de l’Église, et le plus odieux genre d’hommes qui se puisse concevoir. ils sont odieux ; car à tous les autres vices dont ils sont entachés, ils joignent encore l’hypocrisie. Gens qui ont la voix de Jacob, et les mains d’Esaü. Sépulcres blanchis qui sous de belles apparences ne cachent que de la pourriture. Les vicieux de profession ouverte ne sont pas au moins trompeurs comme ceci. Ils ne fourbent point les yeux, ni n’imposent à personne. Mais ceux-ci sont des enchanteurs, qui cachent l’horreur de leur crime sous un beau dehors. Des faux prophètes qui disent : Seigneur, Seigneur, et qui au reste sont des ouvriers d’iniquité. Et qu’y a-t-il de plus odieux que cela ? Ce sont les plus cruels ennemis de la religion et de l’Église, qui nous font cent fois plus de mal que les ennemis déclarés quelques fiers et ardents persécuteurs qu’ils soient. Les ennemis déclarés calomnient la religion, mais ils n’en sont pas crus, et la religion se défend suffisamment contre leurs accusations ; au lieu que ceux-ci en sont crus d’ordinaire, quand ils déshonorent l’activité chrétienne. Pourquoi, dit-on, nous ne les en croirions-nous pas ? Ce sont des amis et non pas des ennemis ; ils parlent par leurs œuvres, et nous font voir quel est l’esprit de la religion qui les anime. Les persécuteurs ne troublent que l’état extérieur de l’Église, et le plus souvent en lui ravissant son repos temporel, ils contribuent (malgré qu’ils en aient) à l’augmentation de la foi et de la sainteté de ses enfants. Mais ces malheureux hypocrites dont nous parlons attaquent son état intérieur, et par leur contagion et leur mauvais exemple surprennent les simples et corrompent leur régénération. Mais que dis-je les simples, les plus forts mêmes et les plus avancés dans la pratique de la justice ne se peuvent défendre de leur venin ; car qu’y a-t-il de plus dangereux qu’un mauvais exemple qui s’insinue sous le voile de l’amitié et de la fraternité ? Un peu de levain, disait l’apôtre, fait lever toute la pâte. Une conversation vicieuse est une peste dans l’Église, ou si vous voulez, une étincelle de feu dans un monceau de paille ou de chaume. Hélas ! nous ne sommes que trop à cet égard, tous tant que nous sommes, grands et petits, forts et infirmes, une matière combustible ; et n’avons que trop de dispositions au péché, de quelque côté qu’il nous tente. Et combien plus lorsque ces tentations nous viennent d’un endroit, contre lequel nous ne sommes point précautionnés.

2. Mais direz-vous, tous ceux qui pèchent dans l’Église sont-ils du nombre des hypocrites ? N’y a-t-il point de vrais fidèles qui s’éloignent quelquefois de la sanctification, et qui par conséquent donnent à leurs frères et du scandale et des mauvais exemples ? Il est vrai qu’il n’y a là que trop, et je ne doute pas que ce ne soit aussi à ceux-là que s’adresse la parole de saint Paul, et qu’il ne les comprenne de même que les hypocrites, entre ceux qui rejettent sa doctrine. J’avoue que quand un fidèle tombe dans quelque péché, il ne s’ensuit pas de là qu’il ait rejeté absolument la doctrine de la sanctification. Dieu nous garde d’avoir cette pensée. Il tombe par infirmité ; car notre régénération n’est jamais si entière, qu’il ne nous reste toujours beaucoup de faiblesses, et dans l’esprit et dans le cœur. Et si ceux qui font des déclamations sur ce sujet connaissaient assez bien les voies de l’homme, ils ne diraient pas, comme ils font si absolument, que les péchés ne se peuvent allier dans une même personne avec la foi et la charité, et les autres principes de la régénération. Je ne veux pour cela que l’exemple de saint Pierre. Qui croira, que ce que Jésus-Christ lui dit : J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point, se doive entendre de quelques simples lumières de l’entendement, sans aucune piété, ni aucune charité dans le cœur ? Qui croira, que saint Pierre, dans le moment de sa chute où il fut emporté par un mouvement impétueux de la crainte et de la frayeur, ait senti subitement s’éteindre dans son cœur toute sorte de charité et de piété, et que tous les attachements qu’il avait à son divin Maître aient été tout d’un coup rompus, d’une manière si pleine et si absolue qu’il n’ait conservé dans le fond de son âme aucune considération pour lui ? Le retour prompt qu’il fit vers Jésus-Christ, lorsque Jésus-Christ le regarda, et qui fut accompagné de larmes amères de repentance, témoigne bien que si sa piété et sa charité avaient souffert une éclipse, elles n’avaient pourtant pas été entièrement éteintes. En effet, il faut faire le même jugement de la vie spirituelle que de la temporelle, l’une et l’autre peuvent souffrir des évanouissements sans périr entièrement. Il faut donc distinguer une réjection absolue de la doctrine de la sanctification, et une réjection à l’égard de quelques degrés. Les hypocrites qui sous le masque d’une profession extérieure cachent un cœur profane et mènent une vie profane, sont coupables de cette première réjection. Les fidèles quand ils tombent dans quelque péché sont coupables de la seconde. Mais, quoi qu’il en soit, il est toujours vrai que quelque péché que nous commettions, aussi petit qu’il soit, c’est une réjection que nous faisons de la doctrine de la sanctification. Car si nous la suivions bien, comme nous devons, nous ne pécherions jamais ; puisque l’Évangile ne se contente pas de demander de nous une sanctification imparfaite, et qu’au contraire, il en exige une pleine et parfaite, tant à l’égard de ses parties, qu’à l’égard de ses degrés. Ainsi toutes les fois que nous commettons quelque faute, c’est une espèce de renonciation que nous faisons à l’honneur de notre vocation, et un outrage à la doctrine de Jésus-Christ

3. Je dis à la doctrine de Jésus-Christ, c’est-à-dire du Fils de Dieu, et de Dieu même. Car cette loi de la sanctification n’est pas de saint Paul, ni d’aucun homme, elle est de Dieu et de son Fils bien-aimé. Celui qui rejette ceci, dit l’apôtre, ne rejette pas un homme mais Dieu. Il veut dire qu’il rejette l’autorité de Dieu même, qui est l’auteur et le promulgateur de cette loi. Il n’y a point de péché qui n’en contienne deux, dont l’un consiste en ce que nous faisons une chose qui de sa nature est mauvaise, et contraire à cet ordre public et inviolable, selon lequel les créatures raisonnables doivent vivre. Et l’autre consiste en ce que nous offensons l’autorité et la majesté infinie de notre Législateur et que nous nous révoltons de son obéissance. Saint Paul ayant égard au premier appelle les péchés, des ordures contraires à la vraie sanctification ; mais ayant égard au second, il les appelle des réjections de Dieu, c’est-à-dire des rébellions contre son autorité souveraine. Crime grand et énorme sans doute, et digne de toute sorte de punition. C’est la raison, afin que je le dise en passant, qui nous fait rejeter cette frivole distinction que l’école romaine a inventé, de péchés véniels. Car il est constant que les plus petits péchés que l’on puisse commettre, enferment en eux cette rébellion, puisque, quelques petits qu’ils soient quand on considère les choses mêmes, ils sont toujours des violations de la majesté ineffable de celui qui nous les a défendus. Et cette violation, de quelque manière qu’on la considère, ne peut de soi-même qu’elle ne mérite la mort. Qu’y avait-il de plus léger, à considérer la chose en elle-même, que le péché de nos premiers parents ? Manger d’un fruit qui est agréable aux yeux et au goût, et qui semblait n’avoir été naturellement destiné que pour la nourriture des animaux, était-ce une chose si grande ? Mais quelque fut cette action, considérée en elle-même, elle était défendue. Et nos premiers parents ne l’ont pu commettre, sans s’élever contre la majesté infinie du Créateur qui leur avait dit : Vous n’en mangerez point. Ils ne la pouvaient commettre, sans se soustraire à l’obéissance qu’ils lui devaient ; et par conséquent sans tomber dans le plus grand de tous les crimes. Qu’il serait nécessaire que nous eussions sans cesse cette vérité devant les yeux, pour ne nous point tromper nous-mêmes comme nous faisons d’ordinaire. Car je ne sais comment il se fait, que quand nous jugeons des péchés, nous ne les considérons presque jamais que dans la vue des choses auxquelles ils consistent. C’est pourquoi la plupart nous paraissent petits et légers, peu dignes de notre attention, et moins encore de notre repentance quand nous les avons commis. N’est-ce pas une pitoyable illusion que nous nous faisons à nous-mêmes ? Ne voyant pas que quelque peu considérables que soient les péchés dans la vue des choses, ils le sont toujours extrêmement dans la vue de ce Législateur suprême qui nous les a défendus ; et que ce sont autant de réjections de Dieu que nous faisons.

4. Remarquez ici, je vous prie, la conduite de saint Paul, il ne met point sa propre autorité devant les yeux des Thessaloniciens, ni ne se revêt de titres superbes et pompeux, pour attirer du respect et de la vénération sur sa personne et sur sa parole. Il ne parle point de son ravissement au troisième ciel, ni de ses visions, ni de ses miracles, ni de ses travaux, ni même des persécutions qu’il avait souffertes pour la religion ; bien que toutes ces choses-là dussent rendre fort recommandable parmi les gens de bien. Quand il sera question de relever la grâce que Dieu lui a faite, il parlera de son ravissement, de ses miracles, et de ses visions. Et quand il s’agira de soutenir la fidélité de son ministère contre les fières accusations de ses ennemis, il racontera ses voyages, ses travaux, et ses persécutions. Mais quand il s’agira d’imposer une loi à la conscience, ou d’établir une doctrine de foi et une règle de mœurs, il ne mettra en avant que le nom de Dieu. Rien que de divin. Nulle considération d’homme. Car la foi et la conscience ne reconnaissent d’autre autorité que celle du Ciel, ni ne suivent d’autres voies que celle du Maître commun de toutes les créatures : Nous ne nous prêchons point nous-mêmes, mais Jésus-Christ, disait-il ailleurs, et quant à nous, nous sommes des ministres (2 Corinthiens 4.5). C’est à peu près la pensée qu’avaient les prophètes, qui lorsqu’ils avançaient quelque chose usaient toujours de cette préface : Ainsi a dit l’Éternel. C’est aussi dans cette vue que notre apôtre parlant, tant de lui, que de ses compagnons d’œuvre, disait en quelque endroit : Nous avons ce trésor en des vaisseaux de terre, afin que l’excellence de cette force soit de Dieu, et non pas de nous (2 Corinthiens 4.7).

5. Mais direz-vous, n’est-il pas vrai pourtant que les Thessaloniciens n’avaient reçu la doctrine de l’Évangile, ni en particulier celle de la nécessité de la sanctification que de la bouche de saint Paul, il semble donc qu’ils ne la pouvaient considérer, que comme la doctrine d’un homme, ni par conséquent la rejeter, qu’en rejetant un homme. Saint Paul prévient cette objection dans les dernières paroles de notre texte. Nous avons, dit-il, le Saint Esprit en nous. C’est à peu près comme s’il disait, j’avoue que je vous ai apporté l’Évangile, mais ne pensez pas que je sois le premier ou le principal auteur de la prédication que je vous ai faite ; je ne suis qu’un simple instrument, un organe, une cause seconde ; car tout ce que je vous ai annoncé, vient du Saint Esprit. C’est lui qui a conduit mes pas vers vous, ouvert ma bouche, et formé les paroles que je vous ai dites. Ce qui relève la vérité du ministère de saint Paul, et qui donne une autorité souveraine à ses paroles, mais qui ne relève nullement sa personne, sinon en tant qu’il a plu à Dieu de le choisir pour être son interprète. Or cela nous enseigne 1° que les apôtres n’ont rien dit d’eux-mêmes, mais qu’ils ont été inspirés par l’Esprit de celui qui les avait envoyés. 2° Qu’ils avaient eux-mêmes la connaissance de cette inspiration. Car le même Esprit qui parlait par eux, se donnait aussi à connaître à eux, non à la vérité par des caractères sensibles, comme il faisait dans les prophètes, mais par la considération de la majesté et de la sainteté de leur parole, et par la comparaison qu’ils en faisaient avec les forces de la nature, qui n’étaient nullement capables de former une si admirable doctrine. A quoi il faut ajouter que saint Paul qui avait reçu, comme les autres apôtres, sa mission immédiatement de Jésus-Christ lui-même, devait être fort raisonnablement persuadé que celui qui l’avait établi le docteur des nations, et qui l’avait destiné à une si grande œuvre que celle de la conversion des peuples, ne lui avait pas refusé la conduite de sa grâce. Enfin sa propre expérience lui faisait facilement comprendre qu’il était animé de l’Esprit de Jésus-Christ, dans un degré qui le rendait infaillible dans la doctrine, puisqu’il ne lui était rien échappé qui s’éloigna de la véritable forme de l’Évangile de Jésus-Christ, et qu’au contraire, il en avait pénétré tous les ministères d’une manière admirable, comme nous le voyons dans ses épîtres. C’est le témoignage qu’il se rend lui-même dans la première aux Thessaloniciens : Notre exhortation, dit-il, n’a point été, ni par abus, ni par vilenie, ni en fraude. Mais nous avons été approuvés de Dieu, à ce que la prédication de l’Évangile nous fût commise, ainsi parlons-nous, non point comme voulant complaire aux hommes, mais à Dieu qui approuve nos cœurs. C’est aussi ce qui avait obligé les fidèles de recevoir la parole avec une entière obéissance, comme il le dit au même endroit : Nous rendons grâce à Dieu sans cesse, de ce que vous avez reçu de nous la parole de la prédication de Dieu ; vous l’avez reçue, non point comme parole des hommes, mais ainsi qu’elle est véritablement comme parole de Dieu ; laquelle aussi opère avec efficace en vous, qui croyez.

6. Il faut enfin remarquer ici, que la foi des fidèles se produit par la rencontre de deux esprits, ou pour mieux dire d’un seul et même esprit qui se trouve soi-même, et qui se reconnaît en deux lieux, à savoir, dans la faculté de l’homme ; c’est ce que nous appelons l’esprit intérieur communiqué à chaque fidèle ; et dans la prédication ou dans la parole ; c’est ce que nous appelons l’esprit extérieur. De cette rencontre naît cette approbation ou ce consentement que nous donnons aux mystères de la grâce, et cette persuasion que nous avons de la vérité. Si vous supposez que l’Esprit de Dieu anime et éclaire la faculté de l’homme, et que vous l’appliquez à un objet purement humain, ou à une parole dans laquelle l’Esprit de Dieu ne se trouve point, cette rencontre ne peut produire qu’une résistance et une réjection, au lieu d’une persuasion ; parce que l’Esprit de Dieu qui est dans la faculté, et l’esprit de mensonge qui est dans la prédication ne peuvent jamais s’allier ensemble. A cause de quoi saint Jean dans sa première épître, s’assure que les fidèles ne se laisseront point séduire par les faux docteurs, parce que, dit-il, ils ont l’onction de par le Saint, c’est-à-dire le Saint Esprit. D’autre part, si vous supposez l’Esprit de Dieu dans la prédication, et que vous mettiez dans la faculté, ou dans l’entendement des auditeurs l’esprit de vanité et l’esprit du monde, il ne se peut produire encore de cette rencontre que l’incrédulité et la rébellion contre l’Évangile ; par la même raison que j’ai dite, que ces deux esprits dont l’un est du Ciel, et l’autre de la terre ne se peuvent jamais reconnaître, ni s’allier l’un avec l’autre. Et c’est dans ce cas que saint Paul disait aux Corinthiens : Si notre Évangile est couvert, il est couvert à ceux qui périssent, auxquels le dieu de ce siècle a aveuglé les yeux de l’entendement.

Exemple de tractation par voie d’exhortation constante.

A cet exemple que nous venons de mettre en avant, pour servir de modèle aux textes qui se traitent par observations, ajoutons en un autre pour ceux qui se peuvent traiter par voie d’application perpétuelle. Nous choisirons pour cela ces paroles de saint Paul : Employez-vous à votre propre salut, avec crainte, et tremblement. (Philippiens 2.12)

Après avoir commencé par un exorde tendre qui déplore la condition des hommes, de ce qu’il y en a si peu qui connaissent la vérité ; parce qu’il y en a un nombre presque infini à qui Dieu ne daigne par la faire prêcher ; et lesquels il laisse dans des épaisses ténèbres ; un nombre presque infini de ceux à qui Dieu la fait prêcher, qui la corrompent par des erreurs et des superstitions, et qui ne la voient presque jamais que brouillée et confondue, avec les mensonges et les inventions humaines ; un nombre presque infini de ceux qui la connaissent clairement, et néanmoins la négligent ; et par leur négligence perdent et laissent écouler le fruit admirable qu’elle leur pourrait produire. Après avoir montré l’étonnement où cette méditation nous jette, qu’il y ait un si petit nombre d’hommes de sauvés ; et enfin après être tombé dans les véritables causes de cette rareté des sauvés, à savoir, que peu de personnes s’emploient à cela de la manière qu’ils le devraient faire ; il faut finir l’exorde par une autre exhortation à profiter du temps de notre vocation, et à ne permettre que quand nous sortirons du monde, nous puissions nous demander à nous-mêmes ce que nous y avons fait, ni nous reprocher d’avoir abusé de la patience de Dieu et de ses grâces. Employons-nous donc à notre propre salut, avec crainte et tremblement. Il faut faire en sorte que cet exorde soit vif, agréable, et tel qu’il puisse d’abord réveiller l’auditeur, et obtenir une particulière attention

I

Cela fait, il faut l’avertir, que si vous aviez à traiter ces paroles de la manière ordinaire, vous ne manqueriez pas de leur faire faire beaucoup de réflexions de doctrine. 1° Sur ces termes, votre propre salut, qui sont d’un grand poids et d’un grand sens. 2° Sur le commandement que saint Paul nous fait de nous y employer, sur quoi il y aurait beaucoup de choses à dire. 3° Et enfin sur la crainte et le tremblement qu’il veut qui accompagnent notre travail ; car il y aurait encore sur cela à faire des réflexions importantes. Mais vous ajouterez, que laissant à part toutes ces doctrines, qui le plus souvent ne servent que d’amusement à notre esprit par l’abus que nous en faisons, votre dessein est de tâcher de faire faire à vos auditeurs ce que saint Paul leur commande, et de les faire travailler actuellement, pendant cette heure destinée à la piété, à leur propre salut avec la crainte et le tremblement. Là, parce qu’il s’agit d’une action de pratique où l’on doit ouvrir toutes les portes de la conscience, et mettre l’auditeur en mouvement, il ne sera pas mal à propos après avoir fait une espèce de division en trois parties, dont l’une sera, des considérations sur notre propre salut, l’autre, des actes par lesquels nous y travaillerons, la dernière, des sentiments de crainte et de tremblement dont nous accompagnons ces actes, de finir tout cela par une prière à Dieu en forme de souhait, courte, mais animée ; afin qu’il lui plaise de bénir cette action, et de nous donner à tous les forces qu’il faut, à ce que dans ce moment même nous puissions si bien mettre la main à l’œuvre de notre salut, que ce salut soit bien avancé lorsque nous sortirons de ce temple.

1. Après cette préparation, la première chose, direz-vous, sur laquelle je désire que vous méditiez est, que Dieu a tant de bonté pour nous qu’il nous a préparé un salut. Nous étions ses ennemis, et il a bien voulu nous offrir sa réconciliation. Nous étions morts, et il nous a préparé une résurrection. Nous étions plongés dans un abîme de malheur, et il a bien voulu nous tendre sa main d’en-haut. Le salut consiste en des biens inénarrables, d’un prix grand, que nous ne saurions assez estimer ; car ils doivent être proportionnés à la dignité du sang de Jésus-Christ qui nous les a mérités. Ce sang qui nous les a acquis est la chose du monde la plus sacrée, la plus auguste, et pourtant la plus luctueusea et la plus touchante. Entrez donc je vous prie avec moi dans cette méditation. D’où vient-il que nous prenons si peu d’intérêt dans une chose qui nous est si importante ? Notre salut se présente tous les jours à nous, comme un riche trésor, qui sort du sein de la miséricorde éternelle, comme la divine et incomparable production de la mort sanglante du Fils de Dieu ; comme une table qui se présente à nous dans le triste naufrage que nous avons fait. Cependant nous n’y songeons pas, et quand nous faisons réflexion sur le peu d’attention que nous avons eue jusqu’à présent à la voix de Dieu qui nous en a si souvent parlé, nous sommes étonnés de nous trouver dans une si grande stupidité.

aLuctueuse : qui provoque l’affliction ; qui tire des gémissements.

2. Cependant pour mieux reconnaître l’importance de ce salut, et la nécessité de s’y bien appliquer, il me semble qu’il ne faut que tourner tant soit peu les yeux sur le malheureux état de ceux qui le négligent pendant le cours de cette vie, et qui sortent du monde sans s’y être en aucune manière employés. Regardez je vous prie, tout cet amas de pécheurs, d’infidèles et de profanes, qui partagent aujourd’hui le monde. Voudrions-nous bien être du nombre de ces gens-là ? L’un est un jeune étourdi, qui n’a sa tête pleine que de folies et d’égarements. L’autre est un vieil avare, qui a rempli sa maison d’extorsions et d’iniquités. L’autre est un fier et cruel scélérat, qui fait consister et sa gloire et sa joie dans le sang et dans la violence, comme une bête farouche. L’autre est un faux hypocrite, qui ne paraît jamais dans le monde que masqué, qui ne sort que pour tendre des pièges, ni ne se remue que pour tromper l’innocence des simples ; un insigne fourbe qui ne songe qu’à imposer aux yeux de toute la terre. L’autre est un sale épicurien, toujours noyé dans le vin ou plongé dans les voluptés, un pourceau qui a son âme ensevelie dans la graisse, et qui ne songe sans cesse qu’à inventer de nouveaux plaisirs.

3. Combien d’abîmes le vice a-t-il creusés pour y précipiter les hommes ? Et en combien d’espèces se partage-t-il pour les surprendre et pour les perdre ? Tantôt il paraît sous le beau voile des richesses et des grandeurs ; tantôt sous les doux charmes de la volupté des sens ; tantôt sous la justice qu’il y a à soutenir ses propres intérêts, et à satisfaire sa vengeance ; tantôt sous les raisons que l’on a de porter envie à la prospérité d’autrui ; tantôt sous l’idée de la joie qu’on a de réussir dans ce qu’on a entrepris, et sous celle de la honte qui suit un mauvais succès, lorsque l’on se trouve engagé dans une affaire. Enfin c’est un Prothée qui se change en mille façons ou, si vous voulez, un serpent qui s’est ouvert mille voies et mille manières pour se glisser dans le cœur des hommes, et pour empêcher qu’ils ne songent à leur salut.

4. D’ailleurs, si vous jetez les yeux sur cette partie du monde qui semble la plus honnête et la plus innocente, vous la verrez plongée dans un nombre presque infini d’occupations qui les appliquent et les attachent d’une telle sorte, qu’il ne leur reste pas un seul moment pour penser à ce qu’ils ont de plus important. Les uns s’abîment dans l’étude des sciences humaines, et les autres dans la pratique de leur profession. Chacun s’y donne tout entier, et pas un ne se souvient que la piété et la crainte de Dieu doit être une profession commune à tous, qui n’empêche pas à la vérité les autres, mais qui leur doit donner néanmoins des bornes et des mesures, afin de n’en être pas elle-même empêchée.

5. A cette considération il en faut ajouter une autre qui nous regarde en particulier, je veux dire les gens de bien, les fidèles, ce petit nombre de personnes qui se sont en quelque manière séparées du monde pour servir Dieu. Car il est vrai que dans quelque éloignement où nous soyons mis à l’égard du monde et de ses vanités, nous n’avons pourtant encore que trop de communication avec ces sortes de choses, ce qui fait que nous devons regarder notre salut comme étant dans un perpétuel danger de nous être ravi. Nous sommes séparés des mondains par la profession de l’Évangile, je l’avoue. Mais ne vivons-nous pas encore dans leur commerce à l’égard de la vie civile ? Et par conséquent ne sommes-nous pas exposés à tout moment à la force de leurs mauvais exemples, et à la fausse honte de nous voir seuls opposés en sentiments, en maximes, et en coutumes à tout le reste de la terre ? Ne sommes-nous pas exposés aux attraits flatteurs de leurs promesses, à la violence de leurs menaces, à la surprise de leurs sophismes et de leurs artifices ; et en un mot à ce grand nombre de tentations qui nous viennent de leur part ? Ainsi s’il nous arrivait ou de laisser là l’ouvrage de notre salut, seulement pour quelque temps, ou d’y travailler avec négligence, notre perte serait inévitable.

6. Vous voyez donc combien il est nécessaire de ne discontinuer jamais cette œuvre que nous avons entreprise, et de ne nous relâcher point, mais de retenir ce que nous avons jusqu’à ce que le Seigneur vienne, comme il est dit au livre de l’Apocalypse. Le salut ne se peut obtenir qu’en nageant contre le torrent du siècle ; il faut donc, non seulement faire des efforts, mais faire de perpétuels efforts. Car si vous venons à les suspendre tant soit peu, voire les diminuer, il ne sera pas possible que le torrent ne nous entraîne avec soi, et que ce peu de temps de notre négligence ne nous recule, et ne nous éloigne considérablement du but que nous nous proposons. Car il n’en est pas de cette œuvre spirituelle, comme des temporelles auxquelles nous nous appliquons. Nous pouvons laisser ces dernières pour un temps sans qu’elles en souffrent aucun dommage. Mais pour celle de notre salut, il est certain que la moindre interruption est capable de la gâter, et deux jours de surséance la ruineront plus, que mille de travail ne la sauraient avancer.

7. Mais au fond, direz-vous, quel grand intérêt avons-nous en ce salut ? Et pourquoi faut-il que nous quittions toutes choses, pour nous appliquer à celle-ci avec tant d’empressement et d’assiduité ? Mes frères, pour bien juger de cet intérêt, je vous prie de vous remettre devant les yeux quelques vérités qui ne vous sont pas inconnues, mais qui peut être n’ont jamais fait sur vous toute l’impression qu’elle devrait. Souvenez-vous donc :

1° Qu’il faut mourir, et que cette nécessité vous est imposée avec tant de contrainte et d’une manière si inviolable, qu’il n’y a eu jusqu’à présent aucun homme qui ait pû s’en exempter. Souvenez-vous que Dieu vous a caché sous un voile impénétrable l’heure de votre mort, et que tout ce que vous en pouvez savoir est que votre vie sera courte, et qu’il ne se passe pas un seul moment auquel votre mort ne soit possible, ou pour mieux dire, auquel vous ne soyez en danger, et où quelque funeste accident ne vous menace.

2° Souvenez-vous qu’immédiatement après votre mort, vous êtes obligés d’aller répondre de vos actions devant le tribunal de Dieu. Car puisqu’il est le Dieu de l’univers, et que vous êtes non seulement du nombre de ses créatures, mais de ses créatures raisonnables pour qui il a fait des lois, et à qui il a prescrit les bornes et les mesures de leur devoir, il faut bien nécessairement qu’il soit votre Juge. De la même manière donc que la mort est inévitable, le jugement l’est aussi.

3° Mais hélas ! quel jugement ! Un jugement si terrible que saint Pierre en raisonne de cette sorte : Si le juste est difficilement sauvé, où comparaîtra le méchant et le pécheur. (1 Pierre 4.18) Jugement si épouvantable que les pécheurs diront aux montagnes : Tombez sur nous, et aux coteaux : Couvrez-nous, et cachez-nous devant la face de l’Agneau. Car le jour de sa colère est venu. Jugement si exact, que toutes nos pensées et nos paroles, tous les principes et tous les mouvements de nos consciences, tous les secrets de nos cœurs, nos liaisons, nos fins, nos voies, nos artifices, nos défauts, nos crimes, généralement tout ce qui nous appartient, sera déployé devant les yeux et sous les mains de notre Juge, sans qu’il n’y ait rien qui échappe, ni la lumière de ces yeux, ni le poids de sa balance.

4° Mais souvenez-vous surtout que ce jugement ne peut être suivi que d’une vie ou d’une mort éternelle, d’un salut ou d’une damnation. Il n’y a point de milieu entre ces choses. Le Ciel et l’Enfer partageront alors tout le monde, et ceux qui n’auront pas le bonheur d’entendre cette douce voix : Venez, les bénis de mon père, posséder le royaume qui vous a été préparé, recevront ce funeste arrêt : Allez, maudits au feu éternel qui est préparé au diable et à ses anges.

5° Ce jugement est si assuré, que Dieu ne s’est pas contenté de nous le déclarer en sa Parole, il nous en donne encore les pressentiments dans notre conscience. Car qui est le fidèle qui ne voit tous les jours le tribunal de Dieu dressé dans le fond de son âme ? Et qui n’entende cette secrète voix qui lui demande le compte de ses actions, qui fait enquête de l’usage qu’il a fait des grâces qu’il a reçues, de l’obéissance qu’il a rendue aux lois, du fruit qu’il a fait produire à la parole évangélique, du ménagement qu’il a fait des occasions qui se sont présentées, et en un mot, des vertus qu’il a pratiquées, ou des péchés qu’il a commis. Qui est le méchant, pour insensible qu’il soit, qui ne sente souvent dans son cœur les avant-goûts du jugement ? Car n’est-ce pas de là que viennent les craintes et les terreurs, les inquiétudes et les remords qui agitent d’ordinaire les mondains ? Nous avons tous les uns et les autres ces pressentiments dans tout le cours de la vie, mais ils se rendent incomparablement plus fort aux approches de la mort. Car c’est alors, que l’homme sent la main et le bras de ce Dieu fort qui le tire à soi, qui le saisit, et qui le traîne, malgré qu’il en ait, devant le trône du souverain Juge du monde. C’est dans ces derniers moments, qu’à mesure que les yeux du corps perdent peu à peu leur lumière, ceux de l’esprit sont éclairés, et pénètrent jusque dans les secrets du siècle à venir, pour y voir les suites bonnes ou mauvaises selon qu’ils les doivent attendre. Quel épouvantable aveuglement n’est-ce donc pas ! Qu’ayant tant de certitude, tant de marques, tant de témoignages extérieurs et intérieurs de ce jugement divin, nous négligions encore de nous y préparer, et que nous remettions au hasard une chose si capitale, de laquelle dépend l’éternité. Une des plus belles et des plus admirables vertus que la nature est donnée à l’homme, comme une suite de la raison, c’est-à-dire de la différence qui le distingue d’avec les autres animaux, c’est la prudence, et pour m’expliquer de la sorte, la sagacité pour les choses à venir. Les bêtes qui n’ont pas reçu cet avantage de la main de la nature, n’agissent et ne déploient leur faible lumière que sur le présent. Elles marchent dans le chemin qui s’offre à leurs yeux, elles mangent l’herbe qu’elles voient, elles ne se meuvent que selon qu’elles sont touchées par les objets qu’elles contemplent. Mais pour l’avenir, comme elles n’ont point de lumière qui le pénètrent, elles en sont aussi dans un parfait repos. Il en est autrement de l’homme : sa raison anticipe les années et les siècles, elle voit les choses longtemps avant qu’elles arrivent, elle les connaît dans l’enchaînement de leurs causes et de leurs principes, et elle pourvoit en même temps aux véritables moyens, pour les faire arriver ou pour les éviter. C’est par ces pénétrations de prudence, que les empires et les royaumes se soutiennent, que les villes et les familles se conservent et que tous les hommes en particulier tâchent de se faire, chacun autant qu’il est possible, une vie et une condition heureuse. Comment donc se peut-il faire, que pendant que nous employons si utilement notre prudence sur les choses temporelles, nous en soyons tout d’un coup privés quand qu’il s’agit de la plus grande de toutes les choses à venir, qui est le salut, ou la damnation ? Ne serait-ce point pour cette raison que saint Paul en parlant des mondains les appellent des hommes animaux ? L’homme animal, dit-il, ne comprend point les choses qui sont de Dieu (1 Corinthiens 2.14). Comme s’il disait que cet homme, qui pour les choses de ce monde témoigne qu’il est véritablement homme, qui déploie tant d’action, tant de vivacité, tant de pénétration pour l’avenir, et tant de solidité de jugement pour le choix de ses voies et de ses moyens, n’est pourtant qu’une bête brute, un simple animal sans raison et sans intelligence, quand il s’agit de l’affaire de son salut. Ne soyons pas, mes frères, de ce nombre. Ne dormons pas comme les vierges folles, pendant que nous sommes dans l’attente de l’Époux divin. Jésus-Christ nous a été fait sagesse, et cette sagesse consiste à avoir toujours les yeux ouverts, et l’esprit en inquiétude et en action sur ce qui nous doit arriver après cette vie, et sur les moyens qu’il faut tenir pour parvenir à une éternelle félicité.

7. Je ne puis m’empêcher de découvrir ici deux illusions, que la plupart des hommes se font sur ce sujet.

La première est que nous nous imaginons presque toujours que notre salut est une chose très facile, qui ne demande que très peu de temps. « Un seul moment disons-nous, ne suffit-il pas pour se convertir ? Et une conversion véritable quand elle ne serait que depuis un moment, ne suffit-elle pas pour être sauvé ? Le temps de la vocation divine est long. Il dure tout le cours de la vie. Et cela veut dire, que quand nous aurons employé la meilleure partie de nos jours à nos plaisirs et à nos intérêts, nous y serons encore assez à temps pour nous repentir et pour nous sauver ». Y eut-il jamais rien de plus faux ni de plus trompeur que cette idée que l’on se forme du salut. J’avoue qu’il ne faut qu’une bonne mais sincère conversion pour obtenir grâce devant Dieu, pourvu qu’elle soit bonne et sincère, elle ne laissera pas d’être efficace. Je dirai même quelque chose de plus, une conversion vraie et sincère aux dernières heures de la vie n’est pas une chose tout à fait sans exemple. Dieu nous en fait voir de temps en temps quelques-unes, pour nous faire admirer les merveilles de sa grâce, et les profondeurs de son élection ; mais après cela, je vous prie de remarquer aussi les vérités suivantes que je vais vous dire :

1° Les conversions vraies et sincères dans les derniers moments de la vie sont des choses si rares, que Dieu ne nous en a laissé qu’un seul exemple dans toute l’Écriture. Exemple même qui est singulier à l’égard de ses circonstances, c’est celle du brigand converti. Il le fut sur le point de sa mort, il est vrai. Mais outre qu’il ne fallut pas moins qu’une croix, c’est-à-dire la mort la plus cruelle et la plus infâme, pour le toucher, il ne fallut pas moins pour opérer ce grand miracle que le Fils éternel de Dieu satisfaisant pour le genre humain. Il était bien juste que dans cette grande action ou notre Rédempteur offrait son éternel sacrifice pour tout le monde, dans cette action où il faisait monter de la terre au ciel la fumée de son oblation en odeur d’apaisement à Dieu son Père, dans cette action où le soleil éclipsa, où la terre trembla, où les sépulcres s’ouvrirent, où le voile du temple se fendit en deux, il était dis-je bien juste que le sang du Sauveur fit un miracle, et que l’Esprit de grâce pour honorer la mort du Fils éternel de Dieu, déploya sa vertu d’une façon extraordinaire. Mais que personne ne tire conséquence de cet exemple pour se figurer qu’il en sera de même de lui ; Jésus-Christ ne meurt pas tous les jours, son sang n’a été versé qu’une fois ; et qui vous a dit que ce qu’il a fait dans l’acte de son sacrifice, il le veuille faire encore aujourd’hui ?

2° Une conversion dans les dernières heures est la chose du monde la plus difficile. L’esprit se trouve déjà épuisé, sans force, sans lumière, et sans vigueur. Le cœur est lié par mille habitudes ancienne, contractées depuis longtemps, et qui sont autant de chaînes qui lui ravissent la liberté de ses mouvements. La conscience se trouve plongée dans une profonde léthargie, qui l’occupe depuis longtemps. Toutes les portes de l’âme sont fermées aux idées de la piété, et ses idées comme étrangères et inconnues, ignorent elles-mêmes les voies et les entrées du cœur. Enfin tout l’homme est si enfoncé, et si incorporé, si je l’ose ainsi dire, dans le monde, que le monde a été comme converti en sa propre substance et lui est devenu essentiel. Le moyen donc de le tirer d’un si misérable état ? Le moyen de le détacher de toutes les relations et de toutes les liaisons, qu’il a contractées avec la terre et ses vanités ? Je sais que Dieu le peut faire, car il n’y a rien qui lui soit impossible ; mais il faut pour cela un fonds extraordinaire de grâce ; il faut un effort singulier de la toute-puissance de Dieu. Et si Dieu a dit autrefois qu’il était plus difficile, qu’un riche entrât au royaume de Dieu, que de faire passer un chameau par le pertuis d’une aiguille, à combien plus forte raison le dirons-nous d’un vieux riche, d’un vieux pécheur, qui à l’obstacle de ses richesses a encore ajouté celui de mille vices et de mille crimes.

3° Je ne craindrais pas de dire, que le crime de ceux qui renvoient ainsi leur repentance à la fin de leur vie est d’une telle nature, qu’il les rend entièrement indignes que Dieu se tourne de leur côté, pour leur faire sentir sa grâce et opérer leur conversion. Car ce sont des fourbes qui agissent frauduleusement avec lui et qui prétendent le duper par leurs artifices. C’est d’autant comme s’ils disaient : « Dieu nous appelle, et nous reconnaissons bien que notre repentance est juste et nécessaire, si nous voulons être sauvés ; mais pour cet effet il nous faudrait quitter nos plaisirs et nos biens temporels. Que ferons-nous donc pour n’être pas damnés, et pour jouir cependant des délices de la vie ? En voici le moyen : nous serons plus fins que Dieu, nous emploierons tous nos beaux jours aux débauches et aux péchés, et de cette sorte nous serons contents, et puis, quand nous ne serons plus bons à rien, nous nous convertirons, et de cette sorte nous empêcherons notre damnation. » Croirez-vous bien qu’un raisonnement si horrible, et qu’un si détestable procédé soit fort agréable à Dieu, et qu’il invite extrêmement à aller convertir ces scélérats et ces affronteurs ? Non sans doute. Eh bien que Dieu soit libre en la dispensation de sa grâce, il n’y a pourtant nulle apparence, qu’il veuille que sa grâce soit la couronne et le triomphe de la mauvaise foi.

4° Enfin je vous prie de considérer, s’il y eut jamais rien de plus insensé, ni de plus téméraire que ce raisonnement qui renvoie à la repentance au dernier jour ; puisqu’il suppose dans une affaire d’une si grande conséquence la chose du monde la plus douteuse et la plus incertaine, qui est que nous ne mourrions pas dans nos beaux jours, et que nous ayons à parvenir jusqu’à une vieillesse toute blanche. N’est-ce pas, je vous prie, la plus grossière de toutes les illusions ? Je laisse à part ce que tout le monde sait, qui est que nul ne se peut assurer du lendemain. Je vous veux dire quelque chose de plus sensible. Mettez-vous je vous prie devant les yeux tous les divers ordres des hommes ; comptez-les l’un après l’autre, et un à un. Il est constant que le nombre de ceux qui meurent avant l’âge de trente années est sans comparaison plus grand, que celui de ceux qui parviennent jusqu’à cet âge. Mais après cela, combien y en a-t-il qui meurent dans l’intervalle de trente à quarante années ? Combien peu qui aillent jusqu’à la cinquantième, et moins qui passe la soixantième ? Et combien petit est dans tous les siècles et dans toutes les générations le nombre des vieillards ? Dans une ville remplie d’un million d’âmes, vous en trouverez deux mille ou trois mille au plus, c’est-à-dire en gardant la proportion, deux ou trois cents sur une multitude de cent mille âmesb. Et après cela quelle folie ? Et quelle sécurité ? De s’imaginer que l’on sera du nombre de ces deux ou trois cents heureux, dans une multitude de cent mille ? Si un homme sur une espérance de cette nature hasardait tout son bien, il passerait dans le monde pour un enragé, et tous ses parents et ses amis, sa femme et ses enfants s’assembleraient pour l’en empêcher. Et toi misérable ! tu hasardes ton salut, ton âme, la paix de ton Dieu, ta félicité éternelle sur cette attente frivole, et pour comble de malheur, ta femme, tes enfants, tes parents, tes amis, tout le monde te laisse faire, ou s’ils t’en avertissent, tu ne fais nul état de leur avis.

b – Intéressante statistique sur la pyramide des âges de l’époque de Louis XIV. Si aujourd’hui ces chiffres sont bien différents et la pyramide inversée, l’exhortation de Claude ne perd rien de sa pertinence ; l’espérance de vie ne fait rien à l’affaire, car la mort peut survenir à tout moment.

La deuxième illusion que la plupart des hommes se font, est qu’ils croient s’être bien acquittés de leur devoir, lorsque, sans se mettre en peine de leur propre salut comme l’apôtre veut que nous fassions, ils s’emploient au salut d’autrui. Et c’est ce qu’ils font d’ordinaire en deux manières.

Premièrement en disant sur ce sujet les plus belles choses du monde, en général. C’est ce que l’on remarque tous les jours. Vous ne voyez presque personne qui se convertisse en effet ; mais vous n’en voyez aucun qui ne vous dise, que nous devrions tous être gens de bien, que c’est une chose étrange que de la corruption du siècle ; on y voit point de vertu ni de bonne foi, très peu de religion, et presque point de piété. Ces sortes de lieux communs sont dans la bouche de tout le monde. Mais avec tous ces beaux discours vous n’en trouvez point, qui, en se retirant de ces vues générales, fasse une sérieuse réflexion sur soi-même, pour dire : « Et moi qui suis-je ? Ne suis-je pas fait comme les autres ? Et puisque je trouve à propos que chacun se corrige, n’est-il pas juste que je commence par moi-même, et que je mette le premier la main à l’œuvre, pour servir d’exemple à mes frères ? »

La seconde manière par laquelle on prétend travailler au salut d’autrui sans s’employer au sien propre, est encore si vous voulez plus scandaleuse que la première. Elle consiste en ce que la plupart des gens sont toujours au guet sur les actions d’autrui, pour les censurer et les mordre. Si en effet elles sont mauvaises, vous les entendez crier au crime, ils en paraissent extrêmement scandalisés, ils en relèvent toutes les circonstances et en exagèrent tous les degrés. Mais si les actions des autres sont apparemment bonnes et vertueuses, ne les pouvant pas condamner en elles-mêmes, il les condamnent dans leur principe. Ce n’est, disent-ils, que l’effet de l’ambition ou de l’hypocrisie ; ils se veulent faire de fête ; ils veulent faire parler d’eux, et se mettre en crédit par là, et en réputation de gens de bien. Certainement toutes ces manières sont fort éloignées de la forme véritable de notre devoir, et je ne doute pas que saint Paul ait eu dessein de nous en retirer, quand il dit : Employez-vous à votre propre salut. Je ne veux pas dire qu’il faille entièrement négliger le salut de mon prochain. Dieu nous en garde, la charité et la communion évangélique nous y obligent. Et ce serait une très indigne et méchante parole si quelqu’un disait avec Caïn : Suis-je la garde de mon frère ? Mais je dis que ce n’est pas à cela seul que nous nous devons employer. Ce n’est pas même ni notre première, ni notre principale occupation, il faut travailler à notre propre salut. C’est par là qu’il faut commencer. C’est à quoi il se faut particulièrement appliquer, de peur qu’en voulant corriger autrui, nous ne devenions nous-mêmes incorrigibles. Je mate, dit l’apôtre, et je réduis mon corps en servitude, afin qu’en quelque manière, après avoir prêché aux autres, je ne sois pas trouvé moi-même non recevable (1 Corinthiens 9.27)

II

Mais il est temps que nous passions à la seconde partie de cette action, dans laquelle je demande, non l’attention de votre esprit mais les mouvements de votre cœur ; non que vous écoutiez simplement, ou que vous jugiez de la vérité et de l’importance de ce que je vous dirai, mais que vous agissiez vous-même, ou plutôt que nous agissions ensemble, et que vos consciences fassent ce que ma langue leur dictera. Employons-nous, dit l’apôtre, à notre propre salut. Employons-nous y donc maintenant, sans renvoyer cette affaire à une autre fois, et que le juste commentaire de ces divines paroles se trouve aujourd’hui, dans une exacte obéissance que nous leur rendrons.

Le premier acte par lequel nous devons commencer, c’est celui d’une sainte réconciliation avec Dieu. Pour cet effet après avoir jeté les yeux sur la grandeur des fautes que nous avons commises, et que nous commettons sans cesse contre lui ; et après avoir considéré toutes les grâces que nous avons reçues, et de quelle manière nous en avons abusé, après avoir conçu une juste douleur de nous voir chargés de tant de péchés, recourons avec humilité à sa miséricorde. Que chacun de nous en particulier rappelle ici la mémoire de ses égarements. Qu’il se souvienne de quelle manière il a transgressé les lois que Dieu lui a données. Combien de fois et en combien de sorte il a déshonoré sa vocation ; avec quelle négligence il s’est acquitté de ce à quoi et la nature et la grâce l’obligeaient, et à quoi la profession chrétienne l’avait engagé. Que les violents mettent ici devant leurs yeux l’injustice de leurs emportements. Que les intéressés se souviennent de toutes les voies obliques, dont ils se sont servis pour amasser des richesses. Que les outrageux, les fiers, les médisants, les vindicatifs songent aux injures qu’ils ont faites à leur prochain. Que les ambitieux, ceux qui aiment les plaisirs des sens, et ceux qui ont le cœur rempli de l’amour des choses du monde, pensent ici à tous ces vains et téméraires sentiments qu’ils ont eu pour les choses de la terre. En un mot, que chacun de nous revoit un peu sa vie et sa conduite jusqu’à présent. Qu’il pèse ses actions à la balance du sanctuaire, et que se reconnaissant transgresseur, enfant désobéissant et rebelle, indigne par conséquent de l’amour de son Dieu, il se prosterne aux pieds du trône de sa grâce avec une profonde humilité.

C’est cet acte de repentance que Dieu nous a civilement exprimé dans le psaume 51 : O Dieu aie pitié de moi, selon ta gratuité, et selon la grandeur de tes compassions, efface mes forfaits. Lave-moi tant et plus de mon iniquité, et me nettoie de mon péché. Car je connais mes transgressions, et mon péché est continuellement devant moi. J’ai péché contre toi, contre toi proprement, et j’ai fait ce qui est déplaisant devant tes yeux. C’est cette repentance que l’Église épouvantée par la colère de Dieu témoigne au chapitre 64 d’Ésaïe : Nous sommes tous devenus comme une chose souillée, et toutes nos justices sont comme le drapeau souillé. Nous sommes tous tombés, comme la feuille, et nos iniquités nous ont transportés comme le vent. Il n’y a personne qui réclame ton nom, et qui se réveille pour se tenir ferme à toi. C’est pour cela que tu as caché ta face arrière de nous, et que tu nous as fait fondre par la force de nos iniquités. C’est la même repentance que Jésus-Christ nous a proposée dans l’exemple de l’enfant prodigue, dans ses tendres paroles de confession : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis point digne que tu me tiennes comme ton enfant. Mais si notre repentance nous amène au pied du tribunal de Dieu, qu’elle nous y amène profondément humiliés ; car Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles. Qu’elle nous y amène vivement touchés, car une repentance négligée est une repentance infidèle qui trahit la conscience, par des ébranlements, non seulement inefficaces, mais pernicieux, ni plus ni moins que les crises imparfaites accablent la nature, au lieu de la soulager.

Mais parce que notre repentance quelque forte qu’elle fût ne nous servirait elle-même de rien, si elle n’était accompagnée d’un sacrifice propitiatoire pour les pécheurs, ajoutons-y un saint et ardent recours au sang de Jésus-Christ, et à la satisfaction qu’il a présenté à Dieu son père pour nous sur la croix. C’est cet acte de foi qui nous est si souvent recommandé dans l’écriture, et auquel toute la doctrine de l’Évangile ne craint point d’attacher la promesse de la vie éternelle. Si nous avons péché, dit saint Jean, nous avons un avocat envers le père, à savoir Jésus-Christ le juste. Car c’est lui qui est la propitiation pour nos péchés. Nous sommes justifiés gratuitement, dit saint Paul, par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est en Jésus-Christ, lequel Dieu a ordonné de tout temps pour propitiatoire en son sang par la foi. C’est en face de ce Rédempteur que Dieu nous aura agréables ; nous trouverons grâce devant ses yeux, quand nous nous y présenterons dans la communion de ce grand Sauveur ; car il n’y a point d’autre nom que le sien qui soit donné aux hommes, par lequel il leur faille être sauvé. Et c’est son sang qui nous nettoie de tout péché. Qu’il y a de joie, mes frères, de s’aller laver dans les ondes de ce Jourdain mystique, et que nous serons heureux si nous pouvons imposer les mains sur la tête de cette sainte Victime, afin qu’elle se charge de tous nos crimes, et que nous en demeurions déchargés. Venez à moi, dit-il, vous tous qui êtes travaillés, et chargés, et je vous soulagerai.

Mais comme cette paix avec Dieu ne se fait pas en un moment, et qu’il faut de grands efforts pour mettre notre cœur dans l’état où nous désirons qu’il soit pour une réconciliation. Après avoir, autant que nous en sommes capables, rassemblé devant nous nos propres péchés, faisons-y encore quelques réflexions pour nous en bien faire sentir l’horreur. Et :

1. Examinons bien ce que nous sommes dans la condition de la nature, en comparaison de Dieu. Une petite poignée de poudre et de cendre, un peu de terre pétrie avec du sang, de misérables vermisseaux, une feuille que le vent emporte, ou une vapeur que le soleil dissipe. Que sommes-nous au prix de Dieu, si ce n’est infiniment moins qu’une goutte d’eau, au prix de tout l’océan, qu’un grain de sable, au prix de tout l’univers. Nous avons quatre pieds de stature, une subsistance dans le monde de trois jours, une vie accablée d’infirmités, une mort prompte, et si assurée qu’il n’y a ni raison, ni exemple qui nous en puisse faire douter. Cependant tout misérable que nous sommes, la misère et le néant même, nous n’avons pas laissé, ou plutôt nous n’avons pas cessé d’offenser et d’outrager la majesté infinie de notre Créateur et de notre Maître. Cette ombre s’est enorgueillie contre le Soleil, cette goutte d’eau a voulu entrer en guerre contre l’Océan, et ce ridicule grain de sable s’est enflé, pour entrer en parallèle avec l’Auteur de l’univers. Dites-moi, je vous prie, s’il y a en tout cela quelque étincelle de raison ? Ne sommes-nous pas des insensés toutes les fois que nous offensons Dieu ? Et se peut-il concevoir un aveuglement pareil au nôtre, lorsque de chétives créatures, telle que nous sommes, entreprennent de violer les lois du Maître de toutes choses ?

2. Notre aveuglement ne paraît-il pas encore plus étrange, si nous considérons la puissance de celui que nous avons offensé ? J’avoue que nous sommes des fols et des insensés de nous élever contre Dieu, à ne considérer seulement que sa majesté infinie, par égard à notre néant. Mais si nos fautes, au moins, pouvaient demeurer impunies, si notre bassesse pouvait nous mettre à couvert des effets de sa vengeance, notre folie, quelque grande qu’elle fût, ne serait considérable qu’en soi-même, et non en ses suites. Nous pécherions contre les lumières générales de la droite raison, et pourtant nous ne ferions rien contre les lumières particulières de la prudence. Mais il en est bien autrement ; car celui que nous offensons est le Maître de la vie et de la mort de tous les hommes. Il est le dispensateur des afflictions et des prospérités. Toutes les créatures sont sous les lois de sa providence, comme une grande armée qui marche sous ses ordres et obéit à ses commandements. Il a ses prisons éternelles destinées pour la punition de ses ennemis. Il a les funestes exécuteurs de sa justice, à qui il donne ses arrêts, et dans les mains desquels il livre ses criminels, pour en faire la vengeance telle qu’il l’a commandée. Toutes choses suivent son amour et sa haine. Tout vit et tout devient favorable à ceux qui sont dans sa faveur, et tout est contraire et opposé à ceux qui souffrent sa disgrâce. Il plante, il arrache, il bâtit, il démolit, il tue, il vivifie, il élève, il abaisse, il console, il afflige. Et tout le destin des hommes, leurs biens et leurs maux, depuis les plus grandes choses jusqu’aux plus petites, depuis le trône jusqu’à la cabane, depuis la perte de notre vie jusqu’à la chute d’un de nos cheveux, tout dépend de sa volonté. Quel égarement donc, d’avoir si fréquemment et si cruellement offensé un Dieu tout-puissant, un Dieu juste qui ne justifie point le méchant, qui ne tient point le pécheur pour innocent, et qui nous a protesté que les méchants ne subsisteront point en jugement devant lui ?

3. A cette réflexion il en faut ajouter une autre, qui contribuera beaucoup à nous faire voir l’énormité des fautes que nous avons commises. C’est celle que nous devons faire, non seulement sur la patience que Dieu nous a témoignée jusqu’à présent, mais aussi sur un nombre presque infini de grâces qu’il nous a libéralement accordées, et particulièrement sur celles de notre vocation à la profession de son christianisme. J’avoue que nous serions toujours bien condamnés, quand nous ne le serions que sur les plaintes et les accusations de la loi ; car après tout Dieu nous l’a donnée, Dieu l’a gravée naturellement dans nos cœurs. Et c’est notre devoir de la suivre et de l’accomplir. Mais ne faut-il pas reconnaître que nous sommes infiniment plus condamnables, lorsqu’à la voix de la loi s’ajoute celle de la patience divine qui nous a attendu longtemps à repentance, et qui l’a empêché de prendre les armes de sa colère pour nous détruire, dès le premier moment que nous l’avons offensé. Qu’aurons-nous donc à dire, quand cette patience comptera les jours, les mois et les années, pendant lesquelles elle a intercédé pour nous, et s’est mise à la brèche en notre faveur ? Qu’aurons-nous à dire quand elle nous accusera, qu’au lieu d’avoir employé ces jours, ces mois et ces années à nous convertir, et à nous sanctifier, nous n’avons fait d’autres usages que celui d’augmenter le nombre de nos péchés ? Mais que deviendrons-nous quand après la voix de la loi, et les plaintes de la patience, nous verrons les grâces et les bienfaits de Dieu s’élever contre nous l’un après l’autre, et former tout à la fois mille reproches d’ingratitude ? Ce serait assez que chaque crime, ou chaque péché que nous avons commis eût l’indignité de son espèce. Ce serait assez qu’ils eussent tous ensemble l’horreur que leur nombre leur donne. Mais que devons-nous dire, quand mille péchés se trouvent assemblés en un seul, je veux dire quand ils se trouvent dans chacun par leur propre nature. Outre que ce sont des rebellions contre l’autorité souveraine de Dieu, une obstination et un endurcissement extrême contre sa patience, il n’y en a aucun qui ne fasse un outrage en particulier à toutes les grâces que nous avons reçues de Dieu. Et comme ces grâces sont dans un nombre presque infini, il n’y a aucun de nos péchés qui ne contiennent un nombre presque infini d’outrages et d’injures contre le Seigneur.

4. Ces trois premières réflexions doivent être suivies d’une quatrième, qui sera sur la nécessité indispensable d’une vive et profonde repentance pour nous réconcilier avec Dieu. Ne nous flattons point nous-mêmes, le Dieu que nous adorons ne peut jamais renoncer à sa sainteté. L’amour du bien et la haine du mal lui sont aussi naturelles que sa toute-puissance et son infinité. Cependant il est vrai qu’il y renoncerait, s’il pouvait nous recevoir en grâce, sans que nous renoncions à nos péchés. Il aurait communion avec le crime, s’il en pouvait avoir avec des criminels impénitents. Il est donc aussi impossible de nous réunir avec Dieu sans la repentance, qu’il est impossible d’unir ensemble la vie et la mort, ou de mettre en paix la lumière avec les ténèbres. Autant impossible, qu’il est que Dieu ne soit pas Dieu, ou qu’il se renie soi-même. Mais ne nous flattons pas aussi sur la qualité de cette repentance que nous devons avoir. Car ce n’est point une repentance froide ou négligée. Ce n’en est point une qui ne consiste qu’en paroles seulement, ni une qui ne fasse que passer légèrement dans l’esprit, ou qui ne touche que légèrement le cœur. Dieu en veut une qui saisisse toutes les puissances de l’âme ; qui les pénètre toutes jusqu’au fond, qui aille jusqu’au soupir, aux larmes et aux regrets ; qui soit accompagnée d’une douleur vive, d’une tristesse amère, non seulement pour avoir attiré les châtiments de Dieu sur nos personnes, mais aussi pour l’avoir offensé, et pour avoir attiré sa juste colère contre. En un mot une repentance fixe et forte, qui brise l’esprit et qui déchire le cœur, et qui les tienne longtemps en cet état : une repentance qui soit un parfait retour à la justice et à la sainteté

Mais pour nous y porter davantage, élevons, je vous prie, nos yeux jusqu’à la miséricorde de Dieu, et jusqu’au sang de l’alliance que Jésus-Christ a répandu sur nous. Ne nous imaginons pas dans le sentiment de nos péchés, qu’il n’y a plus ni de baume en Galaad ni de consolation en Dieu. Il y en a sans doute, et si nous sommes tels que nous devons être, nous pouvons aller avec confiance au trône de la grâce, et être assurés que nous y trouverons aide et miséricorde en temps opportun (Hébreux 4.16). Approche-toi disait-il lui-même autrefois à l’Église, vient, et débattons ensemble nos droits. Quand tes péchés seraient rouges comme le sang, je les blanchirai comme la neige. Je suis vivant, que je ne demande point la mort du méchant, mais qu’il se détourne de son mauvais train et qu’il vive (Ésaïe 1.18 ; Ézéchiel 18.28). C’est la perpétuelle promesse de son Évangile. C’est la voix du sang de son Fils. Ses promesses nous déclarent la rémission de nos péchés, et le sang de Jésus-Christ purifie nos consciences des œuvres mortes. Allons donc avec espérance au propitiatoire que Dieu nous a ordonné de tout temps par la foi. Allons avec humilité à la grâce qui nous appelle. Réconcilions-nous avec un Dieu, qui ne demande qu’à nous faire du bien. C’est assez avoir vécu dans sa disgrâce, rappelons sa paix, et avec sa paix, la tranquillité et la joie que nous avons perdue. Y a-t-il quelque douceur pour des personnes qui désirent de faire leur salut, à demeurer quelque temps en guerre avec Dieu ? Et les jours de sa colère ne sont-ils pas pour nous des jours de désolation et de deuil. Recherchons donc son amour et sa face, demandons-lui sa bénédiction : Mon cœur me dit de par toi cherche ma face, je chercherai ta face ô Éternel ! (Psaumes 27.8)

Que nous serions heureux, mes frères, si nous pouvions trouver cette face favorable de Dieu dans laquelle il y a rassasiement de joie, comme parle un prophète. Mais quand nous l’aurons trouvée, ne nous figurons pourtant pas qu’il en faille demeurer là ; ce n’est que la moitié de l’œuvre de faite. Il faut encore rechercher les moyens de nous conserver désormais un si précieux avantage. Pour bien nous employer à notre propre salut, il faut à la vérité rentrer en paix avec Dieu, mais il faut aussi chercher les voies de s’y maintenir ; et l’un sans l’autre ne serait rien. Pour nous maintenir donc dans cet avantage, il y a en général trois choses à faire. La première est de conserver et d’augmenter la foi que Dieu nous a donnée. La seconde, de vivre une vie sainte et chrétienne. Et la troisième, de nous rendre la repentance familière, puisque notre malheur veut, quelque application que nous ayons à la sainteté, nous ne laissons pas de commettre toujours beaucoup de fautes. J’avoue que ces trois choses ne sont pas simplement de la pratique d’aujourd’hui, et qu’elles demandent bien plus, que l’application de ce peu de moments qui nous restent dans cet exercice. Mais savez-vous bien, au moins, ce que nous pouvons faire dès à présent, sans le différer plus longtemps ? Nous pouvons sans délai, prendre sur ces choses de bonnes et de sincères résolutions. Et quant à la conservation et à l’augmentation de notre foi, comme cela dépend de la lecture fréquente de l’Écriture sainte et des livres de piété, de la méditation des mystères divins, de l’assiduité aux exercices de religion, de l’attachement à la prière, et enfin d’un saint éloignement à l’égard des choses temporelles, autant que la vie civile le pourra permettre ; formons dès à présent le dessein de nous acquitter soigneusement de tous ces points, je veux dire de la lecture des livres divins, de la méditation sérieuse de ce qu’ils contiennent, être assidu et attentif dans les assemblées publiques, de prier Dieu le plus souvent qu’il nous sera possible, et de nous distraire, autant que nous pourrons, et des pensées et des occupations de la vie présente. A quoi pouvons-nous mieux nous appliquer qu’à lire l’Écriture, ce livre céleste, qui contient en soi des trésors de science et d’intelligence ? Et à qui nous pouvons dire ce que les disciples disaient au Sauveur : Tu as les paroles de la vie éternelle.

Que pouvons-nous mieux faire, quand nous serons seuls et libres, que de nous entretenir en nous-mêmes des doctrines et des préceptes de la religion, de tâcher de les connaître et de les pénétrer ? Puisque nous pouvons dire, avec vérité, qu’appliquer son esprit à ces choses, c’est se rassasier de la graisse de la maison de Dieu, et s’abreuver au fleuve de ses délices.

Où pouvons-nous mieux être que dans le temple de Dieu, quand l’occasion nous y appelle ? Puisque dans l’ouïe de sa Parole, dans le chant de ses louanges, dans l’administration de ses sacrements, et dans le reste du service que nous lui rendons, nous y trouverons une moisson de consolation, d’édification, et de joie.

Que pouvons-nous mieux faire, quand nous sommes dans nos maisons, de prendre garde à ne nous pas trop engager dans des affaires mondaines ; puisqu’elles sont un abîme, d’où l’on ne saurait sortir, quand on s’y est une fois plongé ? Vous n’ignorez pas combien il est difficile de s’en charger, et de les manier avec innocence ; mais quand cela serait possible, qu’est-ce autre chose que chagrins et rongement d’esprit ?

A ces saintes résolutions, ajoutons celle qui regarde la sainteté de la vie. Formons dès maintenant le dessein de ne faire jamais rien, que premièrement nous ne consultions les maximes de la conscience, pour savoir ce qu’elles nous permettent, ce qu’elles nous défendent, et ce qu’elles nous ordonnent. Je vois plusieurs personnes qui paraissent avoir les meilleures intentions du monde, qui voudraient à ce qu’elles disent vivre simplement, et qui, pour cet effet désireraient avoir des préceptes, des règles et des directions particulières. J’approuve ces mouvements. Mais il y a, ce me semble, quelque chose à dire sur cette demande empressée, qu’ils font de règles et de préceptes. Consultez dans chaque occasion ou vous êtes obligés d’agir, les lumières et les préceptes de la bonne conscience. Suivez-les de bonne foi, sans les violenter, sans les sophistiquer, sans les brouiller par des vues étrangères ; et soyez assurés, que vous y trouverez la meilleure et la plus certaine de toutes les directions. Quoi qu’il en soit, résolvons-nous, mes frères, à nous acquitter le mieux que nous pourrons, de tous nos devoirs envers Dieu, par une pratique constante de la piété, de tous les devoirs de la justice et de la charité envers le prochain, et de tous ceux de la sobriété et de la tempérance, pour ne rien faire qui déshonore, ni notre nature, ni notre vocation, mais pour fortifier au contraire ce qui tend à notre origine céleste, et à l’espérance pour laquelle nous sommes réservés.

Enfin, puisque pendant que nous sommes dans cette vie terrestre, nous sommes sans cesse sujets à des chutes, souvenons-nous d’avoir encore sur cet article les yeux ouverts. Ne laissons point passer une journée, sans examiner ce qui nous est arrivé ; et après avoir reconnu nos fautes, ne différons pas au lendemain de nous en repentir. J’avoue que la repentance n’est pas une chose agréable ; c’est une vertu ennemie de la nature, et qui ne vient jamais à nous qu’elle ne trouble notre repos. Ses mains nous secouent rudement, et ces regards sont farouches et menaçants ; mais outre que c’est une vertu nécessaire, comme nous l’avons déjà dit, il n’y a que les premières approches qui soient dures et funestes, elle n’a que ses premiers entretiens de fâcheux. Car quand elle nous quitte, pour mieux dire, quand elle s’arrête avec nous, elle répand dans nos âmes mille douceurs, et mille consolations. On peut lui appliquer ce que David dit de Dieu, Psaumes 97 : Nuée et obscurité est alentour d’elle, justice et jugement sont l’efficace de ton trône. Les divers actes de son économie sont semblables à la vision du prophète, où après le feu brûlant et le vent impétueux, succède le son doux et tranquille parmi lequel Dieu fait entendre sa voix.

III

Passons maintenant à la troisième partie. Comme cette paix que la repentance doit former en nous, n’est pas une sécurité, ni un sommeil léthargique, elle n’est pas contraire à toute sorte de crainte, ou pour mieux dire non seulement elle compatit avec la crainte, mais elle ne se conserve même, que par ce moyen. C’est pourquoi saint Paul ne se contente pas de dire, que nous nous employions à notre propre salut, il nous marque encore que ce doit être avec crainte et tremblement, nous prescrivant par ces paroles la manière dont nous nous devons conduire dans l’œuvre de notre salut. C’est sur cela, que nous avons à faire quelques réflexions, avant que de finir cette action.

Premièrement donc, il faut rejeter ici le sens faux et abusif, que l’on pourrait donner à ces paroles de l’apôtre, en s’imaginant que par cette crainte et ce tremblement, il nous recommande que l’on doit entendre une crainte d’esclave, ou d’ennemi, qui nous fasse sans cesse regarder Dieu comme un juge toujours sévère et toujours irrité, ou comme un maître, qui, quoi que nous fassions, ne peut jamais se contenter de notre service ; qui ne songe qu’à nous faire du mal, et à chercher les occasions de se venger de nous, et qui nous tend partout des pièges, pour nous faire périr. Bien loin que ce sentiment soit une vertu chrétienne, il est certain au contraire, qu’il n’y en a point de plus pernicieux à la créature, ni de plus injurieux à Dieu, ni de plus opposé à la véritable piété. Cette crainte qui n’est propre qu’au démon et aux damnés, est une source perpétuelle d’inquiétude et d’agitation, et elle ne peut aboutir enfin qu’au désespoir. Car quels moyens de se sauver de la main du démon, qui aurait résolu nous perdre, de quelque manière que ce pût être ? Et quelle espérance peut-on avoir, de se mettre à couvert des effets de sa colère, si son inclination naturelle le porte à nous perdre et à nous haïr ? Mais qu’y a-t-il de plus injurieux à la Divinité, qu’une telle pensée ? Je suis vivant, dit-il lui-même, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais qu’il se détourne de son mauvais train, et qu’il vive. Non, mes frères, Dieu n’est point naturellement ennemi de son ouvrage. J’avoue qu’il est juste, mais cela même qu’il est juste, nous fait concevoir qu’il ne nous châtie jamais, qu’à cause de nos péchés. Et de plus, il a eu tant de bonté et tant de tendresse pour nous, qu’il a bien voulu nous procurer encore une voie de rentrer en grâce, après l’avoir offensé ; en nous offrant pour cet effet la satisfaction de son Fils, et en nous appelant à la repentance. Et outre cela, il nous a promis d’avoir pour nous une condescendance de Père, qui ira jusqu’à supporter les défauts et les faiblesses, qu’il trouvera dans notre repentance, et dans notre recours à la satisfaction de Jésus-Christ. Il a voulu nous commander de mettre notre confiance en sa bonté, et d’être persuadé qu’il nous aime des mêmes affections, dont un père aime ses propres enfants. Éloignons donc de nous cette crainte servile qui ne saurait compatir avec la piété. Car la piété n’est autre chose qu’une estime profonde et un amour infini, que nous avons pour la Divinité. Et comment l’estimer et l’aimer, si nous imaginions, qu’elle fût jalouse de notre bien et ennemie de nos personnes ?

En second lieu, il s’agit donc ici d’une autre sorte de crainte, savoir, de celle qu’on nomme ordinairement une crainte filiale, qui non seulement s’accorde fort bien avec la confiance et l’amour, mais qui même en est la compagne perpétuelle. Et cette crainte nous inspire différents mouvements, suivant les différentes occasions où nous nous pouvons rencontrer.

1° Elle nous imprime un respect et une vénération profonde toutes les fois que nous comparaissons devant Dieu ; respect qui vient de la considération de sa Majesté infinie, dont les rayons nous éblouissent de la considération de cette sagesse ineffable, de cette puissance glorieuse, qui reluisent dans toutes ses œuvres ; de la considération de sa justice et le sa sainteté ; et en un mot, de la vue de toutes ses perfections que nous pouvons regarder, sans nous anéantir en sa présence, et reconnaître que nous ne sommes devant lui, que cendre et que poudre.

2° Quand nous nous souvenons de ce grand avantage qu’il nous a accordé, en se déclarant notre Père en Jésus-Christ, il n’est pas possible que nous soyons dans une perpétuelle appréhension de l’offenser, et d’attirer sur nous par notre mauvaise conduite les justes effets de son indignation. La seule vue du crime nous effraie ; et quand nous serions assurés de ne le commettre jamais, l’idée en est pourtant si horrible, que nous ne la pouvons regarder sans frémir. A peu près comme quand un homme du haut d’une tour contemple le précipice, ou comme quand il voit de dessus le rivage les abîmes de la mer, et les horreurs d’une tempête. Car quelque assuré qu’il soit, ces objets ne laissent pas de l’épouvanter.

3° Lorsque nous faisons réflexion sur nous-mêmes, et que considérant nos inclinations naturelles, qui sont toutes portées au mal, nous les comparons avec ces bonnes et saintes dispositions, que la grâce divine a formées en nous, il est impossible que nous ne reconnaissions, que tout ce que nous avons de bon nous le tenons de Dieu, que de nous-mêmes nous ne serions pas capables de la moindre de ces choses, et que c’est Dieu qui a produit en nous et le vouloir et le parfaire selon son bon plaisir. Or c’est ce qui produit en nous des mouvements d’humilité, que l’Écriture appelle quelquefois de ce nom de crainte, comme dans ce célèbre passage de l’apôtre écrivant aux Romains : Ne t’élève point par orgueil, mais crains. Et dans ces admirables paroles du Psaume deuxième : Servez l’Éternel en crainte, éjouissez-vous en lui avec tremblement. Car là le tremblement et la crainte signifient l’humilité.

4° Lorsque nous considérons, non seulement l’état de notre corruption naturelle, dont nous avons été tirés, et aussi les infirmités et les faiblesses, qui nous restent encore depuis notre régénération, et que nous les comparons avec ce grand nombre de pièges qui nous sont tendus, avec cette multitude effroyable d’ennemis, qui attaquent notre salut ; avec la force et l’adresse qu’ils déploient pour nous surprendre, et pour venir à bout de nous, quelque intrépide que nous soyons, il n’est pas possible, si nous voulons sincèrement notre salut, que nous ne craignions de faire quelque faux pas dans cette carrière, où la vocation divine nous a mis ; et par conséquent que nous ne réveillions toute notre diligence et notre précaution, pour tâcher de nous en garantir. Car après tout, il n’y a rien que les adversaires de notre salut ne tendent, pour nous faire trébucher ; et il n’y a rien, dont nous ne soyons encore capables. Qui de nous, quelque avancé qu’il soit dans la piété, peut répondre de son cœur ? C’est pour cela, que Jésus-Christ disait à ses disciples : Veillez et priez, que vous n’entriez en tentation. Car quant à l’esprit il est prompt, mais la chair est faible.

5° Bien que la grâce de Dieu, qui nous soutient dans nos ébranlements, soit un objet capable de nous rassurer, si est-ce pourtant qu’il arrive souvent que Dieu suspend en nous les effets de sa grâce ; et qu’il permet quelquefois que la chair obtienne de très funestes victoires sur l’esprit, comme les chutes de David et de saint Pierre ne le témoignent que trop. Cette considération donc nous doit perpétuellement tenir dans la crainte et le tremblement ; car qui peut nous assurer qu’il n’y aura pas des moments en notre vie, où Dieu nous abandonnera en proie aux tentations du monde et aux occasions de pécher ? Et quand cela arrivera, n’est-ce pas le plus déplorable et le plus malheureux état où un fidèle puisse tomber. C’est donc un juste sujet de crainte, qui nous doit toujours faire élever nos yeux et nos prières à Dieu, pour lui demander qu’il ne nous induise point en tentation, mais qu’il nous délivre des pièges de l’ennemi, et des surprises de notre propre cœur.

En troisième lieu, ce sont ces cinq espèces de craintes, dans lesquels nous devons être continuellement. Une crainte de respect en nous souvenant que nous sommes sous les yeux d’une Majesté infinie qui nous voit, et sous la main d’une Providence éternelle qui nous gouverne. Une crainte d’horreur à l’égard du crime, en nous souvenant qu’il n’y a point de malheur plus grand que celui d’offenser un Dieu bon et miséricordieux, de qui nous avons reçu tant de faveurs. Une crainte d’humilité, en nous souvenant que tout ce que nous sommes, et tout ce que nous possédons d’avantages dans la grâce, nous ne les tenons pas de nous-mêmes, mais de Dieu. Une crainte de précaution, en nous souvenant que le plus juste tombe sept fois le jour, et que si nous disons que nous n’avons point de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous. Une crainte enfin d’attachement à Dieu, en lui disant avec le prophète : Éternel, ne m’abandonne point. Mon Dieu, ne t’éloigne point de moi. De cette manière nous nous emploierons utilement à notre propre salut ; et Dieu qui verra multiplier ses talents en nos mains, en augmentera le nombre, en ajoutant bénédiction sur bénédiction, jusqu’à ce que le temps soit venu de changer sa grâce en gloire, et nous donner l’entière et parfaite jouissance de son héritage.

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