La Légende dorée

VII
SAINTE ANASTASIE, MARTYRE

(25 décembre)

Anastasie était d’une des plus grandes familles de Rome. Elle fut élevée dans la foi du Christ par sa mère Fantaste, et par le bienheureux Chrysogone. Mariée contre son gré à un certain Publius, elle feignait un mal de langueur et se refusait à la vie conjugale. Mais un jour son mari apprit que, vêtue comme une femme pauvre, et en compagnie d’une de ses servantes, elle visitait les chrétiens emprisonnés, et leur portait des secours. Il la fit alors enfermer et garder étroitement, lui refusant presque toute nourriture. Il espérait ainsi la faire mourir, et jouir à son aise de sa dot, qui était très grande. Et elle, s’attendant à mourir d’un jour à l’autre, écrivait des lettres désolées à Chrysogone, qui, dans ses réponses, s’efforçait de la consoler. Cependant ce fut le mari d’Anastasie qui mourut, et Anastasie fut mise en liberté.

Elle avait trois servantes très belles qui étaient sœurs. L’une s’appelait Agapète, l’autre Théonie, la troisième Irène. Et toutes trois étaient chrétiennes. Un préfet, qui s’était pris d’un fol amour pour elles, les fit enfermer dans la cuisine de la maison, sous le prétexte qu’elles n’obéissaient pas aux lois impériales ; et, certaine nuit, il se rendit dans cette cuisine afin d’assouvir sa luxure. Mais le Seigneur lui ôta l’esprit ; et voilà que croyant avoir affaire aux trois vierges, il caressait et couvrait de baisers des poêles, des chaudrons et d’autres ustensiles semblables ; après quoi, s’étant rassasié, il sortit tout noir de suie et les vêtements déchirés. Ses esclaves, qui l’attendaient devant la porte de la maison, quand ils le virent ainsi arrangé, le prirent pour un démon, le rouèrent de coups, et s’enfuirent, le laissant seul. Il alla trouver l’empereur, pour se plaindre ; et, sur son chemin, les uns le frappaient de verges, les autres lançaient sur lui de la poussière et de la boue. Mais lui, ayant sur les yeux un charme qui l’empêchait de voir l’état où il se trouvait, il s’étonnait que tout le monde se moquât de lui au lieu de l’honorer comme à l’ordinaire. Et quand enfin on lui apprit dans quel état il se trouvait, il supposa que les jeunes filles avaient usé de sortilèges. Il les fit donc venir devant lui, et ordonna de les dépouiller de tous leurs vêtements, afin de pouvoir au moins les voir nues. Mais aussitôt leurs vêtements se collèrent à leurs corps de telle façon que personne ne pouvait les leur enlever. Et le préfet, au moment où il s’apprêtait à jouir de leur vue, fut saisi d’un sommeil si profond que, même en le poussant, on ne parvenait pas à le réveiller. Enfin les trois vierges reçurent la couronne du martyre.

Quant à Anastasie, elle fut livrée par l’empereur à un autre préfet, afin qu’il la prît pour femme, après l’avoir forcée à sacrifier aux idoles. Et cet homme, l’ayant mise dans son lit, voulut l’embrasser : mais aussitôt il devint aveugle. Il se fit alors conduire au temple des dieux, et demanda à ceux-ci s’il pouvait guérir. Mais les dieux lui répondirent : « Pour avoir voulu violer Anastasie, qui est une sainte, tu nous a été livré afin d’être à jamais torturé avec nous dans l’enfer ! » Et, pendant qu’on le ramenait chez lui, il mourut entre les mains de ses esclaves.

Alors Anastasie fut confiée à un autre préfet, qui fut chargé de la garder. Et cet homme, ayant appris qu’elle était très riche, lui dit en secret : « Anastasie, si vraiment tu es chrétienne, tu dois faire ce que t’ordonne ton Maître. Or celui-ci ordonne à ses disciples de renoncer à tout ce qu’ils possèdent. Donne-moi donc tout ce que tu possèdes, et va-t’en où tu voudras ! Ainsi tu seras une vraie chrétienne. » Mais elle lui répondit : « Dieu m’a ordonné, en effet, de donner tout ce que j’avais, mais de le donner aux pauvres et non aux riches. Or tu es riche : j’agirais contre les préceptes de mon Dieu en te donnant quelque chose ! »

Anastasie fut alors jetée en prison, pour y mourir de faim ; mais sainte Théodore, qui avait déjà obtenu la couronne du martyre, la nourrit pendant deux mois de la manne céleste. Enfin elle fut conduite avec deux cents vierges, dans l’île Palmaria, où de nombreux chrétiens étaient relégués. Et, quelques jours après son arrivée, le préfet du lieu manda devant lui tous les chrétiens. Il fit attacher Anastasie à un poteau et la fit brûler vive ; puis il fit périr les autres chrétiens en des supplices divers. Et il y avait parmi ces chrétiens un homme que l’on avait dépouillé de toutes ses richesses, et qui répétait toujours : « De Jésus-Christ, du moins, vous ne pourrez pas me dépouiller ! » Sainte Appolonie fit enlever le corps de sainte Anastasie et l’ensevelit dans son jardin, où une église fut élevée en son honneur. Le martyre de sainte Anastasie eut lieu sous le règne de Dioclétien, règne qui commença vers l’an du Seigneur 287.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant