La Légende dorée

XXIV
SAINTE AGNÈS, VIERGE ET MARTYRE

(21 janvier)

I. Agnès, vierge très sage, avait treize ans lorsqu’elle perdit la mort et trouva la vie. Elle était jeune d’années, mais mûre d’esprit et d’âme ; elle était belle de visage, mais plus belle de cœur. Le fils d’un préfet, la voyant revenir de l’école, se prit d’amour pour elle. Il lui promit des diamants et de nombreuses richesses si elle consentait à être sa femme. Mais Agnès lui répondit : « Éloigne-toi de moi, aiguillon du péché, aliment du crime, poison de l’âme, car je me suis déjà donnée à un autre amant ! » Elle se mit à lui faire l’éloge de son amant et fiancé, vantant chez lui les cinq qualités que les fiancées estiment le plus chez leurs fiancés, à savoir : la noblesse de race, la beauté, la richesse, le courage uni à la force, et enfin l’amour. Et elle dit : « Celui que j’aime est plus noble que toi, le soleil et la lune admirent sa beauté, ses richesses sont inépuisables, il est assez puissant pour faire revivre les morts, et son amour dépasse tout amour. Il a mis son anneau à mon doigt, m’a donné un collier de pierres précieuses, et m’a vêtue d’une robe tissée d’or. Il a posé un signe sur mon visage, pour m’empêcher d’aimer aucun autre que lui, et il a arrosé mes genoux de son sang. Déjà je me suis donnée à ses caresses, déjà son corps s’est mêlé à mon corps ; et il m’a fait voir un trésor incomparable qu’il m’a promis de me donner si je persévérais à l’aimer. » Ce qu’entendant, le jeune homme devint malade d’amour, en danger de mort. Son père va trouver la jeune fille, au nom de son fils ; mais Agnès lui répond qu’elle ne peut violer la foi promise à son premier fiancé ! Alors le préfet lui demande quel est ce fiancé, et comme quelqu’un lui fait entendre que c’est le Christ qu’elle appelle son fiancé, il se met d’abord à la questionner doucement, puis la menace de la punir si elle refuse de répondre. Mais Agnès lui dit : « Fais ce que tu voudras, je ne te livrerai pas mon secret ! » Alors le préfet : « Choisis entre deux partis ! Ou bien sacrifie à Vesta avec les vierges de la déesse, si tu tiens à ta virginité, ou bien je te ferai enfermer avec des prostituées ! » Mais elle : « Je ne sacrifierai pas à tes dieux, et cependant je ne me laisserai pas souiller, car j’ai près de moi un gardien de mon corps, un ange du Seigneur ! » Alors le préfet la fit dépouiller de ses vêtements, et conduire toute nue dans une maison de débauche. Mais Dieu lui fit pousser des cheveux en telle abondance que ces cheveux la couvraient mieux que tous les vêtements. Et, quand elle entra dans le mauvais lieu, elle y trouva un ange qui l’attendait, tenant une tunique d’une blancheur éclatante. Et ainsi le lupanar devint pour elle un lieu de prière, et l’ange l’éclaira d’une lumière surnaturelle.

Or, le fils du préfet vint dans ce lieu avec d’autres jeunes gens, et invita ses compagnons à jouir d’abord de la jeune fille. Mais, en pénétrant dans la chambre d’Agnès, ils furent si effrayés de la vue de cette lumière qu’ils s’enfuirent auprès du fils du préfet ; et lui, les traitant de lâches, se rua dans la chambre, plein de fureur. Mais aussitôt le diable l’étrangla, Dieu l’ayant abandonné. Alors le préfet, tout en larmes, se rendit auprès d’Agnès, et l’interrogea sur la mort de son fils. Et Agnès : « Celui dont il voulait réaliser la volonté a reçu pouvoir sur lui, et l’a tué. » Et le préfet lui dit : « Si tu ne veux pas que je croie que c’est toi qui l’as tué par des artifices magiques, demande et obtiens qu’il ressuscite ! » Et, sur la prière d’Agnès, le jeune homme ressuscita, et se mit à confesser publiquement le Christ.

Mais alors les prêtres des dieux, soulevant le peuple, s’écrièrent : « À mort la magicienne, qui, par sorcellerie, change les âmes et pervertit les cerveaux ! » Cependant le préfet, en présence d’un tel miracle, aurait voulu la délivrer ; mais, craignant la proscription, il se retira tristement, et laissa Agnès sous la garde d’un lieutenant. Et celui-ci, dont le nom était Aspasius, fit jeter la jeune fille dans un feu ardent ; mais la flamme, se séparant en deux, brûlait la foule des païens sans toucher Agnès. Alors Aspasius lui fit plonger un poignard dans la gorge : et c’est ainsi que le fiancé céleste la prit pour épouse, après l’avoir ornée de la couronne du martyre. Ce martyre eut lieu, à ce que l’on croit, sous le règne de Constantin le Grand, qui régnait vers l’an 309. Et comme les parents de sainte Agnès et les autres chrétiens l’ensevelissaient avec joie, à grand’peine ils échappèrent à la pluie de pierres que les païens lançaient contre eux.

II. Sainte Agnès avait une sœur de lait nommée Émérentienne, vierge pleine de sainteté, et qui se préparait à recevoir le baptême. Or cette jeune fille se tint debout devant le sépulcre d’Agnès, et se mit à invectiver les païens qui l’avaient tuée, jusqu’à ce que ces païens la tuèrent elle-même à coups de pierres. Aussitôt la terre trembla, et la foudre de Dieu s’abattit sur ce lieu, tuant bon nombre de païens : de telle sorte que, depuis lors, on laissa les fidèles s’approcher du tombeau sans leur faire aucun mal. Et le corps d’Émérentienne fut enseveli auprès de celui de sainte Agnès. Et, huit jours après, comme les parents de celle-ci veillaient autour du tombeau, ils virent un chœur de vierges en robes d’or ; et parmi elles ils virent la bienheureuse Agnès, ayant à côté d’elle un agneau plus blanc que la neige. Et elle leur dit : « Voyez, afin que vous ne me pleuriez pas comme morte, mais que vous vous réjouissiez avec moi et vous félicitiez avec moi ; car j’ai été admise désormais à siéger au milieu de cette troupe de lumière ! » C’est à cause de cette vision que l’Église célèbre, huit jours après la fête de sainte Agnès, l’octave de cette fête.

III. La nouvelle de cette vision parvint jusqu’à Constance, fille de Constantin, qui était affligée d’une lèpre très maligne. Aussitôt la jeune princesse se rendit au tombeau de la sainte, et là, après avoir prié, elle vit en rêve sainte Agnès lui disant : « Constance, sois constante ! Crois au Christ et tu seras guérie ! » Se réveillant soudain, Constance se trouva guérie ; elle reçut le baptême, fit élever une basilique sur le tombeau de la sainte, et y rassembla autour d’elle de nombreuses vierges qui, comme elle, vécurent toute leur vie dans la chasteté.

IV. Certain prêtre de l’église de sainte Agnès, nommé Paulin, commença un jour à être tourmenté d’une terrible tentation de la chair ; et, comme il ne voulait pas offenser Dieu, il demanda au souverain pontife la permission de prendre femme. Mais le pape, qui connaissait sa bonté et sa simplicité, lui remit un anneau orné d’une émeraude, et lui dit de s’adresser avec la même demande à une belle statue de sainte Agnès qui se trouvait dans son église. Et comme le prêtre demandait à sainte Agnès de l’autoriser à se marier, la statue étendit tout à coup vers lui son doigt annulaire, y passa l’anneau donné par le pape, puis retira sa main ; et, sur-le-champ, le prêtre fut délivré de toutes ses tentations. Telle est, dit-on, l’origine de l’anneau qui se voit aujourd’hui encore au doigt de la statue. Mais d’autres disent que cet anneau fut donné par le pape à un prêtre qui se trouva chargé, en même temps, de veiller sur la basilique de sainte Agnès comme sur une épouse ; car, faute de soins, le temple vénérable tombait en ruines ; et la statue de la sainte aurait passé l’anneau à son doigt en signe d’acceptation de ces fiançailles.

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