La Légende dorée

XXXVI
SAINT BLAISE, ÉVÊQUE ET MARTYR

(3 février)

I. Blaise s’étant signalé par sa mansuétude et sa sainteté, les chrétiens de Sébaste en Cappadoce l’élurent pour leur évêque ; et lorsque les persécutions de Dioclétien l’eurent forcé à quitter son évêché, il se réfugia dans une caverne, et y mena la vie d’un ermite. Les oiseaux lui apportaient sa nourriture, et venaient en foule vers lui, et ne s’envolaient pas avant qu’il les eut bénis. Et lorsque l’un d’eux était malade, il venait à lui, et recouvrait la santé. Or, certain jour, l’équipage du gouverneur de la province, après avoir longtemps battu le pays sans rencontrer aucun gibier, parvint à l’endroit où s’était retiré saint Blaise, et y vit une foule énorme d’oiseaux et d’autres bêtes, entourant l’ermite comme pour lui demander de les protéger. Et, en effet, les chasseurs ne purent absolument pas mettre la main sur eux. Étonnés, ils firent part de la chose à leur maître, qui ordonna que l’ermite fût amené devant lui. Cette même nuit, saint Blaise vit trois fois, en rêve, le Christ, qui lui dit : « Lève-toi et offre-moi un sacrifice ! » Et voilà qu’arrivèrent les soldats, disant : « Viens, le gouverneur t’appelle ! » Et saint Blaise leur répondit : « Bienvenus êtes-vous, mes enfants ! Je vois que Dieu ne m’a pas oublié ! »

II. Sur tout son chemin il ne cessa point de prêcher, et fit, en présence de ses gardiens, de nombreux miracles. Une femme lui amena son fils, dans le gosier duquel s’était fixée une arête de poisson ; elle le déposa à ses pieds et demanda, en pleurant, qu’il fût guéri. Et saint Blaise, étendant les mains sur lui, pria Dieu qu’il fût guéri ; et l’enfant fut guéri aussitôt. Une autre femme, qui était très pauvre, vint demander à saint Blaise de lui faire rendre son unique pourceau, qu’un loup lui avait enlevé. Et le saint lui dit en souriant : « Bonne femme, ne te fais pas de chagrin ! Ton pourceau te sera rendu ! » Et aussitôt on vit accourir le loup, qui rapportait à la veuve le pourceau qu’il lui avait pris.

III. Dès qu’il fut arrivé dans la ville, saint Blaise fut jeté en prison. Le lendemain, le gouverneur se le fit amener, et, d’abord essaya de le séduire par de douces paroles, lui disant : « Bonjour, Blaise ami des dieux ! » Et Blaise : « Bonjour aussi à toi, excellent gouverneur ! Mais ne donne pas le nom de dieux à des démons, qui rôtissent au feu éternel avec ceux qui les honorent ! » Le gouverneur, furieux, le fit battre de verges et reconduire dans sa prison. Et Blaise lui dit : « Insensé ! Espères-tu donc m’enlever, par tes punitions, l’amour d’un Dieu qui est en moi et qui me donne la force de supporter toutes les punitions ? » Apprenant qu’on l’avait mis en prison, la veuve à qui il avait fait rendre son pourceau tua le pourceau et lui en envoya la tête et les pieds, ainsi qu’un pain et une chandelle. Et saint Blaise rassasia sa faim, et fit dire à la veuve : « Offre tous les ans une chandelle dans l’église qui portera mon nom, et tu t’en trouveras bien, toi, et tous ceux qui feront comme toi ! » La veuve le fit tous les ans, et vécut depuis lors dans la prospérité.

IV. Cependant le gouverneur, voyant qu’il ne pouvait convertir le saint au culte des dieux, le fit suspendre à un poteau et ordonna qu’on lui labourât les chairs avec des pointes de fer. Après quoi il le fit ramener dans sa prison.

Or sept femmes, suivant le saint, recueillaient les gouttes de son sang. Le gouverneur les fit saisir et voulut les forcer à sacrifier aux dieux. Mais elles dirent : « Si tu veux que nous adorions tes dieux, fais les conduire au bord de l’étang, afin que, lorsqu’on les aura lavés, nous puissions les adorer ! » Le gouverneur y consentit volontiers. Et les sept femmes, empoignant les idoles, les lancèrent au milieu de l’étang, disant : « Si ce sont des dieux, nous le verrons bien ! » Et comme le gouverneur, exaspéré, invectivait ses officiers, qui avaient permis un tel sacrilège, les sept femmes lui dirent : « Si ces idoles avaient été des dieux, elles auraient bien prévu ce que nous avions l’intention de leur faire ! » Le préfet fit préparer, d’une part, du plomb fondu, des peignes de fer et sept casques de fer rougi, et, d’autre part, sept tuniques de lin. Et il dit aux femmes de choisir entre ces tuniques et les pires supplices. Alors l’une des femmes, qui était mère de deux petits enfants, saisit les tuniques de lin et les jeta au feu. Et ses enfants lui dirent : « Mère chérie, ne nous laisse pas derrière toi, mais, de même que tu nous as remplis de la douceur de ton lait, remplis-nous de la douceur du royaume des cieux ! » Alors le gouverneur les fit attacher à des poteaux, et fit labourer leurs corps de pointes de fer. Mais leur chair restait blanche comme la neige, et, au lieu de sang, du lait en jaillissait. Et, pendant qu’on les torturait, un ange leur apparut et les consola en leur disant : « Soyez sans crainte, car le bon ouvrier qui a bien commencé sa tâche et qui l’a bien finie se trouve récompensé en conséquence ! » Alors le gouverneur les fit plonger dans un four ardent ; mais le feu s’éteignit aussitôt, et elles en sortirent intactes. Et le gouverneur leur dit : « Cessez maintenant vos sortilèges magiques, et adorez nos dieux ! » Mais elles lui répondirent : « Achève ce que tu as commencé, car déjà on nous attend dans le royaume des cieux ! » Le gouverneur ordonna alors qu’on leur coupât la tête. Et au moment où le boureau s’approchait d’elles, elles tombèrent à genoux et prièrent en ces termes : « Dieu, qui nous as arrachées aux ténèbres et nous a conduites vers la douce lumière, reçois nos âmes dans la vie éternelle ! » Après quoi elles eurent la tête tranchée et s’envolèrent au ciel.

V. Le gouverneur fit ensuite venir saint Blaise et lui dit : « Une dernière fois, veux-tu, oui ou non, adorer les dieux ? » Et Blaise : « Impie, je ne crains pas tes menaces. Je te livre mon corps, fais-en ce que tu voudras ! » Le gouverneur donna ordre de le jeter dans l’étang. Mais saint Blaise fit le signe de la croix sur l’eau de l’étang, et aussitôt celle-ci se figea comme une terre sèche. Et le saint dit : « Si vos dieux sont de vrais dieux, montrez leur pouvoir en entrant dans cette eau ! » Et soixante-cinq hommes entrèrent dans l’eau et furent noyés. Et un ange descendit vers saint Blaise et lui dit : « Blaise, sors de l’étang et va recevoir la couronne que Dieu t’a préparée ! » Et, quand il fut sorti de l’étang, le gouverneur lui dit : « Refuses-tu toujours d’adorer les dieux ? » Et Blaise : « Apprends, malheureux, que je suis serviteur du Christ, et ne saurais adorer les démons ! » Le gouverneur le condamna à être décapité. Et le saint, avant de tendre le cou au bourreau, pria Dieu que tous ceux qui, souffrant d’une maladie de la gorge, imploreraient son aide, fussent exaucés et guéris. Et voici qu’une voix, du haut du ciel, lui dit que ce qu’il demandait lui était accordé. Après quoi, le saint fut décapité, en compagnie des deux petits enfants. Ce martyre eut lieu vers l’an du Seigneur 283.

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