La Légende dorée

XLIII
SAINTE JULIENNE, VIERGE ET MARTYRE

(16 février)

Julienne était fiancée à Euloge, préfet de Nicomédie ; mais elle refusait d’entrer dans le lit d’Euloge avant qu’il eût reçu la foi du Christ. Alors son père, furieux de sa désobéissance, la fit mettre à nu, rouer de coups, et la livra ensuite au préfet. Et celui-ci lui dit : « Ma douce Julienne, pourquoi m’as-tu trompé par tes promesses d’amour, puisque, aujourd’hui, tu refuses ma main ? » Et elle : « Si tu veux adorer mon Dieu, je serai à toi ; sinon, jamais tu ne seras mon maître ! » Et le préfet : « Bien-aimée, je ne puis consentir à ce que tu me demandes, car l’empereur me ferait couper le cou ! » Et Julienne : « Si tu crains si fort un empereur mortel, combien davantage je dois craindre mon empereur à moi, qui est immortel ! Fais de moi ce que tu voudras, rien ne pourra me fléchir ! » Alors le préfet la fit battre de verges, puis, pendant une demi-journée, il la fit suspendre par les cheveux et lui fit verser sur la tête du plomb fondu. Et comme, de tout cela, elle n’avait aucun mal, il lui fit mettre des chaînes et l’enferma dans une prison.

Là un diable vint la voir, sous l’apparence d’un ange, et lui dit : « Julienne, je suis un ange du Seigneur, et mon maître m’envoie vers toi pour t’engager à sacrifier aux dieux : car le Seigneur a pitié de toi, et veut t’épargner un affreux supplice suivi d’une mort affreuse. » Alors Julienne fondit en larmes et s’écria : « Jésus mon Seigneur, sauve-moi du péril de mon âme en me faisant connaître qui est celui qui me donne un tel conseil ! » Et une voix d’en haut lui dit de saisir son visiteur et de le contraindre à avouer lui-même qui il était. Julienne ayant donc saisi le faux ange, et lui ayant demandé qui il était, il répondit qu’il était un démon, envoyé par son père pour la tromper. Julienne lui demanda qui était son père. Et le démon répondit : « C’est Belzébuth, qui nous conduit à mal faire, et nous bat cruellement toutes les fois que nous nous laissons vaincre par les chrétiens. Aussi suis-je sûr de payer cher cette journée, où je n’ai pu triompher de toi ! » Et, entre autres choses qu’il lui avoua, il lui dit que les diables souffrent surtout pendant que les chrétiens célèbrent la messe, ou pendant que se font les prières et les prédications. Alors Julienne lui lia les mains derrière le dos, et, l’ayant jeté à terre, elle le battit rudement avec la chaîne dont on l’avait liée ; et le diable la suppliait avec de grands cris, lui disant : « Bonne Julienne, ayez pitié de moi ! » Puis, le préfet ayant donné ordre qu’on la tirât de sa prison, elle traîna derrière elle le démon, toujours lié. Et le démon la priait, en lui disant : « Madame Julienne, cessez de me rendre ridicule, ou bien jamais plus je ne pourrai avoir d’action sur aucun chrétien ! On dit que les chrétiens sont miséricordieux, et vous, cependant, vous ne voulez pas avoir un peu pitié de moi ! » Mais la sainte n’en continua pas moins à le traîner par tout le marché, après quoi elle le jeta dans une latrine.

Le préfet fit étendre sainte Julienne sur une roue qui lui broya tous les os jusqu’à en faire jaillir la moelle ; mais un ange détruisit la roue et guérit la sainte. Ce que voyant, tous les assistants crurent au Christ, et subirent aussitôt le martyre. Cinq cents hommes et cent trente femmes eurent la tête tranchée. Le préfet fit ensuite plonger la sainte dans une chaudière de plomb fondu ; mais le plomb se refroidit soudain au point de devenir comme un bain tiède. Alors le préfet maudit ses dieux, pour leur impuissance à punir une jeune femme qui leur faisait tant d’outrages. Puis il ordonna qu’elle eût la tête tranchée. Et comme on la conduisait à l’échafaud, voici que le démon qu’elle avait battu se montra de nouveau, cette fois sous l’apparence d’un jeune homme ; et il criait aux bourreaux : « Ne ménagez pas cette coquine, car elle a dit les pires choses de vos dieux, et m’a moi-même battu cette nuit ! Rendez-lui ce qu’elle mérite ! » Mais comme Julienne, qui avait les yeux fermés, les entrouvrait pour voir celui qui parlait ainsi, le démon s’enfuit en criant : « Malheur à moi, elle va encore me prendre et me lier ! » Et la sainte subit son supplice ; et, quelques jours après, le préfet, qui voyageait sur mer, périt dans une tempête avec trente-quatre hommes. Leurs corps, que la mer avait vomis sur le rivage, furent dévorés par les bêtes et les oiseaux de proie.

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