La Légende dorée

XLIX
SAINT BENOÎT, ABBÉ

(21 mars)

La vie de saint Benoît a été écrite par saint Grégoire.

I. Benoît était originaire de la province de Nursie, mais ses parents l’avaient conduit, tout enfant encore, à Rome, afin qu’il s’y livrât aux études libérales. Et lui, dès l’enfance, il renonça à ces études et s’enfuit de Rome, pour aller vivre au désert. Sa nourrice, qui l’aimait tendrement, le suivit jusqu’à un certain lieu appelé Œside. Là, voulant cuire du pain, elle emprunta un crible pour passer le froment ; et, comme elle avait mis ce crible sur la table, elle le fit tomber par mégarde, de telle sorte qu’il se brisa en deux. Alors Benoît, la voyant pleurer, prit les deux moitiés, fit une prière sur elles, et obtint qu’elles se rejoignissent sans trace de fracture. Puis, fuyant sa nourrice, il se réfugia dans une caverne où, pendant trois ans, il vécut ignoré de tous les hommes à l’exception d’un moine nommé Romain, qui pourvoyait à son entretien. La caverne où se trouvait Benoît étant d’un accès difficile, ce Romain attachait un pain à une longue corde, et le lançait ainsi à Benoît du haut de la montagne. Et il avait attaché à la corde une clochette dont le son avertissait le jeune ermite d’avoir à sortir pour prendre le pain. Or le vieil ennemi des hommes, voyant cela, brisa la clochette, de manière à ce que Benoît ne fût plus averti de l’arrivée de son pain. Et voilà que certain prêtre, qui se préparait à fêter le jour de Pâques, vit apparaître le Seigneur, qui lui dit : « Tu t’apprêtes là à un festin, et, au même moment, dans une caverne de la montagne, mon serviteur souffre de la faim ! » Aussitôt le prêtre se leva ; et, quand il eut enfin trouvé la retraite de Benoît, il lui dit : « Lève-toi et mangeons ensemble le repas que j’apporte, car c’est aujourd’hui la fête de Pâques ! » Et Benoît lui dit : « Oui, c’est une vraie fête, puisque j’ai le bonheur de te voir ! » Car, dans son isolement, il ne savait pas que c’était en effet le jour de Pâques. Et le prêtre lui dit : « Sache que c’est aujourd’hui vraiment le jour de la Résurrection, et que le Seigneur lui-même m’envoie vers toi pour te relever de ton abstinence ! » Après quoi, ayant béni Dieu, ils mangèrent ensemble.

Un autre jour, un merle noir se mit à voler avec insistance tout contre le visage de Benoît ; mais celui-ci fit un signe de croix, et aussitôt l’oiseau disparut. Un autre jour encore, le diable lui remit devant les yeux l’image d’une femme qu’il avait vue jadis, et alluma dans sa chair une telle convoitise que peu s’en fallut que Benoît, vaincu par la volupté, n’abandonnât sa solitude. Mais soudain, revenant à lui, il se mit à nu, se roula dans les épines et les ronces qui entouraient sa cellule, se déchira tout le corps, et fit sortir la plaie de son âme par les plaies de sa peau ; et ainsi il vainquit le péché. Et, depuis ce temps, jamais plus il ne connut la tentation charnelle.

Cependant sa renommée se répandait aux alentours. Et lorsque mourut l’abbé d’un monastère voisin, tous les moines vinrent le trouver pour le prier de se mettre à leur tête. Longtemps Benoît refusa, leur disant qu’il n’était point le chef qui leur convenait, vu leurs mœurs. Mais il finit par consentir. Et, comme il appliquait la régie avec une grande rigueur, les moines se reprochèrent de l’avoir pris pour abbé. Un jour donc ils mêlèrent du poison à son vin, et le lui offrirent au moment où il allait se coucher. Mais Benoît fit le signe de la Croix, et aussitôt le vase de verre se brisa, comme cassé par une pierre. Et Benoît, comprenant que ce vase contenait un breuvage de mort, puisqu’il n’avait pu supporter le signe de la vie, se leva, avec un sourire tranquille, et dit : « Que Dieu tout-puissant vous pardonne, mes frères ! Mais ne vous l’avais-je pas dit, que vos mœurs et les miennes ne se convenaient pas ? » Et là-dessus il s’en retourna dans sa caverne, où sa sainteté s’affirma par de nombreux miracles. Les fidèles venaient à lui en si grande foule qu’il fonda douze monastères.

Dans un de ces monastères se trouvait un moine qui, pendant que ses frères priaient, sortait de la chapelle pour se livrer à des occupations temporelles. Informé de cette conduite par l’abbé du monastère, Benoît vit que ce moine, à la chapelle, était entraîné dehors par un petit nain noir, qui le tirait par le pan de sa robe. Et il dit à l’abbé et à un moine nommé Maur : « Ne voyez-vous pas cet homme qui l’entraîne ? » Ils répondirent : « Non ! » Et il leur dit : « Prions, afin que, vous aussi, vous le voyiez ! » Et ils prièrent, et alors saint Maur vit le nain, mais l’abbé ne put le voir. Le lendemain, Benoît rencontra hors de la chapelle le moine entraîné par le diable, il le frappa de son bâton ; et, depuis lors, ce moine ne manqua plus aux offices, comme si, de son coup de bâton, Benoît avait assommé le diable qui l’entraînait.

Trois des monastères étaient placés sur une montagne escarpée ; et les moines, qui avaient à descendre jusqu’en bas pour puiser de l’eau, suppliaient Benoît de transporter ailleurs leurs monastères. Or, une nuit, Benoît gravit la montagne avec un jeune frère, pria longtemps, et posa trois pierres en un certain lieu. Et le lendemain il dit aux moines : « Allez à l’endroit où vous trouverez trois pierres, et, là, creusez le sol ! » Ils y allèrent, virent que l’eau suintait déjà du rocher, creusèrent une fosse ; et aussitôt celle-ci se remplit d’eau ; et aujourd’hui encore l’eau en jaillit en telle abondance qu’elle descend jusqu’au bas de la montagne.

Un jour, un homme fauchait les ronces près du monastère, lorsque le fer de sa faux se détacha du manche et tomba dans un abîme sans fond, ce dont l’homme s’affligea fort. Mais saint Benoît mit le manche de la faux dans le creux de la fontaine, et bientôt le fer, sortant du rocher, nagea jusqu’au manche. Une autre fois, le jeune moine Placide, pendant qu’il puisait de l’eau, tomba dans le torrent, et, en un clin d’œil, roula jusqu’au bas de la montagne. Saint Benoît, dans sa cellule, en eut aussitôt la vision, et appelant le moine Maur, lui ordonna d’aller chercher Placide. Saint Maur, après avoir reçu la bénédiction de saint Benoît, se plongea dans le torrent, avec l’impression de marcher sur la terre ferme. Il rejoignit Placide, le retira de l’eau par les cheveux, et vint en rendre compte à saint Benoît, qui en attribua tout le mérite à l’obéissance de saint Maur.

Un prêtre, nommé Florent, jaloux du saint, empoisonna un pain et le lui envoya comme un présent. Le saint accepta l’envoi avec reconnaissance et dit à un corbeau qu’il avait l’habitude de nourrir : « Au nom de Jésus-Christ, prends ce pain et va le jeter en un endroit où aucun homme ne puisse y toucher ! » Alors le corbeau se mit à voler autour du pain avec le bec ouvert et les ailes déployées, comme expliquant qu’il aurait voulu obéir, et ne le pouvait pas. Et le saint lui disait : « Prends, ne crains rien, et fais ce que je te dis ! » Enfin le corbeau prit le pain et s’envola ; et il revint sain et sauf au bout de trois jours. Sur quoi Florent, voyant qu’il ne pouvait tuer le corps du maître, entreprit de faire périr l’âme de ses disciples. Il amena dans le jardin du monastère sept jeunes femmes nues qui chantaient et dansaient, pour engager les moines à la volupté. Ce que voyant de la fenêtre de sa cellule, Benoît craignit pour ses disciples, et, prenant avec lui quelques-uns d’entre eux, s’en alla demeurer ailleurs. Mais au moment où Florent, debout sur le seuil, se réjouissait de le voir partir, il fit un faux pas et se tua sur le coup. Alors Maur, courant vers saint Benoît, lui cria avec enthousiasme : « Reviens, car l’homme qui te persécutait vient de mourir ! » Mais, en l’entendant, Benoît soupira, désolé à la fois de la mort de son ennemi et de ce que son disciple préféré se fût réjoui de cette mort. Il infligea au moine une pénitence, et poursuivit son chemin.

Mais, en changeant de séjour, il ne changea point d’adversaire. Arrivé au mont Cassin, il transforma en une église, dédiée à saint Jean-Baptiste, un temple d’Apollon qui se trouvait là ; et il convertit à la foi les habitants du voisinage. Mais le vieil ennemi lui apparaissait tous les jours sous les formes les plus terribles, et, lançant des flammes par les yeux, lui disait : « Béni ! Béni ! » Et comme le saint ne répondait rien, le diable reprenait ; « Maudit, maudit, et non Béni, pourquoi t’acharnes-tu à me persécuter ? » Un autre jour, les frères voulant soulever une pierre pour bâtir l’église, découvrirent que la pierre était si lourde qu’on ne pouvait la soulever. Alors saint Benoît fit le signe de la croix, et aussitôt il souleva la pierre avec une extrême facilité, ce qui prouva que c’était le diable qui avait pesé sur elle. Une autre fois, le diable apparut à saint Benoît et l’informa qu’il se rendait auprès des frères occupés à construire l’église. Aussitôt Benoît envoya à ceux-ci un novice pour leur dire : « Frères, soyez prudents, car le méchant esprit est près de vous ! » Et à peine le messager leur avait-il dit ces paroles, que le diable fit tomber un pan de mur, qui écrasa sous sa chute le pauvre novice. Mais saint Benoît se fit apporter le mort, tout meurtri, dans un sac, et, ayant prié sur lui, le ressuscita.

Un laïc pieux venait tous les ans voir saint Benoît ; et il avait coutume de faire la route à jeun, par manière de mortification. Or, un jour, un voyageur inconnu se joignit à lui ; et, comme l’heure s’avançait, cet inconnu montra au pèlerin des provisions qu’il portait, et lui dit « Frère, restaurons-nous, pour ne pas être trop fatigués ! » Deux fois l’étranger fit cette offre au pèlerin, qui persista dans son abstinence. Mais une troisième fois, comme on s’était assis dans une belle prairie auprès d’une source, le pèlerin, exténué, finit par se laisser tenter. Et Benoît, dès qu’il le vit entrer chez lui, lui dit : « Hé bien, mon frère, le méchant ennemi a échoué deux fois à te persuader, mais la troisième fois il y a réussi ! » Et le pèlerin, tout honteux, se jeta aux pieds du saint.

Totila, roi des Goths, voulut savoir si saint Benoît avait vraiment le don de vision. Il imagina donc d’envoyer au saint, avec une grande pompe, un de ses écuyers, revêtu du manteau royal. Et le saint, en l’apercevant, lui cria : « Mon fils, ôte tout ce que tu portes là sur toi, car cela ne t’appartient pas ! » Et l’écuyer se dévêtit aussitôt de son appareil royal, épouvanté d’avoir osé tendre un piège à un tel homme.

Un clerc qui était possédé du démon fut amené à saint Benoît, qui le guérit et lui dit : « Va, mais garde-toi de manger de la viande et aussi d’entrer dans les saints ordres ; car le jour où tu entreras dans les ordres, le diable reprendra ses droits sur toi. » Et le clerc suivit longtemps cette recommandation ; mais un jour, dépité de voir promus aux ordres sacrés des clercs plus jeunes et moins dignes que lui, il oublia l’avis de saint Benoît et reçut les ordres ; et aussitôt le diable recommença à le tourmenter et ne le lâcha plus qu’il n’eût causé sa mort.

Un homme envoya à saint Benoît deux flacons de vin ; mais l’enfant qui les portait en cacha un sur la route, et ne donna que l’autre au saint. Celui-ci reçut le flacon avec reconnaissance, et, au moment où l’enfant repartait, il lui dit : « Mon fils, garde-toi de boire du flacon que tu as caché, mais penche-le avec précaution et tu verras ce qu’il contient ! » L’enfant, confus, s’enfuit au plus vite, et, arrivé auprès du flacon, le pencha avec précaution ; et il en vit sortir un affreux serpent.

Un soir, comme saint Benoît mangeait son souper, un moine, qui était fils d’un sénateur, fut chargé de le servir et de lui tenir la lumière. Et ce jeune homme se dit : « Qui est cet homme, pour que je le serve à table et lui tienne la lumière ? » Et aussitôt le saint lui dit : « Sonde ton cœur, mon fils, sonde ton cœur ! » Puis, appelant ses frères, il fit enlever la lampe des mains du jeune moine et ordonna à celui-ci de s’enfermer dans sa cellule.

Un certain Goth nommé Galla, et qui appartenait à l’hérésie arienne, brûlait d’une haine si féroce contre les religieux catholiques, qu’il tuait tous les clercs ou moines qu’il rencontrait. Un jour cet homme avait envahi les biens d’un paysan et torturait celui-ci des pires supplices ; alors le paysan déclara qu’il avait mis sa personne et ses biens sous la protection de Benoît. Sur quoi Galla fit surseoir au supplice du paysan, mais lui fit lier les mains et lui ordonna de marcher devant lui, pour lui montrer ce Benoît à qui il avait cédé ses biens. Et le paysan le conduisit au monastère de saint Benoît, et lui montra celui-ci occupé à lire tranquillement dans sa cellule. Galla, dans sa folle fureur, cria au saint : « Allons, lève-toi, et restitue à ce paysan les biens qu’il t’a confiés ! » Au son de cette voix inconnue, saint Benoît leva les yeux ; et, au moment où son regard s’arrêtait sur le paysan, les fortes courroies qui liaient les mains de celui-ci se rompirent d’un seul coup. Et Galla, effrayé d’un tel miracle, se jeta aux pieds du saint, se recommandant à ses prières. Mais le saint ne se leva point de sa lecture : il se borna à appeler des frères, et les chargea d’emmener Galla dans la chapelle, pour qu’il reçût la bénédiction. Et lorsque le Goth revint auprès de lui, il l’engagea à se relâcher de sa folle cruauté. Et Galla, avant de repartir, promit de ne jamais rien exiger du paysan, que le saint avait délivré par son seul regard.

Une grande famine désolait toute la Campanie ; et, dans le monastère de saint Benoît, les frères s’aperçurent un jour qu’ils ne possédaient plus que cinq pains. Mais saint Benoît, les voyant affligés, leur adressa une indulgente admonestation pour les corriger de leur pusillanimité ; après quoi, pour les consoler, il leur dit : « Comment pouvez-vous être en peine d’une chose aussi peu importante ? Aujourd’hui le pain manque, mais rien ne vous prouve que demain vous n’en aurez pas en abondance ! » Or, le lendemain, on trouva devant les portes de la cellule de saint Benoît deux cents muids de farine, sans qu’on puisse savoir, aujourd’hui encore, à quel messager Dieu a confié le soin de les apporter. À la vue de ce miracle, les frères, rendant grâces à Dieu, apprirent à ne plus désespérer parmi la disette.

On amena un jour à saint Benoît un enfant atteint du mal éléphantin, au point que ses cheveux tombaient et que toute la peau de son crâne enflait ; et à ce mal se joignait une faim que rien ne pouvait apaiser. Mais le saint le guérit aussitôt ; et, par la suite, cet enfant persévéra dans les bonnes œuvres jusqu’au jour où il s’endormit dans le Seigneur.

Envoyant deux frères en un certain lieu où il voulait faire construire un monastère, saint Benoît leur promit de venir les y rejoindre, à une date déterminée, pour leur donner ses instructions. Or, dans la nuit du jour où il leur avait promis de les rejoindre, les deux frères le virent en rêve, et entendirent qu’il leur donnait diverses instructions. Mais ils refusèrent d’attacher de l’importance à un rêve, et, après avoir vainement attendu saint Benoît, ils revinrent vers lui et lui dirent : « Père, nous t’avons attendu suivant ta promesse, et tu n’es pas venu ! » Et le saint : « Que dites-vous là, mes frères ? Ne me suis-je pas montré à vous et ne vous ai-je pas donné toutes mes instructions ? Allez, et faites ce que je vous ai prescrit dans votre rêve ! »

Non loin du monastère de saint Benoît vivaient deux religieuses de famille noble, qui avaient le malheur de ne pas savoir retenir leur langue, et qui, par leurs bavardages, fâchaient souvent leur confesseur. Celui-ci se plaignit d’elles à saint Benoît, qui leur fit dire : « Retenez votre langue, ou bien je vous excommunierai ! » Il n’avait fait cette menace que pour les corriger ; mais elles, sans se corriger, moururent toutes deux peu de temps après, et furent ensevelies dans la chapelle de leur couvent. Et là, à la messe, au moment où le diacre prononçait les paroles : « Que celui qui n’est pas admis à la communion s’en aille ! » la nourrice de ces deux femmes les vit, plusieurs fois de suite, se dresser dans leurs tombeaux et sortir de l’église. Et lorsque saint Benoît en fut informé, il dit : « Offrez de ma part cette offrande pour elles, et leur excommunication sera levée ! » Ainsi fut fait ; et, depuis lors, les deux femmes ne sortirent plus de leurs tombeaux.

Un moine, étant allé voir ses parents sans avoir reçu la bénédiction, mourut pendant qu’il était chez eux. On l’ensevelit ; mais, à deux reprises, la terre rejeta son cadavre. Alors les parents vinrent prier saint Benoît d’intervenir. Et le saint, prenant une hostie consacrée, leur dit : « Mettez ceci sur la poitrine de votre fils avant de l’ensevelir de nouveau ! » Les parents firent ainsi, et la terre ne rejeta plus le cadavre.

Un moine, qui s’ennuyait au monastère, importuna si fort saint Benoît de ses doléances, que le saint, irrité, lui permit de s’en aller. Mais le moine, à peine sorti du monastère, rencontra un dragon qui, la gueule ouverte, voulait le dévorer. Et il se mit à crier au secours. Les frères accoururent et ne virent point trace de dragon, mais ramenèrent dans sa cellule le moine, tout tremblant, qui promit bien de ne plus s’en aller.

Pendant une famine qui désolait la région, saint Benoît fit donner aux pauvres tout ce que l’on pouvait trouver, de telle sorte que rien ne resta plus au monastère, qu’un peu d’huile dans un vase de verre. Et cette huile aussi, saint Benoît ordonna au frère économe de la donner à un pauvre. Mais l’économe refusa d’obéir, afin que, du moins, cette huile restât pour les frères. Ce qu’apprenant, saint Benoît la fit jeter par la fenêtre, ne voulant point que quelque chose restât au monastère qui fût le produit de la désobéissance. Mais le vase eut beau tomber sur d’énormes rochers, il ne se brisa point, et pas une seule goutte d’huile ne se répandit. Saint Benoît fit alors reprendre le vase et le fit donner au pauvre. Et aussitôt un grand tonneau, qui était dans la cave du monastère, se remplit d’huile, à tel point que tout le pavé en fut inondé.

Saint Benoît était un jour allé voir sa sœur et avait dîné avec elle ; mais, malgré les supplications de sa sœur, il avait refusé de passer la nuit sous son toit. Et sa sœur pria Dieu avec force larmes, et aussitôt une pluie torrentielle succéda au beau temps, de façon qu’on ne pouvait songer à sortir, même pour faire un pas. Et saint Benoît, contristé, dit : « Dieu te pardonne, ma sœur, qu’as-tu fait là ? » Et la sœur : « Je t’ai prié, et tu as refusé de m’entendre ; alors j’ai prié Dieu et il m’a entendue ! Il a changé mes larmes en pluie pour te forcer à rester près de moi. » Et, en effet, le saint passa la nuit près d’elle, et jusqu’au matin tous deux s’entretinrent des choses sacrées. Or, voici que, trois jours après, saint Benoît, dans sa cellule, vit l’âme de sa sœur montant au ciel sous la forme d’une colombe. Il fit transporter son corps au monastère, et l’ensevelit dans le tombeau qu’il avait préparé pour elle.

Une nuit, saint Benoît, debout à la fenêtre de sa cellule, vit une grande lumière se substituer aux ténèbres. Et il aperçut, dans un rayon plus éclatant que tous ceux du soleil, l’âme de l’évêque de Capoue, Germain, qu’on emportait au ciel. Il comprit aussitôt que cette âme venait de quitter le corps de l’évêque ; et, en effet, saint Germain était mort en ce même instant.

L’année de sa mort, saint Benoît annonça à ses frères qu’il allait mourir. Et six jours avant sa fin, il se fit creuser sa fosse. Le lendemain, une fièvre le saisit, qui alla tous les jours s’aggravant. Le sixième jour, il se fit transporter à la chapelle et reçut le corps du Seigneur en manière de viatique. Puis, soutenu par ses disciples, il se tint debout, les mains levées au ciel, et rendit le dernier soupir au milieu d’une prière.

II. Or, ce même jour, deux frères, dont l’un était enfermé dans sa cellule, et dont l’autre se trouvait très loin, eurent tous deux la révélation de la mort du saint. Car ils virent une voie lumineuse qui, partant de la cellule de saint Benoît, montait à l’orient jusqu’au ciel. Et un inconnu leur demanda ce qu’était cette voie. Et comme tous deux répondaient qu’ils l’ignoraient, l’inconnu leur dit : « Sachez donc que c’est la voie par laquelle le bienheureux Benoît monte au ciel ! »

Il fut enseveli dans l’oratoire de Saint-Jean-Baptiste, qu’il avait fait construire sur les ruines d’un temple d’Apollon. Il florissait vers l’an du Seigneur 518, au temps de Justin l’Ancien.

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