La Légende dorée

LX
SAINT MARC, ÉVANGÉLISTE

(25 avril)

I. L’évangéliste Marc était de la tribu de Lévi et remplissait les fonctions de prêtre. Baptisé par saint Pierre et instruit par lui dans la foi chrétienne, il l’accompagna lorsque ce saint partit pour Rome. Et là, comme saint Pierre, prêchait l’évangile, les fidèles prièrent Marc de mettre par écrit le récit de la vie du Seigneur, de façon à leur en laisser un souvenir durable. Marc écrivit donc ce récit, tel qu’il l’entendait de la bouche de son maître saint Pierre ; et celui-ci, après avoir examiné son travail et en avoir constaté la parfaite exactitude, l’approuva comme pouvant être admis par tous les fidèles.

Puis, voyant la constance de Marc dans la foi, il l’envoya à Aquilée, où sa prédication convertit au christianisme une foule innombrable, et où l’on conserve aujourd’hui encore, très pieusement, un manuscrit de son évangile qui passe pour écrit de sa main. Enfin saint Marc, ayant achevé son œuvre à Aquilée, revint à Rome, emmenant avec lui un citoyen d’Aquilée, Hermagoras, qu’il avait converti, et que saint Pierre, sur sa recommandation, consacra évêque de sa ville natale. Cet Hermagoras gouverna dès lors son diocèse d’une façon exemplaire, jusqu’au jour où, pris par les infidèles, il reçut la couronne glorieuse du martyr.

Quant à Marc, saint Pierre l’envoya ensuite à Alexandrie, où, le premier, il prêcha la parole de Dieu. Le savant juif Philon avoue lui-même que, dès son arrivée dans cette ville, une multitude d’hommes se trouvèrent unis dans la foi et la continence. Papias, évêque d’Hiérapolis, a d’ailleurs résumé en beau style quelques-uns de ses sermons, et Pierre Damien nous dit de lui : « Dieu lui accorda une si précieuse faveur que, dès son arrivée à Alexandrie, tous ceux qu’il convertit acquirent aussitôt une perfection de mœurs presque monastique, ce à quoi lui-même les a d’ailleurs encouragés non seulement par ses miracles, mais aussi par l’exemple de ses propres mœurs. Et Dieu lui a encore permis de revenir, après sa mort, en Italie, de telle sorte que la terre où il a écrit son évangile a obtenu l’honneur de posséder ses reliques. Bienheureuse es-tu, Alexandrie, qui as été empourprée de son sang triomphal ! Bienheureuse es-tu, Italie, qui as été enrichie du trésor de ses restes ! »

Telle était l’humilité de saint Marc qu’il se coupa le pouce afin de ne pouvoir pas être ordonné prêtre : mais saint Pierre passa outre, et le consacra évêque d’Alexandrie. On raconte que, en arrivant dans cette ville, son soulier se rompit et qu’il le donna à réparer à un savetier rencontré sur sa route. Le savetier, en réparant le soulier, se blessa grièvement à la main gauche, sur quoi il s’écria : « Ah ! Dieu unique ! » Ce qu’entendant ; saint Marc dit : « En vérité le Seigneur bénit mon chemin ! » Puis, ayant fait de la boue avec sa salive, il en frotta la main du savetier et aussitôt la guérit. Cet homme, étonné de sa puissance, le fit entrer dans sa maison et se mit à lui demander qui il était et d’où il venait. Saint Marc lui répondit qu’il était le serviteur du Seigneur Jésus. Le savetier dit : « Je voudrais bien voir ton maître ! » Et saint Marc lui répondit : « Je vais te le faire voir ! » Puis il se mit à l’évangéliser, et le baptisa avec toute sa maison. Mais bientôt des hommes de la ville, apprenant l’arrivée d’un Juif qui méprisait leurs dieux, lui tendirent des pièges ; et lui, en ayant été informé, il créa évêque à sa place l’homme qu’il avait guéri, et qui s’appelait Aniane ; après quoi lui-même se rendit en Pentapole, où il resta deux ans. Il revint ensuite à Alexandrie, où il avait construit une église au bord de la mer, dans l’endroit qui se nomme l’Abattoir ; et il trouva que le nombre des fidèles s’était encore augmenté. Mais les prêtres des faux dieux mirent de nouveau tout en œuvre pour s’emparer de lui. Et, le jour de Pâques, pendant qu’il célébrait la messe, ils l’entourèrent, lui passèrent une corde au cou et le traînèrent par les rues de la ville, comme un bœuf mené à l’abattoir. Ses chairs pendaient jusqu’à terre, et le pavé s’arrosait de son sang. Dans la prison où on l’enferma ensuite, il fut consolé par des anges ; et Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même daigna le visiter et lui dire : « Que la paix soit avec toi, Marc, mon évangéliste ! Ne crains rien, car je suis près de toi pour te défendre. » Le lendemain, les prêtres le traînèrent de nouveau, la corde au cou, à travers la ville. Mais au moment où il disait : In manus tuas commendo spiritum meum ! il rendit son âme au Seigneur. Cela se passait sous le règne de Néron.

Et comme les païens voulaient brûler le corps du martyr, soudain l’air se troubla, la grêle s’abattit, le tonnerre mugit, les éclairs jaillirent ; si bien que chacun dut prendre la fuite, laissant intact le corps de saint Marc, que les chrétiens se hâtèrent de prendre et d’ensevelir pieusement dans son église. Saint Marc avait un long nez, des sourcils épais, de beaux yeux, une barbe touffue, une taille moyenne et un port excellent. Il était âgé d’une cinquantaine d’années lorsqu’il souffrit le martyr. Son miracle de la main guérie a été célébré par saint Ambroise.

II. L’an du Seigneur 468, sous le règne de l’empereur Léon, les Vénitiens transportèrent le corps de saint Marc, d’Alexandrie, à Venise, où l’on construisit en l’honneur du saint une église d’une beauté merveilleuse. Ce furent certains marchands vénitiens qui, se trouvant à Alexandrie, obtinrent, par des prières et des promesses, que les deux prêtres préposés à la garde du corps leur permissent d’emporter secrètement le corps et de l’emmener à Venise. Mais quand ils soulevèrent la pierre du tombeau, un si fort parfum se répandit par toute la ville d’Alexandrie que chacun se demandait avec étonnement d’où pouvait venir cette douce odeur. Et comme, durant le voyage, les marchands avaient dit à l’équipage d’un autre bateau quel était le saint corps qu’ils emportaient avec eux, des hommes de cet équipage leur dirent : « Peut-être les Égyptiens vous ont-ils trompés, en vous donnant un autre corps que celui de saint Marc ? » Mais aussitôt le vaisseau où était le corps se retourna contre l’autre vaisseau, fondit sur lui, lui fit une brèche, et aurait achevé de l’anéantir si tout l’équipage ne s’était empressé de proclamer que le corps était bien celui de saint Marc. Une autre fois, le pilote ayant perdu son chemin, dans la nuit, et ne sachant plus où se trouvait le vaisseau, saint Marc apparut au moine chargé de garder son corps, et lui dit : « Va dire aux matelots de plier tout de suite les voiles pour ralentir la course du vaisseau, car la terre est toute proche ! » Les matelots suivirent ce conseil, et bien leur en prit : car le lendemain, au petit jour, ils s’aperçurent qu’ils étaient dans le voisinage d’une île sur laquelle, sans la protection de saint Marc, le vaisseau se serait brisé. Et, dans tous les pays où le vaisseau faisait relâche, les habitants, sans qu’on leur eut rien dit du trésor qu’il portait, accouraient en s’écriant : « Oh ! comme vous êtes heureux de pouvoir porter le corps de saint Marc ! Laissez-nous l’adorer pieusement ! » Et il y avait sur le vaisseau un matelot qui restait incrédule : mais le diable s’empara de lui et le tourmenta jusqu’à ce que, mis en présence du corps, il eût déclaré qu’il y croyait. Et depuis lors cet homme, ainsi délivré du diable, eut pour saint Marc une dévotion toute particulière.

À Venise, le corps du saint fut placé sous une des colonnes de marbre de l’église ; et un petit nombre de personnes seulement furent admises à connaître l’endroit où il était déposé, de façon qu’il pût être gardé plus sûrement. Or voici que, ces quelques personnes étant mortes, on se trouva ne plus savoir du tout où était déposé le saint trésor ; et toutes les recherches qu’on fit pour le découvrir restèrent sans effet. Grande fut la désolation, aussi bien parmi les laïcs que parmi les clercs. La foule tremblait à la pensée que son saint patron avait peut-être été dérobé. Un jeûne solennel fut ordonné, une procession parcourut en grande pompe toutes les rues de Venise. Et voici que, à la vue et à l’émerveillement de tous, les pierres de l’une des colonnes s’ébranlent et tombent, mettant à découvert le caveau où est caché le corps. Toute la ville, ravie de bonheur, remercie Dieu d’un tel miracle, et depuis lors, le jour anniversaire de ce miracle est célébré à Venise comme une fête solennelle.

III. Un jeune homme qui avait la poitrine rongée par un cancer implora l’assistance de saint Marc : la nuit suivante, il vit en rêve un pèlerin qui marchait d’un pas rapide sur une route. Le jeune homme lui ayant demandé qui il était et pourquoi il marchait si vite, le pèlerin répondit qu’il était saint Marc, et qu’il courait au secours d’un vaisseau en danger ; après quoi, étendant la main, il toucha le malade, qui se réveilla entièrement guéri. Or, peu de temps après, un vaisseau entra dans le port de Venise ; et l’équipage raconta que, étant en danger, il avait invoqué saint Marc, qui l’avait secouru.

IV. Des marchands vénitiens se rendaient à Alexandrie, dans un vaisseau qui appartenait à des Sarrazins. Une tempête s’étant élevée, les marchands sautèrent dans une barque, et, à l’instant même où ils sortaient du vaisseau, celui-ci fut englouti par les vagues, et tous les Sarrazins furent noyés. Seul, l’un d’entre eux, se voyant près de périr, invoqua saint Marc, et fit vœu, s’il était sauvé, de recevoir le baptême dans l’église du saint. Et aussitôt lui apparut un étranger tout vêtu de lumière, qui, le retirant des flots, l’installa dans la barque avec les Vénitiens.

Or, cet homme, étant arrivé à Alexandrie, oublia sa miraculeuse délivrance et le vœu qu’il avait fait en échange. Mais saint Marc lui apparut de nouveau, pour lui faire honte de son ingratitude : si bien que le Sarrazin, tout confus, se mit en route pour Venise, où il reçut avec le baptême le nom de Marc, et désormais il crut parfaitement au Christ, et termina sa vie dans les bonnes œuvres.

V. Un homme qui travaillait au haut du campanile de Saint-Marc, à Venise, perdit pied tout à coup et se mit à tomber ; mais ayant imploré saint Marc pendant sa chute, il put s’accrocher à une poutre qu’il trouva devant lui, et descendit de là sans danger le long d’une corde qu’on lui lança, après quoi il s’en retourna achever son travail.

VI. Un fidèle chrétien, qui était au service d’un noble, de Provence, avait fait le vœu de visiter le tombeau de saint Marc, mais ne pouvait obtenir de son maître la permission de se rendre à Venise. Enfin, sacrifiant sa peur du châtiment corporel à sa peur de la disgrâce céleste, il partit sans demander la permission, et alla prier au tombeau du saint. Quand il revint auprès de son maître, celui-ci, furieux, ordonna de lui crever les yeux. Aussitôt ses esclaves, plus cruels encore que leur maître, étendirent sur le sol leur pieux compagnon, et se mirent en devoir de lui crever les yeux avec des pointes de fer. Mais tout leur zèle ne leur servait à rien, car les pointes se brisaient en touchant les yeux. Alors le maître ordonna de rompre à coups de hache les membres du malheureux, et de lui couper les pieds ; mais le fer des haches s’amollissait et devenait du plomb. Alors le maître ordonna de lui briser les dents avec des marteaux de fer. Mais de nouveau le fer s’amollit, comme, hébété par la puissance de Dieu. Ce que voyant, le maître, stupéfait, se repentit, demanda pardon à l’esclave, et alla prier avec lui au tombeau de saint Marc.

VII. Un soldat fut si grièvement blessé au bras, dans une bataille, qu’il eut la main presque détachée. Et médecins et amis lui conseillaient de se la faire couper ; mais il hésitait, ayant honte de devenir manchot, car il était réputé pour très adroit de ses mains. Il demanda enfin qu’on lui remît en place la main pendante, et qu’on l’attachât avec des linges : après quoi il invoqua l’aide de saint Marc, et aussitôt sa main recouvra son ancienne santé. Seule une cicatrice resta toujours visible, pour porter témoignage du précieux miracle.

VIII. Un habitant de Mantoue, ayant été faussement accusé par des infâmes, fut mis en prison. Il y était depuis quarante jours et s’ennuyait fort, lorsque enfin, après s’être mortifié par trois jours de jeûne, il invoqua l’appui de saint Marc. Aussitôt le saint lui apparut, et lui dit de sortir de sa prison. Mais l’homme, jugeant la chose impossible, crut qu’il avait rêvé et ne tint nul compte de l’ordre du saint. Une seconde fois, puis une troisième fois, le saint lui apparut et lui renouvela son ordre. Alors le prisonnier, voyant que la porte de sa cellule était ouverte, sortit, après avoir brisé comme de l’étoupe les chaînes de ses pieds. Et il allait, en plein jour, au milieu des gardiens et des autres habitants de la ville, sans que personne d’entre eux pût le voir. Il parvint ainsi à Venise, où il s’empressa d’aller pieusement rendre grâces au tombeau de saint Marc.

IX. Comme toute la Pouille souffrait de disette, et que la pluie s’obstinait à ne point tomber pour arroser le sol, on apprit que cette calamité venait de ce que les habitants ne célébraient point la fête de saint Marc. Ils s’empressèrent donc d’invoquer ce saint, avec la promesse de célébrer solennellement sa fête ; et aussitôt saint Marc, les délivrant de la sécheresse, leur accorda un air sain et la pluie qu’ils désiraient.

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