La Légende dorée

LXVII
LES ROGATIONS

Les Rogations, ou Litanies, se célèbrent deux fois par an ; la première fois le jour de la fête de saint Marc, la seconde fois pendant les trois jours qui précèdent l’Ascension. La première de ces deux Litanies s’appelle Majeure, la seconde Mineure. Le mot Litanie signifie supplication ou prière.

La première Litanie a trois noms : On l’appelle la Litanie Majeure, ou la procession septiforme, ou les Croix-Noires. On l’appelle la Litanie Majeure : 1°parce qu’elle a été instituée par Grégoire le Grand ; 2°parce qu’elle a été instituée à Rome, siège des apôtres ; 3°parce qu’elle a été instituée dans des circonstances graves et mémorables. Car les Romains, après avoir vécu dans la continence pendant le carême, s’abandonnaient ensuite à une telle débauche de jeux et de plaisirs, que Dieu, irrité leur envoya une terrible peste, qu’on appelle inguinale parce qu’elle a pour symptôme l’enflure de l’aîne. Et cette peste fut si cruelle que les hommes mouraient dans la rue, à table, en jouant, en causant. Souvent un homme éternuait, et dans cet éternuement rendait l’âme. Aussi, lorsqu’on entendait quelqu’un éternuer, s’empressait-on de lui dire : « Que Dieu vous aide ! » Et c’est de là, dit-on, que s’est conservée cette habitude. De même, souvent, un homme bâillait, et sur-le-champ il rendait l’âme. Aussi, dès que quelqu’un se sentait une approche de bâillement, il s’empressait de faire le signe de la croix ; et c’est de là encore que s’est gardée cette habitude. Quant au développement de cette peste et à sa guérison miraculeuse, ainsi qu’à l’institution de la Litanie, nous avons déjà raconté tout cela dans l’histoire de saint Grégoire.

On appelle cette Litanie la procession septiforme parce que saint Grégoire disposait la procession, qu’on faisait ce jour-là, en sept rangs. En premier lieu venait tout le clergé, puis venaient les moines et les religieux, puis les religieuses, puis les enfants, puis les laïcs mâles, puis les veuves et les vierges, enfin les femmes mariées. Et comme nous ne pouvons guère, aujourd’hui, compter dans notre procession sur le concours de ces divers éléments, nous remplaçons les sept rangs par sept récitations de la Litanie.

En troisième lieu cette fête s’appelle les Croix-Noires, parce que, en signe de deuil et de pénitence, non seulement toute la procession était vêtue de noir, mais les croix et les autels étaient voilés de crêpe noir.

La Litanie Mineure, qui se célèbre pendant les trois jours qui précèdent l’Ascension, a été instituée avant la Majeure, vers l’an 458, par saint Mamert, évêque de Vienne, sous le règne de l’empereur Léon. On l’appelle aussi les Rogations, et aussi la Procession.

On l’appelle Litanie Mineure par opposition à la Majeure, comme ayant été instituée par un moindre dignitaire de l’Église, en un lieu moindre, et dans de moindres circonstances. Il y avait alors à Vienne de fréquents tremblements de terre, qui renversaient les maisons et bon nombre d’églises ; on entendait, la nuit, des bruits effrayants ; et, le jour de Pâques un feu tomba du ciel, qui consuma le palais du roi. Et, de même qu’autrefois Dieu avait permis aux démons d’entrer dans le corps d’un troupeau de porcs, les loups et autres bêtes féroces entraient librement dans les maisons, dévorant enfants et vieillards, hommes et femmes. Devant une telle réunion de calamités, l’évêque susdit ordonna un jeûne de trois jours, institua les litanies et obtint de cette façon la cessation du mal dont souffrait la ville. Plus tard l’Église décréta que cette Litanie serait observée par tous les fidèles.

La Litanie Mineure s’appelle aussi fête des Rogations, parce que nous implorons, ces trois jours-là, les suffrages de tous les saints, leur demandant, par nos prières et nos jeûnes : 1°que Dieu pacifie les guerres, particulièrement fréquentes au printemps ; 2°qu’il conserve et multiplie les fruits, qui commencent à naître ; 3°qu’il réprime en nous les mouvements charnels, qui sont toujours plus violents en cette saison ; 4°pour que, par ces prières et ce jeûne, nous nous préparions mieux à recevoir le Saint-Esprit et à nous en rendre dignes.

Enfin cette fête s’appelle aussi Procession parce que l’Église fait, ces jours-là, une grande procession où l’on porte des croix, où l’on sonne toutes les cloches, et où l’on invoque, en particulier, le patronage de tous les saints. On porte les croix et on sonne les cloches pour effrayer les démons, ou bien encore on porte les croix pour effrayer les démons, et on sonne les cloches pour rappeler aux fidèles leur devoir de prier, en présence du danger de la tentation. Dans certaines églises, surtout dans les églises françaises, on a aussi l’habitude de porter en procession un dragon avec une longue queue gonflée de paille, et que l’on dégonfle devant la croix, le troisième jour : ce qui signifie que, avant la Loi et sous la Loi, le diable a régné en ce monde, mais que le Christ, par la grâce de sa Passion, l’a chassé de son royaume. Et l’on a également coutume de chanter, à ces processions, le cantique des anges : Sancte Deus, sancte fortis, sancte et immortalis, miserere nobis.

Jean de Damas rapporte que, à Constantinople, un jour qu’on célébrait les Litanies, un enfant qui se trouvait parmi la foule fut ravi au ciel, où les anges lui apprirent ce cantique ; après quoi, revenant à sa place dans la foule, il chanta le cantique qu’il venait d’apprendre ; et aussitôt cessa la calamité pour laquelle s’étaient organisées les Litanies. Aussi le synode de Chalcédoine sanctionna-t-il l’usage universel de ce cantique, qui a le privilège d’inspirer aux démons une peur toute particulière.

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