La Légende dorée

LXX
SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE, MARTYR

(12 mai)

Nérée et Achillée, qui reçurent le baptême des mains de l’apôtre saint Pierre, étaient eunuques, et attachés au service particulier de Domicilie, nièce de l’empereur Domitien. Or, comme cette princesse était fiancée à Aurélien, fils d’un consul, et qu’on la revêtait de pourpre et de pierreries, Nérée et Achillée lui prêchèrent la foi. Ils lui recommandèrent la virginité, comme une vertu chère à Dieu et innée dans l’homme. Ils lui dirent que la femme était soumise à son mari, que souvent elle avait à subir des coups, que souvent aussi elle s’exposait à de mauvaises grossesses, et que, ayant peine déjà à supporter les avertissements tendres de sa mère, elle se condamnait, par le mariage, à supporter de bien autres injures. Domicilie leur répondait : « Je sais que mon père était jaloux et que ma mère a eu à souffrir de lui ; mais pourquoi croirais-je que mon mari dût lui ressembler ? » Et eux : « Parce que, tant qu’ils sont fiancés, ils paraissent pleins de douceur, tandis que, après le mariage, ils règnent en maîtres, cruels ; sans compter que souvent, ils préfèrent les servantes à leur maîtresse. Et toutes les autres vertus qu’on a perdues peuvent se reconquérir par la pénitence, tandis que, seule, la virginité ne se reconquiert pas. » Alors Domicilie crut en Jésus, fit vœu de virginité, et reçut le voile des mains de saint Clément.

Sur quoi son fiancé, avec la permission de Domitien, la rélégua, avec Nérée et Achillée, dans l’île de Pont, s’imaginant, par là, pouvoir fléchir la jeune fille. Quelque temps après, il se rendit lui-même dans cette île, et offrit de nombreux présents aux deux eunuques, pour qu’ils intervinssent en sa faveur auprès de leur maîtresse ; mais eux, dédaignant ses offres, n’en mettaient que plus de zèle à la raffermir dans sa foi. Sommés de sacrifier aux idoles, ils dirent ne pouvoir le faire, puisqu’ils avaient reçu le saint baptême. Et, en conséquence, tous deux eurent la tête tranchée, l’an du Seigneur 80. Leurs corps furent ensevelis auprès du tombeau de sainte Pétronille.

Puis le consul condamna aux plus durs travaux trois autres esclaves de Domicilie, Victorin, Euthice et Maron. Et il ordonna enfin qu’Euthice fût frappé à mort, Victorin étouffé dans un bain de fiente, Maron écrasé sous une grosse pierre. Mais Maron, lorsqu’on jeta sur lui cette pierre immense, que soixante-dix hommes pouvaient à peine mouvoir, la reçut aisément sur ses épaules, et la porta comme un caillou à deux milles de là. Ce que voyant, plusieurs se convertirent ; et le consul le fit mettre à mort.

Puis le consul rappela d’exil la jeune fille et envoya vers elle ses deux sœurs de lait, Euphrosine et Théodore, avec mission de la persuader ; mais Domicilie les convertit à la foi chrétienne. Alors Aurélien se rendit chez Domicilie avec les fiancés de ces deux jeunes filles et trois jongleurs, afin de célébrer son mariage avec elle : mais Domicilie avait déjà converti les deux fiancés. Cependant, le consul la mit de force dans son lit, ordonna aux jongleurs de chanter, aux deux jeunes gens de danser avec lui, et voulut s’entraîner ainsi à violer la jeune vierge. Mais bientôt les jongleurs se lassèrent de chanter, les deux danseurs de danser ; et lui, emporté par un vertige, ne s’arrêta point de danser pendant deux jours, jusqu’à ce qu’enfin il mourût de fatigue.

Son frère Luxurius obtint alors de l’empereur la permission de mettre à mort tous les chrétiens de la ville. Il fit incendier, la nuit, le lit où reposaient les trois vierges ; et celles-ci rendirent, en priant, leurs âmes à Dieu. Saint Césaire, le lendemain, retrouva leurs trois corps absolument intacts.

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