La Légende dorée

LXXXIX
SAINT PIERRE, APÔTRE

(29 juin)

I. L’apôtre Pierre surpassait en ferveur les autres apôtres : car il voulut connaître le nom de celui qui livrerait Jésus, et, comme dit saint Augustin, il n’eût pas manqué de déchirer avec ses dents le traître, s’il avait connu son nom : et, à cause de cela, Jésus ne voulut point le lui nommer, parce que, comme dit Chrysostome, s’il l’avait nommé, Pierre se serait aussitôt levé et l’aurait égorgé. C’est lui aussi qui, sur les flots, marcha vers Jésus, et qui fut choisi par Jésus pour assister à la transfiguration, comme aussi à la résurrection de la fille de Jaïre ; c’est lui qui trouva la pièce de monnaie dans la bouche du poisson ; c’est lui qui reçut du Seigneur les clefs du royaume des cieux, qui fut chargé de paître les agneaux du Christ, qui, le jour de la Pentecôte, convertit trois mille hommes par sa prédication, qui annonça la mort à Ananias et à Saphir, qui guérit le paralytique Énée, qui baptisa Corneille, qui ressuscita Tabite, qui, par l’ombre seule de son corps, rendit la santé aux malades, qui fut emprisonné par Hérode et délivré par un ange. Quant à ce que furent sa nourriture et son vêtement, lui-même nous l’apprend, dans le livre de Clément : « Je ne me nourris, dit-il, que de pain avec des olives, et, plus rarement, avec quelques légumes ; pour vêtement j’ai toujours la tunique et le manteau que tu vois sur moi ; et, ayant tout cela, je ne demande rien d’autre. » On dit aussi qu’il portait toujours dans son sein un suaire dont il se servait pour essuyer ses larmes, parce que, toutes les fois qu’il se rappelait la douce voix de son divin maître, il ne pouvait s’empêcher de pleurer de tendresse. Il pleurait aussi au souvenir de son reniement, et, de là, lui était venue une telle habitude de pleurer que Clément nous rapporte que son visage semblait tout brûlé de larmes. Clément nous dit encore que, la nuit, en entendant le chant du coq, il se mettait en prières, et que de nouveau les larmes coulaient de ses yeux. Et nous savons aussi, par le témoignage de Clément, que, le jour où la femme de Pierre fut conduite au martyre, son mari, l’appelant par son nom, lui cria joyeusement : « Ma femme, souviens-toi du Seigneur ! »

Un jour, Pierre envoya en prédication deux de ses disciples : l’un d’eux mourut en chemin, l’autre revint faire part à son maître de ce qui était arrivé. Ce dernier était, suivant les uns, saint Martial, suivant d’autres, saint Materne, et suivant d’autres encore, saint Front ; le disciple qui était mort était le prêtre Georges. Alors Pierre remit au survivant son bâton, lui disant d’aller le poser sur le cadavre de son compagnon. Et, dès qu’il l’eût fait, le mort, qui gisait déjà depuis quarante jours, aussitôt revint à la vie.

II. En ce temps-là vivait à Jérusalem un magicien nommé Simon qui se prétendait la Vérité Première, promettait de rendre immortels ceux qui croiraient en lui, et disait que rien ne lui était impossible. Il disait encore, ainsi que nous le rapporte le livre de Clément : « Je serai adoré publiquement comme un dieu, je recevrai les honneurs divins, et je pourrai faire tout ce que je voudrai. Un jour que ma mère Rachel m’avait envoyé aux champs pour moissonner, j’ordonnai à une faux de moissonner d’elle-même, et elle se mit à l’œuvre, et fit dix fois plus d’ouvrage que les autres. » Il disait aussi, d’après Jérôme : « Je suis le Verbe de Dieu, je suis l’Esprit-Saint, je suis Dieu tout entier ! » Il faisait mouvoir des serpents d’airain, il faisait rire des statues de pierre et de bronze, il faisait chanter les chiens. Or cet homme voulut discuter avec Pierre, et lui montrer qu’il était Dieu. Au jour convenu, Pierre se rencontra avec lui, et dit aux assistants : « Que la paix soit avec vous, mes frères, qui aimez la vérité ! » Alors Simon : « Nous n’avons pas besoin de ta paix : car si nous nous tenons en paix, nous ne pourrons pas travailler à découvrir la vérité. Les voleurs aussi ont la paix entre eux. N’invoque donc pas la paix, mais la lutte ; et la paix ne se produira que lorsque l’un de nous deux aura vaincu l’autre. » Et Pierre : « Pourquoi crains-tu le mot de paix ? La guerre ne naît que du péché ; et où il n’y a pas péché, il y a paix. C’est dans les discussions que se trouvent la vérité, c’est par les œuvres que se réalise la justice. » Et Simon : « Tout cela ne signifie rien. Mais moi je te montrerai la puissance de ma divinité, et tu seras forcé de m’adorer : car je suis la Vertu Première, je puis voler dans les airs, créer de nouveaux arbres, changer les pierres en pain, rester dans la flamme sans souffrir aucun mal ; tout ce que je veux faire, je peux le faire. » Mais Pierre discutait une à une toutes ses paroles, et découvrait la fraude de tous ses maléfices. Et Simon, voyant qu’il ne pouvait résister à Pierre, jeta à l’eau tous ses livres de magie, afin de n’être pas dénoncé comme magicien, et s’en alla à Rome, pour s’y faire adorer comme un dieu. Et Pierre, dès qu’il le sut, le suivit à Rome.

III. Il y arriva dans la quatrième année du règne de Claude, y passa vingt-cinq ans, et y ordonna, en qualité de coadjuteurs, deux évêques, Lin et Clet, l’un pour le dehors, l’autre pour la ville même. Infatigable à prêcher, il convertissait à la foi de nombreux païens, guérissait de nombreux malades ; et, comme il faisait toujours l’éloge de la chasteté, les quatre concubines du préfet Agrippa, converties par lui, refusèrent de retourner près de leur amant : en telle sorte que celui-ci, furieux, cherchait une occasion de perdre l’apôtre. Or le Seigneur apparut à Pierre et lui dit : « Simon et Néron ont de mauvais desseins contre toi ; mais ne crains rien, car je suis avec toi, et je te donnerai comme consolation la société de mon serviteur Paul, qui, dès demain, arrivera à Rome. » Sur quoi Pierre, comme le raconte Lin, devinant que la fin de son pontificat approchait, se rendit à l’assemblée des fidèles, prit par la main Clément, l’ordonna évêque, et le fit asseoir dans sa chaire. Le lendemain, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé, Paul arriva à Rome, et, en compagnie de Pierre, commença à y prêcher le Christ.

Cependant le magicien Simon était si aimé de Néron qu’on savait qu’il tenait entre ses mains les destinées de la ville entière. Un jour, comme il se trouvait en présence de Néron, il avait su changer son visage de telle sorte que tantôt il paraissait un vieillard, et tantôt un adolescent : ce que voyant, Néron avait cru qu’il était vraiment le fils de Dieu. Un autre jour, le magicien dit à l’empereur : « Pour te convaincre que je suis le fils de Dieu, fais-moi trancher la tête ; et, le troisième jour, je ressusciterai ! » Néron ordonna à son bourreau de lui trancher la tête. Mais Simon, par un artifice magique, fit en sorte que le bourreau, croyant le décapiter, décapita un bélier ; après quoi, il cacha les membres du bélier, laissa sur le pavé les traces du sang, et se cacha lui-même pendant trois jours. Le troisième jour il comparut devant Néron, et lui dit : « Fais effacer les traces de mon sang sur le pavé, car voici que je suis ressuscité, comme je te l’ai promis ! » Et Néron ne douta plus de sa divinité. Un autre jour encore, pendant que Simon était auprès de Néron dans une chambre, un diable qui avait revêtu sa figure parla au peuple sur le Forum. Enfin il sut inspirer aux Romains un tel respect qu’ils lui élevèrent une statue, sous laquelle fut placée l’inscription : « Au saint dieu Simon. »

Or Pierre et Paul, s’étant introduits auprès de Néron, dévoilaient tous les maléfices du magicien ; et Pierre, notamment, disait que, de même qu’il y a dans le Christ deux substances, la divine et l’humaine, de même il y avait en Simon deux substances, à savoir l’humaine et la diabolique. Et Simon déclara : « Je ne souffrirai pas plus longtemps cet adversaire ! Je vais ordonner à mes anges de me venger de lui ! » Et Pierre : « Je ne crains pas tes anges, mais ce sont eux qui me craignent ! » Et Néron : « Tu ne crains pas Simon, qui, par ses actes même, prouve sa divinité ? » Et Pierre : « Si la divinité est vraiment en lui, qu’il dise ce que je pense et ce que je fais en ce moment ! Et d’abord je vais te dire ma pensée à l’oreille, afin qu’il n’ait pas l’audace de mentir ! » Néron lui dit : « Approche-toi et dis-moi ce que tu penses ! » Et Pierre lui dit à l’oreille : « Fais-moi apporter en secret du pain d’orge ! » Puis, quand il eut reçu le pain et l’eut béni en le cachant dans sa manche, il dit : « Que Simon dise maintenant, ce que j’ai dit, pensé, et fait ! » Mais Simon, au lieu de s’avouer vaincu, reprit : « Que Pierre dise plutôt ce que je pense, moi ! » Et Pierre : « Ce que pense Simon, je montrerai que je le sais, en faisant ce à quoi il aura pensé ! » Alors Simon, furieux, s’écria : « Que de grands chiens arrivent et le dévorent ! » Et aussitôt de grands chiens apparurent qui se jetèrent sur l’apôtre : mais celui-ci leur offrit le pain qu’il venait de bénir ; et aussitôt il les mit en fuite. Et il dit à Néron : « Voilà comment j’ai prouvé, non par mes paroles, mais par mes actes, que je savais ce que penserait Simon contre moi ! » Et Simon dit : « Écoutez, Pierre et Paul, je ne puis rien vous faire ici, et je vous épargne pour aujourd’hui ; mais nous nous retrouverons, et alors je vous jugerai ! »

Le même Simon, dans son orgueil, osa se vanter de pouvoir ressusciter les morts. Et comme certain jeune homme venait de mourir, on appela Pierre et Simon et, sur le désir de ce dernier, on décida qu’on ferait mourir celui des deux qui ne pourrait pas ressusciter le mort. Après quoi Simon, par ses incantations, fit en sorte que le mort remua la tête, et déjà tous, avec de grands cris, voulaient lapider Pierre. Mais celui-ci, ayant obtenu le silence, s’écria : « Si ce jeune homme est vraiment vivant, qu’il se lève, qu’il marche, et qu’il parle : faute de quoi vous saurez que c’est un démon qui fait remuer la tête du mort. Mais qu’avant tout on écarte Simon du lit, pour mettre à nu les artifices du diable ! » On écarta donc Simon du lit, et aussitôt le mort reprit son immobilité. Mais alors Pierre, se tenant à distance, et ayant prié, dit : « Jeune homme, au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! » Et aussitôt le mort, ressuscité, se leva et marcha. Sur quoi le peuple voulut lapider Simon. Mais Pierre dit : « Il est suffisamment puni, en ayant à reconnaître la défaite de ses artifices ! Et notre Maître nous a enseigné à rendre le bien pour le mal. » Et Simon : « Sachez, Pierre et Paul, que, malgré votre désir, je ne daignerai pas vous accorder la couronne du martyre ! » Et Pierre : « Puissions-nous obtenir ce que nous désirons ; mais toi, puisses-tu n’avoir que du mal, car toutes tes paroles ne sont que mensonges ! »

Alors Simon se rendit à la maison de son disciple Marcel et lui dit, après avoir attaché un grand chien à sa porte : « Je verrai bien si Pierre, qui a l’habitude de venir te voir, pourra désormais entrer chez toi ! » Et Pierre, lorsqu’il vint chez Marcel, d’un signe de croix détacha le chien, qui, depuis lors, se mit à caresser tout le monde à l’exception de Simon, qu’il étendit à terre et voulut étrangler. Il l’aurait étranglé si Pierre, accourant, ne lui avait défendu de lui faire aucun mal. Et, en effet, le chien ne toucha plus au corps de Simon, mais il déchira tous ses vêtements. Et là-dessus le peuple, mais surtout les enfants, se mirent à poursuivre le magicien, qu’ils chassèrent hors de la ville comme un loup. De telle sorte que Simon, tout honteux, n’osa point se montrer pendant une année entière ; et son disciple Marcel, convaincu par ces miracles, devint désormais le disciple de Pierre.

Mais, plus tard, Simon revint à Rome et rentra en faveur auprès de Néron. Un jour, il convoqua le peuple, et déclara que, gravement offensé par les Galiléens, il allait abandonner la ville, que jusqu’alors il avait protégée de sa présence : ajoutant qu’il allait monter au ciel, puisque la terre n’était plus digne de le porter. Donc, au jour convenu, il monta sur une haute tour, ou, suivant Lin, sur le Capitole ; et, de là, il se mit à voler dans les airs, avec une couronne de laurier sur la tête. Et Néron dit aux deux apôtres : « Simon dit la vérité ; vous, vous n’êtes que des imposteurs. » Et Pierre dit à Paul : « Lève la tête, et regarde ! » Paul leva la tête, vit Simon qui volait, et dit à Pierre : « Pierre, ne tarde pas davantage à achever ton œuvre, car déjà le Seigneur nous appelle ! » Alors Pierre s’écria : « Anges de Satan, qui soutenez cet homme dans les airs, au nom de mon maître Jésus-Christ, je vous ordonne de ne plus le soutenir ! » Et aussitôt Simon fut précipité sur le sol, où il se brisa le crâne et mourut.

Ce qu’apprenant, Néron fut désolé de la perte d’un tel homme, et dit aux apôtres qu’il les en punirait. Il les remit entre les mains d’un haut fonctionnaire nommé Paulin, qui les fit jeter en prison, sous la garde de deux soldats, Procès et Martinien. Mais ceux-ci, convertis par Pierre, leur ouvrirent la prison et les remirent en liberté, ce qui leur valut, après le martyre des apôtres, d’avoir tous deux la tête tranchée par ordre de Néron. Or Pierre, cédant enfin aux supplications de ses frères, résolut de s’éloigner de Rome ; mais comme il arrivait à une des portes de la ville, à l’endroit où s’élève aujourd’hui l’église Sainte-Marie-ad-Passus, il rencontra le Christ qui venait au-devant de lui ; et il lui dit : « Seigneur où vas-tu ? » Et le Seigneur répondit : « Je vais à Rome, afin d’y être de nouveau crucifié ! » Et Pierre : « De nouveau crucifié ? » Et le Seigneur : « Oui ! » Et Pierre dit : « Alors, Seigneur, je vais retourner à Rome, pour être crucifié avec toi ! » Sur quoi le Seigneur remonta au Ciel, laissant Pierre tout en larmes. Et celui-ci, comprenant que l’heure de son martyre était venue, revint à Rome, où il fut saisi par les ministres de Néron, et conduit devant le préfet Agrippa ; et Lin rapporte que son vieux visage rayonnait de joie. Le préfet lui dit : « Tu es bien l’homme qui te plais à vivre parmi les gens du peuple, et à éloigner du lit de leurs maris les femmes des faubourgs ? » Mais Pierre répondit : « Je ne me plais que dans la croix du Seigneur ! » Alors, en sa qualité d’étranger, il fut condamné au supplice de la croix : tandis que Paul, qui était citoyen romain, fut condamné à avoir la tête tranchée.

Dans sa lettre à Timothée sur la mort de saint Paul, Denis rapporte que la foule des païens et des juifs ne se fatiguait point de frapper les deux apôtres et de leur cracher au visage. Et lorsque vint le moment de leur séparation, Paul dit à Pierre : « Que la paix soit avec toi, fondement des églises, pasteur des agneaux du Christ ! » Et Pierre dit à Paul : « Va en paix, prédicateur de la vérité et du bien, médiateur du salut des justes ! » Après quoi, Denis suivit son maître Paul, car les deux apôtres furent exécutés en deux endroits différents. Et Pierre, quand il fut en face de la croix, dit : « Mon maître est descendu du ciel sur la terre, aussi a-t-il été élevé sur la croix. Mais moi, qu’il a daigné appeler de la terre au ciel, je veux que, sur ma croix, ma tête soit tournée vers la terre et mes pieds vers le ciel. Donc, crucifiez-moi la tête en bas, car je ne suis pas digne de mourir de la même façon que mon Maître Jésus. » Et ainsi fut fait : on retourna la croix, de sorte qu’il fut placé la tête en bas et les pieds en haut. Cependant, le peuple, furieux, voulait tuer Néron et le préfet, et délivrer l’apôtre : mais celui-ci les priait de ne pas empêcher son martyre. Et alors Dieu ouvrit les yeux de ceux qui pleuraient ; et ils virent des anges debout avec des couronnes de roses et de lys, et Pierre, debout entre eux, recevait du Christ un livre dont il lisait tout haut les paroles. Et l’apôtre, reconnaissant que les fidèles voyaient sa gloire, les recommanda une dernière fois à Dieu, et rendit l’esprit.

Alors deux frères, Marcel et Apulée, ses disciples, le descendirent de la croix, et l’ensevelirent après l’avoir embaumé d’aromates. Et, le même jour, Pierre et Paul apparurent à Denis, qui les vit entrer tous deux par la porte de la ville, la main dans la main, vêtus de lumière, et la tête ceinte d’une couronne de clarté.

IV. Mais Néron ne resta pas sans châtiment pour ce crime et pour tous les autres qu’il commit, et dont nous allons brièvement rapporter quelques-uns. On lit, d’abord, dans une histoire en vérité apocryphe, que, comme Sénèque, le maître de Néron, s’attendait à recevoir la digne récompense de ses travaux, Néron lui dit que, pour sa récompense, il aurait le droit de choisir l’arbre aux branches duquel il serait pendu. Et comme Sénèque demandait comment il avait pu mériter d’être condamné à mort, Néron fit agiter au-dessus de sa tête la pointe d’une épée, de telle sorte que Sénèque, effrayé, fermait les yeux et baissait la tête. Et Néron lui dit : « Mon maître, pourquoi baisses-tu la tête devant ce glaive ? » Sénèque lui répondit : « Étant homme, je crains la mort et ne désire point mourir. » Et Néron : « Hé bien, moi aussi je te crains, comme déjà je te craignais dans mon enfance, et je ne vivrai pas tranquille tant que tu vivras ! » Alors Sénèque dit : « Si je dois mourir, accorde-moi du moins de choisir mon genre de mort ! » Et Néron : « Choisis-le à ton gré, pourvu seulement que tu meures tout de suite ! » Sur quoi Sénèque s’ouvrit les veines dans un bain, et mourut de l’écoulement de son sang, justifiant ainsi le présage de son nom ; car se necans signifie : qui se tue de sa propre main. Ce Sénèque eut deux frères, dont l’un, le déclamateur Julien Gallion, se tua également de sa propre main, et dont l’autre, Méla, fut père du poète Lucain, qui, par ordre de Néron, s’ouvrit les veines.

Toujours d’après la même histoire apocryphe, Néron, entraîné par sa folie sanguinaire, ordonna de mettre à mort sa mère et de lui couper le ventre, afin de voir la façon dont il avait habité dans son sein. Or les médecins lui disaient : « Les lois divines et humaines défendent qu’un fils tue sa mère, qui l’a enfanté dans la douleur, et s’est fatiguée à le nourrir. » Mais Néron : « Faites en sorte que je conçoive un enfant dans mon sein, afin que je puisse me rendre compte de ce que ma mère a souffert en m’enfantant ! » Et les médecins : « La chose est impossible, étant contraire à la nature et à la raison ! » Mais Néron : « Si vous ne faites pas en sorte que je conçoive un enfant, vous mourrez tous dans les pires supplices ! » Alors les médecins, l’ayant enivré, lui firent avaler une grenouille, qui gonfla dans son ventre et lui donna l’illusion d’être pareil à une femme enceinte. Mais bientôt, la douleur devenant trop forte, il dit : « Hâtez l’heure de mon accouchement, car ma grossesse me fatigue et m’étouffe ! » Ils lui donnèrent alors un vomitif, et aussitôt il rendit la grenouille qu’il avait dans le ventre, mais tout infectée d’humeur et toute tachée de sang. Et lui, en voyant cette chose monstrueuse, demanda : « Étais-je ainsi moi-même lorsque je suis sorti du sein de ma mère ? » Et eux : « Oui ! » Alors l’insensé ordonna qu’on nourrît son enfant, et qu’on l’enfermât, en guise de berceau, dans l’écaille d’une tortue. Mais tout cela ne se trouve point mentionné dans les chroniques, et doit être considéré comme apocryphe.

Plus tard, Néron, admirant le récit de l’incendie de Troie, fit brûler Rome pendant sept jours et sept nuits ; et lui, assistant à l’incendie du haut d’une tour, il récitait pompeusement des morceaux de l’Iliade. Il pêchait avec des filets d’or, prétendait chanter mieux que tous les tragédiens et joueurs de cithare, faisait changer les hommes en femmes, et jouait lui-même le rôle d’une femme auprès d’un homme. Mais à la fin les Romains, ne pouvant supporter davantage sa folie, se jetèrent sur lui et le poursuivirent jusqu’en dehors de la ville. Alors, se voyant perdu, il aiguisa avec ses dents la pointe d’un bâton et se l’enfonça dans le cœur. Ou bien encore, suivant d’autres, il aurait été dévoré par les loups. Et l’on raconte qu’après sa mort, les Romains, ayant retrouvé la grenouille qu’il avait vomie, allèrent la brûler hors des murs de la ville : et, depuis ce moment, l’endroit où avait été cachée la grenouille (latue-rat rana) porta le nom de Lateran ou Latran.

V. Au temps du pape saint Corneille, des Grecs pieux volèrent les corps des apôtres, qu’ils voulaient emporter dans leur pays ; mais les démons habitant les idoles furent contraints, par la force divine, de crier : « Au secours, Romains, car on emporte vos dieux ! » Sur quoi toute la ville se mit à la poursuite des voleurs : car les fidèles comprenaient qu’il était question des apôtres, et les païens croyaient qu’il était question de leurs idoles, si bien que les Grecs, épouvantés, jetèrent les corps des apôtres dans un puits voisin des catacombes, d’où les fidèles parvinrent plus tard à les retirer. Et comme on hésitait pour savoir lesquels des os appartenaient à saint Pierre et lesquels à saint Paul, on pria et jeûna et une voix du ciel répondit : « Les os les plus grands sont ceux du prédicateur, les plus petits ceux du pêcheur. » Et les os des deux saints se séparèrent spontanément et ceux de chacun des deux saints furent rapportés dans l’église qui leur était consacrée. Cependant d’autres auteurs prétendent que le pape Sylvestre fit peser dans une balance les os les plus grands et les plus petits, en proportion égale, et donner à chaque église la moitié exacte des deux corps.

VI. Saint Grégoire raconte, dans son Dialogue, que, près de l’église où repose le corps de saint Pierre, vivait un saint homme nommé Agontius. Or, une jeune fille paralytique passait toutes ses journées dans cette église : elle rampait sur les mains, car ses reins et ses pieds étaient paralysés. Et comme depuis longtemps elle implorait saint Pierre de lui rendre la santé, le saint lui apparut et lui dit : « Va trouver Agontius, qui demeure près d’ici ; il te guérira ! » Aussitôt la jeune fille se mit à se traîner à travers les bâtiments de l’église, dans l’espoir de découvrir où était cet Agontius. Mais voici que ce dernier vint au-devant d’elle ; et elle lui dit : « Notre pasteur et père nourricier saint Pierre m’envoie vers toi pour que tu me guérisses de mon infirmité ! » Et Agontius : « Si vraiment c’est lui qui t’envoie, lève-toi et marche ! » Après quoi il lui tendit la main pour l’aider à se lever, et aussitôt elle fut guérie, sans garder la moindre trace de sa paralysie.

Grégoire rapporte aussi, dans le même livre, l’histoire d’une jeune romaine nommée Galla, fille du consul et patricien Symmaque, qui devint veuve après un an de mariage. Mais tandis que son âge et sa fortune l’engageaient à se remarier, elle préféra s’unir, en noces spirituelles, à Dieu. Et comme son corps était dévoré d’un feu intérieur, les médecins dirent que, si elle se refusait toujours aux caresses des hommes, la chaleur qui était en elle lui ferait pousser une barbe sur le visage. Et c’est, en effet, ce qui lui arriva. Mais elle n’eut aucune crainte de cette difformité extérieure, comprenant bien que rien de tel ne pouvait l’empêcher d’être aimée de son mari céleste, si seulement elle restait pure au dedans. Abandonnant la vie séculière, elle entra dans un couvent qui dépendait de l’église de saint Pierre ; et là, longtemps, elle servit Dieu par la prière et par les aumônes. Elle fut enfin atteinte d’un cancer au sein. Et comme, auprès de son lit, étaient toujours allumés deux flambeaux, – parce que, aimant la lumière, elle ne pouvait supporter ni les ténèbres spirituelles ni les corporelles, – elle vit l’apôtre Pierre debout devant elle entre les deux flambeaux. Alors, pleine d’amour et de joie, elle s’écria : « Qu’est-ce, mon maître ? Mes péchés me sont-ils remis ? » Et lui, inclinant la tête avec un sourire bienveillant, répondit : « Oui ! viens ! » Et elle : « Je demande que ma mère chérie l’abbesse vienne avec moi ! » Galla rapporta la chose à l’abbesse ; et, trois jours après, toutes deux moururent ensemble.

Saint Grégoire nous dit encore qu’un prêtre d’une grande sainteté, étant sur le point de mourir, s’écria : « Bienvenus êtes-vous, mes maîtres, qui daignez vous approcher d’un misérable esclave tel que moi ! » Et comme les assistants lui demandaient à qui il parlait ainsi : « Ne voyez-vous donc pas que les saints apôtres Pierre et Paul sont là près de moi ? » Et, pendant qu’il recommençait à remercier les deux apôtres, son âme fut délivrée des liens du corps.

VII. Certains auteurs ont mis en doute que Pierre et Paul aient été martyrisés le même jour, et ont prétendu qu’ils étaient morts à un an d’intervalle. Mais saint Jérôme et tous les saints qui traitent de cette question s’accordent à dire que le martyre des deux saints eut lieu le même jour et la même année. C’est, d’ailleurs, ce qui apparaît clairement de l’épître de Denis. La vérité est seulement que les deux saints n’ont pas été suppliciés au même endroit ; et quand le pape Léon dit qu’ils l’ont été au même endroit, il entend simplement par là que tous deux ont été suppliciés à Rome.

Mais bien qu’ils soient morts le même jour et à la même heure, saint Grégoire a ordonné que leur fête soit célébrée séparément, et que la commémoration de saint Paul ait lieu le lendemain de celle de saint Pierre. Celui-ci mérite, en effet, d’être honoré le premier, étant à la fois supérieur en dignité et antérieur en conversion : sans compter que son titre de souverain pontife achève de lui donner tous les droits à cette primauté.

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