La Légende dorée

XCVI
SAINT APOLLINAIRE, MARTYR

(23 juillet)

Apollinaire, disciple de l’apôtre Pierre, fut envoyé par son maître, de Rome, à Ravenne, où il guérit la femme d’un tribun et la baptisa, ainsi que son mari et toute sa maison. Ce qu’apprenant, le magistrat de la ville le fit arrêter et conduire au temple de Jupiter, pour qu’il y sacrifiât aux idoles. Et comme Apollinaire, voyant l’or et l’argent qui ornaient les idoles, s’écriait qu’on ferait mieux de donner tout cela aux pauvres, il fut sur-le-champ battu de verges et laissé à demi mort. Mais ses disciples le recueillirent et, pendant sept mois, il vécut dans la maison d’une veuve, où, peu à peu, les forces lui revinrent.

Il se rendit ensuite dans la ville de Classe, pour y guérir un homme noble qui avait perdu la parole. Et, au moment où il entrait dans la maison de cet homme, une jeune fille possédée du démon s’écria : « Éloigne-toi, serviteur de Dieu, ou bien je te ferai emporter hors de la ville pieds et poings liés ! » Et Apollinaire ordonna au démon qui était en elle de la quitter, ce qu’il fit aussitôt. Puis, s’approchant du muet, il invoqua Dieu sur lui et le guérit ; et plus de cinq cents personnes se convertirent au Christ. Mais les païens, pour l’empêcher de prononcer le nom de Jésus, le frappèrent de verges ; et lui, gisant à terre, il continuait à proclamer le vrai Dieu. Alors ils le firent se tenir debout, les pieds nus, sur des pointes de fer ; et comme il continuait à prêcher le Christ, ils le chassèrent de la ville.

Apollinaire revint à Ravenne, où un patricien, nommé Rufus, l’appela près de sa fille qui était malade. Et à peine était-il entré dans la maison de Rufus que cette jeune fille mourut. Alors Rufus : « Mieux eût valu que tu n’entrasses point dans ma maison, car les dieux s’en sont irrités, et ont refusé de guérir ma fille ! Et maintenant que peux-tu pour elle ? » Mais Apollinaire : « Sois sans crainte ; et jure-moi seulement que, si ta fille revient à la vie, tu la laisseras librement se consacrer au service de son Créateur ! » Rufus l’ayant juré, le saint fit une prière, et aussitôt la jeune femme se leva ; après quoi, confessant le Christ, elle reçut le baptême avec sa mère et toute sa maison ; et elle resta vierge durant toute sa vie.

La nouvelle en étant parvenue à l’empereur, celui-ci écrivit au préfet du prétoire que, si Apollinaire refusait de sacrifier aux idoles, il eût à être envoyé en exil. Et le préfet, pour obtenir d’Apollinaire qu’il sacrifiât aux idoles, le fit battre de verges et attacher à un chevalet. Et comme le saint continuait à prêcher le Christ, il fit verser de l’eau bouillante dans ses plaies, le chargea de chaînes et voulut que, dans cet état, il partît pour l’exil. Mais les chrétiens, indignés à la vue d’une telle cruauté, s’élancèrent sur les païens, dont ils tuèrent plus de deux cents. Le préfet, épouvanté, se cacha dans son palais et y fit cacher Apollinaire, qu’il fit ensuite transporter à bord d’un bateau avec trois clercs, ses disciples. Mais, sur le bateau, le saint échappa aux périls de la tempête et convertit les deux soldats chargés de sa garde. Revenu à Ravenne, il fut repris par les païens et conduit au temple d’Apollon où, sur un signe de lui, la statue du dieu se brisa en morceaux. Alors les prêtres le conduisirent devant le juge Taurus ; mais celui-ci avait un fils aveugle à qui le saint rendit la vue ; et le juge, émerveillé de ce miracle, se convertit et, pendant quatre ans, le saint demeura dans sa maison. Au bout de ce temps, les prêtres l’accusèrent auprès de l’empereur Vespasien : mais celui-ci se borna à dire que, si quelqu’un refusait de sacrifier aux idoles, il aurait à être puni à l’exil ; ajoutant que ce n’était pas aux hommes de venger les dieux, mais aux dieux eux-mêmes, s’ils le jugeaient bon. Alors le patricien Démosthène somma le saint de sacrifier aux idoles ; et, sur son refus, il le livra à un centurion qui, déjà, s’était secrètement converti au christianisme. Ce centurion, pour dérober le saint à la fureur de la foule païenne, le conduisit dans un faubourg habité par des lépreux ; mais la foule le suivit jusque-là, le roua de coups, et l’accabla de blessures mortelles. Il survécut cependant toute une semaine encore, enseignant ses disciples. Puis il rendit l’âme, et fut solennellement enseveli par les chrétiens. Ce martyre eut lieu sous le règne de Vespasien, vers l’an du Seigneur 70.

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