La Légende dorée

XCVII
SAINTE CHRISTINE, VIERGE ET MARTYRE

(24 juillet)

Christine, jeune fille noble, naquit à Tyr, en Italie. Comme elle était fort belle, et que nombre d’hommes la demandaient en mariage, ses parents, qui voulaient la consacrer au culte des dieux, l’enfermèrent dans une tour, avec douze suivantes, en compagnie d’idoles d’or et d’argent. Mais elle, instruite par l’esprit divin, elle avait horreur de sacrifier aux idoles, et jetait par la fenêtre l’encens qu’elle aurait dû brûler devant les dieux. Et ses suivantes dirent à son père : « Ta fille, notre maîtresse, dédaigne de sacrifier à nos dieux et se proclame chrétienne ! » Le père voulut, par des caresses, ramener sa fille au culte des dieux. Mais elle : « Ce n’est pas à des dieux mortels, mais au Dieu céleste que j’offre mon sacrifice ! » Et son père : « Ma fille, si tu n’offres de sacrifice qu’à un seul Dieu, les autres dieux en seront fâchés ! » Et elle : « Tu as raison sans t’en douter ; car le fait est que j’offre mon sacrifice au Père, au Fils et au Saint-Esprit. » Et le père : « Si tu adores trois dieux, pourquoi refuses-tu d’adorer les autres ? » Mais elle : « Ces trois dieux n’en forment qu’un seul ! »

Christine brisa ensuite les idoles de son père et distribua aux pauvres l’or et l’argent dont elles étaient faites. Son père, furieux de sa désobéissance, la fit dévêtir, et ordonna à douze de ses serviteurs de la frapper, ce qu’ils firent jusqu’à ce que les forces leur manquèrent. Alors Christine dit à son père : « Homme sans honneur, sans pudeur et détesté de Dieu, vois : les bourreaux n’ont plus la force de me frapper ! que ne demandes-tu à tes dieux de leur rendre des forces ? » Le père la fit charger de chaînes et jeter en prison.

Ce qu’apprenant, sa mère déchira ses vêtements, et, s’étant rendue auprès d’elle, se jeta à ses pieds et lui dit : « Ma chère fille, lumière de mes yeux, aie pitié de moi ! » Mais elle : « Je ne suis plus ta fille, mais bien celle du Dieu dont je porte le nom ! » Enfin la mère, ne parvenant pas à la persuader, revint vers son mari et lui répéta ses réponses. Alors le père fit comparaître Christine devant lui et lui dit : « Si tu ne veux pas sacrifier aux dieux, c’est toi-même qui sera sacrifiée et tu cesseras d’être ma fille ! » Mais elle : « Je te remercie du moins de ce que tu ne m’appelles plus la fille du diable que tu es ; car ce qui naît d’un diable ne peut être que diabolique ! » Alors il ordonna qu’on lui déchirât les chairs et qu’on rompît ses membres. Mais Christine, prenant des morceaux de sa chair, les lui jetait au visage, et lui disait : « Prends cela, tyran et mange cette chair que tu as engendrée ! » Son père la fit ensuite attacher à une roue et fit allumer sous elle un bûcher où l’on jeta de l’huile ; mais une grande flamme en jaillit, qui tua quinze cents personnes sans lui faire aucun mal.

Son père, qui attribuait tous ces miracles à des artifices magiques, la fit ramener en prison et ordonna que, la nuit, elle fût jetée à la mer avec une grande pierre attachée au cou. Mais aussitôt les anges la maintinrent au-dessus de l’eau, et le Christ, descendant vers elle, la baptisa dans la mer ; après quoi il la confia à l’archange Michel, qui la ramena sur le rivage.

Son père, exaspéré, lui dit : « Par quels maléfices parviens-tu à dompter jusqu’aux flots de la mer ? » Mais elle : « Homme malheureux et stupide, ne comprends-tu pas que c’est le Christ qui m’accorde cette grâce ? » Son père la fit jeter en prison, avec l’intention de la faire décapiter le jour suivant ; mais, dans la nuit, ce mauvais père, qui s’appelait Urbain, fut trouvé mort dans son palais.

Il eut pour successeur un magistrat non moins inique, nommé Elius, qui la fit plonger dans une chaudière allumée avec de l’huile, de la résine et de la poix ; et il ordonna à quatre hommes de secouer la chaudière, pour activer la flamme. Mais Christine louait Dieu de ce que, née d’hier à la foi, il lui permît d’être bercée comme un petit enfant. Et le juge, furieux, lui fit raser la tête et la fit conduire nue à travers la ville jusqu’au temple d’Apollon ; mais là, sur un signe d’elle, la statue du dieu tomba en poussière ; ce dont le juge fut si effrayé qu’il en mourut.

Il eut pour successeur Julien, qui fit plonger Christine dans une fournaise ardente ; elle y resta cinq jours saine et sauve, chantant avec des anges et se promenant avec eux. Julien fit lancer sur elle deux aspics, deux vipères et deux couleuvres. Mais les vipères lui léchèrent les pieds, les aspics se pendirent sur sa poitrine et les couleuvres, s’enroulant autour de son cou, léchèrent sa sueur. Alors Julien dit à son mage : « Profite de ton art pour exciter ces bêtes ! » Mais les bêtes, aussitôt, se retournèrent contre le mage et le tuèrent. Puis Christine leur ordonna de se réfugier dans le désert ; et elle montra encore son pouvoir en ressuscitant un mort. Alors Julien lui fit trancher les mamelles, d’où jaillit du lait au lieu de sang. Puis il lui fit couper la langue ; mais Christine n’en continua pas moins de parler et, prenant un morceau de sa langue coupée, elle le jeta au visage de Julien, qui fut atteint à l’œil, et aussitôt perdit la vue. Enfin Julien fit lancer deux flèches dans son cœur et une dans son côté, et la sainte, ainsi frappée, mourut. Cela se passait vers l’an du Seigneur 287, sous Dioclétien.

Le corps de sainte Christine repose aujourd’hui dans une place forte appelée Bolsène et qui est située entre Viterbe et Civita-Vecchia. Quant à la ville de Tyr, qui était située tout près de là, elle a été détruite de fond en comble.

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