La Légende dorée

CVI
SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR

(31 juillet)

I. Germain, de naissance noble, naquit à Auxerre. Après avoir été soigneusement instruit dans les sciences libérales, il se rendit à Rome pour apprendre le droit, et s’y acquit un tel renom que le Sénat l’envoya en Gaule, pour gouverner le duché de Bourgogne. Or dans la ville d’Auxerre, que Germain administrait avec une sollicitude toute particulière, on voyait sur la grand’place un pin aux branches duquel il faisait suspendre, par vanité, les têtes du gibier qu’il avait tué à la chasse. Et souvent le saint évêque de la ville, Amator, lui reprochait ce trait de vanité, l’engageant à faire plutôt couper cet arbre ; mais Germain refusait de s’y résigner. Un jour, cependant, en l’absence de Germain, l’évêque coupa l’arbre et le fit brûler. Sur quoi Germain, oubliant son christianisme, arriva avec ses troupes et menaça l’évêque de le faire périr. Le prélat, à qui l’Esprit-Saint venait de révéler que Germain lui succéderait sur son siège épiscopal, céda devant sa fureur et se retira à Autun. Mais, plus tard, il revint à Auxerre, enferma par ruse Germain dans son église, et le tonsura, en lui prédisant qu’il serait son successeur. Et, en effet, après sa mort, le peuple tout entier élut pour évêque Germain, qui, dès lors, distribua ses biens aux pauvres, et ne traita plus sa femme que comme une sœur. Et, pendant trente ans, il se mortifia le corps de telle façon que jamais il ne mangea de pain de froment, ni de légumes, ni ne but de vin, ni n’assaisonna de sel ce qu’il mangeait. Ou plutôt il prenait bien du vin deux fois par an, à Noël et à Pâques, mais il y mêlait tant d’eau qu’il ne pouvait pas même sentir le goût du vin. Le soir, à son unique repas, il mangeait un pain d’orge où il avait d’abord semé des cendres. Hiver comme été, il n’était vêtu que d’un cilice et d’une tunique ; et ces tuniques, quand il ne les donnait pas à quelqu’un, lui duraient jusqu’au jour où, de vieillesse, elles tombaient en morceaux. Rarement il mettait à ses pieds des chaussures, et une ceinture autour de ses reins. Son lit n’était fait que de cendres, d’un cilice, et d’un sac, sans même un oreiller pour soulever sa tête. Et toujours il portait à son cou des reliques de saints. Telle fut la vie de cet évêque, vie qui semblerait incroyable si elle n’était accompagnée de nombreux miracles. Et ses miracles furent tels qu’ils nous paraîtraient fantastiques, si ses mérites ne suffisaient pas à les justifier.

Un jour, ayant reçu l’hospitalité dans une maison, il vit qu’après le repas on apprêtait de nouveau la table. Il en demanda la raison : on lui répondit qu’on apprêtait la table pour les braves femmes qui marchaient la nuit. Germain résolut de veiller toute la nuit ; et il vit arriver une troupe de démons sous forme d’hommes et de femmes. Il leur défendit alors de sortir, et réveillant ses hôtes, leur demanda s’ils reconnaissaient ces personnes. Les hôtes répondirent que ces personnes étaient leurs voisins et leurs voisines. Sur quoi Germain, défendant toujours aux démons de sortir, envoya voir chez les voisins et voisines en question, qui, tous furent trouvés dormant dans leur lit. Alors les démons, sommés par lui de dire la vérité, reconnurent qui ils étaient et avouèrent qu’ils venaient pour tromper les hommes.

II. À cette époque florissait saint Loup, évêque de Troyes. Comme le roi Attila assiégeait la ville, saint Loup monta sur l’une des portes et demanda à l’assiégeant qui il était. Et Attila : « Je suis le fléau de Dieu ! » Alors l’humble serviteur de Dieu dit, en gémissant : « Et moi, hélas, je suis le Loup, le dévastateur du troupeau de Dieu ! Je mérite d’être frappé par le fléau de Dieu ! » Et il fit ouvrir les portes de la ville. Mais Dieu aveugla de telle sorte les Barbares, qu’ils traversèrent la ville d’une porte à l’autre, sans voir personne, et par conséquent, sans faire aucun mal. C’est en compagnie de ce même saint Loup que saint Germain se mit en route pour se rendre en Grande-Bretagne, où pullulaient les hérétiques. Pendant qu’ils étaient en mer, une terrible tempête se leva ; mais, sur la prière de saint Germain, les flots s’apaisèrent aussitôt. Arrivés en Grande-Bretagne, les deux saints, furent reçus avec honneur par le peuple ; puis, ayant convaincu les hérétiques, ils retournèrent dans leurs diocèses.

III. Un jour que Germain, malade, était couché dans un certain bourg, un grand incendie se produisit dans le bourg. On supplia l’évêque de se laisser transporter ailleurs, pour échapper aux flammes, mais il s’y refusa ; et le fait est que la flamme, qui détruisit toutes les maisons voisines, ne toucha pas à celle où il se trouvait.

IV. Plus tard, comme il était revenu en Grande-Bretagne pour réfuter les hérétiques, un de ses disciples, s’étant mis en route pour le rejoindre, tomba malade et mourut dans la ville de Tonnerre. Et saint Germain, lors de son retour, s’étant arrêté dans cette ville, fit ouvrir le sépulcre, et demanda au mort s’il désirait de nouveau lutter à ses côtés. Mais le mort, se relevant, répondit qu’il était si heureux qu’il préférait ne pas se réveiller. Le saint y consentit ; et son disciple, baissant de nouveau la tête, de nouveau s’endormit dans le Seigneur.

V. Pendant qu’il prêchait en Grande-Bretagne, le roi de ce pays lui refusa l’hospitalité, ainsi qu’à ses compagnons. Mais un porcher, qui se rendait chez lui, ayant vu Germain et ses compagnons épuisés de faim et de froid, les recueillit dans sa maison, et tua pour eux le seul veau qu’il possédait. Or, après le repas, saint Germain fit rassembler tous les ossements du veau sous la peau, et, à sa prière, Dieu rendit la vie à l’animal. Le lendemain, l’évêque vint trouver le roi et lui demanda avec force pourquoi il lui avait refusé l’hospitalité. Le roi, surpris, ne savait que répondre. Et le saint : « Hors d’ici, s’écria-t-il, et laisse la royauté à un plus digne ! » Puis Germain, sur l’ordre de Dieu, fit venir le porcher et sa femme ; et, au grand étonnement de tous, il proclama roi cet homme qui l’avait accueilli. C’est depuis lors que la nation des Bretons est gouvernée par des rois provenant d’une race de porchers.

VI. Comme les Saxons faisaient la guerre aux Bretons et se voyaient en nombre insuffisant, ils invoquèrent l’aide des deux saints, qui, leur ayant prêché l’Évangile, les convertirent bientôt à la foi chrétienne. Le jour de Pâques, dans la ferveur de leur foi, les Saxons jetèrent leurs armes avant d’aller au combat : ce qu’apprenant, leurs adversaires, enhardis, voulurent s’élancer contre l’ennemi désarmé. Mais Germain, se tenant auprès de l’armée qu’il avait convertie, les avertit d’avoir tous à répondre : Alleluia ! lorsque lui-même s’écrierait : Alleluia ! Ainsi fut fait : et ce cri remplit les assaillants d’une telle frayeur que tous s’enfuirent, jetant bas les armes, comme si les montagnes et le ciel lui-même se précipitaient sur eux.

VII. Un jour, passant par Autun, saint Germain se rendit au tombeau de l’évêque, saint Cassien, et demanda à celui-ci comment il se portait. Aussitôt le défunt, du fond de son tombeau, répondit, d’une voix haute et claire que tous purent entendre : « Je jouis d’un doux repos, en attendant la venue du Rédempteur. » Et Germain : « Repose-toi donc dans le Christ, et daigne intercéder pour nous, afin que nous obtenions d’être admis aux joies de la sainte résurrection ! »

VIII. Passant par Ravenne, il fut reçu avec honneur par la reine Placidie et son fils Valentinien, qui, à l’heure du repas, lui envoyèrent un vase d’argent rempli des mets les plus délicats. Mais Germain distribua les mets aux serviteurs et garda le vase d’argent pour ses pauvres. En échange, il envoya à la reine une écuelle de bois contenant un pain d’orge : présent dont la reine se réjouit si fort qu’elle fit recouvrir l’écuelle d’une enveloppe d’argent. Une autre fois, cette reine l’invita à sa table, et l’évêque accepta. Mais, comme il était épuisé par les jeûnes et les prières, il monta sur son âne, pour se rendre au palais. Or, pendant le repas, l’âne mourut. Ce qu’apprenant la reine fit donner à l’évêque un magnifique cheval. Mais Germain : « Mon âne me suffit. M’ayant amené ici, c’est lui encore qui m’emmènera ! » Puis, allant au cadavre de l’âne : « Lève-toi, lui dit-il, et retournons à l’auberge ! » Et aussitôt l’âne, se relevant, se secoua comme si rien de mauvais ne lui était arrivé.

Avant de quitter Ravenne, saint Germain prédit que sa fin approchait. En effet, peu de jours après, il fut pris d’une fièvre qui, au bout d’une semaine, l’emporta. Son corps fut transporté en Gaule, ainsi qu’il l’avait demandé à la reine. Cette mort eut lieu en l’an 430.

IX. Saint Germain avait promis à Eusèbe, évêque de Verceil, d’assister à l’inauguration d’une église qu’il venait de construire. Or Eusèbe, apprenant la mort de saint Germain, n’en fit pas moins allumer des cierges pour la cérémonie : mais les cierges s’éteignaient sitôt allumés. Alors Eusèbe comprit qu’il devait ajourner la dédicace de l’église, et choisir un autre évêque pour y présider. Mais comme le corps de saint Germain passait par Verceil, on le fit entrer dans la susdite église et aussitôt tous les cierges s’allumèrent miraculeusement. Sur quoi Eusèbe se rappela la promesse de saint Germain et comprit que celui-ci, mort, faisait ce que vivant il avait promis. Mais on ne doit point croire qu’il s’agisse là du grand saint Eusèbe de Verceil : celui-ci est mort sous le règne de Valens, cinquante ans avant la mort de saint Germain. C’est donc qu’il y aura eu à Verceil un autre évêque nommé Eusèbe, à qui sera arrivé le miracle que nous venons de raconter.

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