La Légende dorée

CVII
SAINT EUSÈBE, ÉVÊQUE ET MARTYR

(1er août)

Eusèbe gardait, depuis l’enfance, une telle chasteté, que, lorsqu’il reçut le baptême des mains du pape Eusèbe, qui lui donna son nom, on vit des mains d’anges le soulever dans la fontaine sacrée. Et comme, un jour, certaine dame noble, séduite par sa beauté, voulait entrer dans son lit, les anges l’empêchèrent d’en approcher : de telle sorte que, le lendemain matin, elle se jeta à ses pieds et lui demanda pardon. Ordonné prêtre, il brilla d’une telle sainteté, que, pendant les messes qu’il célébrait, on voyait des mains d’anges lui soulever les mains.

Plus tard, lorsque toute l’Italie fut ravagée de la peste de l’arianisme, que favorisait l’empereur Constance, le pape Julien consacra Eusèbe évêque de Verceil, ville qui avait alors la primauté parmi toutes les villes italiennes. Ce qu’apprenant, les hérétiques firent fermer toutes les portes de l’église principale de Verceil, consacrée à la sainte Vierge. Mais Eusèbe, étant entré dans la ville, s’agenouilla devant le portail de l’église ; et bientôt, sur ses prières, toutes les portes s’ouvrirent d’elles-mêmes. Il rejeta ensuite de son siège l’évêque de Milan, Maxence, corrompu par l’hérésie, et ordonna à sa place le catholique Denis. Et c’est ainsi qu’il allait, purgeant de la peste arienne toute l’Église d’Occident, pendant qu’Athanase en purgeait toute l’Église d’Orient. L’auteur de l’arianisme était un prêtre d’Alexandrie nommé Arius. Il affirmait que le Christ était une pure créature, qu’un temps avait existé où il n’était pas, et qu’il avait été créé pour nous. Aussi Constantin le Grand rassembla-t-il à Nicée un concile où l’erreur d’Arius fut condamnée. Quant à Arius lui-même, il mourut, peu de temps après, d’une mort misérable ; tous ses intestins lui sortirent du corps par le derrière. Mais le fils de Constantin, Constance, se laissa corrompre par l’hérésie. Et, furieux contre Eusèbe, il réunit en concile de nombreux évêques, et manda à ce concile Denis, et Eusèbe lui-même, qui, sachant que la majorité du concile était convertie à l’erreur, refusa de venir, alléguant sa vieillesse. Pour rendre cette excuse impossible, l’empereur réunit le concile à Milan, tout près de Verceil. Eusèbe, cependant, ne s’y rendit point. Constance ordonna aux ariens d’exposer leur doctrine ; puis il enjoignit à l’évêque Denis et à vingt-neuf autres évêques de souscrire à cette doctrine. Ce qu’apprenant, Eusèbe quitta Verceil et se mit en route pour Milan, s’attendant à y souffrir tous les supplices.

Il rencontra, en chemin, un fleuve qu’il devait traverser. Sur son ordre, un bateau, qui se trouvait près de la rive opposée, vint de lui-même vers lui et le transporta avec ses compagnons, sans qu’il y eût sur ce bateau personne pour le conduire. Alors Denis vint au-devant de lui, et, tombant à ses pieds, lui demanda son pardon. Arrivé à Milan, Eusèbe ne se laissa fléchir ni par les menaces de l’empereur ni par ses caresses. Et il dit : « Vous prétendez que le fils est inférieur au père : pourquoi donc avez-vous préféré à moi, évêque de Verceil, mon fils et élève Denis ? » Alors on lui fit voir la profession de foi rédigée par les ariens, et que Denis avait signée. Mais lui : « Pour rien au monde je ne mettrai ma signature derrière celle de mon subordonné. Brûlez plutôt ce papier, et écrivez-en un autre, que je puisse signer ! » Aussitôt, sur un ordre de Dieu, le papier prit feu, avec les signatures de Denis et des autres vingt-neuf évêques. Alors les ariens écrivirent un nouveau papier, qu’ils voulurent faire signer à Eusèbe et à ces autres évêques. Mais ceux-ci, raffermis dans la foi par Eusèbe, refusèrent de signer, et dirent même tout haut qu’ils étaient ravis de voir brûler le papier qu’ils avaient signé par contrainte. Sur quoi, Constance, furieux, livra Eusèbe aux ariens.

Et ceux-ci, le saisissant au milieu des autres évêques et le rouant de coups, le traînèrent de bas en haut, puis de haut en bas, sur l’escalier du palais. Puis, comme il avait la tête toute sanglante de coups, et s’obstinait à ne pas vouloir signer, ils lui lièrent les mains derrière le dos, et le menèrent par la ville avec une corde au cou. Mais lui, remerciant Dieu, proclamait qu’il était prêt à mourir pour la foi catholique. Alors Constance fit envoyer en exil le pape Libère, Denis, Paulin, et tous les autres évêques qui avaient suivi leur exemple. Quant à Eusèbe lui-même il fut conduit dans une ville de Palestine appelée Lycopolis. Là il fut enfermé dans un cachot si étroit et si bas qu’il ne pouvait ni étendre les jambes, ni se tourner d’un côté sur l’autre, ni relever la tête, ni remuer autre chose que ses épaules et ses coudes.

Après la mort de Constance, son successeur Julien, voulant plaire à tous, rappela les évêques exilés, fit rouvrir les temples des dieux, et permit à chacun de vivre tranquillement sous telle loi qu’on voudrait. C’est alors qu’Eusèbe, revenant de son exil, alla trouver Athanase et lui exposa tout ce qu’il avait souffert.

À la mort de Julien, sous le règne de Jovinien, Eusèbe revint à Verceil, où le peuple le reçut avec une grande joie. Mais, de nouveau, sous le règne de Valens, le nombre des ariens grandit. Ces hérétiques assiégèrent la maison d’Eusèbe, le traînèrent dehors et le lapidèrent. Ainsi il rendit son âme au Seigneur. Il fut enseveli dans l’église qu’il avait lui-même construite. Et l’on ajoute qu’il obtint, par ses prières, en faveur de Verceil, que nul arien ne pût vivre dans cette ville.

Eusèbe, à en croire la chronique, vécut au moins quatre-vingt-huit ans. Il florissait vers l’an 350.

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