La Légende dorée

CXI
L’INVENTION DE SAINT ÉTIENNE, PREMIER MARTYR

(3 août)

L’invention ou découverte du corps de saint Étienne, eut lieu en l’an 417, la septième année du règne d’Honorius. Un prêtre, nommé Lucien, faisait la sieste dans son lit, sur le territoire de Jérusalem, lorsque lui apparut un vieillard de haute taille et de noble visage, avec une barbe touffue, chaussé de brodequins dorés, et vêtu d’un manteau blanc où étaient tissés de l’or, des pierres précieuses et des croix. Et ce vieillard, d’un bâton d’or, qu’il tenait en main, toucha le prêtre et lui dit : « Hâte-toi d’ouvrir nos tombeaux, car il n’est point convenable que nous reposions plus longtemps dans un lieu méprisé ! Va donc, et dis à Jean, évêque de Jérusalem, qu’il transporte nos restes dans un lieu honorable ! » Et Lucien dit : « Seigneur, qui es-tu ? » Et le vieillard : « Je suis Gamaliel, qui ai nourri l’apôtre Paul et lui ai enseigné la Loi. Mais près de moi, dans mon tombeau, repose saint Étienne, qui, après avoir été lapidé par les Juifs, fut jeté hors de la ville pour être dévoré par les bêtes et les oiseaux de proie. Or, le maître pour qui il avait souffert le martyre, n’a point permis que cela arrivât ; de sorte, que j’ai pu recueillir pieusement ses restes et les ensevelir dans mon propre caveau. Et il y a aussi, dans mon tombeau, Nicodème, mon neveu, celui qui vint trouver Jésus la nuit, et qui fut baptisé par Pierre et par Jean. Les princes des prêtres en furent si irrités que, sans la peur qu’ils avaient de nous, ils l’auraient tué. Du moins, ils le dépouillèrent de tous ses biens comme de ses dignités, et, l’ayant battu de verges, le laissèrent à demi mort. Je le recueillis dans ma maison, où il survécut encore quelques jours ; et puis, quand il mourut, je le fis ensevelir aux pieds de saint Étienne. Enfin, il y a aussi, dans mon tombeau, mon fils Abibas, qui, à l’âge de vingt ans, fut baptisé en même temps que moi, et, restant chaste toute sa vie, apprit la Loi de la bouche de Paul, mon élève. Quant à mon autre fils Sélémie et à ma femme Œthée, qui ne voulurent point recevoir la foi du Christ, ils n’ont pas été jugés dignes d’être ensevelis avec nous. Tu trouveras leurs corps ailleurs, leurs sépulcres sont vides. » Cela dit, saint Gamaliel disparut. Et Lucien, s’éveillant, pria Dieu que, si sa vision était vraie, elle lui apparût encore une seconde fois, et une troisième.

La semaine suivante, Gamaliel lui apparut de nouveau, et lui demanda pourquoi il avait négligé de faire ce qu’il lui avait ordonné. Et Lucien : « Je ne l’ai pas négligé ; mais j’ai prié le Seigneur que, si ma vision venait bien de lui, il me la fit apparaître deux autres fois encore. » Et Gamaliel : « Je vais t’apprendre, par des symboles, de quelle façon tu pourras distinguer les reliques de chacun de nous ! » Après quoi il lui montra trois vases d’or et un vase d’argent. L’un des vases d’or était plein de roses rouges, les deux autres de roses blanches ; le vase d’argent était plein de safran. Et Gamaliel dit : « Ces vases sont nos cercueils. Le vase plein de roses rouges est le cercueil de saint Étienne, qui, seul de nous, a mérité la couronne du martyre. Les deux vases pleins de roses blanches sont mon cercueil et celui de Nicodème, parce que nous avons persévéré, d’un cœur sincère, dans la foi du Christ. Enfin, le vase d’argent, plein de safran, est le cercueil de mon fils Abibas, qui brillait d’une blancheur virginale, et mourut en état de pureté. » Cela dit, il disparut de nouveau. La semaine suivante, il apparut une troisième fois au prêtre, à qui il reprocha ses retards et sa négligence. Aussitôt Lucien courut à Jérusalem, et raconta tout à l’évêque Jean. L’évêque, avec tout son clergé, se rendit dans le jardin du prêtre ; et à peine eut-on commencé à fouiller le sol qu’une odeur délicieuse en sortit, au contact de laquelle soixante-dix personnes furent guéries de diverses maladies. Les cercueils des saints furent transportés dans l’église de Jérusalem où saint Étienne avait jadis rempli les fonctions d’archidiacre.

Cette invention de saint Étienne eut lieu le jour où l’Église célèbre aujourd’hui la passion du saint. Mais on en a transporté la fête à un autre jour, afin que, le jour où l’on a coutume de fêter le saint, l’hommage des fidèles s’adressât plutôt à son martyre qu’à la découverte de ses reliques.

Quant à la translation de celles-ci, voici comment nous la raconte saint Augustin. Un sénateur de Constantinople, nommé Alexandre, se rendit à Jérusalem avec sa femme, et fit construire, en l’honneur de saint Étienne, une belle église, où il ordonna qu’on l’ensevelit lui-même après sa mort. Mais, sept ans après sa mort, sa veuve Julienne, rentrant dans sa patrie, voulut emporter avec elle le corps de son mari. Alors l’évêque, qu’elle suppliait de l’y autoriser, lui montra deux cercueils d’argent et lui dit : « Je ne sais pas lequel de ces deux cercueils est celui de ton mari ! » Et elle : « Moi, je le sais bien ! » Sur quoi, elle s’élança, et couvrit de baisers le corps de saint Étienne. Et ainsi, croyant reprendre le corps de son mari, elle prit, par hasard, celui du premier martyr. Et comme elle le conduisait par mer à Constantinople, on entendit le chant des anges, une odeur merveilleuse se répandit à bord du bateau, et les démons, furieux, suscitèrent une affreuse tempête. Mais, comme les matelots tremblaient d’épouvante, saint Étienne leur apparut en personne, et leur dit : « C’est moi qui suis avec vous, ne craignez rien ! » Et aussitôt le calme succéda à la tempête. Le bateau parvint alors sans encombre jusqu’à Constantinople, où le corps de saint Étienne fut pieusement déposé dans une église.

Enfin, nous allons raconter de quelle manière fut faite la conjonction du corps de saint Étienne avec celui de saint Laurent. Eudoxie, fille de Théodose, qui se trouvait à Rome, était possédée d’un démon qui la persécutait cruellement. Alors son père, qui demeurait à Constantinople, lui enjoignit de venir près de lui, afin qu’elle pût toucher les reliques de saint Étienne. Mais le démon qui était en elle se mit à crier : « Si Étienne ne vient pas à Rome, je ne sortirai pas d’où je suis ! » Ce qu’apprenant, Théodose obtint du clergé et du peuple de Constantinople, que les reliques de saint Étienne fussent échangées contre celles de saint Laurent, qui, jusqu’alors, étaient gardées à Rome. L’empereur écrivit donc au pape Pélage pour lui demander cet échange ; et le pape réunit un concile de cardinaux, qui y consentit. Des cardinaux furent alors envoyés à Constantinople pour y prendre le corps de saint Étienne, et des Grecs furent envoyés à Rome pour en ramener les reliques de saint Laurent.

Le corps de saint Étienne ayant été d’abord débarqué à Capoue, les habitants de Capoue obtinrent de pouvoir en garder le bras droit ; et une église métropolitaine fut fondée pour recevoir la précieuse relique. Puis le corps du martyr fut transporté à Rome, où on voulait le déposer dans l’église de Saint-Pierre-aux-Liens. Mais quand le cortège passa devant l’église où était le corps de saint Laurent, les porteurs durent s’arrêter, retenus par une force mystérieuse qui les empêchait d’avancer. Et le démon, dans la princesse, criait : « Vous perdez vos peines, car Étienne a choisi sa demeure auprès de son frère Laurent ! » C’est donc auprès de saint Laurent que le corps fut déposé ; et à peine Eudoxie l’eût-elle touché que le démon qui la tourmentait l’abandonna. Cependant, saint Laurent, comme s’il se réjouissait de l’arrivée de son frère saint Étienne, se retira dans le fond de son tombeau, laissant dans le milieu une grande place vide pour son compagnon. Et, au moment où les Grecs voulurent mettre la main sur le corps de saint Laurent pour l’emporter, ils furent soudain précipités à terre, et, malgré les prières du pape Pélage, ils moururent quelques jours après. Puis on entendit, dans les cieux, une voix qui disait : « Heureuse es-tu, Rome, de pouvoir contenir dans un même tombeau les corps glorieux de Laurent et d’Étienne ! » C’est ainsi que fut opérée cette conjonction, l’an du Seigneur 425.

Dans le livre XXII de la Cité de Dieu, saint Augustin raconte l’histoire de six morts ressuscités par l’intermédiaire de saint Étienne : 1° l’un de ces morts entrait déjà en décomposition, lorsque, le nom de saint Étienne ayant été invoqué sur lui, aussitôt il revint à la vie ; 2° un enfant, écrasé par une charrette, ressuscita et recouvra la santé lorsque sa mère l’eût porté à l’église de saint Étienne ; 3° une religieuse, qu’on avait portée dans l’église de saint Étienne, et qui y était morte après avoir été administrée, se releva guérie au vu et à l’étonnement de tous ; 4° une jeune fille d’Hippone étant morte, son père porta sa tunique à l’église de saint Étienne ; et, quand il l’étendit ensuite sur le corps de sa fille, celle-ci ressuscita aussitôt ; 5° un jeune homme retrouva la vie lorsqu’on eût frotté son corps avec l’huile de saint Étienne ; 6° un enfant, transporté mort dans l’église de saint Étienne, revint à la vie dès qu’on eût invoqué le nom du saint.

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