La Légende dorée

CXVII
L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

(15 août)

I. Un écrit apocryphe, attribué à saint Jean l’Évangéliste, nous raconte la façon dont eut lieu l’assomption de la Vierge.

Lorsque les apôtres se furent séparés, pour aller prêcher l’évangile aux nations, la sainte Vierge resta dans leur maison, qui était près de la montagne de Sion. Elle ne cessait point de visiter pieusement tous les lieux consacrés par son fils, c’est-à-dire ceux de son baptême, de son jeûne, de sa prière, de sa passion, de sa sépulture, de sa résurrection et de son ascension. Et Épiphane nous apprend qu’elle survécut vingt-quatre ans à l’ascension de son fils. Il ajoute que, comme la Vierge avait quinze ans lorsqu’elle mit au monde le Christ, et comme celui-ci avait passé sur cette terre trente-trois ans, elle avait donc soixante-douze ans lorsqu’elle mourut. Mais il parait plus probable d’admettre, comme nous le lisons ailleurs, qu’elle ne survécut à son fils que douze ans, et qu’elle avait soixante ans, lors de son assomption : car l’Histoire ecclésiastique nous dit que, pendant douze ans, les apôtres prêchèrent en Judée et dans les régions voisines.

Un jour enfin, comme le désir de revoir son fils agitait très vivement la Vierge et la faisait pleurer très abondamment, voici qu’un ange entouré de lumière se présenta devant elle, la salua respectueusement comme la mère de son maître, et lui dit : « Je vous salue, Bienheureuse Marie ! Et je vous apporte ici une branche de palmier du paradis, que vous ferez porter devant votre cercueil, dans trois jours, car votre fils vous attend près de lui ! » Et Marie : « Si j’ai trouvé grâce devant tes yeux, daigne me dire ton nom ! Mais, surtout, je te demande avec instance que mes fils et frères, les apôtres, se rassemblent autour de moi, afin que je puisse les voir de mes yeux avant de mourir, et rendre mon âme à Dieu en leur présence, et être ensevelie par eux ! Et je te demande encore ceci : que mon âme, en sortant de mon corps, ne rencontre aucun méchant esprit, et échappe au pouvoir de Satan ! » Et l’ange : « Pourquoi désirez-vous savoir mon nom, qui est grand et admirable ? Mais sachez qu’aujourd’hui même tous les apôtres se réuniront ici, et que c’est en leur présence que s’exhalera votre âme ! Car celui qui, jadis, a transporté le prophète de Judée à Babylone, celui-là n’a besoin que d’un moment pour amener ici tous les apôtres. Et quant au malin esprit, qu’avez-vous à le craindre, vous qui lui avez broyé la tête sous votre pied, et l’avez dépouillé de son pouvoir ? » Cela dit, l’ange remonta au ciel ; et la palme qu’il avait apportée brillait d’une clarté extrême. C’était un rameau vert, mais avec des feuilles aussi lumineuses que l’étoile du matin.

Or, comme saint Jean prêchait à Éphèse, une nuée blanche le souleva, et le déposa au seuil de la maison de Marie. Jean frappa à la porte, entra et salua respectueusement la Vierge. Et elle, pleurant de joie : « Mon fils Jean, tu te souviens des paroles de ton maître, qui m’a recommandé à toi comme une mère, et toi à moi comme un fils. Et voici que le Seigneur me rappelle, et que je confie mon corps à ta sollicitude. Car j’ai appris que les Juifs se proposaient, dès que je serais morte, de ravir mes restes et de les brûler. Mais toi, fais porter cette palme devant mon cercueil lorsque vous conduirez mon corps au tombeau ! » Et Jean lui dit : « Oh ! comme je voudrais que tous les apôtres mes frères fussent ici, pour préparer tes funérailles, et proclamer tes louanges ! » Et, pendant qu’il disait cela, tous les apôtres, dans les lieux divers où ils prêchaient, furent soulevés par des nuées, et déposés devant la maison de Marie. Et quand ils se virent réunis là, ils se dirent, tout surpris : « Pour quel motif le Seigneur nous a-t-il rassemblés aujourd’hui ? » Alors Jean sortit vers eux, leur annonça la mort prochaine de la Vierge, et ajouta : « Prenez garde, mes frères, à ne point pleurer quand elle sera morte, de peur que le peuple en voyant vos larmes, ne soit troublé et ne se dise : “Ces gens-là prêchent aux autres la résurrection, et, eux-mêmes, ils ont peur de la mort !” » Et saint Denis, le disciple de saint Paul, dans son livre sur les Noms de Dieu, nous fait un récit analogue, ajoutant que lui aussi était là, et que la Vierge sommeillait pendant l’arrivée des apôtres.

Quand la Vierge vit tous les apôtres réunis, elle bénit le Seigneur et s’assit au milieu d’eux, parmi des lampes allumées. Or, vers la troisième heure de la nuit, Jésus arriva avec la légion des anges, la troupe des patriarches, l’armée des martyrs, les cohortes des confesseurs et les chœurs des vierges ; et toute cette troupe sainte, rangée devant le trône de Marie, se mit à chanter des cantiques de louanges. Puis Jésus dit : « Viens, mon élue, afin que je te place sur mon trône, car je désire t’avoir près de moi ! » Et Marie : « Seigneur, je suis prête ! » Et toute la troupe sainte chanta doucement les louanges de Marie. Après quoi Marie elle-même chanta : « Toutes les générations me proclameront bienheureuse, en raison du grand honneur que me fait Celui qui peut tout ! » Et le chef du chœur céleste entonna : « Viens du Liban, fiancée, pour être couronnée ! » Et Marie : « Me voici, je viens, car il a été écrit de moi que je devais faire ta volonté, ô mon Dieu, parce que mon esprit exultait en toi ! » Et ainsi l’âme de Marie sortit de son corps, et s’envola dans le sein de son fils, affranchie de la douleur comme elle l’avait été de la souillure. Et Jésus dit aux apôtres : « Transportez le corps de la Vierge dans la vallée de Josaphat, déposez-le dans un monument que vous y trouverez, et attendez-moi là pendant trois jours ! » Et aussitôt le corps de Marie fut entouré de roses et de lys, symbole des martyrs, des anges, des confesseurs et des vierges. Et ainsi l’âme de Marie fut emportée joyeusement au ciel, où elle s’assit sur le trône de gloire à la droite de son fils.

Pendant ce temps, trois vierges, qui se trouvaient là, dévêtirent le corps pour le laver ; mais, aussi longtemps que dura leur travail, le corps brilla d’une telle lumière qu’elles-mêmes qui le touchaient ne parvenaient pas à le voir. Puis les apôtres soulevèrent pieusement le corps, et le posèrent dans un cercueil. Et Jean dit à Pierre : « C’est toi, Pierre, qui porteras cette palme devant le cercueil ; car le Seigneur t’a préféré à nous, et t’a constitué le berger de ses brebis ! » Et Pierre : « C’est à toi, plutôt, de la porter ! car tu as été élu par le Seigneur pendant que ton corps était encore vierge, et c’est toi aussi qui as été jugé digne de reposer sur le sein du Seigneur. Tu porteras donc cette palme ; et moi je porterai le cercueil avec les porteurs, pendant que nos autres frères, entourant le cercueil, chanteront les louanges de Dieu. » Et Paul dit : « Moi, qui suis le plus petit de vous tous, je porterai le cercueil avec toi ! » Pierre et Paul soulevèrent donc le cercueil ; et Pierre entonna : Exiit Israël de Ægypto, alleluia ! Et les autres apôtres suivirent en chantant. Et le Seigneur couvrit d’un nuage le cercueil et les apôtres, de telle façon qu’on entendait leurs voix sans les voir. Et des anges s’étaient joints aux apôtres, chantant aussi, et remplissant toute la terre de sons merveilleux.

Attirés par la douceur de cette musique, tous les Juifs accouraient, s’informant de ce qui se passait. Quelqu’un leur dit : « C’est Marie que les disciples de Jésus portent au tombeau ! » Sur quoi les Juifs de prendre les armes et de s’exhorter l’un l’autre, en disant : « Venez, nous tuerons tous les disciples, et nous brûlerons ce corps qui a porté l’imposteur ! » Et le prince des prêtres, furieux, s’écria : « Voilà donc le tabernacle de celui qui a troublé notre race ! Et voilà les honneurs qu’on lui rend ! » Ce disant, il voulut s’approcher du cercueil pour le jeter à terre. Mais aussitôt ses deux mains se desséchèrent, et restèrent attachées au cercueil, pendant que les anges, cachés dans les nuées, aveuglaient tous les autres Juifs. Et le prince des prêtres gémissait et disait : « Saint Pierre, ne m’oublie pas dans ma peine, mais prie ton Dieu pour moi ! Rappelle-toi comment, un jour, je te suis venu en aide et t’ai excusé, quand une servante t’accusait ! » Et Pierre lui dit : « Je n’ai pas le loisir de m’occuper de toi ; mais si tu veux croire en Jésus-Christ et en celle qui l’a enfanté, j’espère que tu pourras recouvrer la santé ! » Et le prince des prêtres : « Je crois que Jésus est le fils de Dieu et que voici sa sainte mère ! » Aussitôt ses mains se détachèrent du cercueil ; mais ses bras restaient desséchés et endoloris. Et Pierre lui dit : « Baise ce cercueil et dis que tu crois en Jésus-Christ ! » Ce qu’ayant fait, le prêtre recouvra aussitôt la santé ; et Pierre lui dit : « Prends cette palme des mains de notre frère Jean, et pose-la sur les yeux de tes compagnons privés de la vue ; et tous ceux d’entre eux qui croiront recouvreront la vue ; mais ceux qui refuseront de croire seront privés de leur vue pour l’éternité ! »

Puis les apôtres déposèrent la Vierge dans le monument qui l’attendait, et s’assirent à l’entour, comme Jean le leur avait ordonné. Et, le troisième jour, Jésus vint avec une troupe d’anges, les salua et leur dit : « Que la paix soit avec vous ! » À quoi ils répondirent : « Gloire à toi, Seigneur ! » Et Jésus leur dit : « Quel honneur pensez-vous que je doive accorder à celle qui m’a enfanté ? » Et eux : « Nous croyons, Seigneur, que, de même que tu règnes dans les siècles des siècles, vainqueur de la mort, de même tu ressusciteras le corps de ta mère, et le placeras à ta droite pour l’éternité ! » Et aussitôt apparut l’archange Michel, présentant au Seigneur l’âme de Marie. Et Jésus dit : « Lève-toi, ma mère, ma colombe, tabernacle de gloire, vase de vie, temple céleste, afin que, de même que tu n’as point senti la souillure du contact charnel, tu n’aies pas non plus à souffrir la décomposition de ton corps ! » Et l’âme de Marie rentra dans son corps, et la troupe des anges l’emporta au ciel. Et comme Thomas, qui n’avait pas assisté au miracle de l’assomption, refusait d’y croire, voici que la ceinture qui entourait le corps de la Vierge tomba du ciel dans ses mains, intacte et encore nouée, de manière à lui faire comprendre que le corps de la Vierge avait été emporté tout entier au ciel.

Mais tout ce qu’on vient de lire est absolument apocryphe, comme le dit saint Jérôme dans sa lettre à Paul et Eustochius. Mais le saint ajoute : « Il y a cependant un certain nombre de faits que nous devons croire vrais, car d’autres témoignages de saints les ont confirmés ; et ces faits sont, à savoir : l’appui divin promis et montré à la Vierge, la réunion de tous les apôtres, la mort sans douleur, les préparatifs de l’ensevelissement dans la vallée de Josaphat, la persécution des Juifs, la production de miracles, enfin l’assomption simultanée de l’âme et du corps. D’autres détails doivent être considérés comme des symboles, et d’autres enfin, tels que l’absence et le doute de Thomas, doivent être rejetés sans hésitation. »

On dit encore que les vêtements de la Vierge sont restés dans le tombeau, pour la consolation des fidèles ; et c’est de l’un de ces vêtements que l’on raconte le miracle suivant. Comme le duc des Normands assiégeait la ville de Chartres, l’évêque de cette ville attacha à une lance, en manière de drapeau, la tunique de la Vierge, qui était conservée dans sa cathédrale ; après quoi, suivi de tout le peuple, il sortit de la ville et marcha vers les ennemis, qui, aussitôt, aveuglés et comme paralysés restèrent immobiles. Ce que voyant, les habitants de Chartres se mirent à les massacrer. Mais leur cruauté déplut à la Vierge, qui, dès cet instant, fit disparaître miraculeusement la sainte tunique.

II. Un clerc, qui avait pour la Vierge une dévotion particulière, s’efforçait en quelque sorte de la consoler, tous les jours, de la douleur que lui causaient les cinq plaies du Christ. Il lui disait : « Réjouis-toi, mère de Dieu, vierge immaculée, toi qui as reçu la joie de l’ange, toi qui as enfanté l’éclat de la lumière éternelle, réjouis-toi, seule mère vierge, que louent toutes les créatures ! » Or cet homme, étant malade, et se voyant près de mourir, fut pris d’épouvante. Sur quoi la Vierge, lui apparaissant, lui dit : « Mon fils, comment peux-tu ainsi trembler de frayeur, toi qui m’as si souvent rappelé mes joies ? Réjouis-toi plutôt, toi aussi ! Et, pour avoir la joie éternelle, viens avec moi ! »

III. Un chevalier riche et puissant avait dissipé ses biens avec tant de prodigalité qu’il se trouva réduit à l’indigence. Sa femme, personne des plus vertueuses, avait une dévotion particulière pour la Vierge Marie. Or un jour, à l’approche d’une fête où, autrefois, il avait l’habitude de faire des dons très abondants, cet homme, honteux de n’avoir plus rien à donner, s’enfuit dans un endroit désert pour y rester caché pendant le temps de la fête. Et voilà qu’un cheval terrible s’approche de lui, monté par un cavalier plus terrible encore. Et ce cavalier, lui ayant demandé la cause de son chagrin, lui promet de le rendre plus riche et plus glorieux qu’auparavant, si seulement il consent à lui obéir. Et l’homme s’engage à obéir au prince des ténèbres, dès que celui-ci aura tenu la promesse qu’il lui fait. Et le cavalier : « Rentre chez toi, et va voir dans tel et tel lieu de ta maison ! Tu y trouveras de l’or, de l’argent et des pierres précieuses ! Mais ce n’est qu’à la condition que tu t’engages, tel et tel jour, à m’amener ici ta femme ! » L’homme s’y engage, revient chez lui et y trouve les trésors annoncés par le diable. De nouveau il achète des palais, distribue des présents, acquiert des esclaves. Puis, à l’approche du jour fixé par le diable, il appelle sa femme et lui dit : « Monte à cheval, car nous avons à aller assez loin d’ici ! » La femme, épouvantée, mais n’osant point contredire son mari, se recommande à la Vierge et se met en route. En passant devant une église, elle descend de son cheval, entre dans l’église, et demande à son mari de l’attendre un instant. Et là, comme de nouveau elle invoque la Vierge, celle-ci lui envoie un profond sommeil ; après quoi, descendant elle-même de l’autel, elle prend la forme et revêt les robes de la femme, sort de l’église, et monte à cheval, de telle sorte que l’homme croit que c’est sa femme qui chevauche à côté de lui. Mais voilà que, lorsqu’ils arrivent au lieu du rendez-vous, le prince des ténèbres, qui accourait vers eux, s’arrête, se met à trembler et dit au chevalier : « Traître, est-ce ainsi que tu te joues de moi en récompense de tant de bienfaits ? Je t’avais dit de m’amener ta femme, et, au lieu d’elle, c’est la Vierge Marie qui vient avec toi ! J’espérais tourmenter ta femme, pour me venger du dommage qu’elle me faisait par sa piété, et Celle que tu m’amènes, c’est elle qui va me tourmenter et me renvoyer en enfer ! » L’homme, frappé d’étonnement et de terreur, restait interdit. Et la Vierge dit au démon : « Maudit, comment as-tu osé projeter de nuire à ma chère servante ? Pour te punir, je t’ordonne de rentrer de suite en enfer, et te défends, désormais, de vouloir faire aucun mal à toute personne qui m’invoquera ! » Le diable s’enfuit en gémissant. Le chevalier, sautant de son cheval, se prosterna aux pieds de la Vierge qui, après lui avoir reproché son crime, lui ordonna d’aller rejoindre sa femme, endormie dans l’église, et puis de rejeter toutes les richesses qui lui venaient du diable. Alors l’homme, resté seul, courut jusqu’à l’église : il réveilla sa femme, et lui raconta ce qui lui était arrivé. Après quoi tous deux, rentrés dans leur maison, rejetèrent toutes les richesses du diable et vécurent pieusement dans le culte de la Vierge Marie, qui ne se fit pas faute, à son tour, de les combler de richesses.

IV. Un homme chargé de péchés fut ravi en esprit au jugement de Dieu. Il vit arriver Satan, qui dit au Seigneur : « Il n’y a, dans cette âme, rien qui t’appartienne ! Elle est à moi tout entière, et j’en ai une preuve irréfutable ! » Et le Seigneur : « Quelle est cette preuve ? » Et Satan : « C’est ta propre parole. Car tu as dit à Adam et à Ève : “Si vous mangez de ce fruit, vous mourrez aussitôt !” Or cet homme est de la race de ceux qui ont mangé du fruit défendu ; et, par conséquent, il doit être voué à la mort éternelle ! » Alors le Seigneur invita l’homme à se défendre ; mais l’homme ne trouva rien à dire. Puis le démon reprit : « Et cette âme me revient encore par prescription, car il y a déjà trente ans qu’elle n’obéit qu’à moi ! » De nouveau, l’homme ne trouva rien à répondre. Mais le Seigneur, ne voulant pas encore porter la sentence contre lui, lui accorda un délai de huit jours, afin qu’il pût se recueillir et préparer sa défense. Et comme le malheureux s’éloignait, tout tremblant et tout désolé, un inconnu l’aborda et lui demanda la cause de sa tristesse. Et, quand il l’eût apprise, il lui dit : « Sois sans crainte, car je te viendrai en aide ! » Le pécheur lui demanda son nom. Et l’inconnu : « Je m’appelle la Vérité ! » Puis un second inconnu promit également son secours au pécheur, et lui dit qu’il s’appelait la Justice. Et en effet, huit jours après, comme Satan reproduisait son premier argument, la Vérité lui répondit : « Il y a deux sortes de mort, la mort corporelle et la mort éternelle. Et la parole que tu cites, démon, ne se rapporte qu’à la mort corporelle, non à la mort éternelle. Car tous meurent quant au corps, mais tous ne meurent point quant à la vie éternelle. » Sur quoi Satan, se voyant vaincu, exposa son second argument ; mais la Justice lui répondit : « En effet, cet homme t’a longtemps servi, mais jamais sa raison n’a cessé de murmurer en lui et de le lui reprocher ! » Alors Satan dit : « Cette âme doit me revenir, car, si même elle a fait quelque bien, la somme de ses péchés est incomparablement plus lourde ! » Alors le Seigneur : « Qu’on apporte les balances, et qu’on y pèse le bien et le mal qu’il a faits ! » Mais la Vérité et la Justice dirent au pécheur : « De toute ton âme, recours à la Mère de Miséricorde, qui est assise à côté du Seigneur, et efforce-toi de te gagner son appui ! » L’homme fit ainsi, et la Vierge Marie, venant à son aide, posa sa main sur le plateau de la balance où se trouvaient les quelques bonnes actions du pécheur. Et en vain le diable essayait de faire pencher le balance de l’autre côté : l’appui de la Vierge prévalut, et le pécheur fut remis en liberté. Après quoi, s’éveillant de sa vision, il fit pénitence et se convertit à une meilleure vie.

V. Dans la ville de Bourges, vers l’an du Seigneur 527, comme les chrétiens communaient le jour de Pâques, un enfant juif se joignit à eux et reçut la sainte hostie. Rentré chez lui, il rapporta la chose à son père qui, furieux, le jeta dans une fournaise enflammée. Mais aussitôt la Vierge, prenant la forme d’une statue que l’enfant avait vue sur l’autel, s’approcha de lui et le protégea des flammes. Cependant, aux cris de la mère, une foule de chrétiens et de Juifs accoururent qui, voyant que l’enfant restait sain et sauf dans le feu, l’en retirèrent, et l’interrogèrent sur le miracle qui l’avait préservé. Et l’enfant répondit : « La belle dame que j’ai vue sur l’autel, c’est elle qui est venue près de moi, et a empêché les flammes de m’atteindre ! » Alors les chrétiens saisirent le père de l’enfant et le jetèrent dans la fournaise, où ce vilain homme fut aussitôt réduit en cendres.

VI. Des moines se promenaient, un matin, au bord d’un fleuve, et se divertissaient à toute sorte de bavardages frivoles, lorsqu’ils virent tout à coup un bateau qui s’approchait avec un grand bruit de rames. Et ils demandèrent aux matelots : « Qui êtes-vous ? » Et eux : « Nous sommes des démons ; et nous conduisons en enfer l’âme d’Ébroïn, maire au palais du roi de France, qui a apostasié du monastère de Saint-Gall ! » Ce qu’entendant, les moines, épouvantés, s’écrièrent : « Sainte Marie, priez pour nous ! » Et les démons leur dirent : « Vous avez été bien inspirés d’invoquer Marie, car nous venions vous chercher pour vous emporter aussi, afin de vous punir de la façon dont vous bavardez au lieu de prier ! »

VII. Il y avait un moine qui était grand paillard, mais très dévot à la Vierge Marie. Or une nuit, comme il allait à son péché accoutumé et qu’il passait devant l’autel, il récita l’Ave Maria. Puis, sortant de l’église, il voulut traverser la rivière, tomba dans l’eau et mourut. Aussitôt les démons emportèrent son âme. Et comme des anges accouraient pour la délivrer, les démons leur dirent : « Pourquoi venez-vous ? Il n’y a rien à vous, dans cette âme ! » Mais ensuite arriva la Vierge Marie, leur demandant de quel droit ils emportaient cette âme. Et ils répondirent : « Nous l’avons trouvée achevant sa vie dans le péché ! » Mais la Vierge : « Vous mentez, car je sais que cet homme avait coutume de m’adresser une prière avant de partir, et aussi quand il revenait ! Au reste, déférons la chose à la décision du souverain juge ! » Et le Seigneur décida, sur la demande de la Vierge, que l’âme du moine pût rentrer dans son corps pour faire pénitence de ses péchés. Cependant les autres moines, ne voyant point leur frère aux matines, se mettent à le chercher, le retirent du fleuve, et s’apprêtent à l’ensevelir, quand tout à coup il ressuscite, et leur raconte ce qui lui est arrivé.

VIII. Une femme était tourmentée par un démon qui se montrait à elle sous forme humaine ; et ni l’aspersion d’eau bénite, ni aucun autre remède ne parvenait à la délivrer. Alors un saint homme lui conseilla que, la prochaine fois que le démon lui apparaîtrait, elle étendît les mains au ciel et s’écriât : « Sainte Marie, venez à mon secours ! » La femme fit ainsi ; et le diable s’arrêta comme frappé d’une pierre. Puis il dit : « Qu’un diable encore pire que moi entre dans la bouche de celui qui t’a appris cela ! » Puis il disparut, et jamais plus il n’osa l’approcher.

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