La Légende dorée

CXXIX
LA NATIVITÉ DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

(8 septembre)

I. La glorieuse Vierge Marie était de la tribu de Juda, et de la race royale de David. On sait que Matthieu et Luc, dans leurs évangiles, nous retracent la généalogie, non pas de Marie, mais de Joseph, qui cependant n’a eu aucune part à la conception du Christ : c’est, dit-on, pour se conformer à la coutume des Écritures, où n’est prise en considération que la généalogie des hommes, non celle des femmes. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, la sainte Vierge descendait certainement de la race de David : car les mêmes évangélistes, qui admettent expressément la conception toute divine de Jésus, attestent à plusieurs reprises que Jésus était de la semence de David.

Ce roi, en effet, eut, entre autres fils, Nathan et Salomon. De la race de Nathan fut (suivant Jean de Damas), Lévi, qui engendra Melchi et Panthar ; Panthar engendra Barpanthar, qui engendra Joachim, qui fut père de la Vierge Marie. Et il y eut un des descendants de Nathan qui épousa une descendante de Salomon ; et lorsque Héli, de la tribu de Nathan, mourut sans enfants, son frère utérin Jacob, qui était de la tribu de Salomon, épousa sa veuve et engendra d’elle Joseph. Celui-ci était donc, par la nature, fils de Jacob et descendant de Salomon ; mais, par la loi, il était fils d’Héli et de la descendance de Nathan, car, dans les cas de ce genre, la loi assignait les enfants au premier mari.

D’autre part, l’Histoire ecclésiastique et Bède, dans sa Chronique, racontent qu’Hérode, pour faire croire à la postérité qu’il était noble et descendait d’Israël, fit brûler toutes les généalogies des Juifs, qui étaient conservées dans les archives secrètes du Temple. Mais il y eut des Nazaréens, parents du Christ, qui reconstituèrent la généalogie de leur divin parent, en partie d’après leurs traditions de famille, en partie d’après des livres qu’ils avaient conservés. À eux nous devons de savoir que la femme de Joachim, nommée Anne, eut une sœur, nommée Ismérie, qui fut mère d’Élisabeth et d’Eliude. Élisabeth fut mère de saint Jean-Baptiste : d’Eliude naquit Eminen, et d’Eminen naquit saint Servais, dont le corps est conservé dans la ville de Maastricht, qui relève de l’évêché de Liège. Quant à Anne, la tradition rapporte qu’elle a eu successivement trois maris : Joachim, Cléophas et Salomé. De Joachim elle eut une fille, la Vierge Marie, qu’elle donna en mariage à Joseph, Puis, après la mort de Joachim, elle épousa Cléophas, frère de Joseph, de qui elle eut une autre fille, également appelée Marie, et donnée plus tard en mariage à Alphée. Cette seconde Marie eut d’Alphée quatre fils, Jacques le Mineur, Joseph le Juste, Simon et Jude. Enfin, de son troisième mariage avec Salomé, Anne eut encore une fille, également appelée Marie, et qui épousa Zébédée. Et c’est de cette troisième Marie et de Zébédée que sont nés Jacques le Majeur et Jean l’Évangéliste.

D’autre part, saint Jérôme nous dit, dans son Prologue, avoir lu dans son enfance un petit livre où se trouvait racontée l’histoire de la naissance de la sainte Vierge ; et il nous transcrit cette histoire, mais seulement de souvenir, et très longtemps après l’avoir lue. Donc, suivant ce récit, Joachim, qui était Galiléen, et de la ville de Nazareth, s’était marié avec sainte Anne, qui était de Bethléem, en Judée. Tous deux vivaient sans reproche, accomplissant tous les commandements du Seigneur ; ils faisaient de tous leurs biens trois parts égales, dont ils ne gardaient qu’une seule pour eux-mêmes et leur famille, en donnant une au temple, l’autre aux pauvres et aux pèlerins. Et comme, après vingt ans de mariage, ils n’avaient point d’enfant, ils firent vœu que, si Dieu leur accordait un enfant, ils le voueraient au service divin. Le jour de la fête de la Dédicace, Joachim, s’étant rendu à Jérusalem, comme il faisait pour les trois grandes fêtes de l’année, alla présenter son offrande au Temple avec ceux de sa tribu. Mais le prêtre le repoussa avec indignation de l’autel, affirmant que c’était un scandale qu’un homme infécond, incapable d’augmenter le peuple de Dieu, présentât son offrande à un Dieu qui avait mis sur lui le signe de sa malédiction. Sur quoi Joachim, tout confus, n’osa point retourner chez lui, et s’en alla séjourner avec ses bergers. Mais, pendant qu’il se trouvait là, un ange lui apparut un jour avec une grande lumière, et lui dit : « Je suis envoyé vers toi par le Seigneur, pour t’annoncer que tes prières ont été entendues, et que tes aumônes se sont élevées jusqu’au trône divin. Dieu a vu ta honte, et entendu l’injuste reproche qu’on t’a fait de ta stérilité. Car Dieu ne punit point la nature, mais seulement le péché. Et souvent, quand il ferme une matrice, il le fait afin de l’ouvrir ensuite plus miraculeusement, de manière qu’on sache que ce n’est point de la luxure que naît l’enfant qui doit naître. Est-ce que Sara, la mère de votre race, n’a pas supporté jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans l’opprobre de la stérilité, avant de donner le jour à Isaac, à qui fut renouvelée la promesse de la bénédiction de tout son peuple ? Est-ce que Rachel n’a pas été longtemps stérile avant d’enfanter Joseph, qui commanda à toute l’Égypte ? Qui fut plus fort que Samson, ou plus saint que Samuel ? Et cependant l’un et l’autre sont nés de mères stériles. Sache donc que, de la même façon, Anne, ta femme, te donnera une fille que tu appelleras Marie. Celle-ci, suivant ton vœu, sera consacrée au Seigneur dès l’enfance ; dès le ventre de sa mère elle sera pleine du Saint-Esprit ; et, afin que sa pureté ne puisse donner lieu à aucun soupçon, elle ne sera pas élevée au dehors, mais toujours gardée à l’intérieur du temple. Et, de même qu’elle sera née d’une mère stérile, d’elle naîtra miraculeusement le Fils du Très-Haut, qui aura nom Jésus, et qui apportera le salut à toutes les nations. Quant au signe qui te prouvera la vérité de mes paroles, écoute ! En arrivant à la Porte d’Or, à Jérusalem, tu rencontreras ta femme Anne, qui, inquiète de ta longue absence, se réjouira grandement de ta vue ! » Cela dit, l’ange disparut ; mais il apparut ensuite à Anne, qui pleurait amèrement l’absence de son mari ; il lui annonça ce qu’il venait d’annoncer à Joachim, et lui ordonna de se rendre à Jérusalem, devant la Porte d’Or, pour y rencontrer son mari. Anne et Joachim se rencontrèrent donc, tous deux, se réjouissant de leur vision et de la postérité qui leur était promise. Et, ayant adoré le Seigneur, ils revinrent chez eux.

C’est ainsi qu’Anne conçut et mit au monde une fille, qui fut appelée Marie. Et lorsque furent achevées les trois années de l’allaitement, l’enfant fut conduite au temple avec des offrandes. Le temple était situé sur une montagne ; et, pour parvenir à l’autel des holocaustes, qui se trouvait à l’extérieur, on avait encore à monter quinze marches, correspondant aux quinze psaumes graduels. Et voici que la petite fille monta toutes ces marches sans l’aide de personne, comme si elle était déjà dans la perfection de l’âge. Puis, quand elle eut accompli son offrande, ses parents revinrent chez eux, la laissant avec les autres vierges dans le temple ; et là, tous les jours, elle croissait en sainteté, visitée par les anges, et admise à la vision divine. Elle s’était imposé pour règle de rester en prière depuis le matin jusqu’à la troisième heure ; jusqu’à la neuvième heure, ensuite, elle s’occupait à tisser la laine ; après quoi elle se remettait en prière, jusqu’au moment où un ange venait lui apporter sa nourriture.

Quand elle eut quatorze ans, le prêtre déclara que les vierges instruites dans le temple et qui étaient parvenues à leur puberté devaient retourner chez elles, pour être unies à des hommes en légitime mariage. Les autres vierges obéirent à cet ordre. Seule, Marie dit qu’elle ne pouvait y obéir, car ses parents l’avaient consacrée au service de Dieu, et elle-même avait voué sa virginité au Seigneur. Ce qui mit le prêtre en grand embarras, car il n’osait ni rompre un vœu, – l’Écriture ayant dit : « Faites des vœux et remplissez-les ! » – ni autoriser un acte contraire aux usages. Lors de la fête qui suivit, les vieillards convoqués furent d’avis qu’en matière si douteuse on devait s’en remettre à l’inspiration divine. Et, comme tous étaient en prière, une voix sortit du fond du temple, disant que tous les hommes nubiles et non mariés de la maison de David devaient s’approcher de l’autel, chacun portant une baguette à la main ; et la voix ajoutait que la Vierge Marie aurait à épouser celui d’entre eux dont la baguette produirait des feuilles. Or il y avait là un homme de la maison de David nommé Joseph, qui, seul, ne se présenta point devant le prêtre, estimant inconvenant de prétendre, à son âge, devenir le mari d’une vierge de quatorze ans. De telle sorte que le miracle prédit par la voix divine n’eût point lieu. Et le prêtre, de nouveau, interrogea le Seigneur, qui répondit que celui-là seul n’avait pas apporté sa baguette qui était destiné à devenir le mari de la vierge. Force fut donc à Joseph de se présenter à l’autel ; et aussitôt sa baguette produisit des feuilles, et l’on vit descendre sur elle une colombe, du haut du ciel. Alors Joseph, se trouvant ainsi fiancé, se rendit à Bethléem, sa patrie, afin de s’occuper de préparer ses noces, tandis que Marie retournait à Nazareth, dans la maison de ses parents, avec sept vierges de son âge que le prêtre lui avait données pour compagnes. C’est vers ce temps-là que l’ange Gabriel lui apparut, pendant qu’elle était en prière, et lui annonça que d’elle naîtrait le Fils de Dieu.

Le jour exact où devait être commémorée la nativité de la Vierge fut très longtemps ignoré des fidèles. Mais un jour, suivant ce que rapporte Jean Beleth, un saint homme, qui vivait dans la contemplation, s’aperçut que tous les ans à la même date, le 6 septembre, il entendait une merveilleuse musique d’anges, célébrant une fête. Il supplia le Ciel de lui révéler quelle fête c’était qu’on célébrait au ciel ce jour-là ; et il obtint pour réponse que c’était le jour anniversaire de la naissance de la glorieuse Vierge Marie : ce dont il fut chargé, en outre, de faire part aux fils de la sainte Église, pour qu’ils s’unissent, dans la célébration de la fête, avec les troupes célestes. La chose fut rapportée au Souverain Pontife et aux autres chefs de l’Église qui, ayant prié et jeûné, et consulté les témoignages de l’Écriture et des traditions, décrétèrent que, désormais, ce jour du 6 septembre serait universellement consacré à la célébration de la naissance de la Vierge Marie.

Quant à l’octave de cette fête, elle n’a été instituée que plus tard, par le pape Innocent IV, qui était d’origine génoise ; et voici dans quelles circonstances. Lorsque mourut Grégoire IX, les Romains enfermèrent tous les cardinaux dans une salle pour les forcer à choisir au plus vite un nouveau chef de l’Église. Mais comme les cardinaux ne parvenaient pas à se mettre d’accord, ce qui leur valait d’être fort molestés par les Romains, ils firent vœu à la Reine du Ciel que si, grâce à elle, ils pouvaient enfin s’accorder, et sortir de leur conclave sans être maltraités, ils décréteraient désormais que fût célébrée l’octave de sa Nativité. Et, en effet, ils tombèrent d’accord pour élire Célestin. Mais celui-ci vécut trop peu de temps pour réaliser le vœu des membres du conclave ; et ce fut son successeur, Innocent IV, qui le réalisa.

Notons, à ce propos, que les trois nativités célébrées par l’Église, celles du Christ, de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, ont toutes les trois des octaves, mais que, seule la nativité de la Vierge n’est point précédée d’une vigile. En effet ces trois nativités désignent trois naissances spirituelles : car avec Jean nous renaissons dans l’eau, avec Marie dans la pénitence, et dans la gloire avec le Christ. Or notre renaissance dans le baptême et notre renaissance dans la gloire doivent être précédées de contrition, tandis que notre renaissance dans la pénitence est en elle-même une contrition.

II. Un très vaillant capitaine, et qui n’était pas moins dévot à la Vierge se rendait un jour à un tournoi lorsqu’il rencontra, en chemin, un monastère élevé en l’honneur de Notre Dame, et y entra pour entendre la messe. Mais les messes se succédaient les unes aux autres, et le capitaine, par égard pour la Vierge, tenait à n’en manquer aucune. Enfin il put sortir, et courut à l’endroit du combat. Et voilà qu’il rencontra, avant d’y arriver, des gens qui déjà en revenaient, et qui le félicitèrent de la valeur qu’il y avait déployée. Cet éloge lui fut confirmé par tous ceux qui avaient assisté au tournoi ; et il y en eut même qui vinrent lui rappeler qu’il les avait défaits. Sur quoi cet homme, comprenant que la Reine des Cieux lui avait rendu sa politesse, raconta ce qui lui était arrivé, et, retournant au monastère, s’engagea depuis lors entièrement au service du Fils de la sainte Vierge.

III. Une veuve avait un fils unique qu’elle aimait tendrement. Apprenant que ce fils avait été pris par l’ennemi, enchaîné et mis en prison, elle fondit en larmes, et, s’adressant à la Vierge, pour qui elle avait un culte spécial, elle lui demanda avec insistance la libération de son fils. Mais quand elle vit enfin que ses prières restaient sans effet, elle se rendit dans une église où se trouvait sculptée une image de Marie. Là, debout devant l’image, elle dit : « Vierge sainte, je t’ai suppliée de délivrer mon fils, et tu n’as pas voulu venir au secours d’une malheureuse mère ; j’ai imploré ton patronage pour mon fils, et tu me l’as refusé ! Eh bien, de même que mon fils m’a été enlevé, de même je vais t’enlever le tien, et le garderai en otage ! » Ce que disant, elle s’approcha, prit la statue de l’enfant sur le sein de la Vierge, l’emporta chez elle, l’entoura d’un linge sans tache, et l’enferma sous clef dans un coffre, heureuse d’avoir un si bon otage du retour de son fils. Or, la nuit suivante, la Vierge apparut au jeune homme, lui ouvrit la porte de sa prison, et lui dit : « Dis à ta mère, mon enfant, qu’elle me rende mon fils, maintenant que je lui ai rendu le sien ! » Le jeune homme vint donc retrouver sa mère, et lui raconta sa miraculeuse délivrance. Et elle, ravie de joie, s’empressa d’aller rendre à la Vierge l’enfant Jésus, en lui disant : « Je te remercie, dame céleste, de ce que tu m’aies restitué mon fils, et je te restitue le tien en échange ! »

IV. Il y avait un voleur qui commettait le plus de larcins qu’il pouvait, mais qui avait une grande dévotion pour la Vierge Marie, et ne cessait point de l’invoquer. Un jour, pris en flagrant délit, il fut condamné à être pendu. Et on le pendit en effet : mais aussitôt la Vierge Marie vint à son aide, et, pendant trois jours, le tint dans ses bras de telle sorte que sa pendaison ne lui fit aucun mal. Le troisième jour, ceux qui l’avaient pendu, passant par hasard près de lui, furent surpris de le trouver vivant et la mine joyeuse. Ils pensèrent que la corde avait été mal attachée, et voulurent l’achever à coups d’épées ; mais la Vierge opposait sa main à leurs épées, et aucun de leurs coups n’atteignait le voleur. Celui-ci leur raconta enfin l’assistance qu’il avait reçue de la Vierge Marie, et eux, par amour pour Notre Dame, ils le relâchèrent. Et le voleur se fit moine, et, tant qu’il vécut, resta au service de la Mère de Dieu.

V. Un clerc, très dévot à la Vierge Marie, ne trouvait de plaisir qu’à chanter ses heures. Mais, ayant hérité de tous les biens de ses parents, il fut contraint par ses amis à prendre femme, et à gouverner son héritage. Il se mit donc en route pour célébrer ses noces ; mais en chemin, rencontrant une église, il y entra pour réciter les heures de la Vierge. Et voici que la Vierge lui apparut, le visage sévère, et lui dit : « Infidèle, pourquoi m’abandonnes-tu, moi ton amie et ta fiancée ? Pourquoi me préfères-tu une autre femme ? » Le clerc, plein de contrition, alla rejoindre ses compagnons, et, leur cachant ce qui lui était arrivé, laissa célébrer ses noces. Mais, au milieu de la nuit, il s’enfuit de sa maison, entra dans un monastère, et se voua tout entier au service de la Vierge Marie.

VI. Un bon prêtre de village ne célébrait jamais d’autre messe que celle de la Vierge. Dénoncé à son évêque, et mandé devant lui, il lui avoua qu’il ne savait pas d’autre messe que celle-là ; sur quoi l’évêque le blâma sévèrement, et le suspendit de son office. Mais la nuit suivante, la Vierge apparut à l’évêque, le gronda à son tour, lui demanda pourquoi il avait si mal traité son serviteur, et ajouta qu’il mourrait avant trente jours, si le pauvre prêtre n’était pas restitué dans sa fonction. Sur quoi l’évêque, épouvanté, fit revenir le prêtre, s’excusa devant lui, lui rendit sa fonction et lui enjoignit de ne jamais célébrer d’autre messe que celle de Marie.

VII. Il y avait un clerc qui était frivole et débauché, mais qui, cependant, aimait beaucoup la sainte Vierge, et récitait assidûment ses heures. Une nuit, en rêve, il se vit transporté au tribunal de Dieu. Et le Seigneur disait aux assistants : « Jugez vous-mêmes quelle peine mérite cet homme, pour qui j’ai eu tant de patience, sans qu’il fit voir le moindre signe d’amélioration ! » Tous furent d’avis qu’il méritait d’être damné. Seule la Vierge Marie se leva et dit à son Fils : « Mon Fils, j’implore ta clémence pour cet homme ! Permets-lui de vivre encore, par égard pour moi, bien que, par ses propres mérites, il soit dû à la mort ! » Et le Seigneur : « Je consens, en ta faveur, à ajourner sa sentence ; mais c’est à la condition qu’il se corrigera ! » Alors la Vierge, se tournant vers le clerc, lui dit : « Va maintenant et cesse de pécher, de peur que ne t’arrive plus de mal encore ! » Et le clerc, se réveillant, changea ses mœurs, entra en religion et finit sa vie dans les bonnes œuvres.

VIII. Il y avait en Sicile, l’an du Seigneur 537, un homme appelé Théophile, vicaire d’un évêque, qui, sous les ordres de son chef, administrait si sagement le diocèse que, lorsque l’évêque mourut, tout le peuple l’élut par acclamation pour le remplacer. Mais lui, content de son vicariat, préféra qu’on prît pour évêque un autre prêtre. Et celui-ci, peu de temps après, le dépouilla de ses fonctions de vicaire : ce dont il eut tant de dépit que, pour recouvrer ses fonctions, il alla demander l’aide d’un sorcier juif. Le sorcier appela le diable, qui se hâta d’accourir. Sur son ordre, Théophile renia le Christ et la Vierge, écrivit son reniement avec son propre sang, scella l’écrit avec son anneau, et le donna au diable, se vouant ainsi à son service. Le diable, donc, le fit rentrer en grâce auprès de l’évêque et restituer dans sa dignité. Mais alors Théophile, rentrant en lui-même, fut désolé de ce qu’il avait fait, et supplia la Vierge glorieuse de lui venir en aide. Marie lui apparut, lui fit de vifs reproches de son impiété, lui ordonna de renoncer au diable, exigea qu’il proclamât sa foi dans le Christ et dans toute la doctrine chrétienne, et finit par obtenir sa grâce de son divin Fils, en signe de quoi, lui apparaissant une seconde fois, elle lui posa sur la poitrine l’écrit qu’il avait donné au diable : afin de lui prouver, par là, qu’il n’était plus esclave du démon, et que, grâce à elle, il redevenait libre. Ce que voyant Théophile, transporté de joie, raconta, devant l’évêque et le peuple tout entier, le miracle qui venait de lui arriver, et, trois jours après, il s’endormit en paix dans le Seigneur.

IX. Un mari et sa femme, ayant marié leur fille unique, et ne pouvant se résigner à se séparer d’elle, la gardaient dans leur maison, ainsi que leur gendre. Et la mère de la jeune femme, par amour pour sa fille, avait pour son gendre une affection très vive : ce qui fit dire aux méchantes langues que ce n’était point par amour pour sa fille qu’elle aimait son gendre, mais bien pour son propre compte. De telle sorte que la femme, craignant que cette calomnie ne se répandît, promit à deux paysans de leur donner à chacun vingt sous s’ils voulaient étrangler secrètement le gendre. Et un jour, les ayant enfermés dans son cellier, elle envoya son mari hors de la maison, fit également sortir sa fille, et demanda à son gendre d’aller chercher du vin dans le cellier, où, aussitôt, les deux paysans se jetèrent sur lui et l’étranglèrent. Alors la femme porta le mort dans le lit de sa fille, et l’y installa comme s’il dormait. Le soir, lorsque son mari et sa fille revinrent, elle ordonna à sa fille d’aller réveiller son mari, et de l’appeler à table. La fille trouve son mari mort, accourt l’annoncer à ses parents : et toute la famille de se lamenter, y compris la femme qui avait commis l’homicide. Mais cette femme finit par se repentir sincèrement de son crime, et alla se confesser de tout à un prêtre. Or, quelque temps après, une querelle s’éleva entre cette femme et le prêtre qui, publiquement, lui reprocha le meurtre de son gendre. Les parents du mort apprennent la chose, font passer la femme en jugement ; et elle est condamnée à être brûlée. Alors, se voyant près de mourir, elle se réfugie dans l’église de la Vierge, et s’y prosterne en prière, avec force larmes. On la contraint à sortir de l’église, et on la jette sur un grand bûcher allumé : mais elle s’y tient debout, saine et sauve, sans ombre de mal. En vain les parents du mort apportent sur le bûcher de nouveaux sarments allumés. Puis, voyant que le feu n’a pas de prise sur elle, ils la transpercent de coups de lance. Mais le juge, témoin du miracle, les force à s’éloigner. Et puis, examinant avec soin la condamnée, il découvre que les coups de lance l’ont atteinte et blessée, mais que le feu n’a laissé sur elle aucune trace. On la ramène dans sa maison, on la ranime par des bains et des stimulants. Mais Dieu, pour l’empêcher d’être davantage en butte au soupçon des hommes, la fait mourir trois jours après, repentante, et ne cessant point de célébrer les louanges de la Vierge Marie.

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