La Légende dorée

CXXXIV
SAINTE EUPHÉMIE, VIERGE ET MARTYRE

(16 septembre)

Euphémie, fille d’un sénateur, voyant les supplices infligés aux chrétiens sous le règne de Dioclétien, se rendit auprès du juge Priscus et confessa publiquement le Christ. Ce juge ordonnait que les chrétiens fussent mis à mort l’un après l’autre, et que les survivants assistassent au martyre de leurs compagnons, espérant par là les épouvanter et les détourner de leur foi. Or Euphémie, à chaque nouvelle exécution qui se faisait en sa présence, pleurait et se désolait comme si elle-même avait été suppliciée ; ce dont le juge se réjouissait, pensant qu’elle consentirait à sacrifier aux idoles. Il lui demanda enfin de quoi elle se plaignait. Et elle : « Étant de race noble, je me plains de ce que tu me préfères des inconnus et des gens de rien, et de ce que tu leur permettes d’arriver avant moi à la gloire promise ! » Sur quoi le juge, furieux de sa déception, la fit jeter en prison, mais sans la charger de chaînes. Le lendemain, amenée de nouveau devant le juge, elle se plaignit de nouveau de ce que, contrairement à la loi, elle seule n’eût pas été chargée de chaînes. Le juge la fit remettre en prison, après avoir ordonné qu’elle fût souffletée ; et l’ayant suivie dans la prison, il voulut assouvir sur elle sa concupiscence ; mais, à la prière de la vierge, la force divine paralysa le bras qu’il levait sur elle. Et Priscus, croyant à un sortilège, envoya vers elle un de ses fonctionnaires pour lui promettre toute sorte de faveurs si elle consentait à devenir sa maîtresse. Mais l’envoyé trouva la prison fermée, de telle sorte qu’il ne put ni l’ouvrir avec ses clés ni en briser la porte à coups de hache. Et il fut possédé d’un démon, qui le contraignit à se déchirer les chairs de ses propres mains.

Le juge décida ensuite que la sainte eût à être placée sur une roue dont les rayons étaient remplis de charbons ardents ; et l’auteur de cette roue s’entendit avec les bourreaux pour que, sur un signe de lui, la flamme, sortant des rayons, consumât le corps d’Euphémie. Mais Dieu fit en sorte que ce fût cet homme lui-même qui fut consumé tandis qu’Euphémie, délivrée par un ange, apparut debout, saine et sauve, dans les airs. Alors un certain Appellien dit au juge : « Le pouvoir de ces chrétiens ne peut être vaincu que par le fer. Je te conseille donc de la faire décapiter ! » On éleva alors un échafaud ; mais le premier homme qui voulut étendre la main sur Euphémie, pour l’y faire monter, eut aussitôt la main paralysée et fut emporté à demi mort. Un autre, nommé Sosthène, arrivé près d’elle, se convertit tout de suite, lui demanda pardon et, tirant son épée, déclara au juge qu’il se tuerait lui-même plutôt que de toucher à celle que défendaient les anges.

Désespérant de la tuer par ce moyen, le juge dit à son chancelier de mander auprès d’elle les jeunes gens les plus vigoureux et les plus ardents de la ville, afin qu’ils usassent de son corps jusqu’à la faire mourir. Mais le premier qui entra dans la prison aperçut une troupe de vierges resplendissantes qui priaient autour d’Euphémie ; et aussitôt il devint chrétien. Alors le juge la fit suspendre par les cheveux, puis, devant l’inefficacité de ce nouveau supplice, la condamna à être privée de nourriture et à être pressée comme une olive entre d’énormes pierres. Elle resta ainsi pendant sept jours, nourrie par un ange ; et, au bout de sept jours, les quatre grosses pierres se trouvèrent réduites en une fine cendre.

Honteux d’être vaincu par une jeune fille, le juge la fit plonger dans une fosse où se trouvaient trois bêtes d’une férocité effroyable. Mais ces bêtes accoururent près d’elle pour la caresser, et, joignant leurs queues, lui firent comme un trône où le juge la vit s’asseoir. Enfin un bourreau, entrant dans la fosse, perça d’un glaive le côté de la sainte, qui acheva ainsi les épreuves de son martyre. Pour le récompenser, le juge le revêtit d’un manteau de soie et lui ceignit les reins d’une ceinture dorée ; mais, au moment où cet homme sortait de la fosse, un lion s’élança sur lui et le dévora, ne laissant que le manteau, la ceinture et quelques ossements. Quant au juge Priscus, il en vint à se dévorer lui-même, et rendit son âme au démon. Sainte Euphémie fut ensevelie à Chalcédoine, l’an du Seigneur 280 ; et, par ses mérites, tous les Juifs et païens de Chalcédoine se convertirent au christianisme.

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