La Légende dorée

CXLI
SAINTS CÔME ET DAMIEN, MARTYRS

(27 septembre)

I. Côme et Damien étaient frères. Ils naquirent dans la ville d’Égée, d’une pieuse mère, nommée Théodote. Ayant appris la médecine, ils reçurent de l’Esprit-Saint une telle faveur qu’ils purent guérir toutes les maladies, non seulement des hommes, mais même des chevaux ; et jamais ils n’admettaient qu’on les payât de leurs soins. Or une dame, appelée Palladie, qui avait déjà dépensé en frais de médecins tout ce qu’elle avait, vint trouver les deux frères, qui la guérirent aussitôt. Elle offrit alors à Damien un petit présent, que, d’abord, il refusa d’accepter, mais que, cependant, il accepta enfin, non point par cupidité, mais par égard pour le zèle et la bonne volonté de la pauvre femme qui le lui offrait. Et Côme, dès qu’il le sut, ordonna qu’après sa mort ses restes fussent ensevelis à part de ceux de son frère. Mais, la nuit suivante, le Seigneur lui apparut, et excusa Damien de l’acceptation du présent.

Entendant leur renommée, le proconsul Lysias les fit venir, et leur demanda quels étaient leurs noms, leur patrie, leur fortune. À quoi les saints répondirent : « Nos noms sont Côme et Damien, et nous avons encore trois autres frères qui s’appellent Antime, Léonce et Euprépie ; notre patrie est l’Arabie ; et quant à la fortune, c’est chose que les chrétiens ne connaissent pas. » Alors le proconsul fit aussi venir leurs frères ; puis, sur leur refus de sacrifier aux idoles, il leur fit percer de clous les pieds et les mains. Comme ils se raillaient de ces supplices, il les fit ensuite charger de chaînes et précipiter dans la mer ; mais aussitôt un ange les retira des flots, et ils se retrouvèrent devant le proconsul. Et celui-ci : « Vous êtes de puissants sorciers, pour faire de telles choses ! Enseignez-moi donc vos sortilèges, au nom de mes dieux ! » Aussitôt deux démons s’emparèrent de lui et le frappèrent durement au visage. Et lui, se tournant vers les deux saints : « Par pitié, mes amis, priez pour moi votre Dieu ! » Ils prièrent, et les démons s’enfuirent. Alors Lysias : « Voyez-vous combien mes dieux sont irrités de ce que j’aie eu la pensée de les abandonner ! Aussi, désormais, ne vous permettrai-je plus de les blasphémer ! » Alors il les fit jeter dans un grand feu ; mais la flamme ne leur fit aucun mal, et brûla seulement un grand nombre de païens, qui se tenaient à l’entour.

Attachés sur un chevalet, un ange les préserve de toute souffrance, et la fatigue des bourreaux met un terme au supplice. Alors le proconsul fait conduire en prison les trois frères de Côme et de Damien ; et quant à ceux-ci, il les fait mettre en croix et lapider. Mais les pierres qu’on leur lance rejaillissent sur ceux qui les lancent, et en blessent un grand nombre. Alors le proconsul, furieux, fait ramener les trois autres frères, et ordonne que les deux saints, sur leur croix, soient percés de flèches ; mais les flèches, au lieu d’entrer dans leurs chairs, se retournent contre ceux qui les lancent. Enfin le proconsul, confus de sa défaite, les fait décapiter tous les cinq, au lever du jour.

Les chrétiens, se rappelant la parole de Côme, voulurent alors enterrer Damien à part de ses frères ; mais soudain on entendit un chameau qui, prenant voix humaine, ordonna d’ensevelir ensemble les cinq martyrs. Cela se passait sous le règne de Dioclétien.

II. Un paysan s’était endormi dans son champ, après la moisson, lorsqu’un serpent lui entra dans la bouche. Réveillé, le paysan revint chez lui sans rien sentir ; mais, vers le soir, il fut pris de souffrances atroces. Il invoqua alors saints Côme et Damien, se rendit dans leur église ; et, dès qu’il y fut arrivé, voici que le serpent lui sortit de la bouche comme il y était entré.

III. Un homme qui partait pour un long voyage recommanda sa femme aux saints Côme et Damien ; après quoi il lui indiqua un signe qui, lorsqu’on le ferait devant elle, signifierait qu’on vient de sa part et pour l’appeler. Or le diable, l’ayant vu indiquer ce signe, va trouver la femme, et lui dit qu’il vient la chercher de la part de son mari. Et elle, hésitant : « Je reconnais bien le signe ; mais je ne te croirai que si tu me le jures, au nom des saints martyrs Côme et Damien, à qui mon mari m’a recommandée ! » Le diable le lui jura, et elle le suivit. Mais bientôt, quand ils arrivèrent dans un lieu écarté, elle s’aperçut que son guide voulait la jeter à bas de son cheval, pour la tuer. Alors elle s’écria : « Saints Côme et Damien, secourez-moi, car c’est en me fiant à vous que j’ai suivi cet homme ! » Et aussitôt les deux saints accoururent à son secours, avec une troupe toute vêtue de blanc, et forcèrent le diable à s’enfuir honteusement.

IV. Le pape Félix fit construire à Rome une grande église en l’honneur des deux saints. Cette église avait pour gardien un homme qui avait une jambe toute rongée par un cancer. Et voici que, dans son sommeil, le pieux gardien vit saints Côme et Damien lui apparaître avec des onguents. Et l’un des deux saints dit à l’autre : « Où trouverons nous des chairs fraîches, pour mettre à la place des chairs pourries que nous allons couper ? » L’autre saint répondit : « On a enterré aujourd’hui un Maure dans le cimetière de Saint-Pierre-aux-Liens ; prenons une de ses jambes et donnons-la à notre serviteur ! » Et les deux saints firent ainsi ; après quoi ils donnèrent au gardien la jambe du Maure, et rapportèrent dans le tombeau de celui-ci la jambe du malade. Et celui-ci, à son réveil, se voyant guéri, raconta à tous sa vision, et le miracle qui l’avait suivie. On courut alors au tombeau du Maure : on découvrit qu’une de ses jambes manquait, et que, à sa place, se trouvait la jambe malade du gardien.

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