La Légende dorée

CLXV
SAINTE ÉLISABETH, VEUVE

[Ce chapitre, qui manque dans la plupart des manuscrits anciens, n’est certainement pas de Jacques de Voragine.]

(20 novembre)

1° Élisabeth, fille d’un illustre roi de Hongrie, anoblit encore par sa foi et ses vertus la race très noble dont elle était sortie. Élevée, pour ainsi dire, au-dessus de la nature humaine, toute petite encore elle dédaignait les jeux enfantins, ne s’occupant qu’à avancer toujours dans la vénération de Dieu. À cinq ans, elle avait tant de plaisir à prier dans l’église que ses compagnes ou ses servantes ne parvenaient pas à l’en faire sortir. Même en jouant, on la voyait toujours courir du côté d’une chapelle, afin de pouvoir plus facilement y entrer. Et quand elle y était entrée, elle fléchissait les genoux, ou s’étendait à plat sur les dalles, ou, sans savoir lire, prenait en main un psautier, de peur que quelqu’un ne vînt la déranger. Et dans ses jeux d’enfants, c’était en Dieu qu’elle mettait toutes ses espérances. De tout ce qu’elle gagnait ou qu’on lui donnait, elle réservait la dixième partie pour des petites filles pauvres à qui elle recommandait en même temps de saluer souvent d’une prière la Vierge Marie.

À mesure qu’elle grandissait en âge, elle grandissait plus encore en dévotion. Elle s’était choisi pour patronne la sainte Vierge, et avait prié saint Jean l’Évangéliste de se constituer le gardien de sa chasteté. Pour saint Pierre, aussi, elle avait une telle dévotion qu’elle ne refusait rien de ce qu’on lui demandait au nom de ce saint.

Craignant que les succès du monde ne lui devinssent trop agréables, elle s’ingéniait à s’en ôter toujours une partie. Quand elle gagnait à quelque jeu, elle s’arrêtait de jouer en se disant : « Je renonce au reste pour l’amour de Dieu ! » Dans les danses, après avoir fait un tour avec ses compagnes, elle leur disait : « Que cet unique tour nous suffise ! Renonçons aux autres pour l’amour de Dieu ! » Le luxe dans les vêtements lui était odieux. Elle s’était interdit, notamment, de mettre des gants, le dimanche, avant l’heure de midi. Elle s’était imposé un nombre déterminé de prières ; et lorsque les servantes la mettaient au lit avant qu’elle eût achevé de les réciter, elle se tenait éveillée pour aller jusqu’au bout. Et toujours elle s’astreignait à tout cela par des vœux solennels, de façon que personne, par persuasion, ne pût ensuite l’en détourner. Quant aux offices religieux, elle les suivait avec tant de révérence que, pendant la lecture de l’évangile et la consécration de l’hostie, elle ôtait ses manchettes et se dépouillait de tous ses ornements.

Ainsi elle vécut, sagement et innocemment, toute sa vie de jeune fille, jusqu’au jour où, sur l’ordre de son père, elle fut forcée d’entrer dans la vie de mariage. Elle se soumit, bien contre son gré, à l’union conjugale, non point pour y trouver du plaisir, mais pour ne point paraître dédaigner les ordres de son père, comme aussi pour procréer des fils au service de Dieu. Fidèle à la couche nuptiale, toujours elle resta chaste d’intention. Et elle fit vœu devant maître Conrad, que, si elle survivait à son mari, elle observerait une continence perpétuelle. Elle épousa le landgrave de Thuringe ; mais, tout en changeant de condition de vie, elle ne changea point de disposition intérieure. Jamais elle ne cessa de montrer sa dévotion et son humilité devant Dieu ; son austérité et son abstinence à l’égard de soi-même ; sa largesse et sa compassion envers les pauvres. Sa ferveur pour la prière était si grande qu’elle devançait à l’église ses servantes même, comme si elle eût voulu, par des prières secrètes, obtenir de Dieu quelque grâce spéciale. La nuit, souvent elle se relevait pour prier, malgré la défense que, par sollicitude pour sa santé, lui en faisait son mari. Elle s’était entendue avec une de ses servantes pour que celle-ci, les nuits où elle tarderait à se réveiller, la tirât de son sommeil en lui donnant un coup sur les pieds. Et une nuit, la servante, au lieu de frapper sur les pieds de sa maîtresse, frappa sur ceux du mari, qui, soudain réveillé, comprit toute la chose, mais, sagement, feignit de ne s’être aperçu de rien. Toujours aussi Élisabeth pleurait en priant ; mais ces douces larmes n’altéraient son visage que pour lui donner une expression d’une joie céleste.

Modèle d’humilité, elle s’attachait à ne pas dédaigner même les choses les plus viles et les plus repoussantes. Ayant rencontré un mendiant dont tout le visage n’était qu’une plaie ignoble et infecte, elle le recueillit sur son sein, lui coupa les cheveux et lui lava la tête, en présence de ses servantes qui se moquaient du pauvre homme. Aux Rogations, elle suivait la procession pieds nus, en robe de laine ; et, à chaque station, on la voyait prendre place parmi les mendiantes. Lorsqu’elle se rendait à l’église pour ses relevailles, jamais elle ne s’ornait comme les autres femmes ; mais, à l’exemple de la Vierge immaculée, elle se rendait à l’autel en portant elle-même le nouveau-né dans ses langes ; et humblement elle offrait un agneau et un cierge. Après quoi, rentrée au palais, elle donnait à une pauvre femme la robe qui lui avait servi pour la cérémonie. C’est également par humilité que, avec le consentement de son mari, et réserve faite des droits conjugaux, elle prêta vœu d’obéissance à maître Conrad, le tenant pour son supérieur en science et en religion. Et un jour, comme Conrad l’appelait à une prédication, une visite survint qui l’empêcha d’obéir : ce dont le savant homme fut si irrité qu’il refusa de lui pardonner sa désobéissance jusqu’au moment où, l’ayant fait mettre en chemise, il l’eût vu battre de verges en compagnie de celles de ses servantes qui l’avaient encouragée à désobéir.

Elle s’imposait une abstinence si rigoureuse qu’elle macérait son corps par les veilles, les jeûnes et les disciplines. Dès que son mari était absent, elle passait les nuits en prière. Et telle était sa tempérance dans le boire et le manger que, souvent, à la table somptueuse de son mari, elle se contentait de pain sec. Elle finit même par s’abstenir tout à fait, sur l’ordre de maître Conrad, de toucher à aucun des mets que mangeait son mari. Ce qui ne l’empêchait point de s’asseoir à table, de servir les convives et de les égayer par son urbanité, tout en cachant avec soin sa propre abstinence. Et son mari supportait tout cela avec patience, affirmant qu’il suivrait lui-même volontiers l’exemple de sa femme s’il ne craignait de mettre en émoi toute sa famille.

Mais autant elle aimait les privations pour soi, autant elle était généreuse pour les pauvres. Elle subvenait à leurs besoins avec tant de largesse que tous l’appelaient la mère des pauvres. Elle habillait de ses propres mains ceux qui étaient nus, elle ensevelissait les mendiants et les pèlerins, elle présentait les enfants aux fonts baptismaux, après leur avoir elle-même cousu leurs langes. Un jour, elle donna à une mendiante une robe si belle que la pauvre femme, dans l’excès de sa joie, s’évanouit et tomba inanimée. Ce que voyant, Élisabeth se repentit amèrement ; mais elle pria pour la morte, et aussitôt celle-ci se releva guérie. Souvent aussi elle filait la laine avec ses servantes, et, de la laine filée par elle, faisait faire des vêtements. Elle nourrissait les affamés. Pendant que le landgrave son mari s’était rendu à la cour de l’empereur Frédéric, qui était alors à Crémone, elle fit recueillir tout le grain des granges royales et l’employa à nourrir, tous les jours, les pauvres qu’elle convoqua de toutes parts. Quand l’argent lui manquait, elle vendait ses ornements, ou ceux de ses servantes, pour en offrir le produit aux pauvres. De la même façon, elle désaltérait ceux qui avaient soif. Un jour qu’elle distribuait de la cervoise aux pauvres, on s’aperçut que la liqueur ne diminuait pas dans le vase, malgré la grande quantité qui s’en trouvait versée. Elle-même, encore, recevait les pauvres et les pèlerins. Elle fit construire une grande maison au pied du château, afin d’y recueillir les malades ; et tous les jours, malgré la difficulté des descentes et des montées, elle s’y rendait en personne, prodiguant aux malades les cadeaux, les soins et les saintes paroles. Dans la même maison elle faisait élever et nourrir des enfants pauvres ; et à ces enfants elle se montrait toujours si douce et si humble que tous l’appelaient leur mère, et que, dès qu’elle entrait, ils l’entouraient tous comme leur mère. Un jour qu’elle était allée acheter pour eux de petits vases et de petits anneaux de verre, ainsi qu’une foule d’autres jouets fragiles, elle laissa tomber sur les pierres toutes ses emplettes ; mais pas un seul des objets de verre ne se brisa. En un mot, il n’y a pas une seule des sept œuvres de miséricorde qu’elle ne remplît avec un zèle et une ferveur admirables.

Une part d’éloges revient aussi au mari d’Élisabeth qui, malgré les innombrables affaires temporelles qui l’occupaient, restait fidèle au service de Dieu, et, faute de pouvoir se livrer lui-même aux œuvres de miséricorde, laissait du moins à sa femme toute liberté de s’y livrer. C’est pour répondre au vœu de sa femme qu’il partit pour la croisade, de façon à employer ses armes pour la défense de la foi. Et pendant qu’il était en Terre Sainte, ce pieux et bon prince rendit son âme au Seigneur. Aussitôt Élisabeth embrassa avec ardeur l’état de veuve, renouvelant le vœu de chasteté qu’elle avait fait jadis en prévision d’un veuvage possible.

Cependant, quand la mort de son mari fut connue en Thuringe, des parents du landgrave la chassèrent de son château comme dissipatrice et prodigue. Et elle dut se réfugier, à la nuit tombante, dans une étable à porcs, qui dépendait de la maison d’un cabaretier. Et, le lendemain matin, s’étant rendue au couvent des Frères Mineurs, elle pria ceux-ci de chanter le Te Deum laudamus, pour remercier Dieu des épreuves qu’il lui envoyait. On lui enjoignit alors d’aller demeurer avec ses enfants dans la maison d’un de ses ennemis, où on lui avait assigné pour domicile un endroit des plus restreints. Fort mal reçue par l’hôte et l’hôtesse, elle ne tarda point à repartir, après avoir dit adieu aux murs de sa chambre en ajoutant : « J’eusse préféré dire adieu aux hommes à qui appartiennent ces murs, s’ils m’avaient traitée avec plus de bonté ! » Après quoi elle revint à sa première retraite, confiant ses enfants à diverses personnes. Et comme, un jour, marchant dans un sentier d’une boue profonde, elle posait les pieds sur des pierres, une vieille femme qu’elle avait comblée de bienfaits voulut marcher sur les mêmes pierres, et refusa de lui livrer passage : si bien que la sainte tomba. Mais, s’étant relevée, elle fut tout heureuse d’avoir à secouer la boue dont elle était couverte.

Quelque temps après, une abbesse, sa marraine, prenant en pitié son extrême misère, la conduisit auprès de son oncle l’évêque de Bamberg, qui la reçut fort bien, mais la retint chez lui avec l’intention de la marier en secondes noces. Ce qu’apprenant, les servantes qui l’accompagnaient fondirent en larmes ; mais la sainte les réconforta en disant : « J’ai confiance dans le Seigneur, pour l’amour duquel j’ai fait vœu de chasteté. Il saura bien m’encourager dans ma résolution, éloigner de moi toute violence, et dissoudre les mauvais projets des hommes. Ou que si mon oncle, malgré mes refus, s’obstinait à vouloir me remarier, j’aurais toujours la ressource de me couper le nez de mes propres mains, ce qui suffirait bien pour que personne ne s’avisât plus de me prendre pour femme ! » Et, en effet, comme son oncle l’avait fait conduire dans un château d’où il lui défendait de sortir, voici que, sur l’ordre de Dieu, les restes de son mari furent ramenés de Terre Sainte. Et force fut à l’évêque de la laisser partir, pour aller à la rencontre de ces chères reliques.

Alors Élisabeth revêtit l’habit religieux, et, se vouant à la pauvreté, forma le projet d’aller mendier de porte en porte ; mais maître Conrad le lui défendit. Elle ne porta plus désormais qu’un humble manteau gris ; et comme les manches de sa tunique s’étaient déchirées, elle les rapiéça avec une étoffe d’une autre couleur. Ce qu’apprenant, son père, le roi de Hongrie, lui envoya un de ses officiers, pour qu’il la ramenât dans sa patrie. Et l’officier, la voyant ainsi vêtue et assise à son rouet avec des servantes, fut rempli à la fois de honte et de respect. Et il s’écria que jamais encore fille de roi n’avait porté une robe si grossière. Mais en vain il insista pour la ramener en Hongrie. La sainte préféra rester, pauvre, parmi ses pauvres.

Pour achever de faire disparaître tout obstacle entre Dieu et elle, elle pria Dieu d’arracher même de son cœur la tendresse qu’elle avait pour ses enfants. Et une voix d’en haut lui répondit que sa prière était exaucée. Sur quoi elle dit à ses compagnes : « Le Seigneur a entendu ma voix, car non seulement tous les biens temporels m’apparaissent comme du fumier, mais voici que de mes fils même je ne me soucie plus que dans la mesure où je me soucie du reste des hommes ! » De son côté, maître Conrad, pour l’éprouver et la mortifier, la séparait des personnes qu’elle aimait le mieux. C’est ainsi qu’il lui enjoignit de ne plus voir deux servantes qu’elle connaissait depuis l’enfance, et qu’elle aimait plus que toutes les autres. Et la sainte obéit, après bien des larmes versées de part et d’autre. Elle était prompte à l’obéissance. Un jour qu’elle était entrée dans un couvent de religieuses sans en avoir obtenu l’autorisation de maître Conrad, celui-ci la fit battre si durement, que, trois semaines après, son corps conservait les traces des coups.

Dans son humilité, elle n’admettait point que ses servantes lui donnassent le nom de maîtresse, ni lui parlassent autrement qu’on parle à un inférieur. Elle lavait elle-même tous les ustensiles de cuisine, s’ingéniant à les cacher afin que ses servantes ne pussent les laver pour elle. Et elle leur disait que, si elle avait pu connaître une manière de vivre plus méprisable encore, c’est avec joie qu’elle l’aurait adoptée.

Ces humbles tâches ne l’empêchaient point de se livrer assidûment à la contemplation ; et souvent elle avait des visions célestes. Souvent aussi sa prière était si fervente qu’elle enflammait d’autres personnes. Appelant un jour à elle un jeune homme luxueusement vêtu, elle lui dit : « Tu parais avoir une vie bien dissolue, tandis que tu devrais t’occuper de servir ton créateur. Veux-tu que je prie Dieu pour toi ? » Et lui : « Je le veux, et je t’en supplie vivement ! » Elle se mit donc en prière et le jeune homme pria avec elle. Trois fois le jeune homme lui demanda de cesser de prier, car il se sentait envahi d’une flamme qui le consumait. Mais elle pria jusqu’au bout ; et, quand elle eut fini, le jeune homme, illuminé de la grâce divine, revint à lui, et entra aussitôt dans l’ordre des Frères Mineurs.

Son nouveau genre de vie, au reste, ne la refroidit point dans son zèle pour les œuvres de miséricorde. Ayant reçu en dot une somme de deux mille marcs, elle en distribua une partie aux pauvres, et, avec le reste, fit construire à Marbourg un grand hôpital. Aussi tous l’accusaient-ils de dissipation et de prodigalité. Couramment on la traitait de folle ; et, comme elle recevait avec joie toutes les injures, on lui disait que, pour montrer tant de joie, elle avait bien vite oublié le souvenir de son mari.

Et elle, après avoir construit son hôpital, ne pensa plus qu’à devenir l’humble servante des pauvres. Elle-même les baignait, les couvrait dans leur lit, et disait en souriant à ses compagnes : « Que Dieu est bon de nous permettre ainsi de le baigner et de le couvrir ! » Une nuit, ayant à soigner un enfant borgne et rempli de vermine, elle le porta sept fois de suite aux latrines, et lava ses linges affreusement souillés. Une autre fois, elle lava et mit au lit une femme atteinte d’une lèpre hideuse ; elle essuya et banda ses ulcères, coupa ses ongles et, agenouillée devant elle, la déchaussa pour oindre les plaies de ses pieds. Et lorsque le soin des pauvres lui laissait quelques instants, elle filait de la laine qu’on lui envoyait d’un monastère ; après quoi elle distribuait aux pauvres l’argent ainsi gagné. S’occupant elle-même d’administrer la répartition de ses dons, elle décréta un jour que toute femme qui viendrait la solliciter sans un besoin réel serait punie de la perte de ses cheveux. Or voilà qu’une jeune fille nommée Radegonde, et qui avait une chevelure d’une beauté merveilleuse, vint à l’hôpital de sainte Élisabeth en solliciteuse, non pas en vérité pour recevoir l’aumône, mais pour voir sa sœur qui était malade. Ayant ainsi contrevenu à la loi, elle fut aussitôt condamnée à perdre ses cheveux : ce dont elle ne se fit pas faute de pleurer et de se lamenter. Et comme quelques-uns des assistants affirmaient qu’elle était innocente, Élisabeth dit : « En tout cas, n’ayant plus ses cheveux, elle mettra moins d’ardeur à la danse, et fera voir moins de vanité ! » Interrogeant ensuite la jeune fille, elle apprit que celle-ci serait depuis longtemps déjà entrée dans un couvent si elle n’en avait été empêchée par son amour passionné pour sa chevelure. Sur quoi Élisabeth lui dit : « Je suis plus heureuse de t’avoir fait couper tes cheveux que je ne le serais d’apprendre l’élection de mon fils à l’empire ! » Aussitôt la jeune fille prit l’habit religieux, et vint demeurer à l’hôpital avec sainte Élisabeth.

Une pauvre femme ayant mis au monde une fille, sainte Élisabeth tint l’enfant sur les fonts baptismaux, l’appela de son nom, lui donna les manches de fourrure d’une de ses suivantes, pour lui servir de couverture, et donna à la mère ses propres sandales. Mais, trois semaines après, la femme, abandonnant son enfant, s’enfuit avec son mari. Sainte Élisabeth, dès qu’elle l’apprit, se mit en prière ; et aussitôt la femme et le mari, empêchés d’avancer dans leur fuite, durent revenir sur leurs pas et se jeter aux pieds de sainte Élisabeth. Et celle-ci, après les avoir grondés justement de leur ingratitude, leur rendit l’enfant à nourrir et les pourvut du nécessaire.

Ainsi approcha le temps où le Seigneur s’apprêta à rappeler à lui sa chère servante, pour l’admettre à la contemplation du royaume des anges. Alitée avec la fièvre, et la face tournée contre le mur, les assistantes entendirent une douce mélodie sortir de ses lèvres. Et comme une de ses compagnes l’interrogeait, elle répondit : « Un petit oiseau, s’étant posé entre moi et le mur, chantait, avec tant de douceur, que je n’ai pu m’empêcher de chanter avec lui. » Jusqu’aux plus cruels moments de sa maladie, jamais elle ne perdit sa gaîté, et jamais elle ne se relâcha de prier. La veille de sa mort, elle dit : « Voici qu’approche minuit, l’heure où le Christ a voulu naître et reposer dans une étable ! » Et lorsque déjà l’heure de sa mort fut toute proche, elle dit : « Voici venir l’instant où Dieu a appelé ses amis aux noces célestes ! » Et elle s’endormit dans le Seigneur, en l’an de grâce 1226.

Pendant les quatre jours qui précédèrent son inhumation, aucune mauvaise odeur ne se dégagea de son corps, mais, au contraire, un parfum s’en exhala qui réconfortait tous les cœurs. Et, le jour de ses obsèques, on vit sur l’église une foule d’oiseaux que personne jamais n’avait vus auparavant, et qui paraissaient célébrer les funérailles de la sainte, tant leurs chants étaient doux, mesurés et savants. Et il y eut là une abondante clameur des pauvres, une extrême piété du peuple. Les uns s’arrachaient les cheveux de désespoir, d’autres s’efforçaient de dérober une parcelle du linceul de la sainte, afin de la garder comme la plus belle relique. Et l’on découvrit, peu de temps après, que le monument où l’on avait déposé le corps de sainte Élisabeth s’était miraculeusement rempli d’une huile parfumée.

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