La Légende dorée

CLXXII
SAINT SATURNIN, SAINTE PERPÉTUE, SAINTE FÉLICITÉ ET LEURS COMPAGNONS, MARTYRS

(23 et 29 novembre)

[La fête de saint Saturnin de Toulouse est célébrée le 29 novembre ; celle de sainte Félicité et de ses compagnons, le 23 du même mois.]

I. Saturnin, ordonné prêtre par les disciples des apôtres, fut désigné pour aller occuper l’évêché de Toulouse. Et comme, dès qu’il fut entré dans la ville, tous les démons cessèrent de répondre aux questions qu’on leur faisait, un des païens dit que, si l’on ne tuait pas Saturnin, on n’obtiendrait plus jamais rien des dieux. On s’empara donc de Saturnin ; et celui-ci, sur son refus de sacrifier, fut attaché au pied d’un taureau furieux, qu’on précipita ensuite le long des marches du Capitole. Le saint eut la tête brisée, la cervelle écrasée ; et ainsi, il reçut heureusement la couronne du martyre. Deux femmes recueillirent son corps, et, par peur des païens, le cachèrent dans un puits, d’où les successeurs de saint Saturnin le transportèrent, plus tard, dans un lieu consacré.

II. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre à Rome, en l’an 286, sous Maximien. Le préfet de la ville, après l’avoir longtemps tenu en prison, le fit attacher sur un chevalet, où il fut roué de coups. On lui brûla ensuite les côtes, et l’on finit par le décapiter.

III. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre en Afrique avec son frère Satire, un compagnon nommé Révocat, la sœur de celui-ci, nommée Félicité, et une femme noble nommée Perpétue. Ayant refusé de sacrifier aux idoles, ils furent tous jetés en prison. Ce que voyant, le père de Perpétue courut à la prison, et dit : « Ma fille, qu’as-tu fait ? Tu as déshonoré ta famille ! car jamais encore personne de ta race n’a été emprisonné ! » Et quand il apprit que sa fille était chrétienne, il s’élança sur elle pour lui crever les yeux. Or, cette nuit-là, Perpétue eut un rêve qu’elle raconta en ces termes à ses compagnons : « J’ai vu une échelle d’or qui s’élevait jusqu’au ciel, si étroite qu’on ne pouvait y grimper qu’un à un, et encore à la condition d’être petit de taille. Car à droite et à gauche, sur les portants, étaient fixés des couteaux et des glaives très aigus, de telle sorte que ceux qui grimpaient ne pouvaient regarder ni derrière eux ni autour d’eux, mais étaient forcés d’avoir toujours les yeux levés au ciel. Sous l’échelle se tenait un immense et terrible dragon, essayant d’effrayer tous ceux qui voulaient grimper. Et j’ai vu Satire grimper sur l’échelle, parvenir jusqu’en haut, puis se retourner, et nous faire signe de le suivre sans crainte. » Ce qu’entendant, tous les prisonniers rendirent grâce à Dieu, car ils comprirent qu’ils avaient été élus pour le martyre. Amenés devant le juge, ils refusèrent de sacrifier : sur quoi le juge fit séparer les trois hommes des deux femmes, et dit à Félicité : « As-tu un mari ? » Et elle : « Oui, mais je le dédaigne ! » Et lui : « Aie pitié de toi, jeune femme, et consens à vivre, d’autant plus que tu portes un enfant dans ton ventre ! » Mais elle : « Fais de moi ce que tu voudras, jamais tu ne m’amèneras à ta volonté ! » Cependant, les parents et le mari de Perpétue avaient amené à celle-ci son petit garçon encore à la mamelle. Et le père de la sainte dit à sa fille : « Mon doux enfant, aie pitié de moi, de ta pauvre mère, et de ton mari, qui ne pourra pas vivre sans toi ! » Mais Perpétue ne se laissait point toucher. Alors son père lui jeta au cou son petit garçon. Mais elle, repoussant l’enfant, dit aux siens : « Éloignez-vous de moi, ennemis de Dieu, car je ne vous connais plus ! » Après quoi le préfet, voyant la constance des martyrs, les renvoya en prison. Et comme les saints s’affligeaient sur Félicité, qui était alors enceinte de huit mois, Dieu fit alors en sorte qu’elle éprouva soudain les douleurs de l’enfantement, et mit au monde un fils vivant. Et les gardiens lui disaient : « Si tu souffres si cruellement dès à présent, que sera-ce quand tu comparaîtras devant le juge ? » Mais Félicité : « Ici, je souffre pour moi ; là-bas Dieu souffrira pour moi ! » On les fit ensuite sortir de prison, les mains liées derrière le dos, et on les conduisit dans l’amphithéâtre. Satire et Perpétue furent dévorés par des lions, Révocat et Félicité par des léopards ; et Saturnin eut la tête tranchée. Cela se passait vers l’an 256, sous les empereurs Valérien et Gallien.

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