La Légende dorée

CLXXIV
SAINT JEAN, ABBÉ

Jean, abbé, s’entretenant avec un autre solitaire, Épisius, qui depuis quarante ans vivait au désert, lui demanda quel profit il en avait retiré. Épisius répondit : « Depuis que je suis au désert, jamais le soleil ne m’a vu mangeant ! » Et Jean : « Ni moi en colère ! » De la même façon, comme l’évêque Épiphane nourrissait de viande le solitaire Hilarion, celui-ci lui dit : « Pardonne-moi, car depuis que j’ai revêtu cet habit, je n’ai point mangé de nourriture animale. » Et l’évêque : « Moi, depuis que j’ai revêtu cet habit, jamais je n’ai permis que quelqu’un allât dormir qui avait dans son cœur un grief contre moi ; et, moi-même, jamais je ne me suis endormi en ayant au cœur un grief contre quelqu’un. » Et Hilarion : « Pardonne-moi, car tu es meilleur que moi ! »

Jean résolut un jour de ne rien faire pour lui-même, à la façon des anges, afin de se consacrer plus entièrement à Dieu. Il se dépouilla donc de son froc, sortit de sa cellule, et, pendant une semaine, resta étendu dans le désert. Mais au bout de cette semaine, mourant de faim et tout dévoré des morsures des mouches et des guêpes, il alla frapper à la porte d’un de ses frères. Et celui-ci : « Qui es-tu ? » Et lui : « Je suis Jean ! » Mais le frère : « C’est impossible ! Jean est devenu un ange, et n’est plus parmi les hommes ! » Et Jean : « Je t’assure que c’est moi ! » Mais le frère lui refusa de lui ouvrir la porte et le laissa en peine jusqu’au lendemain. Puis, lui ouvrant enfin la porte, il lui dit : « Si tu n’es qu’un homme, tu as besoin de travailler pour te nourrir et pour vivre ! » Et Jean : « Pardonne-moi, frère, car j’ai péché ! »

Jean étant sur le point de mourir, ses frères lui demandèrent de leur laisser quelques bonnes paroles, en guise d’héritage. Mais il gémit et dit : « Jamais je n’ai fait ma propre volonté, et jamais je n’ai rien enseigné qu’en le faisant moi-même ! » Tout cela est extrait de la Vie des Pères.

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