La Légende dorée

CLXXIX
LA DÉDICACE DE L’ÉGLISE

[La Dédicace de l’Église était, autrefois, le dernier office du Bréviaire, dont la Légende dorée n’est qu’une façon d’adaptation à l’usage du peuple.]

I. La dédicace des églises est comptée par l’Église au nombre des grandes fêtes. Nous avons à considérer, par rapport à cette fête, trois questions : 1° pourquoi doit-on « dédier » ou consacrer une église ? 2° comment se fait cette consécration ? 3° par qui et comment une église est-elle profanée ?

1° Il y a, dans une église, deux choses que l’on doit consacrer, à savoir l’autel et le temple lui-même. L’autel est consacré pour trois motifs : 1° Pour devenir digne de recevoir le sacrement du Seigneur, c’est-à-dire le corps et le sang du Christ, que nous immolons en souvenir de sa passion, ainsi qu’il nous l’a lui-même ordonné. Et c’est encore pour nous rappeler cette passion et ce sacrement qu’on place sur l’autel, et dans toute l’église, l’image du crucifix et d’autres images, afin qu’elles soient comme les livres des fidèles laïcs. 2° Pour devenir digne de servir de lieu à l’invocation du nom du Seigneur. Cette invocation, quand elle se fait sur l’autel, s’appelle proprement missa, messe, en raison de la mission céleste du Christ dans l’hostie. Et nous devons noter, à ce propos, que la messe se chante en trois langues, en grec, en hébreu, et en latin, en souvenir de la triple inscription mise sur la croix, et aussi pour signifier que toutes les langues doivent célébrer Dieu. Latins sont l’évangile, l’épître, l’oraison et le chant ; grecs sont les mots Kyrie eleison, Christe eleison, qui se chantent neuf fois en souvenir des neuf ordres des anges ; enfin hébreux sont les mots alleluia, amen, sabaoth, et hosanna. 3° Pour devenir digne de servir de lieu au chant religieux. Ce chant lui-même est de trois sortes : les psaumes, les leçons, et les chants proprement dits.

Quant au temple où se trouve l’autel, l’Église le consacre pour cinq motifs : 1°pour en chasser le diable et son pouvoir. Saint Grégoire rapporte dans un de ses Dialogues que, lorsque les reliques de saint Sébastien et de sainte Agathe furent déposées dans une église qui avait servi de temple à l’hérésie arienne, la foule vit un porc courir, çà et là, se frayant un chemin vers la porte ; et dès qu’il eut atteint la porte il disparut. La nuit suivante, on entendit, dans le toit de cette église, un bruit effroyable, comme si quelqu’un courait çà et là, cherchant à s’enfuir. Ce tapage se reproduisit encore les deux nuits suivantes, et avec tant de force qu’on crut bien que l’église allait s’écrouler. Mais la quatrième nuit, on ne l’entendit plus, et désormais l’église se trouva purifiée. 2° Pour que ceux qui se réfugient dans l’église puissent être sauvés. Et c’est en symbole de ce salut spirituel que certaines églises, lors de leur consécration, reçoivent des princes le privilège du droit d’asile, c’est-à-dire la permission de mettre à l’abri des poursuites ceux qui viennent s’y réfugier. 3° Pour que les prières faites dans l’église soient exaucées. Notons, ici, que les prières, dans l’église, s’adressent du côté de l’orient, parce que nous considérons l’orient comme le lieu de l’Éden, notre première patrie, et parce que c’est du côté de l’orient que les apôtres ont vu le Christ monter au ciel. 4° Pour que nous puissions célébrer, dans le temple, les louanges de Dieu. Ces louanges se célèbrent dans les sept heures canoniques, à savoir : matines, prime, tierce, sexte, none, vêpres, et complies. Car, bien que nous soyons tenus de louer Dieu à toute heure, l’Église, en considération de notre faiblesse, nous a permis de louer spécialement Dieu à ces sept moments privilégiés, dont chacun correspond à un souvenir sacré. C’est en effet, à minuit, heure des matines, qu’est né le Christ, qu’il a été pris par les Juifs, et qu’il est descendu aux enfers. Prime est l’heure où le Christ lui-même avait coutume de se rendre au temple et c’est aussi l’heure où il apparut aux saintes femmes, après sa résurrection. Tierce est l’heure où le Christ, attaché à une colonne qui montre encore les traces de son sang, a été flagellé par ordre de Pilate, et c’est aussi l’heure où l’Esprit-Saint a été envoyé aux apôtres. Sexte est l’heure où le Christ a été attaché à la croix avec des clous, et où la terre entière s’est couverte de ténèbres. None est l’heure où le Christ a rendu son âme, où l’on a percé son flanc, et où il est monté au ciel. Vêpres est l’heure où il a institué le sacrement de l’Eucharistie, où il a lavé les pieds des disciples, où il a été mis au tombeau, et où il est apparu aux disciples d’Emmaüs. Complies est l’heure où il a sué des gouttes de sang, et où, ressuscité, il est venu annoncer la paix à ses disciples. Enfin, 5°, l’Église doit être consacrée pour que puissent y être administrés les sacrements ecclésiastiques.

2° – Voyons maintenant de quelle manière se fait la consécration de l’autel, et celle du temple entier. Pour consacrer l’autel, on figure d’abord, aux quatre coins, quatre croix avec de l’eau bénite ; puis on fait sept fois le tour de l’autel ; puis on l’asperge sept fois d’eau bénite mêlée d’hysope ; puis on y brûle de l’encens ; puis on l’oint avec le saint chrême ; enfin on le recouvre d’une nappe immaculée. Ces six opérations symbolisent les vertus que doivent posséder ceux qui approchent de l’autel. 1° Ils doivent avoir les quatre sortes d’amour sanctionnées par la croix du Christ, c’est-à-dire l’amour de Dieu, l’amour de soi-même, l’amour des amis, et l’amour des ennemis. Et les quatre croix signifient aussi le salut des quatre parties du monde par la croix. 2° Les sept tours de l’autel symbolisent la vigilance que le Seigneur exige de ses prêtres. Et ils peuvent rappeler aussi les sept chemins de Jésus-Christ, à savoir : du ciel dans le sein de la Vierge, de ce sein à la crèche, de la crèche dans le monde, du monde sur la croix, de la croix dans le tombeau, du tombeau aux enfers, et des enfers au ciel. 3° Les sept aspersions d’eau bénite symbolisent les sept fois que le Christ a versé son sang, à savoir : dans la circoncision, au Jardin des Oliviers, dans la flagellation, dans le couronnement d’épines, dans le percement de ses mains, dans le percement de ses pieds, et dans le percement de son flanc. 4° La fumée de l’encens symbolise la prière, qui doit s’élever au ciel avec ferveur et dévotion. 5° L’onction du saint chrême signifie que le prêtre doit avoir la conscience pure et le parfum de la bonne réputation. 6° Enfin les nappes immaculées symbolisent la pureté des bonnes œuvres, qui cachent la nudité de l’âme et l’ornent de beauté.

Quant à la consécration du temple tout entier, elle comprend également plusieurs parties. D’abord l’évêque fait trois fois le tour de l’église, et, chaque fois qu’il passe devant la porte, il frappe celle-ci de son bâton pastoral, en disant : Aperite portas principes vestras, etc. Puis on asperge d’eau bénite l’intérieur et l’extérieur du temple, on fait aussi, sur le pavé, une croix de cendres et de sable, et on y écrit, en travers, l’alphabet grec et l’alphabet latin ; sur les murs, on peint des croix qu’on oint de saint chrême, et devant lesquelles on allume des cierges. Et voici maintenant la signification de ces diverses cérémonies : 1°Le triple tour de l’Église signifie que celle-ci est consacrée en l’honneur de la Sainte Trinité. Ou bien encore il désigne le triple état des âmes sauvées par l’Église, à savoir l’état de virginité, l’état de continence, et l’état de mariage. Cette distinction des trois états se retrouve, suivant Richard de Saint-Victor, dans la disposition matérielle de l’église : car le sanctuaire correspond à l’état de virginité, le chœur, à l’état de continence, et la nef à l’état de mariage. 2°La triple percussion à la porte symbolise le droit qu’a le Christ de pénétrer dans l’église, à savoir : en sa qualité de créateur, de rédempteur et de glorificateur. 3°La triple récitation de la formule aperite portas désigne la triple puissance du Seigneur, à savoir : dans le ciel, dans le monde, et dans l’enfer. 4°L’aspersion d’eau bénite a pour objet, d’abord, l’expulsion du démon, que l’eau bénite a pour vertu propre de chasser. Cette aspersion a aussi pour objet la purification de l’église, qui, comme toutes choses terrestres, est corrompue et souillée. Et cette aspersion a enfin pour objet de relever l’église de toute malédiction, et d’y substituer la bénédiction de Dieu. 5°L’inscription des deux alphabets représente la conjonction du peuple juif et du peuple des gentils, et aussi la conjonction des deux testaments, lesquelles, toutes deux, ont été consommées par la croix du Christ. 6°La peinture des croix sur les murs a pour objet d’effrayer les démons, et de marquer le triomphe du Christ, dont la croix est l’étendard. 7°Enfin les cierges allumés devant ces croix, au nombre de douze, symbolisent les douze apôtres, qui ont illuminé le monde par la foi du Christ.

3°Quant à la question de savoir par qui une église est profanée, nous devons nous rappeler que le Temple même de Dieu a été profané par trois hommes : Jéroboam, Nabuzardam, et Antiochus. 1°Jéroboam a profané le temple par avarice, afin que le royaume n’échût pas à Roboam. Et, de même, l’église de Dieu se trouve profanée par l’avarice des clercs. Saint Bernard a dit : « Citez-moi donc un prélat qui ne mette pas plus de vigilance à vider la bourse de ses sujets qu’à extirper les vices ! » Et l’église est encore profanée lorsqu’elle est construite avec un argent acquis par l’avarice, c’est-à-dire mal gagné, Un usurier, ayant fait construire une église, invita l’évêque à venir la consacrer. Mais l’évêque, en y entrant, aperçut le diable assis dans la cathèdre en habit épiscopal. Ce que voyant, l’évêque s’enfuit avec ses clercs, l’église ayant déjà été consacrée par le diable ; et aussitôt le diable détruisit cette église avec un grand fracas ; 2°Quant à Nabuzardam, dont le livre des Rois nous apprend qu’il incendia le temple de Dieu, c’était un chef cuisinier. Et, de même, l’église est profanée lorsque ceux qui doivent la servir sont adonnés à la gourmandise ou à la luxure, et, suivant la parole de l’apôtre « ont fait de leur ventre leur dieu ». 3°Le roi Antiochus, qui souilla et profana le Temple de Dieu, était le plus orgueilleux des hommes, et le plus ambitieux. Et, de même, les églises sont souvent profanées par l’orgueil et l’ambition du clergé.

Profané trois fois, le Temple a été aussi consacré trois fois : par Moïse, par Salomon, et par Juda Macchabée ; ce qui nous indique que, à la dédicace de l’église, doivent concourir l’humilité de Moïse, la sagesse de Salomon, et le zèle de Juda Macchabée pour la défense de la foi.

II. Voilà ce que nous avons eu à dire de la consécration de l’église ; mais nous devons ajouter qu’il y a une autre église qui doit être non moins solennellement consacrée à Dieu : c’est, à savoir, l’église spirituelle, que forme l’assemblée de tous les fidèles. Elle a pour pierres d’angle la foi, l’espérance, la charité, et les bonnes œuvres ; choses qui, comme le dit saint Grégoire, sont toujours égales, car nous espérons dans la mesure où nous croyons, nous aimons dans la mesure où nous croyons et espérons ; et nos œuvres sont en proportion de notre foi, de notre espérance, et de notre charité. L’autel de cette église est notre cœur, sur lequel autel nous devons offrir à Dieu trois choses : la flamme de la dilection, l’encens de l’oraison, et le sacrifice de la pénitence.

Et, de même que l’église matérielle, ce temple spirituel doit être consacré solennellement. D’abord son prêtre, le Christ, en fait trois fois le tour, en nous rappelant les péchés de notre bouche, de notre cœur, et de nos œuvres. Et il frappe trois fois à la porte fermée de notre cœur, par ses bienfaits, par ses conseils, et par ses épreuves. Et l’église spirituelle doit être aussi arrosée trois fois d’eau, à l’intérieur, et à l’extérieur ; et cela par les larmes intérieures et extérieures, que nous devons verser en considérant : 1° que nous avons vécu dans le péché ; 2° que nous sommes misérables ; 3° que nous sommes privés de la gloire des justes. Quant à l’alphabet écrit dans notre cœur, il consiste en trois choses qui se trouvent gravées en nous : 1° la règle de nos actions ; 2° le témoignage des bienfaits de Dieu ; 3° l’accusation de nos propres péchés. Et nous devons enfin peindre des croix dans nos âmes, c’est-à-dire assumer les macérations de la pénitence ; et devant ces croix nous devons allumer des cierges, et nous devons les oindre d’huile sainte, ce qui signifie que nous devons, non seulement les supporter avec patience, mais encore avec zèle et avec plaisir.

Et celui qui aura procédé à cette consécration de lui-même, celui-là sera vraiment un temple dédié au Seigneur. Celui-là sera vraiment digne que le Christ habite en lui sous la forme de la Grâce divine, en attendant que lui-même soit admis à habiter dans la Gloire du Christ. Ce que daigne nous accorder le Dieu qui vit et règne dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il !

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