Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 3 : Les courants théologiques en Orient

1. Les théologiens Alexandrins

1. Tendances générales. Ces théologiens sont les héritiers de la mystique d’Origène. Ils interprètent l’Ecriture dans un sens allégorique. Ils insistent sur l’union étroite de la nature divine et de la nature humaine en Jésus-Christ, et sur le fait que par la rédemption nous devenons nous-mêmes participants de la nature divine. Pour eux la mort du Christ est un sacrifice offert à Dieu.

2. Athanase († 373). Nous avons relaté les faits principaux de sa vie en parlant de la controverse arienne. Il n’était guère porté vers la spéculation, mais il avait une clarté de pensée incomparable pour grouper toutes les doctrines chrétiennes autour du thème central de la révélation de Dieu en Christ. Il était très attaché à l’Ecriture et contribua beaucoup à faire accepter dans toute l’Eglise le canon complet du Nouveau Testament. La plupart de ses œuvres traitent de l’incarnation et de la Trinité, avec une pointe de polémique contre les ariens.

Nous pouvons citer :

le Discours sur l’incarnation du Verbe ; le Discours contre les ariens ; le Traité des Synodes (pour combattre des formules ambigües destinées à supplanter celle de Nicée) ; diverses Apologies et Lettres, en particulier celles adressées au clergé de son diocèse ; la 39me Lettre festale contient le canon du Nouveau Testament.

3. Cyrille d’Alexandrie. Evêque de cette ville (412-444), il a consacré sa vie à la lutte contre ceux qui séparaient la nature humaine du Christ de sa nature divine. Il a déployé dans ce combat plus de violence et de diplomatie qu’on n’aurait souhaité, mais la cause qu’il défendait était vitale pour la doctrine chrétienne de la rédemption

Parmi les ouvrages de Cyrille, citons un Traité de la foi orthodoxe, des Commentaires, des Homélies et des Lettres.

2. Les Cappadociens

Leurs tendances sont sensiblement les mêmes que celles des Alexandrins. Ils ont joué un rôle important pour le triomphe de l’orthodoxie.

1. Basile-le-Grand. Il s’est illustré dans tant de domaines qu’il est embarrassant de savoir dans quel chapitre placer le récit de sa vie. Né dans une famille chrétienne, il a fait de brillantes études aux écoles païennes d’Athènes. Sous l’action de sa sœur, il s’est converti, et après quelques années passées dans la solitude et les études, il a été nommé évêque de Césarée en Cappadoce (370-379).

Il a été, par son courage invincible en face des menaces du pouvoir civil et par ses écrits, un champion de l’orthodoxie contre l’arianisme. Son traité Sur la divinité du Saint-Esprit a influencé les décisions du concile de Constantinople. Il était plein de charité pour les pauvres auxquels il donna tous ses biens. Il flagellait dans ses Sermons la culpabilité des riches. Il fonda un des premiers hôpitaux chrétiens, la Basiliade, où les malades et les étrangers étaient hospitalisés gratuitement. Dans sa vie personnelle, il pratiquait un ascétisme rigoureux. Sa correspondance est importante.

2. Grégoire de Naziance. Il a fait ses études à Athènes, où il se lia d’amitié avec Basile. Après avoir assisté son père, qui était évêque de Naziance, il fut pendant quelque temps évêque de Constantinople, et comme tel présida le concile de cette ville, puis lassé des intrigues du concile, il se retira dans sa ville natale. Il a laissé des Discours, des Lettres et des Poésies.

Dans cette période d’âpres discussions, il a su faire preuve de douceur et de modération en même temps que de fermeté doctrinale. La postérité l’a surnommé, à cause de ses travaux, le Théologien, surnom qu’il partage avec l’apôtre Jean seulement.

3. Grégoire de Nysse. C’était le frère de Basile-le-Grand ; il subit son influence. Cependant, il conservait aussi plusieurs idées particulières d’Origène, spécialement la théorie de la rédemption comme une rançon offerte au diable, et, l’universalisme. Son Discours catachétique est l’un des rares exposés systématiques de la doctrine chrétienne dans son ensemble, parus à cette époque.

3. Les Antiochiens

1. Tendances générales. Les théologiens de l’école d’Antioche sont surtout les héritiers du rationalisme d’Origène. Ils interprètent l’Ecriture dans son sens littéral. Ils insistent avant tout sur la parfaire humanité du Christ, en la distinguant soigneusement de sa divinité. Aussi dans leur doctrine de la rédemption, s’attachent-ils surtout à l’exemple de Jésus, que nous devons suivre pour être sauvés.

2. Théodore de Mopsueste († 428). C’est le théologien le plus vigoureux de l’école. Il rejetait certains livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’était un commentateur remarquable. Il soulignait qu’en Christ il y avait deux natures, et que seule sa nature humaine avait souffert pour le salut des hommes. La plupart des ouvrages de Théodore sont perdus.

3. Jean Chrysostome († 407). C’est le plus grand nom de l’école d’Antioche. Cependant c’est surtout comme orateur qu’il est remarquable. Au point de vue théologique, nous pouvons souligner son attachement à l’Ecriture, la solidité de son exégèse, sa fermeté sur la doctrine de la Trinité, ainsi que son insistance sur la nécessité de la grâce, malgré certaines déclarations regrettables sur le salut par les œuvres.

4. Théodoret de Cyr († 457). Il s’est surtout distingué par l’énergie avec laquelle il a maintenu qu’en Christ les deux natures, tout en étant inséparables, subsistent sans se confondre. Son collègue Ibas d’Edesse défendait le même point de vue.

5. Autres théologiens. Cyrille de Jérusalem († 386) a composé des Catéchèses. Il était attaché à la doctrine de la divinité du Christ, mais refusait le mot consubstantiel comme non biblique.

Son contemporain Ephrem qui écrivait en syriaque a reçu de ses compatriotes le titre de « docteur du monde ». Très fidèle dans sa foi, il ne s’est pas mêlé aux controverses de son temps. Il a refusé de devenir évêque. Ses sermons et ses poésies montrent l’importance qu’il attachait au jugement et à la miséricorde de Dieu, ainsi qu’à la repentance et à l’humilité chez les hommes.

Epiphane († 403) évêque de Salamine en Chypre a composé un ouvrage appelé Panarion où il combat avec une grande violence quatre-vingts hérésies, dont vingt antérieures à l’ère chrétienne. Il a surtout poursuivi avec acharnement la mémoire d’Origène.

4. Controverses christologiques

1. La controverse apollinariste. Apollinaire était au début un ami d’Athanase. Pour mieux affirmer la divinité de Jésus-Christ, il diminua son humanité. Jésus, selon lui, aurait eu un corps et une âme, mais le Logos aurait pris en lui la place que l’esprit humain occupe chez les autres hommes. Cette hérésie, combattue déjà par Athanase, fut condamnée au concile de Constantinople en 381.

2. La controverse nestorienne. Nestorius, évêque de Constantinople (428-431), admettait que Jésus fût vrai Dieu et vrai homme, mais il considérait que les deux natures en Jésus étaient juxtaposées sans une véritable union, au point de former deux personnalités. Violemment attaqué par l’évêque Cyrille d’Alexandrie, il fut condamné et exilé lors du Concile d’Ephèse en 431.

La querelle entre les deux évêques avait éclaté à propos des hésitations de Nestorius pour reconnaître à Marie le titre de mère de Dieu, employé déjà par Athanase, et destiné à souligner la divinité de Jésus-Christ jusque dans son incarnation. Nestorius et Cyrille s’adressèrent tous deux à l’évêque de Rome Célestin Ier. Celui-ci, qui donnait à Marie le titre de mère de Dieu, et qui, de plus avait été indisposé par l’attitude conciliante de Nestorius pour les Pélagiens, donna raison à Cyrille. Le concile d’Ephèse fut convoqué par l’empereur Théodose II. Cyrille, appuyé par les délégués de Rome, fit condamner Nestorius avant que les évêques syriens aient eu le temps d’arriver à Ephèse. Furieux, ceux-ci, dès leur arrivée, s’assemblèrent à part et destituèrent Cyrille. Théodose exila les deux protagonistes dos à dos. Mais Cyrille ne tarda pas à signer une formule de compromis avec les théologiens d’Antioche, et put ainsi retourner à Alexandrie. Nestorius, abandonné de ses amis et poursuivi par ses ennemis, alla de lieu et lieu et, mourut misérablement.

Ses partisans, chassés de l’Empire, se réfugièrent en Perse et entreprirent de grands voyages missionnaires en Asie, jusqu’aux Indes et en Chine. Ces communautés se maintinrent pendant le Moyen-Age.

3. La controverse eutychiennew. Eutychès, moine de Constantinople, par réaction contre le nestorianisme, affirma que les deux natures de Christ étaient confondues. La nature humaine étant absorbée par la nature divine. Il fut soutenu par l’évêque Dioscure d’Alexandrie, qui, à l’aide de moines et de soldats, obtint la condamnation des adversaires d’Eutychès, en particulier Théororet de Cyr, au second concile d’Ephèse, appelé concile des brigands. Mais le pape Léon Ier (440-461) prit fait et cause contre lui, et au concile de Calcédoine en 451 l’eutychianisme fut condamné ; le concile des brigands fut flétri, les Antiochiens réhabilités et Dioscure destitué. Le concile confessa les deux natures de Jésus-Christ, « sans confusion, sans transformation, sans division, sans séparation ».

Bien des détails dans ces controverses sont loin d’être édifiants. Nous devons cependant ne pas oublier que l’âpreté des docteurs provenait en bonne partie de la profondeur de leur conviction, qui elle-même était due à leur désir de connaître la Personne du Christ, et de ne pas voir Sa gloire diminuée. Remarquons aussi l’équilibre de l’Eglise dans son ensemble. Elle a su se préserver des écueils qui la menaçaient de part et d’autre, et se maintenir dans la vérité scripturaire.

Un sermon de Basile le Grand.

Quel tort fais-je – direz-vous – de garder ce qui est à moi ? Comment à vous ? Où l’avez-vous pris ? D’où l’avez-vous apporté dans ce monde ? C’est comme si quelqu’un s’étant emparé d’une place dans les spectacles publics, voulait empêcher les autres d’entrer, et jouir seul, comme lui étant propre, d’un plaisir qui doit être commun. Tels sont les riches. Des biens qui sont communs, ils les regardent comme leur étant propres, parce qu’ils s’en sont emparés les premiers. Que si chacun, après avoir pris sur ses richesses de quoi satisfaire ses besoins personnels, abandonnait son superflu à celui qui manque du nécessaire, il n’y aurait ni riche ni pauvre. Vous qui engloutissez tout dans le gouffre d’une insatiable avarice, vous croyez ne faire tort à personne, lorsque vous privez du nécessaire tant de misérables. Quel est l’homme injustement avide. N’est-ce point celui qui n’est pas satisfait lorsqu’il a suffisamment ? Quel est le voleur public ? N’est-ce pas celui qui prend pour lui seul ce qui est à chacun ? N’es-tu pas un homme injustement avide, un voleur public, toi qui t’appropries seul ce que tu as reçu pour le dispenser aux autres ? On appelle brigand celui qui dépouille les voyageurs habillés, mais celui qui ne revêt pas l’indigent nu, mérite-t-il un autre nom ? Le pain que vous enfermez est à celui qui a faim ; l’habit que vous tenez dans vos coffres est à celui qui est nu ; la chaussure qui se gâte chez vous, est à celui qui n’en a pas ; l’or que vous enfermez est à celui qui est dans le besoin. Aussi vous faites tort à tous ceux dont vous pourriez soulager l’indigence. Voilà de beaux discours, dites-vous, mais l’or est plus beau… Que ne puis-je donc vous mettre sous les yeux toute la misère du pauvre, afin que vous sentiez de quels gémissements et de quelles larmes vous composez votre trésor !

Je vous ai parlé pour vos vrais intérêts : si vous suivez mes conseils, vous êtes assurés des biens qui vous sont destinés et promis ; si vous refusez de m’écouter, vous savez quelles sont les menaces de l’Ecriture : je souhaite que vous ne les connaissiez point par expérience, mais que vous preniez de meilleurs sentiments, afin que vos richesses deviennent pour vous la rançon de vos péchés, et que vous puissiez parvenir aux biens célestes qui vous sont préparés par la grâce de Celui qui nous a appelés tous à son royaume, à qui appartiennent la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Amen.

BASILE
Discours contre les Mauvais riches.
Traduit par KERMANN

Définition de la foi par le Concile de Chalcédoine.

Suivant donc les saints Pères, tous à l’unanimité, nous enseignons de confesser notre Seigneur Jésus-Christ un seul et le même Fils, le même parfait en divinité et le même parfait en humanité, vraiment Dieu et le même vraiment homme (composé) d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous à l’exception du péché ; avant les éons, d’une part, engendré du Père selon la divinité, dans les derniers jours, d’autre part, le même (engendré), à cause de nous et de notre salut, de Marie la vierge, la mère de Dieu selon l’humanité ; un seul et le même Christ, Fils, Seigneur, Unique, connu en deux natures sans (qu’il y ait) confusion, transformation, division, séparation (entre elles), la différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, mais la propriété de chaque nature étant plutôt sauvegardée et concourant dans une seule personne et une seule hypostase ; (aussi nous confessons un Fils) non pas divisé, ou séparé en deux personnes, mais un seul et le même Fils unique, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ, selon ce que, dès le commencement, les prophètes (ont dit) à son sujet, selon ce que Jésus-Christ lui-même nous a enseigné et selon ce que le Symbole des Pères nous a transmis.

D’après HÉFÉLÉ-LECLERCQ
Histoire des Conciles II/2.

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